CPI: Blé Goudé et les Jeunes patriotes au centre du contre-interrogatoire du témoin P-431

Par IvoireJustice - Blé Goudé et les Jeunes patriotes au centre du contre-interrogatoire du témoin P-431.

Blé Goudé et les Jeunes patriotes au centre du contre-interrogatoire du témoin P-431.

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Le contre-interrogatoire de Nigel Walker, le réalisateur du documentaire sur Blé Goudé et les Jeunes patriotes, a porté de nombreux points. La défense de Gbagbo s’est attardée sur la rébellion tandis que la défense de Blé Goudé a voulu véhiculer une image de tolérance et de discussion, contestant ainsi celle véhiculée par le témoin à travers les faits qu’il avait relatés à l’accusation.

Par Antoine Panaite

« Est-il correct de dire que quand vous employez l’expression Jeunes patriotes, cela fait référence à tous les jeunes supporters de Laurent Gbagbo ? », interroge Peter O’Shea, l’un des avocats de Laurent Gbagbo.

« Non, ce n’est pas ma compréhension des choses », répond le réalisateur du documentaire « Shadow work » qui affirme cependant que, pour lui, le Congrès panafricain des jeunes et des patriotes (COJEP) et les Jeunes patriotes font parties d’un même tout. Une affirmation balayée par O’Shea, estimant que l’expression « Jeunes patriotes » englobe une plus large réalité que le COJEP. Nigel Walker, le témoin, est en désaccord.

O’Shea lui demande en revanche s’il pense que « cette génération voulait s’affranchir de l’influence française ? ». « Oui, c’était une des préoccupations », confirme le témoin. Et « le souhait d’un désarmement des rebelles était un thème récurrent pour les Jeunes patriotes ? ». « Pour certains, oui », il existait, affirme le témoin.

Les responsables de 19 septembre 2002

O’Shea revient ensuite sur les entretiens que le témoin avait menés avec Wattao (Issiaka Outtara, un chef rebelle) et Konaté Sidiki (ex-ministre issu de la rebellion). On verra d’ailleurs plus tard dans l’audience une vidéo où ce dernier affirme avoir reçu un appel de Guillaume Soro en septembre 2002 lui demandant de rentrer d’Allemagne. « C’est nous, nous sommes responsables (de la tentative de Coup d’Etat du 19 septembre 2002, ndlr) », lui aurait dit Soro. Avant d’ajouter qu’ils doivent désormais « construire une organisation politique pour justifier l’utilisation d’armes ».

La défense de Blé Goudé s’est, elle, un peu plus longuement que d’habitude attardée lors de son contre-interrogatoire. Geert-Jan Knoops, l’avocat néerlandais de Blé Goudé, interroge d’abord le témoin sur l’authentification de l’identité des personnes qu’il a interviewées lors de la réalisation de son documentaire centré sur le « travail de l’ombre » de Blé Goudé. Pour sa sécurité, il dit ne pas avoir pensé « à demander les papiers d’identité » des personnes qu’il interviewait.

« M. Blé Goudé vous a-t-il à un moment intimidé ? », demande Knoops. « Jamais, non », lui répond le témoin. Une vidéo est ensuite présentée. On y voit Blé Goudé appeler les Ivoiriens à ne pas boycotter les audiences foraines. « Est-ce que ce point de vue était celui que M. Blé Goudé défendait avec vous ? ». « Oui », répond Walker.

La Côte d’Ivoire « a décidé de se sevrer du lait maternel de la France »

Knoops présente des vidéos qui véhiculent l’image d’un Blé Goudé tolérant à l’égard de toutes les ethnies et religions. Dans l’une d’entre elles, Blé Goudé s’adresse à des jeunes au palais de la Culture : « Vous êtes des petits dioulas, des petits bétés (…) Vous êtes la Côte d’Ivoire qui a décidé de se sevrer du lait maternel de la France ! »

Dans une autre vidéo, c’est un Blé Goudé qui dit explicitement que les Jeunes patriotes n’ont pas d’armes qui est présenté. Sur ce point, le témoin dira : « J’ai rencontré des gens (des Jeunes patriotes, ndlr) qui m’ont dit qu’ils avaient des armes ».

Knoops remet aussi en doute la capacité du témoin à distinguer les Jeunes patriotes. « Comment pouvez-vous distinguer un jeune d’un jeune patriote ? », interroge-t-il. Pour le témoin, c’est grâce au contexte. Knoops insiste pour savoir comment il fait sans le contexte. Le témoin répète : « On ne peut pas enlever le contexte ! »

L’appel de Blé Goudé à la discussion pas représentatif, selon Nigel Walker

C’est Zokou Séri, un des avocats de Blé Goudé, qui a terminé l’interrogatoire de Walker. Comme son collègue, il a abordé plusieurs sujets.

« Est-ce que vous pouvez nous dire si ces barrages (ceux qui, selon le témoin se trouvaient sur la route entre Abidjan et Yamoussoukro) avaient été installés à l’appel de Charles Blé Goudé ? », demande l’avocat. « Non je ne pourrai pas vous le dire », lui répond Walker.

Une vidéo des accords de Versailles du 26 juillet 2006 est présentée. On y voit Blé Goudé appeler les partis politiques à la discussion au sujet des audiences foraines pour « éviter à notre pays un Rwanda bis », selon les propos mêmes de l’accusé dans cette vidéo.

« Pourquoi vous ne faites pas référence à cette séquence vidéo ? », interroge Zokou. Walker justifie : « Ça ne reflétait pas mon expérience (…) lorsque j’ai assisté à des réunions de Jeunes patriotes ou lorsque j’étais présent lors des blocages (…) Cette séquence n’était pas représentative de ce qui s’est passé ces jours-là ».

À l'écoute de ces propos, Blé Goudé esquisse un sourire.

Pas d’opinion de témoin à la barre

Zokou Séri poursuit ses questions en s’intéressant aux journaux apportés par le témoin à l’accusation. L’avocat reproche au témoin d’avoir fait une sélection qui a écarté les journaux pro-Gbagbo.

D’abord le témoin affirme qu’il a donné des journaux car « il s’agissait tout simplement de confirmer des dates et des évènements » auxquels il avait assisté. Pour lui, le seul but de cette sélection « était de corroborer les évènements » qui figurent dans son film grâce à ces faits relatés par les journaux.

Zokou remet ensuite en doute l’impartialité du témoin : « Au vu de votre action (…) pensez-vous vous être comporté en journaliste honnête neutre et au moins impartial ? ». Le juge-président Cuno Tarfusser intervient en s’adressant au témoin : « S’il vous plait, ne répondez pas à cette question (…) C’est une opinion ».

Zokou rétorque brièvement : « Je pensais qu’à un certain moment on pouvait demander l’opinion du témoin ». Il annonce alors avoir fini son interrogatoire. Nigel Walker est remercié. Un court débat sur des questions d’intendance s’engage. Le prochain témoin devrait comparaître le 6 juin.

Par Antoine Panaite