Tribune: La terre a une mémoire. Agir pour la démocratie en Côte d’Ivoire contre l’ivoiricide, par Dr Ahipeaud Martial Joseph

Par Correspondance particulière - Une tribune du Dr Ahipeaud Martial sur le Foncier rural.

Le 11 Avril 2011, prenait momentanément fin une grave crise postélectorale, après pratiquement quatre mois de guerre de nerfs et d’affrontements militaires entre partisans de Laurent Gbagbo et d’Alassane Dramane Ouattara. Ces candidats, ayant été proclamés vainqueurs des présidentielles d’octobre 2010 par deux institutions de la république, en sont finalement venus aux armes pour avoir raison l’un de l’autre, faisant ainsi triompher l’argument de la force et non la force de l’argument. Or donc, l’arrestation de Laurent Gbagbo par les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire, après un bombardement de la Force Licorne et le dynamitage du tunnel souterrain existant entre l’ambassade de France et la résidence privée des chefs d’état ivoiriens depuis la période du Père de la Nation, Feu Félix Houphouët-Boigny, n’a pas mis fin à la guerre. La situation actuelle de notre pays, deux années plus tard, atteste clairement le contraire. Plus de deux années après, la situation politique et morale de la nation reste délétère. Le nouveau pouvoir a fait l’objet de plusieurs assauts et s’est, par conséquent, barricadé, dans la logique de la belligérance à défaut de ne pas pouvoir y mettre un terme. La conséquence reste les nombreuses violations des droits de l’homme que les organisations humanitaires internationales n’hésitent pas à condamner à coup de rapports cinglants contre le régime des républicains. Et pourtant, ces derniers ont longtemps souffert des brimades et autres exactions multiples en raison de l’acharnement des tenants du pouvoir central de la lagune Ebrié sur leur premier responsable, Dr Alassane Dramane Ouattara, premier et dernier premier ministre de Félix Houphouët-Boigny.

1- De la dialectique du système néo-patrimonial et néocolonial: « Zogopê », tribalisme et corruption

A la vérité, nous sommes dans une dynamique infernale de serpent de mer : la lutte pour le pouvoir central déclenche des hostilités entre principaux prétendants qui, eux, font recours à la manipulation et l’instrumentalisation comme arme de combat et finissent, eux-aussi, à faire les frais des mêmes moyens lorsqu’ils parviennent au pouvoir, puisque aucun d’entre eux ne peut se faire à l’idée de ne pas répondre à son tour, par l’utilisation des moyens répressifs de l’état qui conduit, en fin de compte, à la réaction des autres avec les mêmes moyens. Dans ce jeu de titans, la seule et unique victime reste le peuple ivoirien qui subit ainsi les conséquences collatérales d’une guerre permanente entre les diadoques du Père de la Nation, Félix Houphouët-Boigny, exactement comme ce fut le cas pour ceux d’Alexandre le Grand. L’Histoire est un témoignage vivant de la véracité du théorème que rien ne change mais tout se transforme.

