Interview/ Jean Marcel Tapé (Directeur général d’African Village): ‘‘Les Ivoiriens ont peur d’aller au Brésil pour suivre la Coupe du Monde’’

Par L'Intelligent d'Abidjan - ‘‘Les Ivoiriens ont peur d’aller au Brésil pour suivre la Coupe du Monde’’.

Coût du déplacement pour la Coupe du monde 2014 au Brésil, procédure de mise en vente de billets. Jean Marcel Tapé, patron d’African Village se prononce sur certains questions à six mois du mondial. Interview !

Les tickets pour le mondial 2014 ont été mis en vente par la Fif depuis le 10 janvier dernier. Quel constat peut-on faire déjà ?

La Fifa a toujours confié la vente des tickets aux fédérations nationales en Afrique parce qu’il n’y a pas un système outillé dans ce domaine. C’est l’arrivée d’African Village dans le monde des tours opérateurs qui a changé les donnes. L’application sur le terrain a été difficile pour la Fifa et les tours opérateurs. Cette fois-ci, la Fifa a décidé de récupérer à 100% la vente des tickets. En tant que tour opérateur, cette mesure nous arrange. Mais elle sera très compliquée. En 2006, la Fif avait vendu plus de 4000 tickets pour la Coupe du monde. Mais les personnes détentrices de billets, ce sont vues refuser le visa. 4 300 visas ont été refusés aux Ivoiriens en 2006. Cela a posé des préjudices aux supporters ivoiriens. En 2010, ce problème n’a pas existé parce que nous étions là. Cette fois-ci, la Fifa a réglé une partie en tenant compte des billets pour fournir les visas. Mais cela ne suffit pas. Le Brésil est un pays inconnu pour les Africains et les Ivoiriens en particulier. Personne n’a envie de s’aventurer, quand il ne sait pas où il dormira, ce qu’il mangera, comment sera-t-il transporté. Il y a une peur bleu qui habite les Ivoiriens. C’est la raison pour laquelle les gens ne se précipitent pas pour s’acheter le billet, via la procédure lancée par la Fif. Aussi le mode de paiement est adapté aux européens, pas aux Africains.

Il y a donc un risque ?

En fait, il n’y a pas de risque. Mais il y a une inquiétude qui s’installe chez le supporter, quand il sait qu’il n’a aucune visibilité et lisibilité quant à sa destination. Quand, il n’a aucun conseiller à ses côtés. Vous arrivez à la Fif, vous n’arrivez pas à vous commander un ticket en ligne. Combien d’Ivoiriens savent utiliser l’ordinateur même s’ils sont lettrés ? Pas assez. Combien d’Ivoiriens ont une carte de crédit ? Très peu. Ces choses limitent déjà l’achat du billet pour le mondial. Il faut savoir utiliser l’ordinateur pour prétendre à l’achat d’un ticket. Il faut avoir une carte de crédit pour le virement. Dans le cas où vous n’en avez pas, il faut faire un virement sur le compte de la Fifa pour prétendre avoir le billet d’accès aux matches. Une fois ces étapes franchies, il faut avoir une boite postale pour recevoir ce ticket. Combien d’Ivoiriens aujourd’hui ont une boite postale personnelle ? Très peu. Ceux qui ont des boites postales, ils ne s’en occupent plus. Les box ont été pris par la poste. Il faut passer par un système privé de distribution de courrier. Mais combien de personne ont une adresse physique qu’on peut retrouver. Voici des gardes fous qui bloquent l’évolution de la vente des tickets vis-à-vis des clients. Qui, ne peuvent pas avoir accès aux tickets parce que tout est mis en place selon le modèle européen. Personne ne veut prendre le risque d’aller introduire son numéro de carte bancaire dans un ordinateur qui est dans un cyber. D’autant plus que le phénomène des ‘’brouteurs en Côte d’Ivoire’’ fait rage. Ceux qui ont les moyens, qui ont des cartes de crédit n’ont pas envie de prendre ce risque. Parce que les cartes de crédit en Afrique sont liées aux comptes bancaires. Tous ces facteurs font que les gens se retiennent. Ce qui ralenti la vente des tickets. Sinon, c’est à l’avantage des opérateurs de ne pas acheter des billets en avance comme en 2010. Nous fournissons le transport, l’hébergement, la nourriture et le déplacement sur le terrain. Cela nous va largement.

L’explication montre que la procédure parait complexe, avec des risques. Alors quelle serait la solution ?

