TRIBUNE- VATICAN: La démission de Benoît XVI l’a fait entrer dans l’Histoire

Le 28 février 2013 par Correspondance particulière - Du bon et du moins bon dans son pontificat.

Comme dans toute œuvre humaine, son pontificat a alterné le bon et le moins bon. Si je commence par le positif, je dirai que le pape allemand fut vraiment un “pontifex” dans le sens où il n’a pas voulu que l’Église catholique coupe les ponts avec le judaïsme, l’Église orthodoxe, l’islam (dont il dénonce par ailleurs la violence et l’intolérance) et les Lefebvristes dont je rappelle qu’ils accusent le concile Vatican II (1962-1965) de s’être fourvoyé en autorisant d’autres langues que le latin dans la liturgie et qu’ils ne veulent pas entendre parler de dialogue avec les religions non-chrétiennes et avec le monde. Les partisans de Marcel Lefebvre soutiennent avec saint Cyprien (évêque de Carthage au IIIe siècle) en effet que “hors de l’Église (catholique), point de salut”.
J’ai apprécié la conviction, forte chez Benoît XVI, que foi et raison ne s’opposent pas mais se complètent. Pour ceux qui ne le sauraient pas, déjà à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il eut, le 19 janvier 2004 à Munich (Allemagne), un débat courtois mais sans concession avec le philosophe allemand Jürgen Habermas.
Exercer la charge papale ne l’a pas empêché de continuer à écrire parce qu’il avait compris qu’on évangélise aussi par la plume et pas seulement par les homélies. Cette passion pour la réflexion et l’écriture est une des choses qui le rapprochent de certains cardinaux tels que Walter Kasper (Allemagne), Carlo Maria Martini (Italie), Jean-Marie Lustiger (France) ou Godfried Danneels (Belgique). Certains évêques africains, qui se targuent d’être docteurs en ceci ou en cela mais sont incapables d’écrire ne fût-ce qu’un petit article, devraient prendre exemple sur lui au lieu de défiler régulièrement en Europe pour des causes douteuses.
Quand il parlait ou écrivait, il avait à cœur d’employer le mot juste. Il savait aller à l’essentiel, soulevait des problèmes de fond et s’efforçait d’y répondre le plus simplement possible. J’ai toujours eu du plaisir à lire la manière dont le pape allemand exposait le message de Jésus, même si je ne suis pas d’accord avec le contenu de tous ses écrits
Contrairement à ceux qui pensent que l’Afrique seule est responsable de ses malheurs et veulent ainsi se dédouaner à peu de frais des nombreux crimes qu’ils ont commis sur ce continent, Benoît XVI a eu le courage de dire, lors d’une rencontre avec le clergé du diocèse de Rome, le 2 mars 2006, que “ l'Europe a exporté non pas seulement la foi en Jésus-Christ, mais aussi les vices du vieux continent. Elle a exporté le sens de la corruption, la violence qui dévaste actuellement l'Afrique” et que “l’Afrique continue à être toujours l’objet d’abus de la part des grandes puissances, et que de nombreux conflits n’auraient pas pris cette forme si les intérêts des grandes puissances ne se trouvaient pas derrière” (pendant la messe d’ouverture du 2e synode sur l’Afrique qui se déroula du 4 au 25 octobre 2009).
Enfin, on lui saura gré d’avoir commencé l’assainissement de l’Église en sanctionnant des prêtres impliqués dans la pédophilie en Europe et en Amérique du Nord, en limogeant des évêques pères de famille, coupables de mauvaise gestion ou ayant des accointances avec la franc-maçonnerie, le vodun ou l’homosexualité tout en proclamant le message du Christ. J’espère que son successeur continuera de nettoyer partout les écuries d’Augias car les évêques entretenant femmes et enfants ou franc-maçons ne sont pas uniquement en Centrafrique, au Congo-Brazzaville et au Bénin et l’Occident n’a pas le monopole des prêtres homosexuels. En Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, un bon nombre de religieux pratiquent effectivement la pédérastie pour être promus supérieur de communauté, recteur ou provincial en même temps qu’ils jugent sévèrement leurs confrères qui ont eu une aventure amoureuse avec une femme.
S’agissant des points négatifs, je note d’abord son européocentrisme. Je veux dire par là qu’il a donné plus de cardinaux à l’Europe qu’aux trois continents du Sud (Afrique, Asie et Amérique du Sud), ce qui me semble injuste dans la mesure où, depuis plusieurs années, le centre de gravité du catholicisme s’est déplacé du Nord vers le Sud. De fait, non seulement les églises, séminaires et congrégations se vident en Occident mais de moins en moins de baptêmes et de mariages y sont célébrés.