Car en fin de compte, ces batailles de prise de pouvoir ne sont que des moyens de diversion qu’utilisent les principaux gestionnaires du système néo-patrimonial pour assouvir leurs desseins tout en empêchant le peuple souverain de Côte d’Ivoire de se poser les vraies questions et donc de trouver les vraies réponses à la crise dans laquelle cette nation est plongée depuis trente deux ans. En effet, alors que le Président Ouattara, en visite dans le Zanzan affirme et martèle que le pays est au travail et que son objectif reste de faire de la Côte d’Ivoire, à l’horizon 2020, une nation émergente, il est pourtant clair que cela est un déni de notre propre histoire. Faut-il rappeler que l’histoire de la Côte d’Ivoire a connu les 30 glorieuses qui partent de l’inauguration du Port en eau profonde d’Abidjan en 1951 à la première pluie des milliards résultante des ventes records réalisées par le pays en 1977 en raison de la vague de froid qui a frappé le Brésil et a ainsi permis au pays, non seulement de prendre le rang de premier producteur de cacao au monde mais d’engranger d’énormes plus-value à cause de l’offre ainsi réduite qui a fait flamber les prix ? Or donc, il se trouve que la croissance à presque deux chiffres entre 1960 et 1980 n’a pas empêché que dès 1978, le pays déclare faillite et que les premières mesures d’ajustement structurel soient exigées par les institutions de Bretton Woods au Père de la Nation. On pourrait faire le parallèle pour dire que 110 milliards ont été investis dans le programme présidentiel d’urgence au niveau de l’enseignement supérieur. Et pourtant, les enseignants ont fait grève pour 8 milliards d’arriérés de paiement pour leurs heures complémentaires. Et pourtant, cette grève aussi se justifie par le fait que les universités pourtant réputées avoir été renouvelées n’ont pas les équipements requis, notamment à Bouaké, rebaptisée université Alassane Ouattara, où manquent même des salles pour faire cours et les enseignants n’ont pas de bureaux, pour ne même pas parler du manque de logements qui les pénalisent cruellement. Et pourtant, le passage au système LMD est une catastrophe puisque la dernière directive du ministère demande de ne l’appliquer que pour les premières années dans un contexte où les étudiants ont été orientés dans les différentes universités par une commission centrale d’orientation, chose contradictoire avec le principe du nouveau système qui privilégie la liberté d’une part pour les institutions de fixer leurs règles de recrutement et d’autre, pour les étudiants de choisir leurs universités et départements. En un mot, les investissements de milliards, tout comme les croissances à plusieurs dizaines de chiffres, ne sont pas forcement productifs, sinon opérants.

En d’autres termes, comment est-ce donc possible que 110 milliards aient été investis et que les mêmes problèmes qui ont été à la source de la crise non seulement du système éducatif, mais aussi et surtout de l’ensemble de la société ivoirienne, n’aient pas trouvés de solutions ? Voilà la vraie question à laquelle aucun bénéficiaire du système politique ivoirien ne veut répondre et s’emploie à la grande diversion tactique qui finit toujours par les rattraper puisque la réalité sociale ne peut pas changer en raison des tares innées et incrustées dans le système. En effet, dans le système néo patrimonial, le pouvoir central est détenteur et bénéficiaire de toutes les ressources du pays. Acquérir donc le pouvoir central garanti une part substantielle du gâteau national dont les règles de partage obéissent à celle de la pyramide avec le Président au sommet, son cabinet restreint, souvent invisible de frères et amis, sinon épouse et autres parentés stratégiques, comme le deuxième cercle, qui justifie l’entrée dans le troisième cercle des ministres et autres directeurs généraux des agences et départements ministériels, pour finir par le quatrième qui est celui des opposants impliqués, par complicité implicite, dans la gestion du système. Le cinquième cercle reste donc les opposants exclus de la gestion qui vont chercher, par les mêmes méthodes de la manipulation des masses (principalement les étudiants, les paysans et les travailleurs), pour attaquer le centre du pouvoir, s’appuyant ainsi sur les aspirations légitimes des deux derniers cercles de la nation, les populations des villes et des campagnes, seules forces productrices de la plus-value nationale.

Un des moyens efficaces que le gestionnaire central, la Présidence, use avec dextérité et machiavélisme, reste le tribalisme pour fidéliser les tribus coalisées autour du chef, au travers des fils des régions, cooptés par le deuxième et le troisième cercle du pouvoir. Cette instrumentalisation du sentiment d’appartenance à la tribu crée une illusion d’unité nationale qui se fait autour du chef par le biais d’une redistribution de la manne nationale. La guerre de positionnement au sein du système, ou des appareils gestionnaires du système, ou leZOGOPË en pays Bété, devient ainsi le fondement des contradictions internes aux tribus et autres clans. Cette guerre devient drame avec les moyens utilisés par les cadres dans leur volonté claire d’accéder au centre du/des systèmes, notamment, les moyens mystiques comme le maraboutage, la sorcellerie, tout comme les autres moyens que sont la manipulation des peurs et ou des ressentiments historiques, la violence ciblée, le mensonge, la corruption, etc. Dans un tel système, seuls ceux qui ont pour objectif majeur de réaliser leurs ambitions personnelles sont appelés à réussir puisque cela exige un engagement sans faille à soutenir le centre du pouvoir, tout en déniant à soi le sens de la critique pour éviter de recevoir la foudre du chef qui, en règle générale, devient ouvert aux louanges et réticent aux critiques. Le mensonge est donc l’arme ultime, le recours fatal, pour se préserver ou améliorer sa position dans le cercle du pouvoir.

