Tribune: OUATTARA EST-IL EN MISSION POUR FAIRE LA GUERRE AU GHANA ? Par Ben ZAHOUI DEGBOU

Le 15 octobre 2012 par Correspondance particulière - Ghana-Côte d’Ivoire : Des relations historiques.

La Côte d’Ivoire et le Ghana ont toujours eu des relations cordiales et fraternelles depuis la nuit des temps. Ces relations se sont renforcées durablement après les indépendances des deux pays, même si entre les Présidents Houphouët Boigny et Kwame Nkrumah, il y avait une divergence de point de vue, sur la manière de conduire le développement de la nouvelle Afrique. En effet, Kwame Nkrumah, l’Osagyefo, le rédempteur, était socialiste et le symbole du panafricanisme.

Conférence de presse Dramani-Dramane, lors de l'escale du Président ghanéen à Abidjan.

Le 15 octobre 2012 par Correspondance particulière - Ghana-Côte d’Ivoire : Des relations historiques.

La Côte d’Ivoire et le Ghana ont toujours eu des relations cordiales et fraternelles depuis la nuit des temps. Ces relations se sont renforcées durablement après les indépendances des deux pays, même si entre les Présidents Houphouët Boigny et Kwame Nkrumah, il y avait une divergence de point de vue, sur la manière de conduire le développement de la nouvelle Afrique. En effet, Kwame Nkrumah, l’Osagyefo, le rédempteur, était socialiste et le symbole du panafricanisme.

Le rêve du premier président du Ghana (1957-1966) était de faire du panafricanisme, une voie pour le développement des jeunes États du continent, nouvellement indépendants à travers son mot d’ordre «Africa must unite », l’Afrique doit s’unir. Le panafricanisme, faut-il le rappeler, est un vieux concept qui, selon ses initiateurs, consiste à affirmer une identité culturelle, unissant tous les peuples africains et de la diaspora noire, dans un seul ensemble. Le panafricanisme vise à unifier l’Afrique, en un mot, il envisage de faire du berceau de l’humanité un « État continent ».

A l’aube des indépendances, des intellectuels africains, avec à leur tête Kwame Nkrumah, ont donné au panafricanisme une dimension hautement politique et en ont fait une arme idéologique pour la libération du peuple africain. Il faut dire que, le mouvement panafricaniste avait devant lui, une opposition farouche, incarnée par Félix Houphouët Boigny, le bélier de Yamoussoukro, libéral, qui mettait en avant l’ouverture sur l’occident et la souveraineté des États, fondés à partir des limites héritées de la colonisation (conférence de Berlin 1884-1885).

Cette mésentente au niveau de l’approche pour la construction de la nouvelle Afrique, sur un fond de divergence idéologique, entre les deux principaux leaders charismatiques ouest africains, à savoir Félix Houphouët Boigny capitaliste, et Kwame Nkrumah socialiste, n’avait jamais eu d’impact sur les relations fraternelles entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, ce même en pleine guerre froide.

Deux visions différentes pour le développement.

Ces deux Chefs d’État avaient d’ailleurs fait un pari sur le développement de leurs pays respectifs situés, il faut le noter, dans la même zone géographique, et par conséquent, ayant les mêmes potentialités économiques. C’était en avril 1957, au cours d’un voyage que Kwame Nkrumah effectuait à Abidjan. Félix Houphouët Boigny prédisait sur dix ans, avec l'aide de la France, l’ancienne puissance coloniale, la prospérité pour la Côte d'Ivoire qui devrait dépasser tous les autres pays de la région ouest africaine, y compris tout naturellement le Ghana.

Ce pari historique entre Félix Houphouët Boigny et Kwame Nkrumah était basé sur deux choix fondamentaux, à savoir garder des liens avec l’ancienne puissance coloniale ou s’envoler de ses propres ailes avec ses moyens dans une indépendance totale, deux visions totalement opposées. Dans les dix ans qui ont suivi ce pari entre le sage de Yamoussoukro, et l’Osagyefo, le PIB par habitant de la Côte d'Ivoire est monté à 159 $ (contre 170 $ pour le Ghana) en 1960, à 235 $ en 1967 (contre 212 $ pour le Ghana). Ce même PIB ivoirien est passé à 1208 $ en 1980 contre 403 $ pour le Ghana.

