11 avril 2011: La France se débarrasse de Gbagbo, Par Ferro Bally

Par IvoireBusiness - 11 avril 2011: La France se débarrasse de Gbagbo, Par Ferro Bally.

Les forces françaises Licorne devant le palais présidentiel de LAurent Gbagbo le 11 avril 2011, après l'avoir livré aux rebelles des Forces nouvelles de Guillaume Soro.

Laurent Gbagbo était indésirable et son sort, scellé. Après une nuit de bombardement intense des forces militaires françaises, il est arrêté, le lundi 11 avril 2011 à 13h, au milieu des ruines de la résidence officielle des chefs d’État ivoiriens.

Laurent Gbagbo avait prévenu qu’on ne sortait pas d’une crise armée, comme la nôtre, comme d’un dîner gala. La Côte d’Ivoire n’y a pas échappé. Les forces dites impartiales, les Casques bleus de l’ONUCI et les soldats français de l’opération Licorne, étaient entrées dans la danse pour jouer leur partition: installer au pouvoir et au forceps un nouveau président de la République.

Une banale crise de légitimité à la tête de l’État de Côte d’Ivoire s’était transformée en une guerre ouverte entre les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, forces aux ordres d’Alassane Ouattara) soutenues par les forces étrangères, et les Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire (FDS-CI, forces régulières restées fidèles à Laurent Gbagbo).

Un fait ordinaire et banal de contestation des résultats électoraux avait eu, chez nous, de graves conséquences: des milliers d’hommes et de femmes ont trouvé la mort, des biens ont été détruits, les clivages politiques, régionaux et religieux ont été exacerbés.

A l’issue du second tour de la présidentielle ivoirienne du 28 novembre 2010, la Côte d’Ivoire est gagnée par la contestation des résultats. La Commission électorale indépendante (CEI) a annoncé au QG de campagne du candidat Alassane Ouattara et sous la protection des Casques bleus de l’ONU, des résultats provisoires qui donnaient le candidat du RDR vainqueur avec 54,10% de voix contre 45,90% à Laurent Gbagbo, le président sortant.

Saisi pour fraudes et autres irrégularités, le Conseil constitutionnel a déclaré définitivement élu Laurent Gbagbo par 51,45% des voix contre 48,55% à Alassane Ouattara.

C’est le début du contentieux électoral ivoirien. Chaque candidat va prêter serment le 4 décembre: Gbagbo officiellement devant le Conseil constitutionnel au Palais présidentiel et Ouattara, à titre privé, devant son directeur de campagne électorale, Mabri Toikeusse, président de l’UDPCI (parti politique).

La nébuleuse internationale, soutien de Ouattara, a adoubé les résultats de la CEI, rejetant ceux du Conseil constitutionnel. Pour elle, Gbagbo est «un mauvais perdant» qui doit céder le fauteuil à Alassane Ouattara.

Et quand les hostilités militaires ont été ouvertes le 16 décembre 2010, Gbagbo a proposé une solution politique, le recomptage des bulletins de vote, sous les auspices de la communauté internationale afin d’éviter un bain de sang. Car, selon Staline, «ce qui compte, ce n’est pas le vote; c’est comment on compte les vote».

Il s’est heurté à une fin de non recevoir. Pour les uns, dont Young-jin Choi, représentant du Secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, ce serait «une injustice (!?)»; pour les autres, les dispositions constitutionnelles ne prévoient nulle part un recomptage des voix.

La communauté internationale ne va donc pas lésiner sur les moyens pour imposer sa volonté: donner le pouvoir d’Etat à Alassane Ouattara. L’ONU, par la résolution 1967 du Conseil de sécurité, autorisait, le 19 janvier 2011, le déploiement de deux mille militaires supplémentaires dans le cadre des forces de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) jusqu’au 30 juin de la même année.

Elle prolongeait le déploiement des trois compagnies d’infanterie et d’une unité aérienne de la Mission des Nations unies au Liberia (MINUL) venue de ce pays en fin de période électorale pour renforcer l’ONUCI. Ce n’était pas tout. Par la résolution 1968 en date du 16 février, l’organisation mondiale prorogeait de trois mois ce déploiement de la MINUL (trois bataillons de 360 casques bleus et cinq hélicoptères dont trois Mi-24 de combat).