2- Plaidoyer pour la Démocratie

Dans une telle dynamique systémique, la critique est bannie et l’autocritique érigée en anathème puisque l’on ne peut qu’avoir raison sur tout et en toute chose. Le chef, incarnation absolue de cette vérité, ne peut donc pas être faillible. Et pourtant, nul ne peut prospérer ou croître sans contradiction interne. Sans la critique et l’autocritique, aucune formation sociale ne peut progresser. Car la liberté des individus à penser par eux-mêmes est le fondement de la prospérité collective. Aucune intelligence, à part celle de Dieu, créateur des Univers dans leur perfection absolue, ne peut être créateur de perfection. Cela n’existe pas sur la terre des hommes. Dès lors, il est clair que le système qui nait ainsi, en érigeant en Dieu du Pays, le centre du pouvoir, c’est-à-dire, La Présidence de la République, constitue une imposture au triple plan spirituel, sociétal et individuel. C’est une imposture au plan spirituel parce qu’il n’y qu’un seul Dieu, créateur des Univers et nul ne saurait se comparer à lui. C’est une imposture sociétale parce que la majorité n’est pas forcement dans la vérité. Enfin, c’est une imposture individuelle puisque l’homme est faillible, ne détenant nullement la clef de son souffle et ne pouvant aucunement créer sans s’appuyer sur l’existant. Qui plus est, en déniant la Liberté de penser et d’être à l’homme, le système néo patrimonial est contraire à la volonté divine puisque Dieu a fait l’homme libre, à telle enseigne que l’homme peut même le nier ! Pourquoi alors un autre homme empêcherait-il ses pairs à exister, à être dans leur destinée divine, en leur enlevant tout sens de la Liberté de penser et d’être ?

La démocratie pluraliste, à n’en point douter, est de loin le meilleur système qui puisse exister puisqu’elle se fonde sur le principe de la diversité humaine par les opinions et les actes. La lutte pour la démocratie et le triomphe des libertés individuelles est donc légitime et s’inscrit, pour tout homme, dans la droite ligne de la pensée intime de Dieu. L’erreur est de penser que la religion est divine alors qu’elle est l’expression spirituelle de l’idéologie dominante d’une société et ne saurait rendre compte dans toute sa complexité, de la nature de Dieu. A ce niveau, il est important, dans certaines sociétés humaines, de se poser la question de savoir quel est le sens de « Dieu » car l’homme, doué de la raison créatrice, utilise les moyens les plus variés, pour assouvir ses desseins, y compris l’instrumentalisation de la pensée de Dieu qui existe en tout homme, pour souvent prendre la place de Dieu ou utiliser Dieu pour justifier son système. Le problème n’est donc pas Dieu mais l’utilisation que l’on en fait. Par exemple, le verset 62 de la deuxième sourate du Coran affirme que Juifs, Chrétiens et Sabattéens sont appelés enfants de Dieu. Et pourtant, aujourd’hui, les croyants, chrétiens, musulmans et juifs, se font la guerre au nom du même Dieu qui est déclaré par eux-mêmes pourtant unique ! Tout près de nous, la Fesci, (Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire), syndicat de lutte pour la démocratie et les libertés, a été transformée en un outil de meurtre par des leaders sans foi, ni loi, pour justifier leur appétit du pouvoir et du gain facile dans les systèmes des principaux gestionnaires de l’état néocolonial et néo patrimonial. Mêmes les enfants d’Houphouët-Boigny disent eux aussi qu’ils ont trahi la mémoire du Père Fondateur ! Voila la grande vérité qui se cache dans la crise ivoirienne et qui est que, le problème n’est pas la démocratie, mais ce que l’on en fait, précisément, ce que le centre du pouvoir étatique, entend en faire.

