Scandale – Côte d’Ivoire : 11 lingots d’or de 31 kg et des liasses de billets d’une valeur de 1 milliard de Fcfa disparaissent au ministère de l'Economie et des Finances

Par L'Eléphant déchainé - L’argent et les 11 lingots d’or ont disparu.

Photo : Kaba Nialé, Ministre déléguée à l'Economie et aux Finances, et le Directeur général du Trésor et de la comptabilité publique (DGTCP), Adama Koné.

Comme c’est étrange ! Ce pays se transforme en un Etat mafieux ? Le 26 septembre 2013, des agents de la police économique et financière, sur dénonciation, ont arrêté à l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, un jeune Libanais âgé de seulement 17 ans et qui tentait de sortir du pays avec 11 lingots d’or d’un poids total de 31 kg et une somme de 194 mille euros en coupure de 500. Bravo messieurs ! Sauf que les fruits de cette opération, transmis à la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique, précisément à la sous-direction des finances extérieures (Finex), n’ont dormi que pendant 24 heures dans un coffre fort. Avant de prendre, comme « L’Eléphant » vient de le découvrir, une destination inconnue. Petit retour sur une affaire qui devrait inquiéter notre président…

Une grande médiatisation puis, silence radio !

Le 26 septembre 2013, c’est la grande Rti 1 qui a ébruité l’affaire dans son édition de 20 heures. Pour ceux qui ont pris le malin plaisir de ne plus regarder cette télévision publique depuis des années sans savoir ce qu’ils ratent chaque jour, voilà ce qu’elle a dit. Allez, la présentatrice : « Un réseau de trafic de métaux précieux et de devises étrangères vient d’être démantelé par la Police économique. Au centre de l’affaire, un jeune Libanais. Les lingots saisis et les devises étrangères sont estimés à plus d’un milliard de Fcfa. » Par la suite, dans les images qui ont suivi cette information, l’on a vu le directeur général de la police économique, le commissaire Timité, en compagnie du journaliste de la Rti, auteur du reportage sur l’affaire. Ecoutons le commissaire expliquer les circonstances de la saisie : « Nous avons eu l’information de ce qu’un jeune homme s’adonnerait à un trafic de pièces détachées entre le Liban et la Côte d’Ivoire. Mais curieusement, c’est des pièces détachées d’occasion qu’il prend en Côte d’Ivoire pour aller au Liban. Ça nous a intrigués et nous l’avons suivi et aujourd’hui, il y a ce qu’il avait déjà embarqué sur l’avion, nous avons demandé qu’il soit débarqué pour que l’effet de surprise soit totalement préservé. En fouillant donc les cartons qu’il transportait, on a vu effectivement qu’il y avait dans les cavités des pièces dé- tachées, un certain nombre de métaux dont nous n’avions pas encore la qualité. Et après vérification au niveau de la Sodemi, nous pouvons affirmer à 100% que c’est de l’or. » Et le journaliste auteur de l’interview de préciser à la fin de son reportage : « Le commissaire Timité précise que le commerce de l’or et le transfert de devises ne constituent pas une infraction en Côte d’Ivoire, mais ils exigent toutefois qu’il soit pratiqué en toute légalité… »

Des vacances mouvementées

L’or et l’argent, en réalité, n’appartenaient pas au jeune homme de 17 ans qui rentrait au Liban, après un séjour de quelques semaines passé à Abidjan, auprès de sa maman, véritable propriétaire du colis. Cette dernière possèderait un agrément qui l’autorise, en association avec un Ivoirien, à acheter officiellement de l’or en Côte d’Ivoire, pour le compte de mandants vivant au Liban. De 2011 à 2013, elle a acheté de l’or pour plus de 2 milliards Fcfa, fait normalement les déclarations, avant de l’expédier au Liban. Sauf que courant deuxième moitié de 2013, bien qu’ayant toujours un agré- ment, la Libanaise va avoir quelques difficultés à faire signer ses autorisations d’exportation d’or auprès de la Sodemi (société pour le développe- ment minier de la Côte d’Ivoire). Pendant 3 mois, elle va donc rester à son domicile avec 11 lingots d’or déjà achetés et 194 mille euros en- voyés par ses mandants pour d’autres achats. Dans la première semaine de septembre 2013, elle est victime de deux tentatives de braquage à son domicile. Devant cette situation et sur conseil d’un compatriote, elle décide, en attendant que la Sodemi lui signe enfin ses autorisations d’exportation, de se débarrasser de l’or et des devises étrangères en sa possession. Ça tombe bien ! Venu passer ses vacances en Côte d’Ivoire, son fils, K. Ali, âgé de 17 ans, doit justement repartir au Liban, le 26 septembre 2013. Elle décide donc, après en avoir avisé au préalable ses mandants, de remettre les 11 lingots d’or et les 194 mille euros (environ 128 millions Fcfa), à son fils. Mais comment sortir 11 lingots d’or du pays en passant par l’aéroport d’Abidjan, sans une autorisation de la Sodemi ? Pour contourner l’obstacle, aidée d’un compatriote, elle cache l’or et les 194 mille euros dans des pièces détachées de véhicules, avant de les fourrer dans un carton. Le 26 septembre, le carton arrive à l’aéroport et passe tous les contrôles (douaniers) et autres, avant de se retrouver dans la soute de l’avion. Ouf! Sauf qu’au moment où elle se croit tirée d’affaire, des agents de la police économique débarquent et font descendre le colis et le jeune homme, avant d’embarquer ce dernier, direction, le siège de cette unité, au Plateau. Beau boulot messieurs ! A la police économique, des négociations sont engagées pour obtenir et la libération du jeune homme, et la restitution de l’or et des devises, moyennant paiement d’une amende. Mais les policiers refusent et conseil- lent à la maman de s’adresser au ministère de l’Economie, seul habilité à autoriser une transaction dans ce genre d’affaire. Sur ces faits, les policiers transmettent les 11 lingots d’or et les 194 mille euros à la Direction générale du trésor, Direction du Finex. 24 heures plus tard, le jeune Libanais est remis en liberté sans aucune restriction. Dans les heures qui suivent cette libération, le jeune, libre de ses mouvements, saute dans un avion et quitte la Côte d’Ivoire.