Le contingent militaire français, lui, était porté, le 4 avril, à 1.700 hommes. Les 900 hommes du dispositif permanent de la Licorne étaient notamment renforcés par des Rambo de la direction des Opérations (ex-Service action) de la Dgse et des forces spéciales. Qui allaient se servir des hélicoptères de combat Ecureuil, Puma et Gazelle.

Sans compter tout l’arsenal de guerre (chars d’assaut, véhicules blindés, etc.) pour venir à bout de la détermination des forces régulières. Dès la proclamation des résultats officiels de la présidentielle, ces dernières avaient fait allégeance à Laurent Gbagbo à travers tout leur commandement.

Parallèlement, selon le rapport explosif du groupe de cinq experts – Ilhan Berkol, James Bevan, Omayra Bermudez-Lugo, Joel Salek et Manuel Vasquez-Boidard – des Nations unies rendu public le 27 avril 2011, il y avait réarmement des rebelles, donc violation de l’embargo et, par conséquent, duplicité des organisations internationales.

Gbagbo avait alors le choix entre le départ par la force ou la reddition ici et maintenant. Laurent Gbagbo opposait, lui aussi, une fin de non recevoir. «Je ne reconnais pas la victoire de Ouattara. Pourquoi voulez-vous que je signe ça (le document de reddition) ?» coupait court l’ancien président, le 5 avril sur la chaîne française LCI. «Si je reconnaissais la victoire de Ouattara, ça se saurait», avait-il ajouté.

« Pourquoi en Côte d’Ivoire, le Conseil constitutionnel proclame les résultats des élections, comme au Bénin et partout dans le monde, et personne ne veut le reconnaître?» s’était insurgé Laurent Gbagbo. «Je trouve absolument ahurissant que la vie d’un pays se joue sur un coup de poker de capitales étrangères», avait-il condamné.

La France qui avait préconisé rien que la solution politique à la crise politico-armée ivoirienne de septembre 2002, avait changé son fusil d’épaule. Elle était au front pour une opération militaire d’envergure à l’effet de chasser Gbagbo du pouvoir et installer «Alassane Ouattara, le candidat de l’Elysée», selon la fiche d’orientation française n°45821/EMA/CPCO/CD/2010 de l’état-major des Armées français en date du 1er octobre 2010 et adressée au général de brigade Autran Francis, commandant des troupes françaises de l’opération Licorne à Abidjan (Comanfor/Abidjan)..

Alliée objective de la rébellion ivoirienne, elle avait fragilisé et rendu vulnérable les Forces de défense et de sécurité (FDS, forces régulières) en novembre 2004, en détruisant tous les aéronefs militaires et faisant mettre le pays sous embargo.

L’ambassadeur de France au Burkina Faso, Francis Blondet, reconnaîtra ultérieurement que le coup d’État était, en novembre 2004, une option «à portée de main» mais qui a finalement «été repoussée» (Cf. le quotidien gouvernemental burkinabé Sidwaya du 28 février 2006).

Mais ce ne sera que l’entrée en matière. La prétendue mort de sept femmes, le 3 mars 2011, au cours d’une des marches dans la commune abidjanaise d’Abobo et le présumé bombardement du marché de cette commune, le 17 du même mois, qui aurait occasionné une trentaine de morts, ont occasionné l’escalade. .

Le 10 mars, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, en sa 265e réunion au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, en demandant à Laurent Gbagbo de se retirer, tirait la sonnette d’alarme: « Le Conseil note que, faute d’une solution rapide à la crise actuelle, la Côte d’Ivoire risque de sombrer dans une violence généralisée aux conséquences incalculables pour ce pays, ainsi que pour la région et l’ensemble du continent.»

Le 30 mars, on assistait alors à une synchronisation des actions pour atteindre l’objectif final: la chute de Laurent Gbagbo. Les forces rebelles étaient aux portes d’Abidjan, pour la dernière bataille. C’est ce même jour que le Conseil de sécurité de l’ONU adoptait une Résolution musclée, la 1975. Par ce texte, il demandait instamment à Laurent Gbagbo de se retirer et à l’ONUCI d’utiliser «tous les moyens nécessaires pour mettre en œuvre son mandat de protéger les civils (…) y compris pour prévenir l’usage d’armes lourdes».

Alassane Ouattara (à d) a reçu au Golf les ambassadeurs de France et des USA (de la g vers la g).
Cette résolution imposait des sanctions ciblées (gel des avoirs, interdiction de voyager) à l’encontre de Laurent Gbagbo et de son épouse, de Désiré Tagro, secrétaire général de la présidence, de Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien, et d’Alcide Djédjé, ministre des Affaires étrangères.

