INTERVIEW EXCLUSIVE: DR. Patrice SARAKA (MEDECIN DE BLE GOUDE) après sa libération de la DST

Par Le Temps - DR. Patrice SARAKA (MEDECIN DE BLE GOUDE) revient sur son passage à la Dst.

Le Dr. Saraka, est le Médecin particulier de Blé Goudé. Il est aussi l’un des membres influents de la jeunesse de l’opposition ivoirienne, cadre du FPI et éminence grise du Congrès Panafricain pour la Justice et l’Egalité des Peuples (COJEP). Après près de 4 mois de détention arbitraire dans l’enfer de la DST, il parle sans détour. Sans haine. Et sans rancune.

Entretien : Dr. SARAKA Patrice, vos sortez de prison après près de 4 mois de détention. Pouvez-vous raconter votre détention à la DST ?
Je voudrais d’abord profiter de votre micro pour exprimer ma reconnaissance à Dieu qui est maitre des temps et des circonstances. Ensuite, je m’en voudrais de ne pas profiter de l’occasion que vous m’offrez pour témoigner toute ma gratitude à la presse libre et à tous les patriotes actifs sur les réseaux sociaux pour leur implication dans le combat pour la conquête de plus d’espace démocratique dans notre pays. Enfin, c’est aussi le lieu pour moi, de remercier toutes les personnes physiques et morales qui se sont soit inquiétés pour moi et qui ont priés ou qui ont agi de quelque manière que ce soit afin que je recouvre la liberté. Je pense en particulier à ma famille, à la direction du FPI et du COJEP, à tous mes camarades de lutte ainsi qu’à tous les démocrates, à mes amis et connaissances, aux organisations de défense des droits de l’homme, à l’Ordre National des Médecins de Côte-d’Ivoire. En ce qui concerne mon séjour carcéral, j’en parlerai au moment opportun. Pour l’heure, mon regard est tourné vers la construction de l’avenir. Comment étiez-vous traité ? Retenez simplement que toute privation de liberté est toujours difficile à vivre surtout quand y sont associées de nombreuses contraintes et restrictions. Le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’était pas une partie de plaisir. Une prison n’est pas un lieu de diner-gala. Mais je le répète, je prends cette situation avec beaucoup de philosophie et beaucoup de fair-play politique. En pareille situation ce n’est pas l’épreuve elle-même qui importe mais c’est notre capacité à la dominer, à la dompter et à contribuer ainsi à l’écriture de l’histoire de notre pays qui doit primer. Mais je le répète, j’en parlerai en temps utile c’est-à-dire le moment venu !

Etiez-vous en contact avec les autres détenus politiques ? Lesquels autres?
Blé Goudé, Jean Yves Dibopieu, Jean Nöel ABEHI …… A la DST, il est quasiment impossible de savoir qui est votre voisin, à part ceux avec qui vous partagez la même cellule.

Quel était leur état d’esprit ?
Les détenus que j’ai eu l’occasion de rencontrer avaient tous le moral malgré les difficultés. J’ai rencontré des gens formidables. Nous savions tous que le chemin de la liberté et de la démocratie vraie était un long parcours emprunt d’embuches et que les libertés démocratiques elles-mêmes étaient à réinventer dans notre pays. Tous savaient qu’il fallait garder espoir dans un avenir meilleur.

Avez-vous des informations sur votre patient qui est Blé Goudé ? Les seules informations que nous avons tous de lui sont celles que ses avocats ont rendues publiques. En dehors de cela, on se contente des informations que vous nous donnez dans la presse. Je n’ai pas d’informations particulières et je sais que dans les conditions où il se trouve, il est quasiment impossible d’avoir des informations de lui. Je suis aussi passer par là et je sais de quoi je parle !

Avez-vous cherché à le voir lors de votre détention?
Encore aurait-il fallut que je sache que nous étions dans le même environnement. J’étais loin d’imaginer sa présence des ces locaux. Mais je ne suis pas surpris, vu la complexité des lieux. KOUA Justin y à fait un tour mais je ne l’ai pas vu et lui non plus ne m’a pas vu quand bien même il savait que j’étais là. C’est comme cela ça fonctionne là bas.