« une histoire de fou »

Les 11 lingots d’or d’une valeur de près de 900 millions Fcfa et les 194 mille euros ont été remis, par la po- lice, dans l’après midi du jeudi 26 septembre 2013, à la sous-direction du Finex. Le sous-directeur de ce service, Savané Mori, après avoir compté l’argent et évalué l’or, par mesure de précaution, a, selon les informations de « L’Eléphant », déposé le colis dans le coffre fort de l’une des directions dites départementales du trésor public à Abidjan. Histoire d’informer le lendemain, son supérieur hiérarchique sur la suite à donner à cette affaire. Mais le vendredi 27 septembre, alors que le sous-directeur rend compte à son supérieur hiérarchique, il reçoit un coup de fil du directeur Trésorier départemental, responsable du coffre fort dans lequel l’or et l’argent avaient été déposés. Lequel l’informe que des hommes armés, prétendant avoir été envoyés par la présidence de la République, précisément, le Conseil national de la sécurité, réclamaient l’or et l’argent. Ne pouvant rien contre un ordre censé venir de la Présidence de la République, sur instruction de son supérieur hiérarchique, le sous-directeur donne son accord pour que l’argent et l’or soient remis aux « envoyés » de la présidence de la République. Ce qui sera fait. Et selon les sources de « L’Eléphant », ses hommes armés, sur exigence du directeur départemental, ont signé une décharge avant d’emporter le précieux colis.

Où sont passés L’or et L’argent ?

Ne voyant rien venir pendant quelques semaines, ni convocation de la police ni convocation de la Direction générale du Trésor comme prescrit par la loi, la Libanaise se rend à la police économique, début octobre 2013, pour s’enquérir du sort de l’or et de l’argent. Là, elle apprend que l’or et l’argent ont été transférés depuis le 26 septembre à la direction du « Finex ». Elle réclame alors la preuve du transfert, c’est-à-dire le procès-verbal de saisie, comme le stipule l’article 6 de la loi N°97-397 du 11 juillet 1997 portant contentieux des infractions au contrôle des changes. Mais il ne lui sera remis aucune copie du procès- verbal. Vite, en compagnie d’un conseil, elle se rend dans les locaux de la Direction du Trésor et s’informe auprès du responsable qui, selon la police, aurait reçu l’or et l’argent le 26 septembre, c’est- à-dire Savané Mori. Mais ce dernier, bien que reconnaissant avoir reçu l’or et l’argent, déclarera qu’il ne l’avait plus, parce que des individus armés ayant déclaré agir pour le compte de la Présidence de la République, avaient emporté tout après avoir signé une décharge. Une copie du procès-verbal de police transmis avec l’or et l’argent ? Indisponible, répondra le sous-directeur. Les individus armés auraient tout emporté. Une copie de la décharge qu’ils ont signée ? Indisponible également. Un document officiel pour permettre à la bonne dame de prouver à ses mandants que l’or et l’argent se trouvent entre les mains de l’Etat de Côte d’Ivoire via la direction du Trésor ? Rien du tout. Toutes les démarches menées les jours suivant cette rencontre particulièrement instructive, se solderont par un échec général : rien, aucune information sur la destination finale de l’or et de l’argent. Aucune copie du procès verbal-verbal établi à l’attention de la Ministère déléguée à l’Eco- nomie et des finances, principale destinataire, ne lui sera remise comme le stipule la loi.

Plainte ou transaction?

