Crise Ivoirienne. Un journaliste italien fait des révélations. Comment on veut le faire taire...

Par Le Nouveau Courrier - le journaliste italien Silvestro Montanaro, auteur d’un documentaire-vérité sur la crise ivoirienne, fait des révélations.

Auteur du documentaire La Francia in Nero (La France en Noir) qui a augmenté l’audimat de RAI, un média italien, Silvestro Montanaro a fait l’objet de pression allant jusqu’à menacer de censure l’émission C'era Una Volta (il était une fois). Dans cette interview, il passe en revue les difficultés auxquelles il est confronté dans l’exercice de son métier.

Les Ivoiriens ont découvert vous et votre émission C'era Una Volta (il était une fois) grâce au documentaire La Francia in Nero (La France en Noir). Nous imaginons tout de même que vous n'avez pas commencé à militer pour les droits des plus faibles en 2012 date de sortie de ce documentaire. Qui est Silvestro Montanaro ? Pourquoi avoir choisi de lutter pour les « Sans voix » ?

Silvestro Montanaro est un homme ordinaire comme tant d'autres. Et c'est un journaliste, c'est à dire une personne qui est payé pour raconter honnêtement la vérité. Toute la vérité. Son éditrice est ce personnage qui, de plus en plus, dérange et est renié. La vérité. Avec la vérité,son patron ce sont les lecteurs ou les téléspectateurs qui regardent ses reportages.

Relevant du même ordre d'importance que la vérité et les téléspectateurs, ceux qui lui confient leur propre histoire et leurs souffrances. Et puis, un journaliste mieux que quiconque, est en mesure de ressentir l'injustice commise aux dépens des autres. Surtout, lorsqu'elle est commise aux dépens de personnes sans défense. Comme si c'est lui qui l'avait subie. Un journaliste est naturellement la voix de ceux qui n'ont pas de voix. S'il déroge à ce devoir.... il n'est qu'un vulgaire escroc.

En dehors de La Francia in Nero, quelles ont été vos réalisations les plus importantes ? Avez-vous jamais reçu un prix au niveau professionnel ?

J'ai eu la chance de faire le tour du monde et de vivre certaines pages parmi les plus dramatiques de l'histoire du monde. J'ai réalisé environs soixante (60) reportages d'une durée d'une heure et des dizaines d'émissions concernant les violations des droits de l'homme, le trafic des femmes et des enfants, les méfaits et les crimes de plusieurs multinationales. J'ai eu à parler de plusieurs guerres, surtout celle en Afrique, qui sont si souvent honteusement et faussement présentées aux occidentaux comme étant de simples guerres ethniques ou tribales.

J'ai raconté et fait voir que derrière plusieurs crises sanglantes en Afrique, se cachent les appétits gloutons néocoloniaux de grandes puissances et leur désir de continuer à voler les ressources de ce continent, grâce aussi à l'aide de leurs marionnettes installées au pouvoir en Afrique. Je l'ai toujours fait en citant les acteurs principaux et en apportant des preuves. Plusieurs de mes réalisations me sont chères. Une que je chérie particulièrement, c'est celle qui parle de Thomas Sankara, le grand président du Burkina-Faso. Elle expose ses idées extraordinaires et sa façon de vivre tout aussi extraordinaire.

Et j'ai apporté dans cette émission les preuves qui inculpent les criminels qui l'assassinèrent avec l'apport de certains gouvernements occidentaux et de présidents-gangsters des pays limitrophes. Je crois avoir remporté toutes sortes de prix au niveau italien et international. J'ai aussi été sélectionné pour l'Oscar du documentaire. Mais le prix le plus beau a toujours été pour moi l'estime dont je jouis auprès des personnes dont j'ai racontées l'histoire, le sobriquet par exemple qui m'a été affublé en Afrique est Le Griot Blanc. Un vrai honneur.

Comment avez-vous connu la situation en Côte d'Ivoire ? Après votre enquête et votre émission, quelle idée vous vous êtes fait de la guerre en Côte d'Ivoire ?

Je suis régulièrement ce qui se passe en Afrique. C'est sur vos terres qu'on a expérimenté et qu'on expérimente une grande partie des mécanismes diaboliques qui aujourd'hui affligent le monde. Un exemple parmi tant d'autres? L'utilisation de la dette comme méthode d’étranglement de pays entiers, et le nouvel esclavage, celui financier. Votre extraordinaire pays a vécu une dizaine d'années d'horreurs. Aucun des protagonistes sur le terrain ne peut se vanter de n'avoir pas sali ses mains de sang.

Cependant, ce que même un aveugle, s'il est honnête pourrait remarquer, c'est qu'une grande main blanche très souvent, s'est interférée entre les protagonistes, et parfois même a orienté votre tragédie. La France a de fait combattu un président démocratiquement élu et elle l'a combattu parce que ce dernier était opposé à ses diktats et aux intérêts de la France. La France a voulu éliminer une expérience qui, bien qu'ayant ses limites était tout de même une expérience d'émancipation et de souveraineté nationale.

Nous savons qu'après votre émission sur la Côte d'Ivoire, vous avez subi beaucoup de pressions tant de la part des autorités ivoiriennes que de la RAI votre entreprise. Pouvez-vous nous raconter tout ce que vous avez subi depuis ce jour où la RAI a transmis La Francia In Nero?

Les pressions sont arrivées de votre gouvernement actuel. Je peux raconter un épisode dont j'ai été protagoniste. Votre ambassade en Italie demanda une rencontre avec les responsables de la RAI, rencontre à laquelle j'ai participé. Les diplomates de votre pays bien évidemment très en colère, essayèrent de donner leur point de vue, menaçant de répercussions économiques les entreprises italiennes présentes en Côte d'Ivoire.