La solution serait simple. Nous allons faire ce que nous faisons au Cameroun et au Nigeria. Etablir un partenariat avec la Fif , pour dire que le client n’est pas obligé de suivre cette procédure pour avoir les tickets. Nous faisons le travail pour le client. Qui sera dans la base de données. A une seule adresse, les billets seront transmis. Et les clients ne récupéreront les tickets quand, ils seront prêts à partir pour le Brésil. Nous allons faire la même chose avec l’ambassade du Brésil. Ceci pour dire que nous avons une équipe qui s’en occupera pour le client. Si le client doit faire tout ce parcours individuellement, cela réduit le nombre de participant à la Coupe du monde. Plus c’est difficile, moins d’Ivoiriens iront. Cette Coupe du monde va coûter cher. En 2010, nous avions déjà lancé nos différents pack. Pour cette coupe du monde, cela n’a pas encore été fait. Parce que nous luttons pour avoir les packs à des prix raisonnables. Nous ne voulons pas dépasser nos prix habituels. Heureusement que nous avions réservé depuis 2010, 300 chambres. Mais cela ne suffira pas, il nous faut au moins entre 500 et 1000 chambres, comme en 2010. Les nouveaux prix affichés sont largement au dessus de ce que nous avons réservé en 2010. Il y a un combat à mener à ce niveau. Nous avons des avions que nous avons négociés à bon prix. Mais le droit d’atterrissage et surtout les vols internes sont des problèmes pour nous. Les prix affichés pour juin 2014 sont passés du simple au double. Aujourd’hui nous nous battons pour avoir le package le moins cher possible.

Le package le moins cher possible coûterait combien aux Ivoiriens ?

Malgré les efforts, le maximum que nous avons obtenu, sans les tickets de stades est de 2 750 000 FCFA. La raison aurait voulu qu’on reste à 2 500 000 FCFA comme en Afrique du Sud. Avec les billets du stade, nous sommes à 3 millions de FCFA. Nous sommes largement moins chers que tous les tours opérateurs sur le marché. Chez les tours opérateurs européens, le pack le moins cher est de 4 millions de FCFA. Dans ce pack, il n’y a pas de billets d’avion international et de tickets du stade (il nous invite avec insistance de vérifier sur le net, ndlr). Ils ne croient pas qu’avec 3 millions de FCFA on puisse avoir un vol international, deux vols locaux, l’hébergement pendant 11 jours dans un hôtel de deux étoiles du groupe Accor. Avoir trois repas par jour et suivre trois matches. Ils pensent que c’est un miracle.

Vous sortez perdant dans cette affaire à travers, ‘’ le miracle’’…

Non. Dans cette affaire, il faut savoir négocier à l’avance. Nous avons négocié l’essentiel à l’avance. Ce que nous négocions, ce sont les extras, les imprévus. Les imprévus viennent après le tirage de la Coupe du Monde et c’est ce que nous négocions. Sinon, l’essentiel a été fait en 2010. Nous avons négocié avec de petites compagnies qui nous ont donné des prix à l’avance. D’ailleurs, nous ne cherchons pas à gagner gros. Nous jouons sur les chiffres. Plus les supporters sont nombreux plus vous avez le pouvoir de faire une bonne démonstration. Nous voulons que le maximum d’Ivoiriens se déplace, nous voulons que l’Afrique envahisse le Brésil. Nous créons les voies et moyens pour que les Africains et les Ivoiriens en particulier partent au Brésil avec leurs petits moyens. 3 millions de Fcfa, je trouve que c’est cher, mais nous n’avons pas le choix. C’est le minimum que nous puissions avoir.

Par le passé, l’entente avec le ministère des Sports et Loisirs n’était pas parfaite. Doit-on craindre cette année des problèmes ?

En 2010, nous nous présentions à la Côte d’Ivoire. Ce qui nous a poussés à puiser au fond de nous en prenant des risques en affaires qu’on ne prend pas. On ne préfinance jamais un business à 100%. Comme en Afrique, les gens ne peuvent pas te croire s’ils ne te connaissent pas. Nous avons décidé de préfinancer à plus de 2 milliards de FCFA les services du gouvernement ivoirien. C’est un gros risque que nous avons pris. C’est dommage, et au lieu de nous accompagner, nous soutenir, le gouvernement a préféré nous mettre dans les problèmes financiers. Ce problème, il est derrière. Cette dette doit être épurée avant de parler de quoi que ce soit. Et si elle est épongée, le service doit être payé d’avance. Nous ne prendrons pas une personne du gouvernement, si nous ne sommes pas payés d’avance. Aucun tour opérateur ne fait voyager quelqu’un à crédit. Cela ne se fait pas. Nous avons été les premiers à le faire, nous serons les derniers à le faire. On ne vend pas un service hospitalier à crédit. Nous l’avons fait parce que cela s’imposait à nous, et s’était un plaisir d’aider notre pays. Nous pensions que le pays allait nous reconnaître cela. Le gouvernement ivoirien ne pourra que nous regretter. Nous avons vu ce qui s’est passé à la Can 2013. Combien de personnes sont allées à la Can 2013 ? Pas plus de 100 personnes parce que le budget était élevé. Au Cnse (Comité national de soutien aux Éléphants, ndlr) combien de personnes étaient en Afrique du Sud ? 50. Comment sont-ils revenus ? Par vol régulier. Ils sont passés par Dubaï pour regagner Abidjan. En 2010, c’est un vol affrété de Johannesburg qui a permis aux Ivoiriens de regagner Abidjan après 6 heures de vol. Tandis qu’ils ont fait 19 heures de vol en passant par Dubaï. Quand le gouvernement envoie en 2010, 470 personnes et qu’en 2013, ce sont 80 personnes, alors qu’il s’agit du même pays, c’est qu’il y a problème !

Ange Kouadio