Chili : la socialiste Michelle Bachelet arrive en tête de la présidentielle

Le Monde.fr avec AFP | Michelle Bachelet arrive en tête de la présidentielle au Chili.

Photo: Michèle Bachelet. Par Martin Bernetti (Afp).

L'ex-présidente socialiste Michelle Bachelet, forte d'une popularité jamais démentie et d'un programme de réformes prônant une rupture avec l'actuel gouvernement libéral, est arrivée largement en tête du premier tour de la présidentielle chilienne, dimanche 17 novembre. Mais elle devra affronter sa rivale de droite Evelyn Matthei lors d'un second tour le 15 décembre, après avoir échoué à dépasser les 50 % des voix nécessaires pour éviter ce duel – un face à face entre deux femmes inédit dans l'histoire du Chili.
Après dépouillement de 96 % des suffrages, Mme Bachelet, 62 ans, est créditée de 46,7 % des voix contre 25 % à Mme Matthei, 60 ans. La participation des quelque 13,5 millions d'électeurs demeurait dimanche soir la grande inconnue de ce scrutin, après l'abolition du vote obligatoire en 2011. Selon les autorités militaires chargées de la surveillance du vote, le processus électoral s'est déroulé "normalement" et sans aucun incident.

"PERDRE D'UNE MANIÈRE DIGNE"
"Nous l'avons dit dès le premier jour et peu de gens nous ont cru (...) nous avons battu les sondages et les analystes politiques qui disaient que Bachelet gagnerait au premier tour", se réjouissait dimanche soir la porte-parole de la candidate de droite, Lily Perez. Mme Matthei, première femme investie par la droite chilienne pour une présidentielle après une cascade de retraits de leaders conservateurs, a créé la surprise en dépassant les scores, entre 14 et 21 %, annoncés par les instituts de sondages.

"Il y a eu un triomphe moral de la droite, car les expectatives étaient très basses quant à la candidature de Matthei et son incapacité de parvenir à une cohésion minime comme coalition électorale", analyse le politologue Marcelo Mella. "Cela leur donne de l'espace, et leur permettra de perdre d'une manière digne" car l'élection de Mme Bachelet sera "presque une formalité" en décembre, affirme de son côté l'universitaire Cristobal Bellolio.
VIEILLES CONNAISSANCES
Mme Bachelet a souligné que son camp "savait que le défi de gagner au premier tour était complexe". "Nous avons fait un grand effort et nous avons été très près du but", a-t-elle estimé. Michelle Bachelet, médecin de formation et première femme élue à la tête d'un pays sud-américain en 2006, était la grande favorite du scrutin, forte d'une popularité inaltérée depuis la fin de son premier mandat en 2010. A l'époque, la Constitution l'avait empêchée de postuler à un second mandat consécutif.
Radicalement opposées politiquement, les deux postulantes à la présidence se connaissent depuis l'enfance. Lorsque Michelle avait six ans et Evelyn quatre, les fillettes se côtoyaient sur la base aérienne de Cerro Moreno, à Antofagasta au nord du Chili. Leurs familles étaient voisines et leurs pères très amis. Mais le coup d'Etat d'Augusto Pinochet contre le président socialiste Salvador Allende, le 11 septembre 1973, devait bouleverser leur vie. Alberto Bachelet fut torturé à mort pour sa fidélité à l'égard du président déchu. De son côté, Fernando Matthei fit partie de la junte militaire jusqu'à devenir responsable hiérarchique du lieu de détention de son ami.
PROMESSES DE RÉFORMES
Appuyée par une large coalition, la "Nouvelle majorité", regroupant communistes, démocrates-chrétiens et divers courants socialistes, Michelle Bachelet est consciente des attentes d'un pays différent de celui qu'elle avait quitté en 2010 pour exercer les fonctions de directrice exécutive de l'ONU Femmes. L'ex-présidente a promis de mettre en marche dans les 100 jours après son élection un ambitieux programme de réformes.
Celui-ci est notamment fondé sur une révision de la Constitution de 1980 héritée de la dictature, une réforme fiscale envisageant une augmentation de l'impôt des sociétés de l'ordre de huit milliards de dollars (3 % du PIB) destinée en particulier à une refondation du système éducatif pour instaurer une éducation publique de qualité, l'amélioration du système de santé et des services publics.
Dans cette société chilienne très conservatrice, Mme Bachelet s'est en outre faite l'avocate des droits des femmes. Elle envisage de légaliser l'avortement, interdit au Chili même à des fins thérapeutiques, et d'ouvrir le débat sur l'union entre personnes du même sexe.
LE MOUVEMENT ÉTUDIANT AU TOURNANT
De son côté, Mme Matthei n'envisage pas de "changements profonds" dans la société chilienne. Son projet libéral, inscrit dans la continuité du gouvernement de Sebastian Piñera, prône un meilleur contrôle de l'évasion fiscale et de la redistribution des ressources. Sur l'éducation, un des grands thèmes de la campagne, Mme Matthei s'est contenté d'annoncer la création, si elle est élue, de subventions aux familles, sans remettre en cause un système éducatif à deux vitesses hérité de la dictature.

Pendant la journée de vote dimanche, des étudiants ont brièvement occupé le QG de la candidate socialiste pour exiger une nouvelle fois une éducation gratuite et de qualité. "Le vainqueur de ces élections trouvera dans la rue le mouvement étudiant et les mouvements sociaux", a promis une dirigeante du mouvement, qui a organisé à partir de 2011 des manifestations parmi les plus massives depuis le retour à la démocratie, en 1990.
La capacité de manœuvre du nouveau gouvernement dépendra dans tous les cas du résultat des élections législatives et sénatoriales qui renouvellaient dimanche la totalité de la Chambre des députés et plus de la moitié du Sénat. Figure de proue de la contestation étudiante, l'ex-vice-présidente de l'influente Fédération étudiante du Chili, Camila Vallejo et trois autres ex-dirigeants du mouvement de contestation ont obtenu des sièges de députés.

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