C’était le feu vert pour détruire le système politico-militaire de l’ex-chef de l’Etat ivoirien. La force Licorne allait orchestrer l’assaut final. Le lundi 4 avril, à partir de 19h30 et durant plusieurs heures, quatre hélicos Puma, soutenus par les deux Mi-24 de l’ONUCI, commençaient leur pilonnage, frappant au passage des objectifs aussi stratégiques que les camps militaires d’Akouédo et d’Agban, la Garde républicaine, la base maritime de Locodjoro, le Palais présidentiel et la résidence officielle du Chef de l’Etat. Pour la seconde fois en sept ans, l’ancienne puissance coloniale bombardait des installations militaires et des populations ivoiriennes.

Le 6 avril, elle détruisait les chars de la Garde républicaine et anéantissait les défenses anti-aériennes de la résidence présidentielle. « La chute de Gbagbo interviendra inéluctablement dans les jours, les heures qui viennent», pronostiquait, le 7 avril, Alain Juppé devant la commission des Affaires étrangères du Sénat français.

Alassane Ouattara, de son côté, rencontrait les ambassadeurs de France, Jean-Marc Simon, et des USA, Carter III, et le représentant spécial de Ban Ki-Moon en Côte d’Ivoire, Choi. Pour Simon, «Laurent Gbagbo n’existe plus; il est enfermé dans sa cave»..

Dans la nuit du 10 au 11 jusqu’aux environs de 3h du matin et toute la matinée du 11 avril, les hélicoptères de combat français avaient procédé à un bombardement massif du Palais présidentiel et de la résidence officielle de Laurent Gbagbo : pilonnages, tirs d’obus de mortiers et de missiles s’étaient succédé pour anéantir les dernières forces fidèles au Chef de l’Etat.

Le pilonnage et le bombardement des forces françaises ont détruit la résidence officielle des chefs d’État ivoiriens.
C’était la guerre totale. Une colonne d’une vingtaine de blindés et trois antichars français avaient fait mouvement, en fin de matinée de ce lundi 11 avril, selon le correspondant de I-télé, pour encercler la résidence officielle de Laurent Gbagbo. Des Gazelle, hélicoptères français d’attaque, continuaient de mitrailler à l’arme lourde et légère Cocody et la résidence. Et des troupes au sol françaises appuyaient les rebelles dans leurs attaques du Palais présidentiel et de la résidence de Cocody, partiellement détruite.

A 13h, ce 11 avril, les forces spéciales françaises, avec leurs chars, pénétraient dans la résidence officielle détruite. Laurent Gbagbo et son épouse étaient arrêtés. Désiré Tagro, qui est sorti avec le drapeau blanc, est mortellement touché par des tirs. Il n’existe aucune image de cette capture, à la résidence officielle.

Ibrahim Coulibaly dit IB, chef du Commando invisible, affirme que ce sont les forces étrangères qui ont arrêté Gbagbo.
En revanche, les images de l’hôtel du Golf, siège de la «république» du même nom, dans lesquelles on voyait le couple présidentiel encadré entre autres par les com’zones Issiaka Ouattara dit Wattao et Morou Ouattara, avaient été abondamment diffusées. Pour les besoins évidents de la cause.

Le montage était cousu de fil blanc. «Les vrais acteurs de l`assaut final, c`est la Licorne et l’ONUCI», précisait le «général» Coulibaly Ibrahim dit IB, chef du «Commando invisible» d’Abobo pour dénier aux forces pro-Ouattara l’arrestation du couple Gbagbo.

«Les images de l’arrestation du couple Gbagbo ont quelque chose de tragique, mais elles sont largement artificielles. Elles tendent à démontrer que ce sont les forces d’Alassane Ouattara qui ont procédé à cette arrestation, mais plus je les regarde et plus je vois derrière l’ombre du metteur en scène étranger. Le fait que cinquante ans après les indépendances, le destin du peuple ivoirien, mais aussi son économie, sa monnaie, sa vie politique soient encore contrôlés par l’ancienne puissance coloniale pose problème. C’est cela que ces images montrent avant tout», condamnait Paul Kagame, chef de l’Etat rwandais (Cf. Jeune Afrique n°2.625 du 1er au 7 mai 2011).

FERRO M. Bally

In Journal de Ferro