Tribune: Prudence est mère de sureté ! par Alain Cappeau

Par Correspondance particulière - Ou comme le dit l’autre proverbe, il ne faut pas chanter le magnificat à matines !

Tout en se félicitant que 14 de nos compagnons de route aient recouvré une liberté toute relative, il convient ici et aujourd’hui de déconstruire la bonté du gouvernement ivoirien, qui a consisté à ouvrir quelques vannes pour oxygéner une tension politique qui manifestement, à la veille d’une fête nationale lui posait problème, et ce, pour tenter de comprendre le but de la démarche de ce gouvernement.
Quand on pense, on commence forcément par nier une évidence, si on pense donc que « dans la foulée » le régime Ouattara va renouveler cette magnanimité, notre subconscient nous alerte et nous met en garde. Donc, passé un temps d’euphorie bien légitime il nous faut nous reconcentrer sur nos lignes, observer une phase de négation probablement polémique, puis amorcer une nouvelle phase de création positive qui s’exercera avec encore plus d’exigences coercitives, pour la suite de notre combat.
Bien sûr, nous les démocrates, combattants pour la liberté des droits, viscéralement attachés à la justice nous réjouissons de cette forme de « libération » de nos amis le 5 août dernier des cachots Eburniens ! Cependant, comme toujours s’agissant de décisions émanant d’une gouvernance ivoirienne, pour le moins discutable, il faut raison garder et juguler notre joie ou en tout cas ne pas trop s’épancher en salamalecs et autres obséquieux salmigondis qui pourraient nous faire vite prendre des vessies pour des lanternes !...Et nous faire basculer de Charybde en Scylla. Il ne faut pas aussi nous tromper d’ennemi, sachons nous taire sur certains sujets pour ne pas donner du grain à moudre aux sécurocrates au pouvoir à Abidjan, car nos faits, nos gestes, nos humeurs et nos liesses sont chirurgicalement observés, et exploités.
Remercier ne mange pas de pain, certes, mais remercier d’avoir été sali dans sa chair, relève autant, pour celui qui s’exécute que pour celui qui reçoit le compliment, d’un comportement ambigu, qu’il convient de décrypter pour bien comprendre qui manipule qui ! Parfois il existe ce qu’on appelle de la méchanceté intelligente, c’est-à-dire de la ruse cynique qui consiste à donner d’une main pour prendre au centuple d’une autre main. Socrate appelait le type de personnage pétris dans ces tactiques perverses, un « polupragmatos », c’est-à-dire un individu jamais à court de ressources qui sait parfaitement faire la distinction entre le fait d’accorder ce qu’il avait fini par faire considérer par autrui comme étant impossible, pour s’approprier en contrepartie et sans opposition, ce qui lui était alors irrémédiablement refusé. Dans la libération de nos compagnons il faut alors chercher où réside, non pas l’erreur, mais l’intérêt de la mise en œuvre d’une manière homéopathique de ce qui était réclamé depuis l’arrêt de Laurent Gbagbo en avril 2011, pour celui qui est remercié et comment celui qui remercie doit éviter de se faire posséder par des sentiments aveugles. En d’autres termes que cherche Ouattara en ayant libéré, « en chef » des otages « stockés » par la communauté internationale et quels sont les pièges à éviter par ceux qui auront été groggy par la malitia, qui a consisté, pour celui-ci à jouer les Néron, le pouce levé vers le haut !
La mécanique déshumanisante est simple, on arrose la galerie de gros calibres, on enferme, on supplicie, on humilie, on fait le mal parce que l’on croit que c’est bien pour soit en devenant esclave de ses passions, puis on attend. On attend que la pression enfle, disproportionne encore plus les méfaits tout en les justifiant, que le marais fétide créée insupporte quelques bien-pensants qui y auraient participé, alors réduisant la faute à la nescience du bien, dans un geste d’auguste, on suspend le gibet, pour s’attirer les grâces divines. Après avoir joué docteur Jekyll on joue Mister Hyde. Et pendant que les troyens dansent toute une nuit autour de leur cheval, le malin en ressort pour encore mieux frapper !