La démocratie ne doit pas être l’asservissement de l’ensemble de la société pour le compte d’un seul individu, d’un seul clan, d’une seule tribu. Elle ne doit pas non plus être un moyen de « rattrapage ethnique » ou social. La démocratie doit être l’expression ultime de la reconnaissance de la pluralité et de la diversité avec un Etat central fédérateur des populations sur la base de la justice et de l’égalité. La reconnaissance de cette pluralité doit être effective dans les faits et les actes en permettant que l’état central ne domine pas, ne contrôle pas toutes les richesses ou que le seul chef de l’état soit l’Alpha et l’Oméga de la Nation. Le principe de la pluralité exige aussi du pouvoir central de faire exister les régions qui sont les fondements anthropologiques de la nation. Sans les régions et les populations qui les peuplent, il ne saurait y avoir d’état central. Même si par souci de cohésion et d’ordre, l’état central doit avoir des prérogatives notamment sur les questions de la souveraineté, de la sécurité et de la défense nationale tout comme celle de l’orientation générale et stratégique du pays, il reste que les régions doivent aussi avoir des possibilités de gestion, d’éclosion économique et sociale, en étant doté de véritables budgets.

Car la lutte contre la pauvreté dans les régions ne saurait se faire par des distributions séquentielles de quelques centaines de millions à des individus pendant des visites pompeuses et fausses du Président de la république. Ces images de populations recevant le chef qui, à son tour, leur distribue des millions puisés des caisses de la nation, résultat de leur sueur et de leur travail collectif, est une honte pour la nation et cette pratique doit être définitivement bannie des us et coutumes politiques. La lutte contre la pauvreté dans nos régions doit être un engagement ferme, un sacerdoce pour les cadres et les populations pour faire en sorte que notre pays se développe et non pas pour que des individus prospèrent dans le dos des populations, au détriment des autres cadres, par le biais des zogopê et autres stratagèmes machiavéliques et iniques. Cela suppose auparavant que nos régions ne soient plus le lieu de la guerre de tranchée que se livrent les gestionnaires du système néo patrimonial et que la réconciliation nationale se fasse sur la base de la justice et du droit, du respect des libertés individuelles et collectives, de l’état de droit et de l’interdiction, sinon du bannissement définitif des crimes politiques et des violences physiques sur les hommes et les femmes de notre pays. C’est en somme, rompre avec le système actuel qui perpétue, pouvoirs après pouvoirs, les mêmes mécanismes de gestion qui conduisent aux mêmes résultats catastrophiques.

3- Après l’Ivoirité, La politique ivoiricide d’effacement de notre mémoire collective ne peut être admise