On peut donc dire tout simplement que sur dix ans, après l’indépendance de ces deux pays, le président Houphouët Boigny a gagné le pari, quand on compare justement les produits intérieurs bruts par habitant. Pour rappel, avant même les dix ans du pari Houphouët-Nkrumah, un coup d’État fomenté par la CIA est survenu le 24 février 1966 au Ghana. Ce jour là, un Conseil de Libération Nationale (CLN), composé de sept officiers, avec à leur tête, le Lieutenant Général Joseph Arthur Ankrah, renversa le régime de Kwame Nkrumah en visite officielle à Beijing en Chine. Une grave crise économique au Ghana, une dette extérieure insupportable, les pénuries d’aliments de première nécessité et le chômage sont évoqués pour justifier le coup d'État. La dévaluation du Cedi la monnaie nationale, de même qu'une dérive totalitaire du régime d’Accra, dans un système de parti unique, du Convention People Party (CPP) de Nkrumah étaient également à la base de la chute du régime du premier président du Ghana.

Le Ghana doit sa stabilité à Jerry John Rawling.

A partir de 1970, l’économie du Ghana a connu un effondrement notoire après une série de cinq autres coups d’État, sur quinze ans. Le dernier a eu lieu le 31 décembre 1981. Jerry John Rawling renversa le Docteur Limann, incapable de relever l’économie du pays. Au moment de la prise de pouvoir du Capitaine d’aviation Jerry Rawling, le niveau du PIB par habitant du Ghana avait dangereusement chuté, il était à 772$, sa monnaie ne valait plus rien, les Ivoiriens pour se moquer de leurs voisins disaient fraternellement « tu es tombé comme Ghana ».

Aujourd’hui, le pays de Kwame Nkrumah revient de loin. Il doit sa stabilité politique, sociale et économique à Rawling qui a balayé le Ghana, pendant dix huit ans. Ce pays a multiplié son PIB presque par cinq depuis 2000, rattrapant ainsi la Côte d'Ivoire fragilisée par le coup d’État du 24 décembre 1999. Les nombreuses tentatives de déstabilisations du régime de Laurent Gbagbo, sous le regard nostalgique de la France, protectrice de ses intérêts matériels et stratégiques dans son ancienne colonie, ont divisée socialement et politiquement le pays d’Houphouët Boigny depuis le 11 Avril 2011.

Résultat, aujourd'hui le PIB par habitant de la Côte d’Ivoire est à 1600 $ et celui du Ghana à 3100 $. Comme on le voit, le fossé entre les deux PIB est énorme. Il peut être comblé si la Côte d’Ivoire retrouve la stabilité. Pour le moment, elle est dans une réconciliation boiteuse et même impossible par manque de volonté politique de la part des tenants du pouvoir à Abidjan qui cherchent partout des boucs émissaires, notamment au Ghana qui, quant à lui, se développe considérablement dans le silence et la paix, avec des institutions solides.

Une question de leadership.

Un atout majeur, le Ghana s’est doté d’une banque centrale indépendante avec une monnaie nationale, alors que la Côte d’Ivoire est encore attachée à l’ancienne puissance coloniale par le Franc CFA. Son économie est totalement aux mains des banques et des entreprises françaises. La démocratie que la France dit avoir rétablie par les bombes, le 11 Avril 2011, en Côte d’Ivoire, est en réalité, le début d’une démarche sournoise de ré-colonisation du pays d’Houphouët Boigny. Le Ghana n’a pas ce genre de problème avec son ancienne puissance coloniale. La présence des sujets de sa couronne, la Reine d’Angleterre, au Ghana, n’est nullement ressentie comme un signe de néocolonialisme, et pourtant les Anglais sont là.

Au plan de la tradition et de la culture, le pays de Kwame Nkruma est un vrai pays africain, au plan politique ,un vrai pays indépendant qui, en plus de sa place enviée de modèle de stabilité et de démocratie, a un sous sol très riche. La preuve, il exploite aujourd'hui du pétrole à grande échelle, plus que son grand voisin de l’ouest en décadence sociale. La présence d’immenses gisements de pétrole au large de l’ancienne Gold Coast, serait à la base de grandes visées impérialistes de la part des Français, qui chercheraient un correspondant sur place, à travers Ouattara, justement en mal de leadership au niveau de la région ouest africaine.