Selon des informations dignes de foi, son état de santé est précaire Je l’ai aussi appris, en même temps que tous les ivoiriens et cela à travers ses avocats mais aussi à travers des articles de presse. La seule manière d’en avoir le cœur net et de rassurer sa famille et tous les ivoiriens c’est qu’on puisse avoir accès à lui. N’avez-vous pas peur pour lui ?
Bien sûr que j’ai des inquiétudes légitimes, non seulement en ma qualité de Médecin traitant mais aussi en tant qu’ami et collaborateur de Charles Blé Goudé. De telles conditions de détentions exposent à de nombreuses pathologies et j’ai de bonnes raisons d’avoir peur pour sa santé. En tant que Médecin, je suis particulièrement préoccupé par la situation sanitaire de mon client et par le volet humanitaire relatif à ses conditions de détention. Se soigner, se nourrir, se vêtir font partie de la panoplie de besoins primaires, selon la pyramide de Maslow, auxquels tout être vivant a droit, même en situation de prisonnier. Traiter Blé Goudé avec humanité et dignité et lui permettre à de se soigner convenablement contribueront aussi à soigner l’image des autorités elles-mêmes. Donc tous ont intérêt à ce qu’il soit bien traité et qu’il ait accès à des soins de santé de qualité. C’est pourquoi, je plaide pour qu’on me permette d’avoir accès à lui, ne serait ce que pour rassurer sa famille biologique et politique ainsi que ses amis et connaissances. J’espère que ma demande aura un écho favorable auprès des autorités. Mais, il ne faut pas désespérer car Dieu n’abandonne jamais ses enfants, surtout quand ceux-ci sont en situation difficile. Je prie le Seigneur pour qu’il préserve la santé et la vie de Charles Blé Goudé parce que la Côte-d’Ivoire a encore besoin de lui.

A votre avis pourquoi le régime ne veut-il pas le libérer ?
Je ne sais pas ce qui anime le régime ; eux seuls ont la réponse à cette question. Notre souhait serait qu’on le sorte de là, ainsi que tous les autres prisonniers civils et militaires qui croupissent toujours dans les différentes prisons du pays.

De quoi ont-ils peur ?
Cette interrogation est partagée. De quoi ont-ils peur ? Et pourtant ils auront tout intérêt à mettre Charles Blé Goudé et tous les autres détenus politiques en liberté. On ne doit pas avoir peur du retour du Président Laurent Gbagbo, on ne doit pas avoir peur de libérer Mme Simone Gbagbo ! La libération de Blé Goudé ne doit pas être source d’inquiétudes ! Il faut libérer le père, la mère et le fils ainsi que tous les autres prisonniers civils et militaires. Je refuse aussi de croire que c’est par peur de voir la mobilisation populaire amplifiée ou qu’ils ont peur que la démocratie puisque véritablement s’épanouir et s’exercé dans toute sa plénitude, dans toute sa beauté, dans un contexte de paix et de réconciliation retrouvées. La Paix et la Réconciliation ne devraient pas faire peur. Dans tous les cas les ivoiriens jugerons les gouvernants actuels sur leur capacité à transcender, à surpasser certaines considérations et à créer les conditions favorables à la Paix et à la Réconciliation qui sont d’abord de leur responsabilité.

Alors qu’il est sous mandat de dépôt Blé Goudé est toujours aux mains du ministre de l’intérieur Hamed Bakayoko. Est-il pris en otage ?
Le paradoxe se trouve là ! Pourquoi est-il encore détenu dans ces locaux ? Cette interrogation pose le problème du statut réel Charles Blé Goudé. De là à dire qu’il est l’otage du ministre Hamed Bakayoko, il n’y a qu’un pas. Le moins qu’on puisse dire c’est que Blé Goudé est victime d’un abus de pouvoir et d’autorité. Il est aussi victime d’un déni de justice !