Il n’est pas encore tard pour notre pays de faire le pas qualitatif en direction de la modernité au travers de la démocratie et du développement. Les élections régionales et municipales étaient un enjeu, une occasion pour rattraper les faux pas d’hier. Car ces joutes devraient voir naître effectivement des entités administratives et politiques capable de conduire le processus de développement économique et social régional et local. Or, le 21 Avril 2013, la Côte d’Ivoire a connu une journée extraordinaire avec des élections municipales et régionales couplées, organisées par une institution entièrement illégale que notre parti a dénoncée[1]. Les violences qui ont suivi les publications intermittentes et hautement controversées des résultats, attestent clairement trois choses : Que cette institution, la Commission Electorale Indépendante était incompétente, radicalement partisane et enfin la cause de toute la chienlit dans le pays depuis 2010 en raison de sa nature d’instrument des partis politiques pour leur conquête et conservation du pouvoir politique. La deuxième leçon est liée à la nature profondément antidémocratique des élites dirigeantes actuelles. Car, on constatera, avec raison, que ces élections ne concernaient que la coalition au pouvoir, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix, RHDP. Or, les deux principaux partis de cette coalition ont dénoncé, chacun, la violence et le bourrage des urnes qui auraient été opérés par l’autre. En réalité, ces pratiques ne sont que la réminiscence des vieilles habitudes de ce qu’avait été le parti unique dont, 99% de leurs dirigeants sont issus. En fait, ces élections sont la preuve vivante que ni la démocratie, encore moins la paix, ne viendront du vieux moule de l’ex-parti unique aujourd’hui transformé en une coalition, le RHDP. La troisième leçon reste que les perspectives sont apocalyptiques pour le pays puisque, désormais, tous sommes situés sur ce que sera la prochaine présidentielles d’octobre 2015. Si des élections locales ont été la cause d’une telle violence de la part principalement du parti du Président Ouattara, fort de ses miliciens surarmés, qui détiennent encore leurs armes issues de la crise postélectorale de 2010, il est clair qu’ils ne céderont rien pour octobre 2015. En réalité, cette violence inouïe est une démonstration de force, un avertissement pour tous ceux qui prétendent être candidats contre leur boss, le Président Ouattara en 2015. Aussi, la conclusion est que les élections locales et régionales du 21 Avril 2013 ont ainsi donné la preuve claire que la démocratie ivoirienne est morte et que la nation est sur la voie de la destruction complète.
Un des stratagèmes des gestionnaires du système néo-patrimonial est de faire croire que ces élections qui ont vu des dissidences dans les rangs des partis en la personne des candidats indépendants, attestent d’un changement qui est en train de s’opérer, notamment, la capacité de plus en plus avéré de rupture de la base avec les directions qui les instrumentalisent. Les candidatures indépendantes ne sont pas une remise en cause du système de gestion clanique en cercles du pouvoir dans les partis politiques. C’est plus une révolte des exclus du système pour se faire valoir du centre, leur président, en s’appuyant, eux-aussi, sur les mêmes mécanismes de manipulation intéressées, des populations, pour avoir accès au centre de décision. Si cette dynamique remettait vraiment en cause le système clanique et ethnicisé de la gestion du pouvoir politique, il fallait s’attendre à une dynamique de regroupement des indépendants dans la Troisième Voie, sinon leur appel au peuple de Côte d’Ivoire, pour sortir des bastilles concoctées par leur prétendus leaders, véritables causes de la dégénérescence économique et politique de la Nation. Pour le moment, ce n’est nullement le cas. Pis, nombre d’entre eux « sont allés offrir leur victoire » au président de leur parti !!! Ainsi, pour un pays bloqué depuis 1978 à cause de la gestion kleptocrate de ses élites dirigeantes, il importe que ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce système se prononcent et fassent leur rupture. Cette rupture doit se faire contre la politique actuelle de repeuplement des régions suite à la crise postélectorale au travers de la venue massive de populations de la sous-région dans nombre de nos localités. La rupture doit aussi se faire pour s’opposer à la naturalisation des populations allogènes, par décrets présidentiels ou autres méthodes illégales, pour constituer un bétail électoral en 2015 et ainsi faire un braquage sur les perspectives démocratiques dans cette Nation Ivoirienne. La rupture doit aussi se faire par opposition à la politique du foncier rural du Président Ouattara qui va mettre le feu à la brousse ivoirienne, à n’en point douter.