En faisant un retour dans le temps, en ce qui concerne cette question du leadership, on observe quelques problèmes entre Félix Houphouët Boigny et Kwame Nkrumah, tous deux leaders charismatiques. Mais, moulés dans la pure tradition akan, ces deux grands dirigeants africains, ont su gérer leur différence, dans le respect des populations de leurs pays divisés malheureusement par les caprices de l’histoire coloniale. En 1992, l’affaire ASEC-Kotoko suite à un match de football, avait été très vite réglée, compte tenu des solides relations qui existent entre le Ghana et la Côte d’Ivoire. Ces relations de bon voisinage ont toujours transcendé les changements de régimes dans les deux pays.

17 000 réfugies ivoiriens qui empêchent Ouattara de dormir.

On est alors aujourd'hui, en droit de se demander pourquoi Alassane Dramane Ouattara cherche à créer des tensions avec le Ghana, pays qui compte officiellement selon les statistiques du HCR, 30 000 réfugiés dont 17 000 ivoiriens. Il faut signaler que plus de 37 millions de personnes à travers le monde, ont été forcées de quitter leurs pays à cause de la guerre, la persécution politique, la torture, les menaces de violence et d’emprisonnements extrajudiciaires. D’après le HCR, environ 20% de ces réfugiés vivent en Afrique. Le continent compte en effet, le plus grand nombre de conflits dans le monde.

Comme on peut le constater, au Ghana, un peu plus de la moitié des réfugiés est composée d’ivoiriens. Le reste comprend des Libériens, des Togolais, des Soudanais, des Tchadiens, des Somaliens, et des Congolais (ex Zaïre). Logiquement, les gouvernements de ces pays devraient être reconnaissants au Ghana qui accueille sur son sol leurs ressortissants. Un homme politique digne de ce nom, qui se dit Président d’un pays, doit aller humblement, dans ce sens, de façon remarquable, par devoir de reconnaissance, avant tout autre considération.

Alassane Dramane Ouattara devrait remercier les autorités ghanéennes qui accueillent dans leur pays, 17 000 de ses frères ivoiriens, au-delà même du danger qu'ils pourraient représenter pour lui et son régime. Il ne l’a pas fait et ne le fera jamais, parce que l’homme lui-même est un « chiasme », un homme à double-fond qui en réalité n’aime pas les ivoiriens. Comment comprendre qu’en pleins obsèques du Président Atta Mills, Alassane Dramane Ouattara vienne à Accra, pour demander à son successeur constitutionnel, John Mahama, visiblement très affecté par la disparition de son mentor, la tête du Ministre Koné Katina et de certains officiers (FDS) qu'il a sélectivement mêlés, avec beaucoup de billets de banque, à un vrai faux coup d’État dont il promène le DVD partout. Il peut faire ce qu'il veut avec l'argent des Ivoiriens. Son budget de souveraineté, tenez vous bien, est de 300 milliards de FCFA (contre 80 pour Laurent Gbagbo) selon la Lettre du Continent.

Sa soif de pouvoir et d’être reconnu par tous, comme Président légitime de la Côte d’Ivoire, l’emmène toujours à poser des actes, guidés par ses aspirations qui repoussent très loin les limites du convenable. Les méthodes qu’il utilise outrepassent facilement les bornes de l’éthique et de la morale. Il n’en a d’ailleurs cure. L’acharnement actuel sur le Ministre Katina accusé d’abord de crimes économiques puis ensuite de crimes de sang, est une preuve palpable. Pour Ouattara, le porte-parole de Laurent Gbagbo doit être forcement extradé, peu importe la manière, peu importe la constitution et les lois ghanéennes. Il se prend certainement aussi pour le Président du Ghana.

Pour cette affaire, Ouattara a alerté tous les grands de ce monde, comme si la réconciliation nationale et la survie de son régime dépendait de l’extradition du porte-parole de Laurent Gbagbo. La pression est en ce moment très forte sur le Président ghanéen. S’appuyant sereinement sur les institutions de son pays, John Mahama et son équipe de campagne, évoluent allègrement vers l’élection présidentielle de décembre prochain que le successeur de John Atta Mills a des chances de remporter.

