Invité Afrique RFI/ Bernard Houdin: «Alassane Ouattara doit son salut à Laurent Gbagbo»

Invité Afrique RFI/ Bernard Houdin - «Alassane Ouattara doit son salut à Laurent Gbagbo», Par Christophe Boisbouvier.

Bernard Houdin, ancien conseiller du président Laurent Gbagbo.

En Côte d’Ivoire, à douze jours de l’élection présidentielle, la personnalité du président sortant, Alassane Ouattara, est au centre de toutes les attentions. Dans le camp de ses adversaires, Bernard Houdin, un Français qui a longtemps vécu en Côte d’Ivoire, publie aujourd’hui une biographie intitulée Les Ouattara, une imposture ivoirienne, aux Editions du Moment. Bernard Houdin, qui est conseiller spécial de Laurent Gbagbo depuis 2007, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : A lire votre livre, on a le sentiment que depuis la mort du président Félix Houphouët-Boigny en décembre 1993, tous les malheurs de la Côte d’Ivoire viennent d’Alassane Ouattara, que vous appelez « le grand manipulateur », est-ce que vous n’y allez pas un peu fort ?

Bernard Houdin : Je n’ai pas dit que tous les malheurs venaient de Ouattara, ils ont été partagés par, en particulier, Bédié. Parce que sans l’incurie de Bédié, on ne parlerait pas de Ouattara aujourd’hui.

La tentative de prise de pouvoir de décembre 1993, le coup d’Etat de 1999, la tentative de septembre 2002 et l’élection truquée de 2010, tout cela, dites-vous, c’est Alassane Ouattara ?

Je ne le dis pas, je le constate. 1993, il y a des éléments probants où monsieur Ouattara, allié avec monsieur Philippe Yacé, essaye d’empêcher la succession constitutionnelle de Bédié. En 1999, le livre le dévoile, je sais comment se passe le démarrage du coup d’Etat de 99. Bédié sait pertinemment que Ouattara est un des éléments essentiels dans sa chute. En 2002 et en 2010, ce n’est plus à démontrer.

En septembre 2002, la Côte d’Ivoire est donc secouée par l’insurrection de forces pro-Ouattara et s’en suivent des règlements de comptes meurtriers à Abidjan et vous laissez entendre que c’est Alassane Ouattara qui aurait fait tuer l’ancien président Robert Guéï et son épouse Rose Doudou. Est-ce que vous avez des preuves de ce que vous avancez ?

Je n’ai pas de preuves, mais il y a plusieurs éléments. D’abord la méthodologie employée au coup d’Etat de 99 où monsieur Ouattara est un des éléments, il s’aperçoit, pendant la transition militaire, qu’il est dépassé par ceux qui l’ont aidé à faire le coup d’Etat. Et en 2002, il s’est dit, si je refais ça, j’ai besoin de certaines personnes, en particulier des hommes de Guéï, mais quand je fais le coup d’Etat, il faut que je reste seul à la sortie, parce que sinon je risque encore d’avoir à me battre contre ceux qui m’ont aidé. Dans cet élément-là, il y a un premier signe, c’est la mort de Balla Keita le 1er août 2002, à Ouagadougou. Je pense que Balla Keita avait dû comprendre ça et dû s’en plaindre à Compaoré, ce qui était son arrêt de mort.

Donc, vous excluez totalement la piste de l’assassinat de Robert Guéï et son épouse par des forces gouvernementales fidèles à Laurent Gbagbo ?

Je ne peux pas l’exclure à 100%, mais il faut savoir à qui profite le crime.

Et ce même matin de septembre 2002 à Abidjan, Alassane Ouattara n’a-t-il pas failli être tué lui-même avec son épouse et n’a-t-il pas dû s’enfuir ?

Il doit son salut à Laurent Gbagbo et je le dis, et j’explique comment et pourquoi. Gbagbo dès le début de la crise, a prévenu ses gens à Abidjan, on ne touche pas un cheveu à Ouattara. Gbagbo me l’a confirmé dans les détails à Scheveningen récemment, dans sa prison de la CPI, il m’a expliqué qu’il avait demandé, comme il le dit, à ses germanophones, puisque Ouattara s’était réfugié à la résidence de l’ambassade d’Allemagne. Il a fait envoyer Lida Kouassi, il a fait envoyer Mathias Doué et c’est là qu’ils ont trouvé le modus vivendi pour que Renaud Vignal, l’ambassadeur de France à l’époque, vienne récupérer monsieur et madame Ouattara pour les préserver.

