Côte d'Ivoire: Laurent GBAGBO ou le destin dreyfusien d’un insoumis, Par Professeur BALOU BI Toto Jérôme

Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - Laurent GBAGBO ou le destin dreyfusien d’un insoumis, Par Professeur BALOU BI Toto Jérôme.

Professeur BALOU BI Toto Jérôme.

Introduction :
Au moment où va s’ouvrir enfin le procès du plus célèbre des détenus du pénitencier de Scheveningen, l’otage d’une France qui s’abrite cyniquement, honteusement et lâchement derrière la nébuleuse appelée communauté internationale, qu’il nous plaise de rappeler ici les véritables enjeux de ce procès, loin d’être un procès juridique, et c’est bien un secret de polichinelle, est un procès hautement politique, celui de la « Françafrique », qui est bien une réalité, n’en déplaise à certains afro-français qui affirment sans sourciller, que la françafrique est « un mythe ».
A propos de cet infâme système, que certains descendants d’africains voudraient du haut de leur « francité » nier, voici ce qu’affirment Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, dans leur célèbre ouvrage intitulé Kamerun , en parlant des origines du système néocolonial français : « La France, nul ne l’ignore, n’a pas quitté l’Afrique en octroyant l’indépendance à ses anciennes colonies. Elle est partie pour mieux rester. Pour rester cachée derrière des régimes qu’elle a elle-même installés, formés et consolidés, et qu’elle s’est arrangée à contrôler et à maintenir en place sur la longue durée. Des accords de coopération, civils et militaires ont été signés entre ces partenaires inégaux, pour moderniser, en les contractualisant, les liens de dépendance. Des accords de défense (largement secrets) ont également été paraphés pour permettre aux dirigeants des tout jeunes états indépendants de faire face aux menaces extérieures et, encore davantage, aux « troubles intérieurs » qui pourraient à l’avenir les faire vaciller et ainsi ébranler la nouvelle architecture de ce colonialisme ».
Ainsi donc La Françafrique est bel et bien ce système mafieux qui plonge ses racines dans la nécessité vitale, pour la France, de poursuivre l’exploitation de ses anciennes colonies avec la pleine adhésion parfois empressée et enthousiaste des dirigeants de celles-ci, qu’ils ont contribué par ailleurs à installer, au mépris des règles de la démocratie auxquelles elle reste pourtant attachée sur son propre territoire ;très impliquée qu’elle est dans « le développement et l’évolution de l’Afrique ».
Les vraies raisons de la déportation du Président Laurent GBAGBO, et cela c’est aujourd’hui évident aux yeux du monde entier, sont donc rechercher ailleurs que dans des « prétendus crimes contre l’humanité ».

