Justice: La CPI sous le feu des critiques dans le dossier ivoirien (Mediapart)

Par Mediapart - La CPI sous le feu des critiques dans le dossier ivoirien.

La CPI sous le feu des critiques dans le dossier ivoirien (Mediapart).

Une bouchée pour la cour pénale internationale, une autre pour la justice ivoirienne… Alassane Ouattara dissémine habilement ses prisonniers de guerre entre différents tribunaux. Si Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été déférés devant la CPI, Simone Gbagbo, la femme de l’ex-président, sera normalement jugée dans son pays, bien qu’elle fasse l’objet d’un mandat d’arrêt par le tribunal de La Haye. Le « procès du siècle » initialement prévu le 22 octobre, a déjà été reporté. Il débutera vendredi 26 décembre. Simone Gbagbo et ses 82 coaccusés patientent donc dans les geôles ivoiriennes.
Les accusations contre la vice présidente du FPI ne manquent pas. Tête de file des opposants aux accords de Marcoussi, instigatrice des « escadrons de la mort » selon ses détracteurs, Simone Gbagbo aurait joué un rôle proactif durant la crise ivoirienne. Elle a notamment dirigé un « conseil de guerre » qui visait à la survie du régime. Inculpée le 18 aout 2011 par la justice ivoirienne, l’ex première dame est poursuivie pour trois crimes majeurs : « atteinte à la sureté de l’Etat, crimes de sang et crimes économiques. »
-“Atteinte à la sureté de l’Etat”-
Pour l’instant, elle n’est convoquée que pour le premier chef d’accusation : Son atteinte à la sureté de l’Etat, lorsqu’elle n’a pas reconnu l’élection du président Alassane Ouattara, en novembre 2010. Pas pressé, Alassane Ouattara fait durer le procès. Il craint de remuer trop vite les souvenirs de la crise, et les griefs de chaque camp. Ce petit jeu risque d’agacer la CPI qui veut juger Simone Gbagbo pour « crimes contre l’humanité ». La CPI la suspecte notamment d’être impliquée dans plusieurs assassinats politiques, dont celui du journaliste Guy-André Kieffer. Mais le président Ouattara a toujours refusé de livrer la prisonnière.
En extradant l’ex-première dame, Ouattara aurait mis un doigt supplémentaire dans l’engrenage de la CPI. Il sait qu’après Simone Gagbo, les prochains sur la liste de la cour de La Haye se trouvent dans son propre camp. Or, les « Comzones » et autres chefs de guerre qui l’ont installé au pouvoir occupent, pour certains, des postes clefs dans les institutions ivoiriennes, et notamment dans l’armée. Et les mutineries du mois dernier témoignent de l’étroite marge de manoeuvre dont dispose le président face à son armée.
Ouattara craint aussi de brusquer l’opinion publique. Il serait le premier chef d’Etat à livrer une femme à la CPI, dans un pays où les « Mamans » sont intouchables. Le président s’apprête donc à jouer un coup à trois bandes : juger Simone Gbagbo à domicile, la maintenir en détention jusqu’aux prochaines élections présidentielles et satisfaire la soif de justice de la CPI.
-Extradition de Gbagbo et Blé Goudé-
La stratégie est toute différente pour Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, « le général de la rue ». Les deux hommes emblématiques, emprisonnés à La Haye aux côtés d’autres responsables, ont été livrés à la CPI peu après leur arrestation. Pour ceux-là, les plans de Ouattara convergeaient avec ceux de la CPI. Le président ivoirien y a vu l’opportunité de se décharger de prisonniers encombrants et de se laver les mains d’éventuelles futures condamnations, alors que les blessures de la crise sont encore ouvertes et que la justice est peu digne de confiance.. Quant à la CPI, elle y a vu une occasion de redorer son bilan ridicule grâce à des accusés appartenant au clan des vaincus – ce qui facilite grandement le déroulement des enquêtes. La Haye veut à tout prix éviter les pressions et entraves des gouvernements qui l’empêchent bien souvent de travailler. Cependant, l’extradition de Laurent Gbagbo a été vécue par certains comme une nouvelle humiliation coloniale
L’épisode ne manquera pas d’émailler l’image – déjà écornée – d’une cour de justice qui n’a ni les moyens de ses ambitions ni l’intransigeance de ses idéaux. La CPI s’avère bien pratique pour Ouattara. Après s’être délesté de la responsabilité des détenus les plus dérangeants, il garde grâce à ses prisonniers une marge de manœuvre précieuse. Il conserve d’abord un levier de pression face au FPI. Il pourra ensuite libérer quelques prisonniers pour témoigner de sa volonté de réconcilier le peuple ivoirien. Il sait aussi à quel point un Pascal Affi N’Guessan en liberté pourrait lui être utile. L’homme lorgne sur la présidence du FPI et s’est engagé dans une guerre ouverte contre Laurent Gbagbo qui désire conserver la tête de son parti depuis sa cellule à La Haye. Du pain béni pour le président.
Les ex-chefs rebelles, qui sont également suspectés d’avoir commis des exactions contre la population, ne sont pour l’instant pas inquiétés. L’ex-comzone de Bouaké Chérif Ousmane, actuellement commandant en second du groupe de sécurité de la présidence de la république (GSPR) est pourtant dans le collimateur de la justice internationale. Tout comme Losseni Fofana, alias Loss, actuellement commandant en charge de la sécurisation de la zone ouest, soupçonné d’avoir pris part aux massacres de Duékoué en 2011. Le pouvoir ne semble pas prêt à livrer ces individus devant la CPI, ce qui écorne encore davantage la réputation du tribunal de La Haye.
-La CPI sous le feu des critiques-
Les détracteurs de la CPI n’ont pas manqué de dénoncer ces manœuvres qui bénéficient à Alassane Ouattara, grand allié des occidentaux et notamment de la France. La Cour apparaît comme un outil partial, chantre de la justice des vainqueurs, machine à broyer les adversaires du président Ouattara. Voilà qui donnera du grain à moudre aux nombreux chefs d’Etats africains qui dénoncent l’acharnement de la CPI à poursuivre des africains : La totalité des détenus de la prison de Scheveningen sont africains.
Acculée, la CPI continue de reculer sur plusieurs dossier, alors que les protestations gonflent contre son « obsession » africaine. La juridiction de La Haye a annoncé vendredi 12 décembre l’interruption de son enquête sur les crimes de guerre au Darfour impliquant le président Omar el-Béchir. Quelques jours plus tôt, la CPI avait également abandonné ses poursuites contre le président Kényan Uhuru Kényatta pour crime contre l’humanité suite aux violences post électorales de 2007. Enhardi par ces victoires, le président Ougandais Yoweri Museveni veut déposer une motion à la prochaine réunion de l’Union Africaine pour que tous les états africains se retirent de la CPI. Ce qui pourrait donner de mauvaises idées aux nombreux potentats africains qui doivent quitter le pouvoir dans les deux prochaines années.

Source: Mediapart