Affaire Blé Goudé - Human Rights Watch dénonce: "La CPI n’a poursuivi aucun membre des forces pro-Ouattara, malgré les conclusions de deux commissions d’enquête"

Par IVOIREBUSINESS - Param-Preet Singh, juriste senior de Human Rights Watch « L’approche à sens unique adoptée à ce jour par la CPI se retrouve au niveau national, ce qui place le camp Ouattara au-dessus des lois ».

Param-Preet Singh, juriste senior de Human Rights Watch « L’approche à sens unique adoptée à ce jour par la CPI se retrouve au niveau national, ce qui place le camp Ouattara au-dessus des lois ».

Affaire Charles Blé Goudé contre le Procureur de la CPI

Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) commenceront, le lundi 29 septembre 2014, à entendre les preuves dans le but de confirmer ou non les chefs d’inculpation dans l’affaire contre Charles Blé Goudé, ancien ministre de la Jeunesse du Président Laurent Gbagbo, transféré à la CPI sur la base d’un mandat d’arrêt émis en décembre 2011 par les autorités ivoiriennes. Charles Blé Goudé a ainsi rejoint Laurent Gbagbo, en détention à la CPI à La Haye, depuis la fin de l’année 2011.

La CPI allègue qu’en tant que membre du « cercle rapproché » de Laurent Gbagbo entre décembre 2010 et avril 2011, Charles Blé Goudé a joué un rôle dans les attaques contre des civils considérés comme des partisans de l’actuel président Alassane Ouattara. Le tribunal a inculpé Charles Blé Goudé de quatre chefs d’accusation de crimes contre l’humanité.

« La présence de Charles Blé Goudé sur le banc des accusés devrait rappeler à d’autres hauts responsables qui détiennent le pouvoir lors d’un conflit qu’ils ne peuvent pas être sûrs d’échapper à la justice », a déclaré Param-Preet Singh, juriste senior au programme Justice internationale de Human Rights Watch. « Les victimes des crimes commis par les forces pro-Gbagbo se rapprochent un peu plus de la vérité. »

Les résultats reconnus par le Conseil Constitutionnel ivoirien, après forclusion de la Commission électorale indépendante, ont donné Laurent Gbagbo vainqueur à l'élection présidentielle de novembre 2010. Mais Alassane Ouattara, refusant sa défaite, fut proclamé vainqueur par la communauté internationale. Une crise de cinq mois s’en est suivie, au cours de laquelle au moins 3 000 personnes ont été tuées et 150 femmes violées, lors d’attaques souvent perpétrées selon des critères politiques, ethniques et religieux. Laurent Gbagbo a été arrêté par les forces françaises et l'ONUCI en avril 2011, puis livrées aux forces de Ouattara. Il est resté en détention à Korhogo au Nord de la Côte d’Ivoire avant son transfert à la CPI.

Charles Blé Goudé s'était exilé au Ghana en avril 2011. En janvier 2013, les autorités ghanéennes l’ont retransféré vers la Côte d’Ivoire sur demande du gouvernement ivoirien, où il est resté en détention secrète jusqu’à son transfert à la CPI en mars dernier. Les conditions inhumaines de sa détention à la DST, dans le plus simple appareil, avaient alors défrayé la chronique.

La CPI a engagé des poursuites contre Laurent Gbagbo, son épouse Simone, et Charles Blé Goudé pour des crimes commis en Côte d’Ivoire. Simone Gbagbo est toujours en détention en Côte d’Ivoire sur la base d’accusations de génocide, entre autres crimes. En octobre 2013, le gouvernement ivoirien a formellement contesté la recevabilité de son dossier devant la CPI, affirmant son intention et sa capacité à la juger en Côte d’Ivoire. Les juges de la CPI ont demandé au gouvernement ivoirien de lui fournir d’ici au 10 octobre 2014 plus d’informations sur les poursuites engagées contre Simone Gbagbo à l’échelle nationale.

Cependant, la CPI n’a poursuivi aucun membre des forces qui ont combattu pour le président Alassane Ouattara, malgré les conclusions de deux commissions d’enquête, l’une internationale et l’autre ivoirienne, selon lesquelles les deux camps ont commis des crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité. De même, les autorités ivoiriennes n’ont encore traduit en justice aucun des membres des Forces Républicaines du président Ouattara impliqués dans des crimes liés à la crise. La Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a souligné à plusieurs reprises l’impartialité de son bureau et a précisé que les enquêtes sont en cours.

« L’approche à sens unique adoptée à ce jour par la CPI se retrouve au niveau national, ce qui place l’un des deux camps du conflit au-dessus des lois », a expliqué Param-Preet Singh. « L’action de la CPI contre le camp Ouattara est essentielle pour garantir aux victimes un accès indispensable à la justice. »

L’audience de confirmation de Blé Goudé se tiendra le lundi 29 septembre, devant la Chambre préliminaire I, composée de la juge Silvia Fernández de Gurmendi (juge présidente), la juge Ekaterina Trendafilova et la juge Christine Van den Wyngaert, en présence de l’accusation, du suspect et sa Défense et des Représentants légaux des victimes.

Charles Blé Goudé (42 ans), ancien ministre de la jeunesse de Laurent Gbagbo, aurait engagé sa responsabilité pénale individuelle, en tant que coauteur indirect, pour quatre chefs de crimes contre l’humanité (meurtres, viols et autres violences sexuelles, actes de persécution et autres actes inhumains) qui auraient été perpétrés dans le contexte des violences post-électorales survenues sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011.

Michèle Laffont
Correspondante permanente aux Pays Bas