1- GBAGBO l’insoumis ou les vraies raisons de la déportation du Président de la Côte d’Ivoire.
La conquête de l’Amérique et de l’esclavage à partir du 17°siècles, qui ont décimé la population des autochtones américains (qui est passé de 100 millions d’habitants à 4.5 millions en l’espace d’un siècle) et fait 42 millions de victimes de la traite négrière, dont seulement 11 millions sont arrivés à destination, le reste étant jeté à la mer aux requins au cours des traversées sont là pour nous rappeler que l’histoire du monde est jalonnée de conquêtes impérialistes qui ont toujours fait suite la plupart du temps à des crises économiques internes aux pays occidentaux. L’objectif principal de ces conquêtes qui ont constitué des drames pour les peuples africains et de vrais génocides dont personne n’ose parler était l’approvisionnement en matières premières.
Malheureusement pour les impérialistes occidentaux, et heureusement pour l’afrique, de vrais panafricanistes, sont apparus, qui vont constituer un grain de sable dans un mécanisme bien huilé de ces pratiques esclavagistes, qui ont essayé de se dissimuler à travers une mafia politico-économique dont les bras armés sont entre autres l’ONU, le FMI, La Banque Mondiale, l’OMC, l’OTAN, etc…
Il y a eu par exemple Patrice Émery Lumumba (né le 2 juillet 1925 à Onalua, Congo belge), enlevé puis assassiné par les services secrets occidentaux le 17 janvier 1961 au Katanga, avec comme bras armé et homme lige, Mombutu Sesse Seko, son propre compatriote,qui sera ensuite installé pour servir les intérêts. Avant lui il y eût Béhanzin (1844-1906), roi du Dahomey (1889-1894), un autre insoumis, arrêté en 1894, à l’issue de combats héroïques qu’il a mené avec ses fameuses amazones contre les troupes françaises commandées alors par le général Alfred Dodds (1842-1922), un Afro-descendant sénégalais qui va le déporter au fort Tartenson (Martinique) puis en résidence surveillée à Fort-de-France ; il sera enfin libéré en 1906, et assigné à résidence en Algérie où il meurt le 10 décembre 1906 à Blida, sans jamais avoir été autorisé à revoir sa patrie. Nous avons aussi en mémoire la lutte émancipatrice contre la colonisation avec l’UPC, et des souverainistes comme Nyombé avec les massacres sans nom (décapitation de l’UPC et extermination des résistants camerounais) qui s’en sont suivis.
C’est donc dans le prolongement du projet néocolonial qu’il faut rechercher l’hostilité de l’impérialisme français envers Laurent GBAGBO, qui se manifeste dès son élection et qui ne faiblira point jusqu’à son renversement le 11 avril 2011 et à sa déportation à la CPI .
L’impérialisme occidental, notamment Français, sentant la fin de plusieurs siècles d’exploitation des richesses africaines et notamment ivoiriennes à son seul profit, a attaqué le pouvoir du Président GBAGBO par rebelles interposés en 2002, soit deux ans seulement après son accession au pouvoir. Les tentatives de récupération du pouvoir par tous les moyens ont échoué de 2002 à 2010. Suite à la réélection du Président GBAGBO en 2010, un autre coup d’Etat, cette fois-ci direct, est organisé par la France en mettant en avant une nouvelle mission civilisatrice de l’occident pour mieux se cacher de son opinion publique : Installer la démocratie.
Pour fermer la porte à toute tentative de récupération du pouvoir parlementaire par Laurent GBAGBO via son parti, la France décide avec le pouvoir OUATTARA d’éloigner le président Laurent GBAGBO du sol ivoirien et d’écarter le FPI de toute compétition électorale. Ainsi, il sera possible de donner une assise au pouvoir OUATTARA. Le parlement qui sortira donc de ces élections permettra de mettre au pas le peuple ivoirien avec un nouvel accord militaire entre la France et la Cote d’Ivoire et de voter les lois antiéconomiques et antisociales nécessaires pour arracher les terres aux paysans, privatiser toutes les richesses et secteurs stratégiques, bradés à l’impérialisme occidental, notamment français, et barrer la route à la convoitise des pays émergeants. Comme au cours des siècles passés, la survie de l’impérialisme occidental a un prix à payer par le sang, la soumission et les matières premières, qu’il est prêt à faire supporter aux africains de gré ou de force. La violence extrême utilisée par la France dans les cas ivoirien et lybien a un but éminemment pédagogique pour tous les peuples africains : se soumettre ou périr ; là ou les pays émergents nous enseignent aujourd’hui une autre voie : Lutter pour se libérer.