La croissance du Ghana est de 14 % et celle de la Côte d'Ivoire serait de 8% selon Ouattara et ses amis du FMI.

Le bilan du NDC au pouvoir depuis 2008 est largement positif et les perspectives sont bonnes. L’année dernière la gestion du pays s'est encore améliorée, avec une inflation réduite à 8.7 % et un déficit budgétaire ramené à 4.3 % du PIB. La croissance est estimée à 14 % en 2011, grâce aux revenus du pétrole et aux exportations d'or et de cacao. Le Ghana se montre très ouvert, sur le plan démocratique et des libertés publiques avec des médias dynamiques (10 chaines tv privées et 15 quotidiens dignes de ce nom). Dans ces médias, il y a des débats libres qui sont les signes évidents d'une démocratie qui se consolide admirablement.

Les prochaines élections législative et présidentielle de décembre 2012, devraient en principe montrer à toute l’Afrique et au monde, la vitalité de cette démocratie. Sur tous les plans, le Ghana est une grande école et le Président Laurent Gbagbo avait renforcé l’axe Accra-Abidjan, pour s’inspirer humblement de l’expérience de la patrie de Kwame Nkrumah qui est aujourd'hui un pays à revenus intermédiaires. Le Ghana se développe, la preuve des hôpitaux, des écoles et des autoroutes se construisent partout à Accra même et sur l’étendu du territoire national.

La Côte d’Ivoire a pris vingt ans de retard sur son voisin qui accueille sur son sol, 17 000 réfugies ivoiriens inscrits au HCR (ceux qui ne sont pas inscrits représentent environ 11 000 personnes). Humainement parlant, comment un Gouvernement, quelque soit sa bonne volonté, peut-il, de façon individuelle, contrôler les déplacements d’au moins 27 000 personnes. Ce n’est pas possible.

Les Ghanéens ne comprennent pas les agissements de Ouattara.

Les autorités du Ghana donnent chaque jour des assurances à leurs homologues d’Abidjan, sur le fait que leur pays ne servira jamais de base arrière à un projet de déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Dans ce sens, John Mahama, le Président ghanéen a d’ailleurs réaffirmé la volonté de son pays devant l’Assemblé Générale des Nations Unies, le mois dernier à New York. Le Ghana ne veut pas de problème avec la Côte d’Ivoire. Cette aspiration est partagée par tout le monde, depuis l’homme de la rue jusqu'aux autorités au sommet de l’État ghanéen. Personne ne comprend les agissements de Ouattara. Pour exemple, il a fermé de façon unilatérale la frontière entre les deux pays. En tant qu’Africain, comment peut-on demander aux autorités ghanéennes de renvoyer chez eux, quelque soit ce qu'ils ont fait comme crime, des personnes qui ont fui la mort, dans la détresse et dans la dépression. Le Ghana gère efficacement la présence des réfugiés ivoiriens sur son territoire dont il maîtrise parfaitement le contrôle.

Le pays de Kwame Nkrumah est en train de devenir un pays émergent, grâce à sa propre monnaie, grâce aussi à des choix courageux et cohérents de politique sociale et économique intérieure qui accordent la priorité aux nationaux dans les domaines d’activité. La Côte d’ivoire a des problèmes à ce niveau. Son économie est aux mains des étrangers. Il n’est plus tellement juste aujourd'hui, de réduire ses problèmes aux conséquences du colonialisme, il y a plus de 50 ans que le pays est indépendant. Pour atteindre le niveau du Ghana, la Côte d’Ivoire doit forcement retrouver la démocratie et la paix par une vraie politique de réconciliation nationale. Elle doit aussi définir ensuite clairement, de nouvelles relations internationales et remettre sérieusement en cause la tutelle politique et économique française, sur des bases d’un partenariat gagnant-gagnant. Des pays d’Asie du sud-est et d’Amérique du sud sont sortis du sous-développement et d’autres sont aujourd'hui des pays émergents, la preuve que le sous-développement n’est pas une fatalité. La théorie du déterminisme géographique a fait place depuis des décennies à celle du possibilisme.

Une contribution de BEN ZAHOUI DEGBOU,
Géographe, Journaliste spécialiste de Géopolitique et
de médiation institutionnelle