Procès de Gbagbo et Blé: Selon le témoin P-97, Blé Goudé engendrait la jalousie parmi les jeunes leaders

Par Ivoirejustice.net - Selon le témoin P-97, Blé Goudé engendrait la jalousie parmi les jeunes leaders.

Selon le témoin P-97, Blé Goudé engendrait la jalousie parmi les jeunes leaders.

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Grâce à la volonté exprimée du témoin P-97 de rendre sa déposition publique, le procès Gbagbo/Blé Goudé a échappé à une deuxième journée consécutive de huis clos. P-97 profite de la publicité des débats pour récuser la méthodologie de l'accusation et il dresse le portrait d'une « Galaxie Patriotique » d'après 2002 sur fond de jalousie et de soif d'appartenance à l'armée.

Il est 11h45. Le juge-président, Cuno Tarfusser, rend la décision de la chambre prise à la majorité : le témoignage de P-97 se fera à huis-clos. Malgré la volonté affichée d’avoir des audiences publiques, la chambre explique que les tentatives de découverte du nom du témoin sur les réseaux sociaux ont motivé cette décision ayant pour but de protéger le témoin.

Huis-clos : un coup oui, un coup non
Mais P-97 prend la parole : « Je suis venu ici pour contribuer à la manifestation de la vérité (…) je souhaite continuer la déposition de façon publique. »

Les parties prennent à leur tour la parole. Du côté de l’accusation, Eric Macdonald, le substitut de la procureure, évoque les responsabilités de protection de la chambre « en dehors des souhaits du témoin » et plaide donc pour un témoignage à huis-clos. À contrario, Emmanuel Altit, l’avocat français de Laurent Gbagbo, en appelle à ne pas « paternaliser » le témoin. « Je ne comprends pas cette volonté de mettre sous tutelle des êtres humains qui ont pris leur responsabilité », précise t-il. Même son de cloche dans la défense de Charles Blé Goudé : Claver N’Dry, un des avocats de Blé Goudé, considère le témoin comme la personne la plus à même d’apprécier « la sécurité ou l’insécurité dans laquelle il peut se retrouver ». Il rappelle aussi que le témoin avait souhaité témoigner uniquement si son témoignage était public.

Les juges prennent la décision de délibérer de nouveau pour une quinzaine de minutes. À leur retour, Tarfusser annonce : « Étant donné ce que le témoin vient de dire (…) la chambre décide que le témoignage se poursuivra en audience publique. » Le juge italien met toute fois en garde les personnes qui cherchent à divulguer des informations pouvant révéler l’identité du témoin : « si ces interférences (…) se poursuivent (…) la chambre pourrait prendre des mesures comprenant la suspension de la publicité des débats. »

Donneurs de leçons

Alors que l’interrogatoire doit reprendre, le témoin entame un monologue remettant en cause la méthodologie de l’accusation. Il revient sur la présentation d’une vidéo où Blé Goudé se présente comme le « général de la rue ». « M. Macdonald, ça ne fonctionne pas bien comme ça ! » reproche le témoin pour qui le moment de diffusion de cette vidéo donnait l’impression que son témoignage allait avec une « hypothèse » où Blé Goudé « était le patron de la galaxie patriotique » qui ferait que « les éventuels dérapages et crimes pourraient donc lui être imputés ».

Pour exprimer son désaccord avec cela, il ajoute : « Quand je vois Blé Goudé qui dit (à la télévision, ndlr) qu’il est le président de tout ça (de tous les groupes qui formeraient la Galaxie Patriotique, ndlr), je m’en moquais ». Il précise : « Au moment où Blé Goudé prétendrait être le chef de tout cela il y a certains leaders qui se sont fait appeler Maréchal. Ca veut dire qu’ils ne pouvaient pas se soumettre ».

Après ce discours, Tarfusser réprimande le témoin: « Vous n’êtes pas ici pour donner des leçons au procureur (…) ni à la défense. Vous êtes ici pour répondre à des questions. » Avant de reprendre, Macdonald reviendra brièvement là-dessus : « Ne tentez pas de lire dans mes pensées (…) Nous reviendrons plus tard à tous ces sous-groupes au sein de la Galaxie, n’ayez crainte. »

Soif d’entrer dans l’armée

Interrogé sur les parlements et les agoras, le témoin revient sur leurs contenus. Macdonal lui pose une question sur les « thématiques pour la défense de la patrie » développés lors de ces rassemblements à partir de 2002. « On est à une époque où la pauvreté sévit, explique P-97. On avait pas besoin d’une thématique pour mobiliser les jeunes dans l’armée, les mouvements d’autodéfense ou bien les milices ». Il précise : « Dans l’imaginaire de chacun, en étant dans une milice ou un mouvement d’autodéfense, on serait automatiquement enrôlé dans l’armée quand le pays sera stabilisé (…) ça suffisait pour mobiliser (…) les jeunes se bousculaient, chacun voulait être dans l’armée ».

Le témoin expliquera ensuite que le terme « Galaxie Patriotique », n’a commencé à exister, selon lui, qu’à partir de 2003 car avant, il n’y avait que l’Alliance des jeunes pour sursaut national (AJSN).

Blé Goudé, sujet de jalousie ?

Il revient ensuite sur la jalousie que Blé Goudé suscitait à cause de son rapport avec Gbagbo. Ces leaders « mécontents » au sein de la Galaxie auraient dit au témoin qu’ils avaient le sentiment « que Blé Goudé reç(evait) de l’argent de la présidence ». Il donne l’exemple d’une manifestation des patriotes : « Ils ne comprenaient pas pourquoi Blé Goudé était dans un véhicule alors qu’eux devaient marcher ». Pour le témoin, les leaders qui se plaignaient étaient nombreux. Il donne des numéros affiliés à des noms sur une liste donnée par le bureau du procureur. C’est aussi, pour le témoin, cette proximité entre Blé Goudé et la présidence qui aurait engendré « la floraison des mouvements » au sein de la Galaxie patriotique. « Beaucoup avaient le sentiment que pour que le président (Gbagbo, ndlr) vous reçoive il fallait que vous ayez un groupe », résume t-il.

Le témoin évoque finalement avec Macdonald 2004 et l’opération dignité ou encore les audiences foraines de 2006. Alors que Macdonald fut sermonné par la défense de Blé Goudé pour avoir posé des questions trop générales ou trop directives, le procureur se risque, après une nouvelle question, à une raillerie sous forme de question à l’égard de la défense : « Ça va, c’est pas trop général ? » La « blague en aparté » ne prend pas pour le juge Tarfusser qui à son tour réprimande le procureur : « Il n’y a rien de drôle dans ce procès ».

Antoine Panaite