Tribune – Gbagbo et l’affirmation de l’Etat-nation : La création d’un état-nation et non l’exclusion d’une partie de la population

Par Correspondance particulière - Gbagbo et l’affirmation de l’Etat-nation, par Isaac Pierre BANGORET (Écrivain).

CRÉATION D'UN ÉTAT-NATION ET NON L'EXCLUSION D'UNE PARTIE DE NOTRE POPULATION

Sur son site, le professeur Franklin Nyamsi, Agrégé de philosophie, Paris, France, pose
une des questions fondamentales que soulève la crise ivoirienne: «Le PDCI peut-il quitter le
RDA?». D'un point de vue philosophique et idéologique, il s'évertue à démontrer que « le PDCI
ne peut quitter le RDA qu'en renonçant à sa propre quintessence, en conduisant au suicide l'idée
généreuse et hospitalière de l'humain qui préside aux destinées temporelles de la Côte d'Ivoire
depuis son apparition indépendante sous le magistère de Félix Houphouët Boigny. République
d'intégration africaine, la Côte d'Ivoire doit pleinement redevenir la locomotive de la modernité
démocratique qui urge à travers le continent africain». Pour le professeur Nyamsi, l'obstacle
majeur à cette locomotive de la modernité est: «Ce nationalisme postcolonial – que revendique
KKB en raison de sa double parenté baoulé et dida/bété». Ce nationalisme, poursuit-il, «est le
socle de la xénophobie dogmatique d'une frange importante de la classe politique ivoirienne,
balayant de l'extrême droite nationaliste du PDCI-RDA à l'extrême-gauche du FPI». «Alassane
Ouattara et Henri Konan Bédié représenteraient aujourd'hui le camp du cosmopolitisme ivoirien,
enjeu majeur de la bataille présidentielle de 2015 qui ne s'annonce pas de tout repos». Ce
cosmopolitisme ivoirien, est pour le professeur, la pensée RDA, la traditionnelle perspective
d'action politique du PDCI-RDA dont s'était, quelque peu, écarté le président Bédié, quand il
entonna, avec certains de ses conseillers, le chant lugubre de l'ivoirité. Ce cosmopolitisme ivoirien,
précise-t-il, «ouvre le compas de l'intelligence à la mesure du phénomène humain dans son
ensemble. Elle consiste à tenir compte de ce que la Côte d'Ivoire est par essence une terre
d'immigration, et que toute décision politique d'envergure prise en Côte d'Ivoire concerne par voie
de ricochet toute la sous-région francophone ouest-africain, dont elle est le principal poumon
économique, puisqu'elle en représente 40% de la puissance. La pensée RDA s'appuie sur une
réalité sociohistorique incontournable».
Cette approche de la crise ivoirienne, d'un point de vue philosophique et idéologique,
s'apparente davantage à un discours d'une campagne électorale, en vue des présidentielles de 2015,
qu'à une analyse purement scientifique du contexte politique ivoirien. Les idéologies et les pensées
des partis politiques se doivent de tenir compte des réalités de l'histoire et des principes
scientifiques incontournables, quand on éprouve un véritable besoin de créer une Nation forte,
dotées d'Institutions fortes, où les citoyens et les étrangers vivant sur son sol sont respectueux de ses
lois et des principes qui régissent le Droit international. Lorsque nous analysons les propos du
professeur Franklin Nyamsi, du point de vue des sciences politiques, nous avons l'impression d'être
face à un enseignant qui dirait à ses étudiants 1+1 font 3 et non deux. Comment en effet parler de
nationalisme postcolonial, quand la Côte d'Ivoire et les ex-colonies francophones ne peuvent être
véritablement appelées État ou Nation? Un État est une forme juridique qui préconise l'existence
d'une forme de souveraineté et d'institutions politiques. Les ex-colonies françaises, nous le savons
tous, ne jouissent pas d'une autonomie et ne sont surtout pas souveraines. Il suffit de se référer à
l'article 55 de la Constitution française, qui n'est que le résumé de l'article 78 de la Communauté
franco-africaine; rien ne se décide dans ces colonies sans l'aval de la France. Comment parler de
Nation, racine du mot nationalisme, quand nous savons que la Nation est définie comme l'ensemble
des individus qui se considèrent liés et appartenant à un même groupe, principe que nie le concept
politique d'Alassane Ouattara: le rattrapage ethnique. Parler d'un nationalisme postcolonial dans le
contexte politique de la Côte d'Ivoire est scientifiquement erroné. Souffrez que soient rapportés, à
juste titre, les propos du professeur Mario Telò qui enseigne l'Histoire des doctrines politiques à
l'université de Bari. Il est professeur "J.Monnet" à l'université libre de Bruxelles. Consultant de la
Commission européenne, Directeur de Recherche pour les sciences humaines. Traduire, dit-on, c'est
trahir, voilà pourquoi il semblerait opportun de rapporter d'abord intégralement, le concept politique
inhérent à la création des États, présenté en langue italienne par ce professeur. Il écrit à la page 99
de son livre intitulé: "Dallo Stato all'Europa (De l'État à l'Europe – entendons Union Européenne):
«È in particolare nella fase della nascita e dello sviluppo dei primi Stati che si sono definite le
competenze fondamentali, dette anche prerogative "regaliane" della nuova organizzazione del
potere, tra cui la sicurezza interna ed esterna, il conio della moneta, e la facoltà di imporre tasse
attraverso sistemi fiscali centrali. E gli Stati hanno costituito il quadro della nascita delle
democrazie costituzionali e, nel XX secolo, degli Stati sociali». «C'est en particulier durant la
phase de la naissance et du développement des premiers États que se sont définies les
compétences fondamentales dites prérogatives "régaliennes" de la nouvelle organisation du
pouvoir, parmi lesquelles la sécurité interne et externe, la frappe de la monnaie, et la faculté