Mais ça, c’est après le moment où Alassane Ouattara et son épouse ont passé la clôture entre leur résidence et celle de l’ambassadrice d’Allemagne pour se protéger de l’arrivée de forces fidèles à Laurent Gbagbo ?

D’ailleurs à ce propos là, j’ai recueilli le témoignage de proches de Ouattara qui lui ont conseillé de se précipiter à la résidence de l’ambassadrice d’Allemagne et au début, il dit « non, non, Gbagbo m’a appelé, etc ». Je ne suis pas certain que Gbagbo l’ai appelé, mais c’est les gens de Ouattara qui disent cela et finalement, ils le poussent à l’ambassade d’Allemagne, après il y a l’intervention de Gabgbo à travers Lida Kouassi et le général Mathias Doué.

Qu’est-ce que vous faites des témoignages des proches de l’archevêché d’Abidjan qui disent que les soldats fidèles à Laurent Gbagbo sont allés chercher Robert Guéï jusqu’à l’intérieur de la cathédrale d’Abidjan ?

Il y a eu 25 ou 30 témoignages complètement différents les uns des autres dans cette période-là, il y a des formes de témoignage qui ne tiennent pas la route. Je ne vois pas quel est l’intérêt de Laurent Gbagbo d’aller faire tuer Guéï ce matin-là. Ça serait totalement incompréhensible.

Peut-être veut-il, à ce moment-là, éliminer ceux qu’il pense être les têtes de la tentative ?

Tentative, on pense d’abord à Ouattara, on ne pense pas à Guéï.

D’où, en effet la fuite de Ouattara chez sa voisine, l’ambassadrice d’Allemagne ?

À aucun moment, Gbagbo n’a donné d’ordre pour faire arrêter Ouattara ou pire. C’est le contraire.

Dans la dernière partie de votre livre, Bernard Houdin, vous vous attardez sur Dominique Ouattara, l’épouse du chef de l’Etat ivoirien, qui est d’origine française. Vous écrivez : sans elle, Alassane Ouattara serait aujourd’hui « un haut fonctionnaire international à la retraite » ?

Ça me parait évident. Si Dominique Folloroux [le nom de son premier mari] ne rencontre pas Ouattara à Dakar en 1984 et qu’elle réussit à le faire désigner par Houphouët-Boigny comme Premier ministre en 1990. Ca c’est ce que j’appelle le coup de maître, c’est qu’elle dit au président Houphouët-Boigny : prend Ouattara, il n’est pas Ivoirien, il ne vous gênera pas dans le cadre de la succession. Et Bédié le dit lui-même dans son livre Les chemins de ma vie.

Et cela dit, Bernard Houdin, ce n’est pas la première fois que l’on voit un couple en politique, on a vu les Kennedy, les Obama ?

Je pense que Michèle Obama est très largement une femme proche de la femme politique. Dominique Ouattara n’est surtout pas dans ce genre de personnage.

Mais qu’est-ce que vous lui reprochez particulièrement à Dominique Ouattara, puisqu’après tout, il est normal que l’épouse d’un homme politique le soutienne ?

Je pense que Dominique Ouattara, arrivant en Côte d’Ivoire dans les conditions que l’on sait et que je décris, est une femme très opportuniste et qu’elle a eu un certain nombre de chances dans sa vie. Elle a croisé un certain nombre de personnes, d’abord Houphouët-Boigny qui était l’élément principal. En plus Houphouët-Boigny c’est sa fortune financière, ensuite l’arrivée de Ouattara. Il y a eu une opportunité, il y a eu une fenêtre qui s’est ouverte, elle s’est précipitée dedans, elle a très bien joué et jusqu’à aujourd’hui, elle a gagné.

D’où le titre de votre livre, Les Ouattara, une imposture ivoirienne ?

L’imposteur, c’est celui qui se fait passer pour celui qu’il n’est pas.
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