Proposition de loi sur la polygamie / Pr Abraham Gadji : « l’incohérence d’un débat sur la polygamie »

Par Ivoirebusiness/Débats et Opinions - Proposition de loi sur la polygamie / Pr Abraham Gadji «l’incohérence d’un débat sur la polygamie ».

Professeur Gadji Abraham.

Il ne faut jamais commencer ce qu'on ne peut pas terminer, dit-on. Cette belle formule sied parfaitement à l'idée murmurée d'admettre légalement la polygamie en Côte d'Ivoire comme suite à la vidéo d'une personnalité politique allant dans ce sens.

Il est utile d'affirmer que la polygamie est anticonstitutionnelle en ce qu'elle rompt le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes consacré par notre constitution. Ce qui signifie que si on admettait la polygamie, il faudrait aussi accepter la polyandrie, c'est-à-dire la possibilité pour une femme d'épouser plusieurs hommes, à moins de modifier la Constitution et d'indiquer que les hommes auraient plus d'avantages que les femmes. Or, la nouvelle loi sur le mariage a renforcé le principe de l'égalité entre l'homme et la femme devant la loi. On se retrouverait dans des contradictions insurmontables.

La cour constitutionnelle du Bénin saisie, à propos de la légalisation de la polygamie, avait indiqué dans un arrêt rendu célèbre que la polygamie était anticonstitutionnelle pour les raisons évoquées plus haut.

Par ailleurs, le fait que certains pays africains aient admis la polygamie dans leur arsenal juridique ne saurait suffire pour valider une telle pratique en Côte d'Ivoire. Dans une telle logique, il faudrait également rétablir la peine de mort en Côte d'Ivoire puisqu'elle est en vigueur dans certains pays africains. Il en serait de même de l'homosexualité.

En clair, si on admettait légalement la polygamie, il faudrait, pour être cohérent, faire sauter les barrières contre l'homosexualité, la polyandrie et autres pratiques particulières. On comprend le danger d'une telle aventure.

Au-delà des arguments juridiques brièvement évoqués, il faut indiquer que le fait qu'un homme ait des relations avec plusieurs femmes ou qu'une femme entretienne plusieurs hommes ne doit pas nécessairement conduire à l'adoption d'une loi y relative. Cela fait plutôt partie de la vie privée, et doit rester dans le domaine privé des individus.

En outre, les arguments religieux ne doivent pas être évoqués ici parce que la Côte d'Ivoire est un État laïc. Il place les religions au même niveau. L'adoption de la monogamie en Côte d'Ivoire depuis l'indépendance repose essentiellement sur le principe de l'égalité entre l'homme et la femme devant la loi.

Il faut absolument éviter d'ouvrir la boite de pandore en voulant à tout prix impliquer l'assemblée nationale dans toutes les considérations singulières.

Nous avons des défis importants à relever, des débats à mener, des enjeux à maitriser en matière d'éducation, de santé, d'environnement, de valorisation de nos ressources naturelles, de recherche, de développement, d'industrialisation, de moralisation de la vie publique, de responsabilité inter-générationnelle, etc. Il y a du boulot à ce niveau.

Par Professeur Abraham Gadji
Agrégé des facultés de droit et homme de Dieu