A l’évidence, dans son dernier exercice de style, l’exécutif ivoirien veut s’attirer les bonnes grâces d’un certain nombre de ses partenaires de jeu qui commençaient à douter de ses compétences et de son esprit de justice. Pourquoi ne libérer que 14 otages ! Parce que chacun représentait un motif différent de contestation, et de fait cet exécutif a liquidé en une seule fois 14 motifs de contestation, parce que chacun représente un symbole, alors on exalte le symbole ! Et tous les autres qui ne représentent aucun symbole ! Sont-ils des faire-valoir ! Les partenaires de jeu de cet exécutif sont esbaudis par tant de classe, d’humanisme et de grandeur d’âme, ce qui va les amener à considérer différemment les situations dans lesquelles celui-là s’est empêtré. La France va saluer avec déférence son champion masqué, le FMI va déverser des subsides, pour honorer les faits du prince, la CPI va courtiser d’avantage ses indics de terrain pour alimenter ses fantasmes, l’Europe et les ONG des droits de l’homme vont se contorsionner en révérences cérémonieuses pendant que d’autres vont idolâtrer son altesse. Ouattara va ainsi mutualiser nombre de condescendances à son seul profit, pour arriver droit comme un I sur son destrier, tranquillement en 2015.
Ouattara pratique le culte de la dialectique vide qui consiste à parler pour ne rien dire tout en laissant aux autres le soin d’interpréter ce qu’il n’a pas dit ou ce qu’il aurait dit ou mal dit car derrière le mal dit il y a le pas si mal pensé. Cette habileté sémantique n’est pas inhérente à l’homme Ouattara, n’exagérons pas! Elle n’est que le fruit d’une logique comportementale de l’homme en général face à une lutte de pouvoir dans une opposition d’intérêts, d’une imbrication de stratagèmes visant à tuer tout ce qui ne bouge pas avant que tout bouge, à tuer dans l’œuf toute tentative insurrectionnelle qui serait d’une manière éhontée, déplacée. Quand il ne diserte pas sur le pardon il suscite la polémique sur le remerciement, il est en permanence dans un nouveau rôle à l’exception de celui de chef d’Etat, il est dans ce qu’on qualifie, de dérive entropique du jeu de la séduction, il dénature en permanence les valeurs humaines en les transcendant en sa faveur et de ce point de vue, il n’est pas mauvais, preuve qu’il peut y avoir du bon en tout individu ! Il pense à l’envers et ça marche, parce que nous, nous raisonnons trop à l’endroit ! On donne là dans le summum du machiavélisme.
Bref, réjouissons-nous quand même d’avoir vu en pleine lumière et à priori en bonne santé certains ex détenus qui sont passé à « deux doigts » d’être condamnés comme relaps, c’est-à-dire comme hérétiques, qui auraient pu être inculpés de crimes d’Etat pour avoir servi leur pays et leurs convictions ce qui n’est pas sans nous rappeler le temps des purges staliniennes ! Prudence, prudence donc ! On pense avoir gagné une bataille, et le clan Ouattara pense que c’est lui qui l’a gagnée. Trions le bon grain de l’ivraie sans triomphalisme car « le gros poisson » (comme le disait un éminent membre du RDR), est toujours dans les filets. La lutte étant le fondement de toute relation sociale, de fait (et il s’agit là d’un corollaire), un ordre social non conflictuel, est impossible. Ce qui veut dire qu’il ne faut jamais lâcher la proie pour l’ombre, mais surtout qu’il faut en permanence douter de telle ou telle action, tout en en extrayant autant que faire se peut quelques bribes d’éléments positifs.
La prudence donc, celle qui est mère de sureté doit nous amener du doute à la certitude, à la certitude d’un bien fondé de nos actions certes, mais également à la certitude que nous sommes manipulés par qui nous savons pour annihiler ces nobles actions.
La messe n’est pas dite, alors ne buvons son vin que du bout de nos lèvres.

Une contribution d'Alain CAPPEAU
Conseiller Spécial du Président Laurent Gbagbo ;