LETTRE OUVERTE : LE COLLECTIF DES VICTIMES DE NAHIBLY ECRIT A MADAME FATOU BENSOUDA, PROCUREURE A LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Le 12 mars 2013 par Correspondance particulière - LETTRE OUVERTE FATOU BENSOUDA.

MADAME LA PROCUREURE,

Nous souvenant de vos propos le jour de votre accession au poste que vous occupez, il y a moins d’un an, nous nous permettons, nous, victimes de la loi des vainqueurs d’une guerre voulue et imposée à la Côte d’Ivoire par messieurs CHIRAC et SARKOZY, de vous faire le rappel suivant, dans le strict respect de votre personne et du poste que vous occupez.
Madame la Procureure, suite à votre investiture et prestation de serment il y a presqu’un an, vous avez signifié, devant le monde entier et la presse internationale qui vous interrogeait, votre ferme engagement pour que justice soit rendue à toutes les victimes, de quelque côté où elles se trouvent. Quelques semaines après votre profession de foi, le monde entier a suivi, presqu’en direct, ce qui aujourd’hui se nomme « le massacre de Nahibly », perpétré le 20 Juillet 2012 . Là où nous, victimes de cette cruelle animosité, déplorons des centaines de morts et des dizaines de disparus pour une population d’au moins cinq mille réfugiés, le gouvernement ivoirien, en prince obscur de la censure, a chiffré et « validé » six morts. Les médias, les chancelleries et les organisations de l’Occident (politiques et humanitaires), responsables avérés et véritables acteurs et bénéficiaires des malheurs et de l’enfer que vivent les ivoiriens, ont, sans gêne aucune, répété le chiffre six (six morts, s’entend) pour respecter on ne sait quel rituel.
Madame la Procureure, cet Occident qui se prévaut d’exporter la civilisation et la démocratie nous choque et nous dégoûte, en tant que victimes obligées par cet Occident, d’être de la chair à canon pour des négriers des temps modernes.
Constater, Madame la Procureure, ce n’est pas injurier :
-huit mois après les tueries dignes d’un terrorisme bestiaire à Nahibly, nous les victimes, nous nous demandons où sont passés tous ces justiciers et donneurs de leçons de démocratie de l’Occident, quand le monde entier aujourd’hui sait très bien que ce jour-là, à Nahibly, le massacre a eu lieu sous les regards passifs des autorités préfectorales et militaires de la ville de Duékoué et des soldats de l’O.N.U. basés dans cette ville. Oui, Madame la Procureure, la Cour Pénale Internationale s’intéresse-t-elle à ce qui s’est passé à Nahibly, vu que cette tragédie qui rabaisse l’humanité à un rang indiscutable d’imbécilité ou de sauvagerie, a bel et bien eu lieu en pleine crise postélectorale, dans la mesure où toute la paysannerie et la racaille de la sous-région ouest-africaine (dozos et f.r.c.i.) qui ont endeuillé notre beau pays, en vrais hors-la-loi font office de « loi » et que la Côte d’Ivoire est désormais devenue une jungle depuis le 11 Avril 2011 ?
-où sont donc passés radio france internationale, France 24, t.v.5, tous ces médias français , ces consultants occidentaux, « spécialistes » de contrées qu’ils n’ont parfois jamais visitées et leurs juges ou censeurs politiques ainsi que l’O.N.U. qui, dix années durant, avaient vomi une haine injustifiée contre le Président Laurent GBAGBO et tous ceux qui résistaient à leur volonté de nous assujettir ? Sous le pouvoir GBAGBO, ils avaient inventé des charniers qu’ils attribuaient à ce dernier. Ces charniers, ils les ont recherchés en vain, sans pouvoir les dévoiler à la face du monde, pour la simple raison qu’ils n’ont jamais existé. Le monde, aujourd’hui affranchi de leurs montagnes de mensonges, les découvre sous leur vrai visage, leurs bras chargés de charniers dont le nombre augmente chaque jour que Dieu fait, sans aucune réaction appropriée ou indiquée de la part de ces mêmes modèles de démocratie et de civilisation.