L’insoumission de Laurent GBAGBO se décline donc selon trois facteurs :

- Le facteur politique. Laurent GBAGBO est un chef charismatique dont la volonté d’indépendance réelle, le souverainisme et la politique de refondation socialiste ont heurté les puissances occidentales, notamment la France jalouse de ses prérogatives féodales en Côte d’Ivoire, fleuron de son pré-carré au moment même où la nécessité de la mondialisation est claironnée partout.
- Le facteur économique. La Côte d’Ivoire apparaît aux yeux de la France et des USA comme un « scandale géologique », à un moment où les certitudes et dogmes du capitalisme naguère triomphant sont ébranlés, amenant ses plus grands prophètes dont l’Amérique à chercher à s’affranchir de leur dépendance énergétique vis-à-vis du monde arabe. Cette convoitise est d’autant plus incompressible que le pays de Laurent GBAGBO offre des possibilités d’exploitation fabuleuses. Conquérir ou reconquérir la Côte d’Ivoire en s’appuyant sur un chef accommodant aux capacités surfaites, c’est assurer sa sécurité énergétique. D’où la coalition franco-américaine contre Laurent GBAGBO.
- Le facteur idéologique. Laurent GBAGBO veut précisément développer son pays en tirant les leçons des crises passées. Il entend le faire par le biais du socialisme démocratique. Or, cette voie, les puissances occidentales la redoutent pour deux raisons : d’une part, le capitalisme est à bout de souffle. Il avoue même son impuissance à gérer le monde selon la logique libérale. D’autre part, un succès du socialisme démocratique en Côte d’Ivoire va entraîner dans le sillon de Laurent GBAGBO l’ensemble des Etats de la sous-région, voire de l’Afrique toute entière. Une catastrophe idéologique en perspective pour le libéralisme. Il fallait alors tuer dans l’œuf le projet de refondation conçu par le Front Populaire Ivoirien (FPI). Ainsi s’expliquent les tentatives de coups d’Etat, la rébellion de septembre 2002, l’agression de novembre 2004, toutes les formes d’ostracisme à grand renfort médiatique et diplomatique ayant abouti, après dix (10) années de conspiration et de déstabilisation avec des méthodes tantôt larvées, tantôt ostentatoires, qui vont aboutir finalement au coup d’Etat du 11 avril 2011.

Mais la nuance non négligeable que Laurent GBAGBO a avec ses illustres prédécesseurs, c’est qu’avec lui, l’Afrique se voit offrir une formidable opportunité, enfin une tribune, pour faire le procès tant attendu de la Françafrique, depuis le temps que nous rêvions de cette occasion afin que l’Afrique et les africains voient leur honneur lavé et s’approprient une véritable souveraineté. Oui, avec Laurent GBAGBO, l’Afrique ira jusqu’au bout.

