Dr Ernest Atté Boka, porte-parole de la coordination des 14 syndicats de santé: « NOUS RESTONS MOBILISES PRÊTS A REDESCENDRE DANS LA RUE SI...»

Le 27 février 2013 par FRATERNITE MATIN - “ LES AGENTS DE SANTÉ SONT LÉSÉS”.

IMAGE DU DR BOKA. De Fraternité matin.

Quels sont les points d’accord entre le gouvernement et vous ?

Depuis le 4 février, nous avons enclenché un arrêt de travail de 5 jours et le vendredi 8 février dernier, nous avons convoqué une assemblée générale qui a délibéré pour suspendre le mot d’ordre de grève du 9 au 17 février.
Cela suite à la rencontre avec le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, Gnamien Konan, le mercredi 6 février dernier. Réunion au cours de laquelle, il a demandé de lui laisser un peu de temps pour qu’il puisse acter les dossiers relatifs à notre revendication majeure : le paiement des indices. Sur cette base, il s’était engagé, au plus tard fin février, à faire acter les indices, à savoir 400 points pour les cadres supérieurs de la santé et 150 points pour le personnel technique. Fort de cela, il a été décidé, lors de l’assemblée générale, d’ouvrir une fenêtre «thérapeutique», en vue des négociations.
Le payement des indices demeure la doléance majeure, à vous entendre.
Le Premier ministre Daniel Kablan Duncan, s’est saisi du dossier et a rencontré la coordination de la santé, le mardi 12 février, à la primature, de 18h45 à 20h. A cette occasion, nous avons passé en revue toutes nos revendications, mais le Premier ministre a voulu, pour désamorcer la crise, savoir la revendication majeure. Nous lui avons fait comprendre qu’il s’agit du paiement des indices et sur la question, il nous a demandé de lui donner 15 jours, à compter du 12 février, pour qu’il puisse finaliser ce dossier et nous donner des réponses concrètes. Dès l’instant où il a pris cet engagement fort, cela prouve que la décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative a été réaffirmée par la hiérarchie. Cela nous rassure que ces indices seront pris en compte par le gouvernement.
Une date a-t-elle été arrêtée quant à la prise en compte de cette revendication?
Lors de la dernière rencontre avec le ministre Gnamien Konan, il nous a indiqué la date du 31 mars. Alors que le gouvernement, dans son ensemble, parlait de janvier 2014. Il faut pouvoir rapprocher ses deux positions. Surtout que le Premier ministre, après l’audience du 12 février, a souhaité qu’on conduise le travail avec les ministères techniques pour finaliser les dossiers en vue de prendre une décision honorable pour les deux parties.

Qu’en est-il des autres revendications ?

Concernant les autres revendications, à savoir le payement intégral des indemnités, des émoluments hospitaliers et des arriérés d’indemnités. Dès l’entame de la réunion, le Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, a voulu que l’on en discute un mois durant. Mais nous lui avons proposé de ramener ce délai à 15 jours en ce qui concerne les indices. Les autres questions feront l’objet de discussions durant un mois pour trouver des solutions.
Aucune période précise n’a donc été déterminée ?
Non, la période court à partir de la rencontre du 12 février. Pour les arriérés, le plus important était d’établir un chronogramme clair, accepté par les deux parties. Si l’on nous demande de le faire, cela veut dire que les arriérés seront pris en compte. Or le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative affirmait que l’Etat n’avait pas les moyens de penser aux arriérés.
Quelle va être la suite des évènements?
Nos camarades sont mobilisés sur le terrain. Tout le monde attend des négociations sincères. Mais s’il y a un couac, l’action syndicale va prendre le relais. Nous avons fait beaucoup de concessions depuis 9 mois. Nous ne sommes pas des va-t-en- guerre. Nous souhaitons que le gouvernement ne nous ramène pas à cette situation de grève.

Si votre grève est légale, pourquoi avez-vous présenté des excuses à votre ministre de tutelle ?

Après une sortie de crise, il est toujours bon de normaliser les relations. Depuis que nous sommes syndicalistes, chaque fois que nous menons une action d’envergure, les ministres de tutelle pensent que nous dirigeons une action contre eux. Il était donc bon pour nous, avant d’aller à la primature, de rencontrer la tutelle, parler le même langage. A cette occasion, nous avons dit à la ministre de la Santé et de la Lutte contre le Sida, Raymonde Goudou Coffie, que s’il ya eu des impairs dans la gestion de la grève, qu’elle comprenne que c’est dans la conduite de notre mouvement et non pour braver son autorité. Donc si l’action a été mal comprise, nous lui présentons nos excuses.

Quelles ont été les conséquences de ce débrayage ?