-Madame la Procureure, est-il possible que l’horreur de Nahibly, dans les mêmes conditions, se reproduise à Paris ou face à votre résidence hollandaise, sous vos yeux, avec à vos côtés des autorités préfectorales et militaires de Paris ou de Scheveningen, sans que cela n’émeuve pour le moins du monde votre conscience et votre cœur, en tant que simple être humain sans vouloir référer à votre qualité de magistrat et de représentant légal de l’O.N.U., même si c’est à ce titre que nous vous écrivons ? « Les victimes de tous bords, toutes les victimes… », disiez- vous après votre prestation de serment ! Malheureusement pour nous, victimes de dix années de massacres orchestrés par la France, nous continuons de déterrer des corps putréfiés de nos parents des nombreux puits où ils ont été enfouis par les tueurs fous des exportateurs occidentaux de la démocratie, sans qu’il n’y ait le moindre début d’enquête pour en punir les coupables. Le préfet de la ville de Duékoué ainsi que les chefs militaires f.r.c.i. continuent de vaquer tranquillement à leurs taches, parce que le massacre qui a eu lieu à Nahibly est dans « l’ordre normal des choses », c’est-à-dire nous tuer pour nous exproprier de nos terres fertiles, nous terroriser pour nous réduire au silence ? C’est mal connaître les ivoiriens ou les Wê que de s’imaginer que l’on peut les réduire au silence en leur imposant crimes et injustice ou la peur par la violence et la terreur gratuites !
A ce niveau de notre adresse à votre honorable personne, Madame la Procureure, nous voudrions vous apporter (de même qu’à toute autre conscience objective) les précisions suivantes :
-la présente lettre à vous adressée n’a rien à voir les pleurnichements de victimes résignées qui attendent leur mort certaine parce que d’autres en ont décidé ainsi. Cette lettre est pour nous un témoignage relatif à l’histoire vraie de notre pays, un témoignage de vérité à la postérité pour situer, dans ce qui se joue contre notre droit à la vie et contre notre propre volonté, sur le rôle ou alors sur la responsabilité de chaque acteur ou témoin de notre tragédie collective. Un témoignage qui, loin d’être un pamphlet de malédictions à l’endroit des néo- esclavagistes et de leurs obligés qui prétendent nous gouverner, se veut un acte d’affirmation d’une foi inébranlable : le brigand ou le criminel en armes, son maître et leur parrain (ce roi hautain de la servitude par crimes, attentats terroristes et génocides interposés) sont-ils des immortels, quand leur prétendu règne est un reniement total de tout ce qui est vie et liberté ?
-Madame la Procureure, qui, mieux que nous-mêmes, est bien placé pour écrire notre propre histoire ? Ne pensez-vous pas avec nous, Madame la Procureure, que c’est l’obstination dans le mensonge et la force (militaire) aveugle de l’Occident qui sont à l’origine des nombreux génocides où pullulent des esclaves mentaux (le cas de l’Afrique noire) d’une part et d’autre part, des nombreux attentats terroristes là où d’autres humains refusent dans une violence inouïe et dans le sang bien souvent de dizaines ou de centaines d’innocents, cette « sodomie mentale » qui veut les obliger à être tout sauf des humains (le Moyen Orient depuis des décennies, l’Afrique du nord aujourd’hui) ? La civilisation occidentale, tant vantée par ses fils et ses farouches défenseurs, pour nous, victimes africaines, est pire qu’un vampire ou un dragon qui s’est nourri et continue de s’abreuver du sang des nôtres. C’est cela même qui est la vérité et rien, absolument rien jusqu’à preuve du contraire, Madame la Procureure, ne peut détruire une telle affirmation : en 2011, ici, sous nos yeux, pour avoir pris fait et cause non point pour GBAGBO mais pour la souveraineté de la Côte d’Ivoire, des français ont été assassinés à Yamoussoukro, à Abidjan par des rebelles quand bien d’autres croupissent dans les geôles ivoiriennes sans jugement et sans aucune attention de la part du pouvoir français. Alors, ce vocable « civilisation » revêt-il ici, oui ou non, Madame la Procureure, des relents ou des germes d’escroquerie ou d’arnaque morale, voire de crime contre l’humanité ? Et tous ces milliers d’enfants, de femmes et de jeunes gens, bombardés ici en Avril 2011 par l’aviation française, après ses massacres contre les mêmes ivoiriens en Novembre 2004 devant l’Hôtel Ivoire d’Abidjan, là aussi, c’est un sujet dont vous n’avez certainement pas connaissance, Madame la Procureure, alors, passons sans perdre plus de temps. Au nom de la hiérarchie ou de la catégorisation au royaume des victimes ou bien alors parce qu’un oppresseur (même puissamment armé) n’a jamais tort quand il se rend coupable de terrorisme vis-à-vis de moins fort que lui ?