Le 17 mars 2009, il avait déclaré, dans l’avion qui l’emmenait au Cameroun, que la distribution de préservatifs augmentait le problème du sida. De toute évidence, le pape était mal inspiré ce jour-là; heureusement, il s’est rattrapé en novembre 2010 en reconnaissant que, dans certains cas, il était possible d’utiliser le préservatif.
Il n’a rien fait pour que les journées mondiales de la jeunesse (JMJ) aient lieu en Afrique, un des lieux où se joue l’avenir du catholicisme.
Il a convoqué à Rome en 2009 un second synode consacré à l’Afrique alors que les résultats du premier n’ont pas encore été mis en application. C’est la prevue irréfutable qu’il n’est pas différent de ceux qui en Occident pensent savoir ce qui est bon pour les Africains et aiment décider à leur place. Les Africains sont assez grands pour prendre leur destin en main. Ils devraient, par conséquent, cesser d’être infantilisés et manipulés!
Il a certes eu des paroles fortes comme nous l’avons mentionné plus haut mais jamais il n’a condamné le criminel embargo sur les médicaments, l’immorale fermeture des banques pour forcer Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir ou le massacre de centaines de jeunes Ivoiriens massés autour de la résidence présidentielle le 11 avril 2011 par la coalition franco-onusienne. Au contraire, un évêque, Mgr George Antonisamy, fut envoyé par le Vatican pour assister à l’intronisation de M. Dramane Ouattara. Le rôle de l’Église n’est pas de soutenir des putschistes sanguinaires ou des puissances néocolonialistes mais d’être “la voix des sans-voix”, d’être du côté des faibles et opprimés.
Fermé à l'évolution de l'Église sur les questions sociétales
Il a eu raison, à mon avis, de refuser que l’Église catholique célèbre le mariage des personnes de même sexe, ce qui ne veut pas dire qu’il hait les homosexuels. Ce n’est pas être ringard que de ne pas être favorable au mariage des gays car le livre de la Genèse, le premier livre de la Bible, nous apprend qu’au commencement le Créateur les fit homme et femme, qu’Il créa Adam et Ève et non Adam et Yves. Un prêtre américain de New York m’a dit un jour que l’Église devrait revenir sur son refus de célébrer les mariages homosexuels parce que les homosexuels sont plus généreux que les hétérosexuels. Pour une question d’argent, on devrait donc céder aux caprices d’une minorité, accepter des choses abominables! Quelle misère morale! Les homosexuels ont leur place dans l’Église mais ils devraient adopter un profil bas au lieu de batailler pour que l’Église célèbre leur mariage car même les animaux ne font pas ce qu’ils font. Ils livrent un faux combat. Même chose pour les catholiques qui réclament à cor et à cri le retour de la messe en latin ou le port de la soutane en tout temps et en tout lieu (je ne sais pas si Jésus en avait une et puis à quoi sert-il de porter une soutane blanche quand on a un cœur noir?) Ce sont là de faux combats que l’Église devrait se garder de mener. Sur d’autres sujets, en revanche, le point de vue de Benoît XVI est discutable, voire contestable. Je prends, par exemple, le célibat des prêtres. Il est contestable pour plusieurs raisons. D’abord, parce que l’Église n’a pas toujours fonctionné ainsi. En effet, du VIIe au Xe siècle, la majorité des prêtres étaient mariés. Le célibat, qui jusque-là était observé par les moines, ne sera adopté par les prêtres séculiers ou diocésains qu’au XIe siècle; ensuite, force est de reconnaître que cette règle qui n’est pas une loi divine a posé d’énormes problèmes toujours et partout: des prêtres et évêques ayant des femmes et enfants cachés, on en trouve sur tous les continents. Je vous renvoie ici à l’ouvrage “Rivales de Dieu, les femmes de prêtres témoignent” (Paris, Albin Michel, 1993) écrit par la Lyonnaise Odette Desfonds et préfacé par l’abbé Pierre; enfin, certaines personnes pensent que le célibat sacerdotal pourrait expliquer la pédophilie de certains prêtres. Pour ma part, je ne demande pas nécessairement une suppression du célibat car il est des laïcs, prêtres et religieuses qui vivent vraiment chastes et célibataires. Je souhaite simplement que la chasteté soit vue comme un don que Dieu ne fait pas à tout le monde, que l’on prenne conscience avec le théologien français Gustave Martelet