Devant cette situation, le Conseil adresse un courrier, au nom de sa cliente, à la ministre déléguée auprès du Premier Ministre chargée de l’Economie et des finances, le 14 octobre 2013. Objet ? « Requête aux fins de transaction ». Dans ce courrier que « L’Eléphant » a pu consulter, l’avocat écrit entre autres choses : « (…) par la suite, la po- lice a saisi et mis ladite somme et les lingots susdits à la disposition de la Direction générale du Trésor du Mi- nistère de l’Economie et des Finances précisément, de la Direction du Finex, au motif qu’il aurait com- mis une infraction à la réglementa- tion des changes. Non seulement, en violation des dispositions de l’article 6 de la loi N°97-397 du 11 juillet 1997 portant contentieux des infra- ctions au contrôle des changes, aucun procès-verbal portant consta- tation des faits qui lui sont reprochés, encore moins relativement à la saisie de ses biens n’a été dressé à son at- tention conformément aux lois et rè- glements douaniers. Mais plus grave encore, nonobstant toutes sortes de démarches, aucune information crédible ne lui a été four- nie quant au sort de ses biens. En tout état de cause, il souhaite ren- trer le plus rapidement possible en possession de ses biens. A cet effet et le cas échéant, il est disposé à recher- cher et trouver avec vous, les condi- tions et modalités d’une Transaction conformément aux dispositions de l’article 14 de la loi N°97-397 du 11 juillet 1997 susmentionnée qui dis- pose que : « Le Ministre des Finances ou son représentant habilité à cet effet est au- torisé à transiger avec les auteurs ou complices d’une infraction au contrôle des changes, ainsi que sur les actions prévues à l’article 13, dans les conditions de l’article 16. La transaction régulièrement conclue et entièrement exécutée éteint toute action fondée sur les mêmes faits ». C’est pour quoi, écrit toujours le conseil, au regard de tout ce qui précède (…) sollicite, par le présent courrier, qu’il vous plaise, Madame la Ministre Déléguée, de bien vouloir: -faire injonction aux agents du Minis- tère des Finances en charge de la présente affaire de dresser et remettre, conformément à la loi, le ou les procès-verbaux auquel il a légitimement droit en l’espèce ; -agréer et donner la suite appropriée à sa proposition de transaction sus- mentionnée… » deux mois de réfLexion Du 14 octobre au 2 décembre 2013, Kaba Nialé gardera un silence émergent vis-à-vis du courrier de l’avocat. Puis, le 3 décembre, sous la plume de son directeur de cabinet adjoint, viré courant janvier 2014, Kaba Nialé répond : « Par courrier en date du 14 octobre 2013, vous sollicitiez du Ministère auprès du Premier Ministre chargé de l’Economie et des Finances une transaction de la saisie de la somme de 194000 euros et 11 lingots d’or pratiquée à l’encontre de votre client, le 26 septembre 2013 à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny. En retour, après enquête administrative initiée par nos services, je suis au regret de vous informer qu’il ne peut être donné de suite favorable à votre demande. » Traduction : Kaba Nialé refuse de transiger, donc de faire payer une amende à la propriétaire de l’or et de l’argent afin que cette dernière puisse disposer de ses biens. Mais la réponse de la ministre a deux significations. D’abord par son refus de transiger, elle reconnaît que l’or et l’argent sont entre les mains de ses services. Alors que la direction du Finex chargée de ce genre de contentieux dit que tout a été emporté par des hommes armés… les hommes armés auraient ramené tout ? Ensuite, son refus de transiger, selon la loi plus haut citée, entraîne obligatoirement une plainte de sa part, via l’Agent Judiciaire du Trésor, auprès du Procureur de la République avec remise de l’or et de l’argent comme pièces à convictions. Lesquelles pièces doivent être placées sous mains de la justice jusqu’à la fin de la procédure. Or, huit mois plus tard, aucune procédure judiciaire n’a été officiellement engagée contre la Libanaise et son fils. Rien n’a été signifié ni à elle ni à son avocat. Et, elle ne sait pas où se trouvent l’argent et l’or. En violation continue de la loi, les services du ministère délégué à l’Economie ne lui ont remis aucune copie du procès- verbal qui atteste que ses avoirs sont entre leurs mains. Et, chose plus étrange, plus personne à la Direction du Trésor ne donne aucune information ni à elle ni à son conseil. C’est le silence total. Interrogé par « L’Eléphant » sur cette inquiétante affaire, le directeur de la Communication et des relations publiques de la Direction Générale du Trésor a répondu (à raison?) ne pas être informé de quoi que ce soit. Avant de conseiller à « L’Eléphant » d’adresser un courrier à ses supérieurs hiérarchiques. Mais comme Kaba Nialé dit que l’or et l’argent sont entre les mains de ses services, « L’Eléphant » peut bien attendre l’ouverture du procès pour vérifier cela… Si d’ici là, des hommes armés n’ont pas tenté de mettre des balles en or dans la peau de la propriétaire…pour la faire taire ! C’est pour quand l’ouverture du procès, madame la ministre ? Et entre- temps, où se trouvent l’argent et l’or qui n’appartiennent pas à l’Etat de Côte d’Ivoire ?

DANIEl SOVY
NB: Le titre est de la rédaction.