Le 28 Aout dernier, Blé Goudé devait être présenté au juge d’instruction, pour un interrogatoire sur le fond des charges qui pèsent contre lui. Mais cette audition a été reportée sine die, parce qu’il y aurait eu fuite d’information. Votre commentaire ?
Je ne vois pas en quoi rendre publique la comparution de Blé Goudé devant le juge d’instruction devrait poser un problème de sécurité dans un pays comme la Côte-d’Ivoire ? Dans les pays démocratiques les dossiers de justice relatifs aux personnalités du rang de Charles Blé Goudé sont annoncés par les médias et parfois même retransmis en direct à la télévision. Même en Afrique, tout près de nous au Ghana, au Sénégal, en Guinée, pour ne citer que ces pays là, les auditions ne sont pas secrètes ! C’est là, un indicateur de l’évolution démocratique dans ces pays frères ! Une justice juste, transparente et équitable devrait s’accommoder de ces principes élémentaires à mon avis. Comment peut-on vouloir conduire une procédure judiciaire en catimini ? D’ailleurs, dans le cas de Blé Goudé, je me demande comment cela sera possible avec la personnalité et la popularité de l’homme. Garder Charles Blé Goudé au secret est illégal et injuste mais le pouvoir peut le faire s’il le veut ; le juger en catimini et au secret est un exercice qu’il me semble difficile de réaliser en Côte-d’Ivoire ! S’il n’y a rien à cacher, pourquoi le pouvoir s’entête t-il à s’engouffrer dans un exercice aussi pénible que périlleux qui ne l’honore pas et qui n’honore pas notre justice non plus ? Le pouvoir devrait compter avec le fait que tout ce qui touche à Charles Blé Goudé intéresse le citoyen lambda, la presse et devient de ce fait publique. C’est une donne avec laquelle il faudra compter.

Dr. SARAKA Patrice, vous êtes un acteur politique membre du comité central du FPI mais vous avez été beaucoup actif aux côté du COJEP depuis le début de cette année 2013. Quelle explication pouvez-vous donner ?
C’est vrai que je suis membre du comité central du FPI, c’est aussi vrai que je suis intervenu au COJEP. Le COJEP et le FPI sont idéologiquement très proches, donc des alliés naturels. Ma conception est que lorsqu’un allié est en difficulté, il faut lui porter main forte. Je suis fier d’avoir apporté ma contribution et mon secours au COJEP pour son organisation et sa restructuration, en l’absence de son leader dont je suis proche. Claude Bernard, un Médecin physiologiste Français ne croyait pas si bien dire en affirmant que : « la pratique sans théorie est aveugle et la théorie sans pratique est nue. » Il est bon dans la vie de joindre l’acte à la parole.

Mais vous êtes tout de même le Président du Conseil Consultatif et de Discipline du COJEP…..
Comme son nom l’indique, c’est un organe consultatif et je ne vois aucune incompatibilité entre ma qualité de membre du comité central du FPI et cette fonction.

Seriez-vous près à entrer dans la direction du COJEP un jour ? L’avenir nous le dira. Moi, mon plaisir est grand lorsque j’agis sans rien attendre en retour. C’est le propre de tout Médecin : celui là même qui assiste, qui soulage, qui compatit sans attendre en retour une quelconque récompense ou sans rien attendre au-delà de son salaire. Il donne même les soins gratuits à l’indigent, à celui qui a des difficultés sociales ou financières. C’est là l’un des aspects importants de notre serment. Vous me suivez ?

Oui ! Mais que pensez-vous d’une alliance COJEP-FPI ? Comment ça ? Ce que je pense d’une alliance COJEP-FPI ? Vous parlez comme si c’est quelque chose qui n’est pas encore réelle et qu’il faut envisager. Entre le COJEP et le FPI, c’est une alliance de fait, c’est une alliance naturelle qui reste à entretenir et à maintenir. Le COJEP et le FPI sont les deux faces d’une même pièce ! Et je dis que nous devons d’ailleurs aller plus loin pour construire un nouveau modèle de rassemblement. C’est là l’un des principaux défis que le FPI et le COJEP doivent ensemble relever. Mais cela est de la responsabilité première du FPI.