-A propos d’escroquerie morale, notre constat à nous, victimes de la guerre de dix ans de la France contre notre pays est le suivant : en fait d’escroquerie morale, il y en a beaucoup eu aussi, lors de la dernière audience du Président GBAGBO à La Haye. Sans vouloir manquer de respect à qui que ce soit, disons que l’impérialisme de l’Occident et de ses valets doit se plier à la vérité que dans le désormais « village planétaire », la communication et les médias ont pris des années-lumière d’avance sur tous les gros mensonges fabriqués de toutes pièces dans les laboratoires de ceux qui ont pour tout programme d’évolution ou de survie l’extermination de leur prochain pour passer au pillage ses richesses et de ses biens. Nous vous le répétons ici, Madame la Procureure, constater ce n’est point insulter. De ce fait donc, surmontant sans nous en rendre compte notre douleur de victimes encore traumatisées, nous avons ri, au cours de cette audience, concernant « vos » preuves contre le Président GBAGBO. Nous abaissant devant la mémoire de toutes les vraies victimes, nous vous posons la question suivante, Madame la Procureure : à vous qui jamais n’êtes venue en Côte d’Ivoire pour mener des enquêtes pour vous situer sur la réalité même des faits, que valent les témoignages de quelques victimes triées sur le volet de la délation et de la haine (pour preuve, votre fameuse vidéo du Kenya et la présence d’un civil armé d’un lance-roquettes à la marche des femmes d’Abobo où sept de ces femmes auraient trouvé la mort, une marche dite pacifique) contre les dépositions et les preuves massives (audio, photos , vidéos, plaintes et témoignages) des enfants du peuple ivoirien qui, reconnaissons- le si nous sommes de bonne foi, a été attaqué et massacré par plusieurs fois, depuis l’an 2002?
Madame la Procureure, si nous vous disons que nous ne sommes pas de ceux qui disent que vous vous avez été « achetée », que vous êtes « la négresse de service » de l’impérialisme ou de l’O.N.U.à la C.P.I., que « vous avez fui l’audience après deux jours », ce n’est point pour vous attendrir ou pour rentrer dans vos bonnes grâces. Non, ce n’est point notre genre de prendre les honteux raccourcis du favoritisme, de la pitié ou de la tricherie car nos pères ou nos ancêtres ne nous ont jamais appris à ramper là où notre honneur et notre dignité sont engagés. C’est pourquoi, Madame la Procureure, plus qu’indignés par la comédie de la communauté internationale qui se moque de nos vies et de nos morts, en toute objectivité, nous vous demandons de bien vouloir ne plus nous servir l’insulte que vous avez lancée à nos consciences de victimes en tout début d’audience quand vous avez dit comme ça : « on n’est pas ici pour dire qui a remporté ou non les élections ». Ou bien alors, rendez tout simplement leur tablier qui se souille chaque jour un peu plus du sang d’ivoiriens innocents (et ce depuis dix ans) à ces corsaires des temps nouveaux qui, contre toute bonne convenance, se sont arrogés le droit ( ?) de mener le monde vers sa perte. Sinon, les charniers et autres fosses communes de nos parents et compatriotes sont légions qui attendent que vous rendiez justice à qui de droit, pour briser la tempête qui vient et qui va dévaster le bal grotesque et satanique qui nous est servi jusqu’à présent. Ceci, dans un contexte où les prisonniers et les vraies victimes de la loi des vainqueurs ont et gardent pour eux, aussi surprenant que cela puisse être, l’assurance, la sérénité, le sourire et la liberté, contrairement à leurs bourreaux et à leurs juges qui semblent souffrir depuis cette audience, du sommeil troublé de la femme de Ponce Pilate.
Madame la Procureure, n’est-ce pas une évidence qu’il est désormais établi que la morale et la justice humaines sont entrées en procès dans votre institution de la C.P.I. depuis une nuit de Novembre 2011 qui a vu la déportation du Président Laurent GBAGBO ? Plus qu’une question, cette interrogation est un défi qu’il nous revient, vous et nous tous, en tant qu’humains, de relever. Car, contrairement à Robert ZIMMERMANN alias Bob DYLAN (le chanteur de folk américain et « roi » du protest-song) qui chantait dans un de ses tubes (Blowing in the wind) : « the answer is blowing in the wind », « la réponse est dans vent qui souffle », nous, victimes de Nahibly et de toute la Côte d’Ivoire profonde qui a été attaquée et massacrée, nous disons que la réponse à toutes nos tribulations (y compris le malaise profond de nos bourreaux et de leurs maîtres) est dans la conscience de chacun, libéré du joug qui l’asservit, afin d’apporter au musée de l’Histoire et de la Civilisation le témoignage de notre combat pour l’honneur, la dignité et la libération des peuples opprimés. S’il vous plaît, Madame la Procureure, ouvrez véritablement les yeux et tendez plus l’oreille en direction de l’Afrique (à travers villes, champs et hameaux) et le macadam des rues des cités occidentales et vous aurez compris que les dirigeants autoproclamés de ce monde sont bien en retard d’un désir exacerbé d’une mutation profonde.
Merci, Madame la Procureure, d’accorder une attention particulière au présent message et que Dieu, dans Sa miséricorde vous inspire, vous guide et vous garde.

Duékoué, le 13 Mars 2013.

Pour le Collectif des victimes de Nahibly : Emmanuel CALEB.