Oui, cette politique du nouveau pouvoir, qui prend sa source dans le fait que les allogènes ont pris fait et cause pour le camp du Président Ouattara, ne doit pas être acceptée par les élites ivoiriennes si elles veulent éviter à notre pays une guerre destructrice puisque les populations autochtones risquent aussi de prendre les armes contre celles qu’elles considéreront, à juste titre certainement, comme des envahisseurs, sinon des nouveaux colonisateurs. Elle est aussi dangereuse pour ce pays si les acteurs considèrent que la politique de braquage permanent du processus électoral ne donne pas d’autre option que la guerre contre le régime non seulement pour mettre un terme à la fraude massive sur la nationalité, mais aussi et surtout, pour ne pas donner des fondements faux à la politique d’intégration des enfants nés de l’immigration, qui sont, selon le recensement général de la population de 1998, plus de 2 Millions. Considérés comme étrangers en Côte d’Ivoire, mais aussi comme Ivoiriens dans leurs patries d’origine, cette population vit un véritable drame identitaire qui ne doit pas être instrumentalisé par un pouvoir en mal de majorité mécanique. Il importe de rappeler que que cette population est la résultante de la politique coloniale de développement faisant de la Côte d’Ivoire, la colonie de la culture de rente et les colonies au nord de notre territoire, celles qui devraient pourvoir la main d’oeuvre. La politique coloniale fut largement améliorée par le Président Houphouet-Boigny qui instaura la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest, imposant la liberté de circulation des biens et des personnes dans notre sous-région. Jusqu’en 1990, toutes les composantes de la nation, y compris celles venues dans le cadre du développement des cultures de rentes, ont vécu dans la paix. L’instauration de la carte de séjour par le Premier Ministre Alassane Ouattara fut l’acte fondateur de la prise de conscience de leur non appartenance à la Côte d’Ivoire par une population livrée à la vindicte d’une police nationale corrompue qui vit là, une source de rackette institutionnalisée. Avec l’ivoirité, les populations du Nord Ivoirien deviendront une autre cible qui justifia une alliance sacrée entre les deux composantes ethniques qui deviendront par la suite, la base politique du RDR, parti proche de Ouattara. La vérité historique est donc que si Ouattara est à l’origine du mal, sinon du sentiment de leur exclusion de la communauté nationale des populations de la sous-région, c’est la maladresse de Bédié, en focalisant son attention sur le Premier Ministre et optant pour une politique pas très avisée de son exclusion du jeu politique, qui a conduit à l’aliance politique entre les composantes ethniques du RDR.

Il importe donc que cette partie de notre Histoire soit assumée et que le peuple de Côte d’Ivoire décide dans le sens de leur donner le choix de devenir ivoiriens à part entière. Ce fut la politique de notre Père de la Nation qui leur donna toutes les facilités sans pour autant faire sauter le verrou légal puisque le peuple de Côte d’Ivoire, en décembre 1972, s’était prononcé contre la naturalisation des allogènes. Ces derniers ne doivent pas non plus céder aux sons de sirènes des gérants actuels du palais présidentiel au risque de vouloir confondre leur besoin de reconnaissance de leur patrie d’adoption à une politique ethniciste, ouvertement tribaliste, divisionniste et finalement sécessionniste à terme. Car comprendront-ils que les autres parties de la population ivoirienne exclues par la politique de rattrapage ethnique du Président Ouattara pourraient les percevoir comme aval, sinon complice d’une politique qui conduit résolument le pays vers un brasier ethnico-religieux et politique. Il faut savoir faire marche arrière quand il n’est pas encore tard et cela est possible pour toutes les parties concernées. 53 ans après les indépendances, la Côte d’Ivoire doit pouvoir assumer sa propre histoire pour repenser son futur. Mais la Côte d’Ivoire ne le fera pas sous la menace de quelques armes ou de cohortes armées qui voudrait lui imposer une situation de faite. L’arrestation caricaturale du criminel de guerre, Amadé Ourémi, et le refus clair et net du gouvernement ivoirien de le transférer à la Haye, prouvent que le chantage des armes et la criminalisation de l’Etat sont aujourd’hui une réalité qui s’impose à la Côte d’Ivoire. Et cette perspective ne doit pas être acceptée, ni par ceux qui gèrent le pouvoir Ouattara, ni par ceux qui sont appelés à le gérer demain.

4- Pour une alternative démocratique et participative en 2015

Car la politique actuelle du pouvoir va conduire à une confusion entre les populations pacifiquement installées depuis des décennies dans les régions et les nouvelles perçues comme l’expression de la défaite des autochtones contre une action concertée de mains obscures pour faire s’accaparer les terres et les richesses de notre pays. Ne donnons pas raison aux partisans des idéologies extrémistes en acceptant cette dernière imposture anthropologique qui devient éminemment politique si nous voulons emmètre l’hypothèse que l’enjeu reste toujours la lutte pour le contrôle du pouvoir central.