2- Laurent GBAGBO comme le capitaine Alfred Dreyfus
L’histoire de la France nous apprend qu’à la fin du XIXème siècle, un brillant officier de l’armée française, le capitaine Alfred Dreyfus, polytechnicien, juif d’origine alsacienne, fut accusé d’avoir livré des documents secrets à l’ennemi (l’Allemagne). Le 22 décembre 1894, sans preuve, il fut condamné pour trahison « à la dégradation militaire et à la déportation à perpétuité dans une enceinte fortifiée », sur l’île du Diable en Guyane.
Totalement abusée par cette machination, l’opinion exigea même la peine capitale pourtant prohibée depuis 1848. Et c’est cet obstacle que les geôliers du capitaine Dreyfus ont tenté de contourner en lui suggérant de se suicider. Il se refusa à poser cet acte, décidé qu’il était d’aller jusqu’au bout pour que la vérité fît le procès du mensonge. Elle ne tarda pas à se faire jour. En effet, à la suite de nombreuses enquêtes diligentées en raison d’une foule de zones d’ombre dans ce qui fut appelé « l’affaire Dreyfus », on découvrit le vrai coupable, le commandant Walsin-Esterhazy, un ancien membre du contre-espionnage français.
C’est alors que le courant antisémite français multiplie les opérations d’intoxication destinées à créditer, malgré l’évidence du faux, la thèse de la trahison. En dépit de cette prestidigitation, l’opinion est désormais au courant d’une machination diabolique dont la découverte décuple l’énergie des dreyfusards, dreyfusistes et autres dreyfusiens.
Le 13 janvier 1898, Emile Zola, qui apparaît comme le porte-drapeau des dreyfusards dressés contre les antidreyfusards va publier dans L’Aurore le célèbre « J’accuse », dénonçant tous ceux qui, par haine antisémite ou par volonté de nivellement par le bas, ont comploté contre le capitaine Dreyfus. Le procès de l’illustre bagnard sera révisé et le 19 septembre 1899, le prisonnier de l’île du Diable, gracié. Sa réhabilitation interviendra le 12 juillet 1906.
Comme dans le cas de Dreyfus, « l’affaire GBAGBO » est en train d’avoir de profondes conséquences sociales et politiques dans les relations entre les pays occidentaux et les pays du Sud. La Côte d’Ivoire s’est installée durablement dans une bipolarisation de la société, partagée qu’elle est entre les pro-GBAGBO et ceux qui ont pris le parti des oppresseurs et des prédateurs de notre pays. Les très faibles taux de participation aux différents scrutins qui se tiennent depuis 2011, démontrent bien, si besoin en était encore, que le Président Laurent GBAGBO jouit d’un charisme et d’une popularité intacts.
Comme Dreyfus dont le procès a dévoilé le caractère pernicieux de l’antisémitisme, l’affaire GBAGBO est en train de poser les bases d’une véritable thérapie pour guérir l’Afrique de ses complexes pour assumer sa pleine souveraineté.
Conclusion
Le 28 janvier 2016, devrait être pour le Président Laurent GBAGBO et l’Afrique toute entière avec lui, l’occasion de dire la vérité sur les mobiles de la Cour Pénale Internationale, aux ordres de l’impérialisme, et les fins pour lesquels un simple contentieux électoral a pu déboucher sur le bombardement d’une résidence présidentielle, la capture du président lui-même et sa déportation motivée par les chefs d’accusation plus grotesques et plus surréalistes les uns plus que les autres.
Ce procès, et nous espérons qu’il y en aura véritablement un ce 28 janvier, fait hautement politique et stratégique, au-delà des arguments présentés par OCAMPO et autres BEN SOUDA pour distraire l’opinion publique occidentale, doit interpeller chaque citoyen du monde. Elle s’inscrit dans l’offensive actuelle d’un occident en faillite, et incapable d’assurer le bien-être économique, social et moral de ses propres populations, pour renforcer son contrôle et sa main mise sur les Etats faibles d’Afrique, dont le malheur est d’être riches en matières premières également convoitées par les pays émergents.
Et j’ai foi que la vérité va triompher et que Laurent GBAGBO sera réhabilité comme le capitaine Dreyfus, et qu’il va retrouver sa place dans le pays qu’il n’aurait jamais dû quitter sous la contrainte, au milieu d’un peuple qu’il connaît et qui le lui rend si bien ; parce que le temps a fini par faire son travail et que la vérité a rattrapé le mensonge, car, comme il aimait bien à le dire lui-même, « le Temps c’est l’autre nom de Dieu ».

Une contribution de BALOU BI Toto Jérôme ,
Enseignant-Chercheur au Laboratoire de Chimie des Matériaux (UFR-SSMT)-Université de Cocody-Abidjan/Laboratoire d'Etudes des Matériaux Polymères-Matériaux Avancés Organiques, Université Montpellier 2, Sciences et Techniques du Languedoc(France)
Ancien Secrétaire Général, Univ. d'Abidjan-Cocody( Côte d'Ivoire )-
Ancien Président du Réseau Africain des Secrétaires Généraux des Universités Francophones (RASGUF)
Membre associé du Conseil d'Administration du Groupement International des Secrétaires Généraux des Universités Francophones (GISGUF)
Vice-Président du Mouvement International Pour le Progrès Ecologique et Social (MIPPES).
Expert-Consultant, Institut IROKO, Paris
Réfugié politique en France