Côte d'Ivoire: Les bus Bolloré… ou l’incompétence prétentieuse de ceux qui nous gouvernent !

Par Le Nouveau Courrier - Les bus Bolloré… ou l’incompétence du régime Ouattara.

"C’est pour « enlever la honte » dans les yeux de ceux qui nous gouvernent que le groupe Bolloré s’est proposé d’offrir ( ?) six bus électriques, dont deux seulement sont déjà arrivés à Abidjan, aux étudiants, qui ont
besoin de « navettes ».‘‘ (Théophile Kouamouo).

Par Théophile Kouamouo
Ces derniers jours, la rumeur abidjanaise s’est enflammée à
propos des « bus électriques Bolloré » qui auraient été endommagés par des pannes quelques semaines seulement après leur mise
en circulation ultra-médiatisée à l’Université Félix Houphouët-Boigny
de Cocody. Même s’il faut se garder de confirmer les différents bruits
qui courent – les fameux « Blue Bus » ne sont de toute façon pas encore fonctionnels –, il nous semble important d’interroger le prisme de gouvernance, les constructions idéologiques et les « mythes collectifs » que révèlent l’enthousiasme excessif et l’hystérie communicationnelle qui entoure ce qu’on nous vend comme le nouveau moyen de circulation « révolutionnaire » des campus ivoiriens.
Le régime d’Alassane Ouattara se caractérise, à notre avis, par un certain nombre de tropismes : un déni total des réalités concrètes des
citoyens ordinaires d’un pays pauvre et appauvri par la pyromanie d’un
certain nombre d’acteurs politiques; une passion sans bornes pour la
manipulation des esprits et un marketing
politique affranchi des questions de fond; et une extraversion
maladive, qui le pousse à considérer que les solutions toutes faites
conçues à l’étranger représentent le salut de la Côte d’Ivoire.
On ne peut pas parler des « bus Bolloré » sans décrire rapidement la
situation qu’ils sont censés régler. A la fin de la guerre postélectorale de 2010-2011, l’Université de Cocody, il est vrai déjà dans un état déplorable, a été soigneusement désossée
par des bandes armées manifestement enrôlées par les FRCI d’Alassane Ouattara. Elle a été fermée pour réhabilitation pendant plus d’un an. Une enveloppe astronomique a été consacrée à des travaux qui ont été en grande partie cosmétiques. Un « nouveau départ » mythifié a été « vendu » aux étudiants et à l’opinion publique dans
un contexte où certaines commodités prioritaires (toilettes, salles de
travaux dirigés, salle des profs, laboratoires, cités universitaires…)
ont été négligées au profit de réalisations qui avaient le mérite d’être « tape-à-l’oeil ». Peinture murale
flashy, espaces verts pimpants, fontaines majestueuses : des «
atouts » qui impressionnent ceux qui regardent les reportages
dithyrambiques de la RTI, mais qui sont de peu de secours pour les étudiants qui ont des besoins concrets et quotidiens.
Le « nouveau départ », ou l’inflation des règles absurdes et inadaptées au contexte.
A l’occasion du fameux « nouveau départ », des règles absurdes, censées montrer à tout le monde que le « temps du désordre » était fini et que les universités ivoiriennes fonctionnaient désormais « à l’américaine », ont été édictées. Ainsi, les gargotes informelles qui existaient auparavant sur le campus ont été interdites au profit d’un seul restaurant universitaire qui ne peut « absorber » qu’une infime minorité des usagers. On met fin à des pratiques de débrouille critiquables mais qui fonctionnaient, pour les remplacer par le vide sidéral ! C’est la même logique un peu folle qui a poussé le gouvernement à interdire la circulation des taxiscompteurs et des wôrôs wôrôs sur un campus qui est pourtant beaucoup plus vaste en termes de superficie que ceux de nombreuses universités européennes. Bien entendu, le « monopole » accordé à la SOTRA dans le « village universitaire » ne fonctionne pas, et ne pouvait pas fonctionner. Mais nos sommités, dont la conscience sociale est limitée, s’en fichent. S’il leur arrive d’aller à l’Université, elles ont des rutilantes voitures individuelles !
C’est pour « enlever la honte » dans les yeux de ceux qui nous gouvernent que le groupe Bolloré s’est proposé d’offrir ( ?) six bus électriques, dont deux seulement sont déjà arrivés à Abidjan, aux étudiants, qui ont besoin de « navettes ». Le coût du projet ? 1,2 milliard de FCFA, nous dit-on, tout en nous précisant que Bolloré prend les dépenses à sa charge. Mais un homme d’affaires n’est pas un philanthrope et s’il vous offre 1 franc, c’est qu’il entend gagner au moins 10 francs grâce à vous. La preuve : on parle déjà d’un « grand projet de construction de ligne de tramway dans les trois universités publiques de la capitale économique », qui sera confié à… Bolloré. Bien entendu sans appel d’offres préalable, vu son extraordinaire « cadeau ». Posons-nous quelques questions de bon sens. En
quoi six malheureux bus, tout électriques qu’ils soient, peuvent-ils changer quoi que ce soit au problème crucial de la circulation interne sur le campus ? N’est-il pas plus simple de revenir sur la règle
d’interdiction des taxis et taxis communaux
– une règle qui est inadaptée à notre contexte social ? Est-il
vraiment sérieux de « prioriser » la création de lignes de tramway universitaires dans un pays qui continue de manquer de tout en termes d’infrastructures de base ? Nous savons tous comment la grenouille
qui voulait se faire plus grosse que le boeuf a terminé ! La recherche effrénée de clinquant tapageur ne saurait tenir lieu de programme de gouvernement. On ne peut pas éluder une interrogation fondamentale : et si les bus de Bolloré n’avaient pas été là ? Les sommités qui nous dirigent n’avaient-elles pas sérieusement étudié la question des retombées de leurs décisions à la mode du « nouveau départ » ? Pourquoi nagen-telles à ce point dans la superficialité la plus déconnectée des dures réalités de l’Ivoirien moyen ? Au final, ce sont ces « petites choses » qui finissent par installer dans l’inconscient collectif la certitude de leur incompétence, aussi belle que prétentieuse.

Par Théophile Kouamouo