Selon eux, mon enquête était le fruit d'un complot. Je leur expliquai que leurs menaces me laissaient indifférent. J'essayai de leur faire comprendre que j'avais tout simplement fait mon métier, racontant une vérité plus qu'évidente. Je crains qu'ils n'aient pas compris. Pour eux, il est inconcevable qu'un journaliste raconte librement la vérité.

L'actualité c'est la suspension de votre émission par les responsables de la RAI. Pourquoi selon vous la RAI a choisi de suspendre une émission qui d'après ce que nous savons, rapportait beaucoup d'argent à l'entreprise ?

Les motivations réelles de la RAI ne peuvent être analysées que dans un champ d'hypothèses. Essayons de ne parler que de faits.

Première évidence, C'era Una Volta était désormais, depuis des années, une émission gênante car trop libre et incisive. Elle avait raconté les méfaits de trop de puissants et plusieurs parmi eux avaient exprimé leur gêne.

Deuxième évidence. Au fur et à mesure que cette gêne s'exprimait, les ressources mises à la disposition de l'émission (qui au début était acclamée comme émission de l'année) ont dramatiquement diminué rendant toujours plus difficile sa réalisation.

Ne trouvez-vous pas étrange que pour des événements qui apparemment n'ont rien à voir avec les problèmes italiens, vous ayez subi toute cette adversité ? Comment l’expliquezvous ?

Je vous répondrai en citant textuellement l'analyse faite par un grand maire colombien qui a exprimé publiquement sa solidarité visà-vis de C'era Una Volta. « Les grands pouvoirs qui gouvernent le monde ont toujours tenté et tentent de contrôler l'opinion publique à travers la censure, les mensonges et le contrôle des moyens de communication dans tous les coins et recoins du monde. Étant patrons d'une grande partie des télévisions, des radios, des productions cinématographiques et des grands journaux, les grandes entreprises multinationales influencent de façon importante notre vision de la réalité »

Bref, le monde est de plus en plus interconnecté, et les intérêts qui le régentent n'admettent pas des voix dissidentes ou critiques. Pire, encore si vous vous permettez de raconter qu'en Côte d'ivoire, au prix de milliers de vies et d'années de souffrances pour un peuple tout entier, il a été écrit un nouveau chapitre de la recolonisation de l'Afrique, de la modification de ses frontières et du contrôle despotique de ses ressources au profit de l'Occident.

Une pétition en ligne déjà signée par Stefano Rodotà (candidat classé deuxième à la récente élection présidentielle en Italie), Gino Strada (fondateur d'Emergency), Don Luigi Ciotti (président et fondateur du groupe Ebele E Libera), Cicilia Strada (présidente d'Emergency), Fiorella Mannoia (star de la musique italienne) a été lancée par certains de vos amis et soutiens. Qu'est-ce que vous espérez de cette pétition ?

L'objectif minimum est que la RAI, qui existe grâce surtout à la redevance audiovisuelle payée par tous les Italiens afin qu'elle assume le rôle de service public, respecte la volonté de tous ceux qui sont en train de signer cette pétition en ligne, et revienne sur sa décision en remettant dans sa programmation C'era Una Volta.

L'objectif plus ambitieux est celui de faire croitre la prise de conscience selon laquelle sans vraie et bonne information sur ce qui se passe réellement dans notre monde, l'on ne peut pas se définir démocratique. Pour qu'il y'ait démocratie, il faut un contrôle populaire. Pour exercer ce contrôle, nous devons être informés.

Si nous ne le sommes pas, nous serons contrôlés par cette même minorité qui n'est intéressée que par ses sales intérêts. Et s'il y'a une bonne information, les peuples pourront découvrir leur similitudes, découvrir qu’ils ont les mêmes intérêts et pourront ainsi collaborer afin de lutter ensemble. Croyez-vous que le peuple français serait heureux de savoir qu'il est gouverné par des personnes qui ont les mains pleines de votre sang et de l'argent qu'ils vous ont volé ? C'est pour cela que les puissants craignent la bonne information.

Comme vous l'avez dit plus haut, vous et votre émission êtes la preuve que le monde est désormais entre les mains de puissances qui transcendent les frontières géographiques. Pensez vous qu'il existe l'espoir qu'un jour la justice puisse prévaloir ? Est-il utile de continuer à se battre pour les droits des plus faibles ?

Chacun de nous représente les jambes du rêve d'un monde meilleur. Sans ce rêve que nous devons rendre concret, réaliser au plus tôt, notre vie à tous n'aurait pas de sens, mon travail serait inutile. Et à travers le monde, même en Afrique, je vois plusieurs jambes qui sont en marche. Des expériences de gouvernement extraordinaires en Amérique latine, le rôle toujours plus important des femmes, les mouvements qui critiquent le pouvoir absolu du monde de la finance. Ainsi, même s'il est vrai que dans l'histoire de l'humanité jamais comme aujourd'hui autant de pouvoir n'a été concentré entre les mains d'une minorité, il est aussi vrai que l'espoir est en marche, il court presque. Ils ne pourront pas, personne ne pourra plus l’arrêter.

Un dernier mot pour tous ceux qui vous liront surement nombreux?

La liberté, la justice, le bonheur ne sont pas un don du ciel ou un cadeau « généreux » offert par tel ou tel autre puissant. Ce sont les femmes et les hommes qui habitent dans ce grain de sable de l'univers appelé « Terre », qui pourront les rendre possible. Comment ? En s'engageant la tête haute, en luttant, de façon non violente, afin que la vie de tous, et pas seulement celle d'une minorité d'élus, soit une vie digne d’être vécue, et non une triste survie et l'esclavage.

Le Nouveau Courrier