En effet, il n’est pas exclu, dans l’analyse, de voir que le changement structurel de la démographie locale conduise inexorablement à une stratégie vue dans d’autres parties du monde dans lesquelles les populations ont été utilisées comme point de colonisation des terres, donc de légitimation politique des revendications stratégiques d’un pouvoir. Le martyr des populations de l’Ouest de notre pays, prend ainsi une autre signification stratégique puisque cette partie du pays est la dernière frontière du système de développement fondé sur l’agriculture de rente. Qui plus est, lorsque ce comportement devient national avec l’expropriation des terres par des supplétifs Dozos, des populations locales, il est à craindre le pire pour les années à venir. Et cela la Côte d’Ivoire ne peut pas se la permettre. Dans un contexte dominé par la répression de toute opposition au pouvoir central et une Commission Braqueuse d’Elections, donc non indépendante et incompétente, il reste à craindre que la Loi ne devienne plus, ou alors, ne soit plus le seul recours pour tout le monde. Nous sommes ainsi donc à la veille d’un drame, sinon à un tournant décisif. Soit nous prenons les responsabilités historiques pour mettre le pays sur les rails de la démocratie pluraliste et du développement participatif par une responsabilisation accrue des régions, soit nous regardons le pays sombré dans la primauté de l’argument de la force sur la force de l’argument.

Pour ne pas permettre ce scénario catastrophe de prendre pied, il faut que les élites révolutionnent la politique. La révolution, c’est faire l’union sacrée autour de la mère patrie en laissant de coté tous les ressentiments du passé pour agir, au travers du processus électoral. Il s’agit de ne pas laisser la place à la politique de la chaise vide mais de lutter concrètement, pacifiquement, pour des élections crédibles dans un environnement apaisé. Cela suppose ainsi deux conditions :

D’une part, il faut une union de toutes les forces de l’opposition démocratique, voire même de tous ceux qui refusent cette alternance par la violence et la stratégie de la belligérance permanente. Ce front doit se constituer pour exiger du gouvernement l’organisation du deuxième forum de réconciliation. C’est ce forum, qui exige une Loi d’Amnistie Générale contre la Vérité, qui doit permettre au pays de faire face aux ressentiments historiques des populations Sanwi, réprimées en 1959, des cadres traumatisés par les faux complots de 1963-1966, la crise du Guébié en 1970 qui constitue le vivier du radicalisme Krou, la crise de 1992, le coup d’état de 1999, les charniers de 2000, le coup d’état de 2002 et enfin la crise postélectorale de 2010. La Vérité doit être au centre de la réconciliation. Sans cela, personne ne sera en paix ni avec la situation actuelle, ni avec quelques solutions qui viendraient de quelques camps. Car, le mensonge entoure tout ce qui se passe dans le pays parce que les élites dirigeantes actuelles ne veulent pas aller au fond des questions brulantes, notamment, la gestion scandaleuse de l’économie et les crimes politiques principalement. Aussi, avec cette dernière crise postélectorale issue des communales et régionales, il importe de savoir la vérité sur ce qui s’est passé depuis 1990 en ce qui concerne la gestion du pays. C’est au nom de cette vérité que la justice ne serait être partiale, donc imparfaite. Si nous pouvons faire la lumière sur tout ce qui s’est passé, y compris sur les crimes de la rébellion armée, alors on saura que la justice doit être dans les deux camps. A l’argument que cela viendrait à condamner le Président Ouattara pour avoir armé les jeunes pour attaquer le régime de Laurent Gbagbo. C’est ce qui justifierait leur présence dans l’appareil d’état aujourd’hui. Notre réponse est simple. Ouattara peut avoir donné les moyens aux jeunes pour attaquer militairement le régime de Laurent Gbagbo, mais il n’est pas responsable de leurs bévues commis dans l’exercice de leur fonction. Les violations massives des droits de l’homme, les crimes économiques et humains dont ils sont responsables, ne sont pas à la charge de l’homme politique en quête d’une reconnaissance politique. Un adage populaire dit que « quand on envois, si on t’a vraiment envoyé, il faut savoir t’envoyer toi-même ». En d’autres termes, la mission ne doit pas se faire en dehors des principes moraux. Ne pas en tenir compte et se comporter comme un criminel, ne doit pas te mettre hors de la Justice. Et la vérité est que le chantage par les armes a toujours une fin et le plus souvent, tragique. Par conséquent, tout le monde a un intérêt à un règlement définitif de la crise, par le biais de la concertation ou le Forum de Réconciliation.