Il faut signaler que partout, l’autorité se préoccupait de savoir si le service minimum était assuré plutôt que de chercher à résoudre le problème. Il est vrai que la population en a souffert. Mais quand nous faisons nos activités, personne ne vient faire de décompte macabre, pourquoi lorsque nous sommes en grève, on nous demande s’il y a des morts. Notre rôle, aujourd’hui, est de faire en sorte qu’il y ait moins de morts dans nos établissements hospitaliers. S’il y en a eu, néanmoins, je ne crois pas que ce soit à l’hôpital. Il faut savoir que pendant la période de grève, tous les cas d’urgence ont été pris en charge immédiatement.

Pourquoi une grève maintenant, quand on sait la situation difficile de la Côte d’Ivoire qui sort de crise ?

Des engagements ont été pris par l’Etat ivoirien. Nous aussi, nous souffrons. Parce que le médecin touche 173 000 F Cfa par mois. Avec ce salaire, on ne peut pas nous demander d’être souriants. C’est parce que nous sortons de crise que nous demandons au gouvernement d’y aller pas à pas. Par exemple, nous ne revendiquons pas systématiquement le payement de nos arriérés qui se chiffrent individuellement pour les médecins, à 3 000 000 F Cfa, pour les infirmiers spécialistes à 1 200 000 F Cfa, les non spécialistes à 960 000 F Cfa et les aides-soignants à 720 000 F Cfa. Nous savons que l’Etat n’a pas les moyens de payer ces sommes maintenant. Nous avons donc proposé d’établir un chronogramme. Mais pour ce qui est des indices devant nous accompagner à la retraite, c’est maintenant qu’il faut les relever. Il est inconcevable que le cadre supérieur du ministère de la Santé et de la Lutte contre le Sida n’ait qu’un indice de 745 alors qu’ailleurs, dans le même secteur, quelqu’un qui a le niveau le plus bas est à 880. Voici le drame aujourd’hui.
Si les indices sont pris en compte, le secteur retrouvera son calme. Nous savons qu’il y a des difficultés, raison pour laquelle nous ne sommes pas gourmands dans les négociations.
Ce sont les mêmes problèmes depuis 2009 qui perdurent. Si la santé est aussi importante, pourquoi ne pas prendre les décisions idoines pour apaiser cette fronde sociale ? Pourquoi attendre qu’il y ait du grabuge ? Anticipons tous. Trouvons des solutions, surtout que le Président a décrété cette année 2013, année de la santé, il n’y a donc pas de raison que le minimum ne puisse pas se faire. Pour que la main dans la main, nous puissions conduire le système de santé à bon port en pensant à la motivation du personnel qui va animer toutes les infrastructures de santé qui seront mises en place.

En définitive, qu’attendez- vous du gouvernement et de la population?

Nous exprimons notre gratitude au Premier ministre qui a bien voulu se saisir de ce dossier pour engager des discussions sincères avec la coordination. Nous souhaitons qu’il aille jusqu’au bout des choses avec des résultats probants pour apaiser durablement le front social au niveau de la santé. Nous disons aussi aux populations de faire confiance au personnel de santé. Nous sommes toujours là pour elles, personne ne viendra les prendre en charge. Il est donc important que lorsque nous crions nos difficultés, elles puissent comprendre. Les agents de santé, dans le système de fonctionnariat, sont lésés dans le traitement financier, ce qui nous irrite souvent Nous ne comprenons pas que nous qui sommes au début et à la fin de la vie d’un homme soyons malmenés par l’Etat ivoirien, lorsque nous demandons le minimum.
En direction de nos camarades militants, il faut qu’ils demeurent mobilisés et à l’écoute du directoire. Si nous n’avons pas les résultats escomptés, nous utilisons l’action syndicale.

Interview réalisée par Marie Chantal Obindé

NB: LE TITRE EST DE LA RÉDACTION.

Persistance de la fronde sociale : L’INJUSTICE DANS LE TRAITEMENT SALARIAL, LA RAISON PROFONDE (LE 27 FÉVRIER 2013 PAR FRATERNITÉ MATIN)