que la mission première du prêtre, ce n’est pas de témoigner de la chasteté mais de proclamer la Bonne Nouvelle. Or on peut avoir le don de chasteté et être un piètre prédicateur comme on peut avoir le don de prédication et ne pas être chaste. Pensons-nous que les pasteurs, imams, prêtres anglicans et orthodoxes iront en enfer parce qu’ils auront eu sur terre femme et enfants? Croyons-nous qu’au soir de notre vie on nous demandera si on était marié ou non? Le plus important, ce n’est pas la chasteté et/ou le célibat mais l’amour. Cet amour, le prêtre doit non seulement le prêcher mais en témoigner. Enfin, je signale à toutes fins utiles que saint Paul, qui n’était pas marié, conseille quand même que l’épiscope (le pasteur) soit le mari d’une seule femme (1 Timothée 3, 2). Bref, ce que je veux mettre en relief, c’est que la consécration au Christ et la mission d’évangélisation sont parfaitement compatibles avec le mariage, qu’on doit laisser les gens choisir entre être prêtre marié et être prêtre non marié comme dans l’Église catholique de rite byzantin, ukrainien ou maronite (Moyen-Orient) et que, si une loi humaine (le célibat sacerdotal) n’épanouit pas les hommes ou les conduit à violer une loi de Dieu (“Tu ne tueras pas”), le bon sens voudrait que cette loi soit, sinon abandonnée, du moins revue car la loi est faite pour l’homme et non l’inverse. Jésus diait aux pharisiens et scribes que le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat et que le fils de l’homme est maître, même du sabbat (Marc 2, 27-28). Ne soyons pas esclaves mais maîtres de nos propres lois! Jésus ne charge pas les hommes de fardeaux inutiles, son message est libérateur.
La démission de Benoît XVI: une leçon pour nous tous
Il est indiscutable qu’en décidant de renoncer à la fonction papale, Benoît XVI a fait montre de courage, ce qui le fera entrer dans l’Histoire puisqu’on n’avait plus vu un tel geste après la démission du pape Grégoire XII en 1415 mais il convient de relativiser ce courage car c’est plus tôt, en 2002, qu’il aurait dû rendre le tablier pour se conformer à la règle de 1966 de Paul VI qui fixe l’âge de la retraite des évêques à 75 ans. Cela dit, la démission de Benoit XVI est une leçon pour nous tous et pas seulement pour certains chefs d’État africains qui sont au pouvoir depuis 20, 30 ou 40 ans malgré un bilan largement négatif. J’ai toujours pensé que 10 ans, c’est suffisant pour montrer de quoi on est capable. De ce point de vue, les Américains ont vu juste en autorisant deux mandats de 4 ans. Un évêque, un député, un maire, un président de la République ou un responsable de parti politique qui refuse de passer le témoin après 10 ans de service n’est pas seulement égoïste, c’est un malade mental. Son objectif, ce n’est plus de servir la communauté mais de se servir. Il se croit indispensable. Non, nul n’est indispensable. Mao, De Gaulle, Bongo, Houphouët, Hassan II ne sont plus là. Leurs pays n’ont pas disparu pour au-tant.
L'heure de l’Afrique n’a pas encore sonné
Certes, il faut s’attendre à tout avec l’Esprit saint, donc à ce qu’un Noir soit élu pape mais je me dis honnêtement que l’heure de l’Afrique n’a pas encore sonné. D’une part, parce qu’un certain nombre de prêtres, évêques et cardinaux occidentaux n’en ont pas fini avec le racisme et demeurent de ce point de vue des païens au regard de l’Évangile qui enseigne qu’il n’y a plus ni Juif ni grec en Christ; d’autre part, parce que l’Occident regarde l’Église catholique ̶ à tort ̶ comme sa chose. Je dis “à tort” car le christianisme est né en Palestine (Proche-Orient) et non en Occident. Sauf miracle, le prochain pape ne pourrait pas sortir de l’Afrique. Je suis plutôt enclin à penser qu’il pourrait venir de l’Amérique du Sud qui compte plus de catholiques que l’Afrique et où les évêques et cardinaux sont plus ouverts et moins dociles que ceux d’Afrique. En 2005, mon candidat était le cardinal hondurien Oscar Rodriguez Maradiaga. Il a 71 ans aujourd’hui. Sera-t-il l’élu?

Une contribution de Jean-Claude DJEREKE
Historien et sociologue des religions (spécialité: Le catholicisme contemporain), chercheur au CERCLECAD (Ottawa, Canada) et auteur de Rome et les Églises d’Afrique. Propositions pour aujourd’hui et demain, Paris, L’Harmattan, 2005.