d'imposer des taxes à travers des systèmes fiscaux centraux. Et les États ont créé le cadre
favorable à la naissance des démocraties constitutionnelles, et au XX e siècle, celui des États
sociaux». Il poursuit: «La formazione degli Stati risponde, da un lato, all'insopportabilità
dell'insicurezza e delle divisioni interni ai vari Paesi Europei: frammentazione feudale, lotte di
fazioni e guerre civili e religiose. Dall'altro canto, l'Impero, l'Instituzione sovranazionale ereditata
dal Medioevo, non è più in grado di rappresentare la diversità crescente degli interessi dei Paesi
europei e la domanda di costituire una molteplicità di centri di autorità che prendono appunto il
nome di Stati» - «La formation des États répond, d'une part, à l'impossibilité de garantir la
sécurité et d'éviter les divisions internes aux différents Pays européens: la fragmentation féodale,
les luttes de factions et les guerres civiles et religieuses. D'autre part, l'Empire, l'Institution
supranationale héritée du Moyen-âge n'est plus à même de représenter la diversité croissante des
intérêts des Pays européens et la demande de constituer une multiplicité de centres d'autorité qui
prennent justement le nom d'États». Si avec les philosophes Thomas Hobbes, ou John Locke, nous
sommes introduits dans la pensée de l'État et dans l'État-nation, avec les chercheurs de notre
époque, nous découvrons la conceptualisation du parcours politique, qui conduit à la formation de
l'État, de l'État-nation, de l'État social etc... C'est en nous inspirant de ces concepts que nous
pouvons affirmer que la thèse soutenue ici par le professeur Nyamsis nous fait penser à un
enseignant qui dirait à ses étudiants 1+1 font 3. Les pays africains, pour avoir décidé d'emprunter la
voie de la démocratie, ne peuvent, en effet, échapper à cette conceptualisation de la formation des
États. La crise politique ivoirienne est étroitement liée à l'intégration des étrangers sans-papiers, ou
en possession de cartes nationalités douteuses. Cette réalité, le professeur Nyamsis la met en
exergue, tout en l'habillant d'un certain "humanisme" propre à la pensée RDA, au PDCI-RDA, dans
le but d'étouffer la lutte politique du président Gbagbo, des Ivoiriens, et d'élucider la gravité de la
révolte des sans-papiers à l'origine des 3000 morts de la crise postélectorale. En sciences politiques,
il est bienséant de relever les deux facteurs suivants pour comprendre d'où nous venons et où nous
allons: les cartes nationalités douteuses suscitent un problème croissant d'insécurité, et la mainmise
de la France sur la Côte d'Ivoire provoque une aspiration croissante des populations à la
souveraineté nationale: aux prérogatives régaliennes, au respect de ses Institutions: ici 1+1 font 2.
Ce qui signifie, en fait, que ces deux paramètres, comme l'a souligné le professeur Mario Telò, ne
peuvent que conduire à une première phase de notre parcours politique; celle de la formation de
l'État ivoirien. Il s'agit de ce cadre juridique dans lequel les Institutions, l'administration, sont gérées
par des autorités souveraines; on assiste alors à une décentralisation du pouvoir qui n'a jamais été
effective depuis nos indépendances, car tout est décidé par la France et en France. C'est à cette
phase de la formation de l'État que se retrouve le président Gbagbo, les Ivoiriens et les étrangers
qui aiment la Côte d'Ivoire. On ne peut parler de nationalisme tant que n'est pas encore constitué
l'État-nation; on assistera, dès sa formation, à la juxtaposition de l'État, cette forme juridique
souveraine et de la nation; l'ensemble des individus qui se considèrent liés et appartenant au même
pays. Si en Allemagne, c'est la nation qui a donné naissance à l'État parce que des personnes parlant
la même langue se sont rassemblées autour de leur leader afin de former un État, en Côte d'Ivoire,
c'est l'État qui donnera naissance à la Nation, puisque des Institutions fortes oeuvreront à l'unité de
tous les fils du pays. Ce nationalisme extrémiste dont parle le professeur Nyamsis est provoqué, en
général, par la fragilité des Institutions, comme nous pouvons le constater dans certains pays
européens, où face à la crise économique, les partis d'extrême droite ou de gauche tiennent à se
retirer du Projet Européen et drainent surtout du monde. L'insécurité et l'aspiration aux prérogatives
régaliennes conduisent à l'État (1+1 font deux). Pour arriver à 3, au nationalisme extrémiste, il nous
faut, du point de vue des sciences politique, être confronté à ce problème inhérent aux Institutions
fortes qui se fragilisent. La lutte politique du président Laurent Gbagbo et des Ivoiriens ne peut, par
conséquent, d'un point de vue scientifique, être taxée de xénophobie dogmatique ou de nationalisme
post-colonial. Les Ivoiriens sont en marche vers la création de l'État-nation, parce qu'ils tiennent à
garantir la sécurité à l'intérieur et à l'extérieur de leurs frontières, en trouvant une solution
appropriée au bétail électoral révolté du RHDP, en possession de faux documents ivoiriens ou des
sans-papiers, et à conquérir les prérogatives régaliennes, qui font de toutes les nations du monde des
États souverains. Ils ne veulent pas être considérés, à l'instar de tous les Africains dignes, des
personnes de catégorie B ou C, par la CPI ou par la Communauté internationale. Ce n'est donc
pas une honte pour les Africains de quitter, par exemple, la CPI, dans le souci d'attirer l'attention de
tous sur le principe de réciprocité, qui se doit de régir les relations internationales, aussi bien sur le
plan économique, social que politique.

Une contribution de Isaac Pierre BANGORET (Écrivain)