Le gouvernement fait des efforts pour juguler les grèves à travers des appels incessants à l’apaisement, les assurances de règlement des problèmes évoqués, etc. Cependant, les fonctionnaires et agents de l’Etat, regroupés dans différents syndicats, menacent et persistent en brandissant le droit à la grève comme seul moyen pour faire plier l’autorité. L’une des raisons rarement évoquées pour justifier cette persistance est, à n’en pas douter, l’injustice constatée dans le traitement salarial.
Le gouvernement en est bien conscient, si l’on s’en tient à la déclaration du ministre de la Fonction Publique et de la Réforme administrative, Gnamien Konan, à l’ouverture du 2e atelier consacré à la révision du statut de la fonction publique, organisé récemment à Grand-Bassam. «Ces derniers temps, nous avons tous constaté plusieurs mouvements de grève déclenchés par les syndicats du secteur public. A l’analyse, ces revendications se nourrissent, pour l’essentiel, d’un sentiment d’injustice ressenti par nombre de fonctionnaires, en matière de rémunération », a confessé le ministre Gnamien Konan. « Ce n’est pas faux ce que le ministre a dit. Effectivement, dans l’administration, on constate que des fonctionnaires qui ont le même diplôme, qui font le même travail ont des salaires qui diffèrent. On n’a jamais su les raisons de cette inégalité dans le traitement salarial », dit Ango Vincent, cadre dans un Etablissement public national (Epn). Avant d’ajouter : «Les syndicats persistent dans les grèves pour attirer l’attention du gouvernement sur cet aspect, en vue d’une harmonisation au niveau du traitement ». Ces propos sont corroborés par le ministre Gnamien Konan en ces termes : « En effet, dans notre fonction publique, à diplômes équivalents, à profils identiques et à charge de travail similaire, les grades et rémunérations varient considérablement d’un emploi à un autre et d’une administration à une autre». Des observateurs parlent de l’inégalité dans le traitement salarial des fonctionnaires en citant les primes octroyées aux agents des régies financières, notamment les agents des impôts et du Trésor. Un autre exemple de l’injustice dans le traitement salarial, à en croire le Dr Atté Boka, porte - parole de la Coordination des syndicats des personnels soignants de Côte d’Ivoire, concerne les agents de santé. Et il ne cesse de le clamer haut et fort : « Les agents de santé sont lésés dans le traitement salarial », sans donner d’autres explications. En réalité, la bataille se situe au niveau du calcul des indices qui diffèrent d’un fonctionnaire à l’autre, dans un même corps de métier. Par exemple, le décret n°2009-208 du 29 juin 2009, portant fixation des échelles de traitement des fonctionnaires enseignants des emplois du secteur éducation et formation (qui a pris effet le 1er novembre 2009) dispose que les enseignants fonctionnaires du secteur « bénéficiant d’un changement de grade seront reclassés dans l’échelle de traitement de leur nouveau grade ». A l’analyse et selon les concernés, cette disposition n’est appliquée que de façon partielle. Dans la mesure où sur l’indice proposé par le décret qui est à 995 pour les instituteurs ordinaires de grade B3, 2e classe, premier échelon, ceux-ci sont payés sur la base d’un indice de 875 points. L’une des raisons de la persistance des mouvements des instituteurs est qu’ils réclament l’application totale du décret, donc le rappel du reliquat qui est de 120 points. A noter que la valeur de l’indice à la fonction publique est de 233, 4 Fcfa. Dans la même veine, les avancements, à la fonction publique, étant bloqués depuis 1998, pour bénéficier d’un avancement, les fonctionnaires passent par l’admission aux concours professionnels pour se voir reclasser avec l’indice supérieur. C’est, par exemple, le cas des enseignants issus des concours professionnels devant commencer avec l’indice 1225 (A3, 1er échelon) qui sont actuellement rémunérés sur la base de 1120 points d’indice. Ceux-ci réclament donc la différence.
Mauvais traitement des indices
Des fonctionnaires rencontrés reprochent aussi le mauvais traitement des indices par les agents de la fonction publique commis à cette tâche. Selon l’arrêté n° 12209, portant promotion au grade A3 dans l’emploi de l’éducateur, dont nous avons copie, une institutrice (B3, 2e classe, 1er échelon) a pris fonction le 20 octobre 1997 et obtenu un avancement, en 2009, en passant au 3e échelon, avec comme indice de 1155 points, est admise au concours professionnel au poste d’éducateur. Mais contre toute attente, elle a été reclassée en A3, 2e classe, 1er échelon avec l’indice de 1225 points. « Ce qui n’est normal, on a classé cette dame comme une débutante. C’est une erreur des agents de la fonction publique. Son indice doit être rectifié », précise un proche du dossier qui a requis l’anonymat. A l’instar de cette institutrice devenue éducatrice, plusieurs fonctionnaires du corps des enseignants issus des concours professionnels sont victimes de ces erreurs de calcul et de reclassement selon les indices. Tous réclament donc que justice soit faite.
Des indices payants
Une autre épine dans les pieds de ces victimes : pour rectifier ces indices, elles devront débourser, « dans le noir » entre 50 000 F et 150 000 Fca. « Les agents font sciemment ces erreurs et pour qu’ils corrigent les faux indices attribués aux fonctionnaires, ils demandent des dessous-de- table, sinon le dossier n’est pas traité », déplore un fonctionnaire qui attend d’être reçu à l’un des guichets de la fonction publique. La liste des injustices dans la fonction publique est longue et continue d’alimenter les frustrations et multiplier les revendications. Le gouvernement l’a bien compris qu’il a diligenté un audit de la masse salariale des fonctionnaires et agents de l’Etat « en vue de l’adoption d’une nouvelle grille salariale harmonieuse, plus équilibrée et plus équitable », a rassuré le ministre Gnamien Konan. C’est pourquoi, il est demandé aux concernés d’être patients et d’attendre les résultats de cette étude. Aussi, les enseignants, les médecins et les autres corps de la fonction publique attendent-ils beaucoup de la rencontre prévue le 28 février 2013, avec le Premier ministre, Daniel Kablan Duncan.

Germaine Boni