C’est pour cela que le front de lutte pour la démocratie doit être inclusif de l’ensemble des organisations et populations qui ne veulent pas voir la Côte d’Ivoire sombrer dans la violence et l’anarchie. Sans cela, il n’est pas possible d’obtenir du gouvernement l’organisation de ce forum, encore plus d’actualité lorsque nous savons que la Commission dirigée par l’ex-premier ministre Banny, a échoué pour deux raisons. La première est que cette commission, par sa méthodologie opaque et inopérante, ne pouvait pas permettre de mettre en exergue les pratiques ignobles qui ont eu cours lors de la crise postélectorale. La deuxième reste que cette commission voulait faire croire à la Côte d’Ivoire que le spectacle honteux des deux présidents et des jeunes brûlants d’autres personnes est le résultat unique d’une joute électorale et ne tire pas ses sources aux origines systémiques de notre pays, notamment, la gestion d’une élite rapace et d’un système kleptocrate inique et machiavélique décrit plus haut. Or sans réconciliation, il ne peut pas y avoir de développement à quelques chiffres que ce soit puisque la réconciliation impose un engagement à rompre définitivement et finalement avec les pratiques anciennes qui sont justement la cause de la crise et dont la perpétuation par tous les tenants du système contribue à la perpétuation de la crise. L’amnistie dont il est question veut dire uniquement un accord désormais de tous pour l’application stricte et définitive de la Loi, telle que voulue par tous, dans l’union et le consensus. Sans ce consensus effectif de l’ensemble de la classe politique et des populations, il n’y aura rien de nouveau au bord de la Lagune Ebrié et le pays, après quelques années de calme obtenu par la force de la kalachnikov, reviendra à une violence d’autant plus gravissime que les ressentiments passées se seront quintuplés. Il reviendra ainsi à ce forum de fixer les règles du jeu politique par une réorganisation de la Commission organisatrice des élections et la fixation des circonscriptions et les listes électorales purgées des naturalisés de la période post-crise électorale, la fixation du nombre d’élus, de l’alternance à la tête de l’état, à la mise en place des entités décentralisées avec la définition de leurs compétences en rapport avec le pouvoir central, au futur des populations étrangères installées depuis plusieurs décennies en Côte d’Ivoire et surtout de leurs progénitures dont 52% sont nées en terre éburnéenne, et surtout, à la résolution finale et définitive de la question du foncier rural.

La deuxième raison qui justifie la mise en place de ce front reste l’engagement sacerdotal que doit prendre l’opposition au système néo patrimonial de le démanteler à leur prise du pouvoir en respectant la charte d’éthique politique qu’elle rédigera et appliquera strictement. Car au-delà de l’engagement à œuvrer pour la démocratie et le développement, il y a une volonté de rupture totale avec un système de gestion de l’état qui infantilise les populations et castre les cadres du pays. Il y a aussi une croyance ferme en une justice et un ordre social fondé sur le respect de la vie humaine et la promotion des valeurs éthiques. Il y a surtout, et cela est non négociable, que le destin des peuples et des nations, est entre les mains de Dieu qui est le créateur de l’Univers. Car sans croyance en Dieu et en son infinie bonté, il ne peut y avoir que la loi de la jungle humaine. Dieu n’est pas la religion mais la croyance ferme qu’Un seul Être est à l’origine de toute la création et l’homme, par ses voies et pratiques, ne sauraient le remplacer, encore moins, détruire ce qu’il n’a pas crée : la vie. Il s’agit, en définitive, de voir émerger une nouvelle élite dirigeante qui craint Dieu et qui respecte ses engagements vis-à-vis de son peuple, non pas par peur, mais par amour et par respect pour leur Créateur. Oui nous voulons que ceux qui vont prendre part à cette nouvelle lutte soient les précurseurs de cette nouvelle nation ancrée en Dieu et travaillant pour le triomphe de sa volonté sur notre pays et non pas celle des hommes. Oui, ensemble, nous le pouvons !

Une contribution de Dr Martial Joseph AHIPEAUD, PhD