Aujourd’hui, on peut le dire, la cohésion est revenue au sein du COJEP, puisque toutes les structures de bases et les représentations étrangères ont fait bloc derrière Bly Roselin….. Le moins qu’on puisse dire c’est que la crise au COJEP est derrière nous ; la cohésion est aujourd’hui une réalité palpable et c’est ma plus grande satisfaction. La cohésion au sein du COJEP était ma prière, du fond de ma cellule de détention.

Le Samedi 31 Août dernier, le FPI à organisé une cérémonie à l’honneur des derniers prisonniers libérés. Quels sens donnez-vous à cette célébration ?
Après plus de 2 ans de privation de liberté pour certains, des mois pour d’autres, cette cérémonie avait tout son sens. C’était une double occasion de retrouvailles et surtout de solidarité. C’est avec fierté que j’ai reçu mon invitation à cette cérémonie. Je voudrais en conséquence, exprimer ma reconnaissance à la direction du FPI. Cette cérémonie était aussi un encouragement à ne pas baisser les bras, une exhortation à garder la flamme militante allumée et à ne pas désespérer. La mobilisation et la ferveur militante que j’ai pu observer montrent que nos militants sont bel et bien debout ! Mais, nous ne devons point laisser place à l’euphorie et à la grande suffisance car beaucoup reste à faire. Cette cérémonie a été aussi l’occasion pour le FPI de démontrer sa capacité de rassemblement - c’est ce qui m’a le plus marqué - et j’en veux pour preuve la présence à cette cérémonie de nombreuses organisations sociales, de nombreux mouvements et partis politiques frères et alliés dont le COJEP. Cela augure d’un avenir prometteur dans l’action commune.

Un mot pour les ivoiriens…. La Côte-d’Ivoire notre pays a subi un traumatisme sans précédant du fait de la guerre et de la crise post électorale. Aucun secteur d’activités, aucune couche sociale n’a été épargnée. Comment renaitre de nos cendres ?
Tel est la question qui se pose à l’intelligence de nous, les survivants de cette guerre. Sommes-nous incapables de relever notre pays ? L’Allemagne a été relevée après la deuxième guerre mondiale, le Rwanda s’est redressé après le génocide, l’Afrique du sud compte aujourd’hui parmi les nations les plus puissantes, après l’apartheid. Allons-nous maintenir notre pays au rez-de-chaussée de l’humanité du faite de notre nombrilisme et de nos calculs égoïste ? La question reste posée.

C’est-à-dire ?
J’appelle donc tous les ivoiriens au rassemblement, au sens de la responsabilité et du patriotisme gagnants afin que succèdent à nos larmes les rayons d’un soleil synonyme d’un avenir radieux ? Cela est possible. C’est pourquoi je propose la construction d’un nouveau modèle de rassemblement autour de la démocratie et de la justice sociale, autour du respect de nos lois et de nos valeurs communes. Un tel rassemblement exige que nous combattions ensemble les tribalistes et tous les tribalismes. Oui, le tribalisme sous toutes ses formes, qu’il soit sous la forme du rattrapage ethnique ou autre et d’où qu’il vienne doit être éradiqué dans le débat politique, si nous voulons voir éclore une nation nouvelle, une nation solidaire et prospère.

Comment ?
La vraie solution pour notre pays passe nécessairement par l’acceptation de nos différences et le règlement étiologique de nos différents ! Il faudra alors que les gouvernants s’exercent à accepter toutes les critiques objectives et pertinentes. Car, celui qui critique le pouvoir et sa gouvernance mérite mieux de la république et de la nation que tous les défenseurs sourds, muets et aveugles. Ces derniers sont les vrais ennemis du pouvoir et de la République. Ces défenseurs qui sont incapables d’entendre les pleurs, les cris de cœur et de détresse de nos concitoyens ; ils sont incapables de voir leur misère, leurs larmes, et parfois leur sang ; ils sont incapables ou refusent simplement de donner de la voix pour dénoncer toutes les injustices et la mal gouvernance. C’est le sens de mon engagement politique ; c’est l’esprit et le sens du financement des partis politiques tel que voulu par le président Laurent Gbagbo.

Interview réalisée par Yacouba Gbané