International: L'armée impose la loi martiale en Thaïlande

Par Le Figaro - L'armée impose la loi martiale en Thaïlande.

PHOTO: Le chef d'état-major de l'armée, le général Prayuth Chan-ocha, a affirmé que la sécurité du pays relevait désormais de ses hommes, chargés de mettre fin aux affrontements qui ont fait près de 30 morts depuis le mois de novembre. Crédits photo : ATHIT PERAWONGMETHA/REUTERS.

Depuis hier trois heures du matin, heure de Bangkok, la Thaïlande est sous le coup de l'état d'urgence. L'armée a instauré mardi la loi martiale afin de «restaurer l'ordre public» alors que les tensions entre partisans et opposants au pouvoir en place ne montrent en six mois aucun signe d'abattement. Même si les militaires n'ont pas informé le gouvernement provisoire, formé de partisans de l'ancienne première ministre Yingluck Shinawatra la sœur de l'ex-chef de gouvernement contesté Thaksin Shinawatra, il ne s'agit en aucun cas d'un coup d'Etat ont assuré plusieurs généraux aux médias. Le cabinet intérimaire reste en charge.
Le chef d'état-major de l'armée, le général Prayuth Chan-ocha, a affirmé que la sécurité du pays relevait désormais de ses hommes, chargés de mettre fin aux affrontements qui ont fait 28 morts depuis le mois de novembre. Il demande «à tous les militants politiques de cesser leurs activités et de collaborer avec nous pour trouver une issue à la crise». «Le public ne doit pas paniquer et continuer à vivre sa vie normalement», a conseillé l'armée dans son adresse télévisée. La mise en place de la loi martiale est en effet la dernière réplique d'un conflit qui dure depuis huit ans, entre les «chemises jaunes», principalement des membres de la classe moyenne et des notables royalistes de Bangkok, et les «chemises rouges», partisans de la famille Shinawatra.
L'armée «interdit à tous les médias de rapporter ou de distribuer toute information ou toute photographie nuisibles à la sécurité nationale», a précisé la déclaration du général qui a ordonné aux manifestants des deux camps de rester sur leurs sites de rassemblement respectifs. Dix chaînes de télévision par satellite, des stations pro- comme anti-gouvernementales, sont privés d'antenne dans le but d'»éviter toute déformation de la vérité». Des soldats et véhicules militaires ont été déployés dans le centre de Bangkok, notamment dans le secteur des hôtels et des chaînes de télévision. Des points de contrôle ont été installés à proximité d'une manifestation des Chemises rouges pro-gouvernementales dans une banlieue de Bangkok.
18 coups d'Etat depuis 1932
L'Histoire de la Thaïlande est émaillée de coups d'Etat: 18 réussis ou tentés depuis 1932, date de l'instauration de la monarchie constitutionnelle. Le dernier a renversé en 2006 Thaksin Shinawatra. La semaine passée déjà, le général Prayuth Chan-ocha avait laissé planer la menace d'une possible intervention de l'armée après la mort de trois personnes dans une attaque à la grenade et à l'arme à feu. Mais bien qu'il ait soufflé le chaud et le froid, l'armée avait refusé jusqu'ici de se laisser entraîner dans la spirale, même quand les manifestants occupaient ministères et bâtiments publics.
Même si elle a été prise de court, l'équipe au pouvoir a accueilli favorablement l'annonce de l'instauration de la loi martiale. «Le gouvernement n'a aucun problème avec ce qui se passe et nous pouvons gouverner normalement», a assuré le ministre de la Justice par intérim. L'homme qui cristallise toutes les tensions, Thaksin Shinawatra, a déclaré que l'instauration de la loi martiale par l'armée ne constituait pas une surprise. Celui qui vit en exil depuis 2008 et dont la sœur Yingluck a été déchue par la Cour constitutionnelle en mai espère que cette décision des militaires «ne détruira pas la démocratie».
La communauté internationale se montre elle très circonspecte. Tokyo s'est dit «grandement inquiet», tandis que Washington a estimé que cette loi martiale ne devait être que temporaire. «Toutes les parties en présence doivent respecter les principes démocratiques, y compris la liberté d'expression», ont enjoint les Etats-Unis.

Le Figaro

Thaïlande : la paralysie politique en cinq questions (Le Monde.fr)

La première ministre, Yingluck Shinawatra, a été destituée de ses fonctions mercredi 7 mai par la Cour constitutionnelle. Elle devient le troisième chef de gouvernement à être évincé par la justice thaïlandaise. Après plusieurs semaines d'accalmie, sa destitution ainsi que celle de neuf de ses ministres marquent un nouveau rebondissement dans la crise politique qui secoue le pays et qui a déjà fait au moins 25 mort et des centaines de blessés en six mois. Les partisans du clan Shinawatra et ses détracteurs ont d'ores et déjà programmé de nouvelles manifestations.
• Que reproche-t-on à Yingluck Shinawatra ?
Yingluck Shinawatra, qui dirigeait le pays depuis juillet 2011, est accusée d'avoir « abusé de son statut » en renvoyant le chef du Conseil national de sécurité, Thawil Pliensri, en 2011, qui a depuis réintégré ses fonctions sur ordre du tribunal administratif. Un recours avait alors été déposé devant la Cour constitutionnelle, selon lequel l'éviction de Thawil Pliensri aurait profité au Pheu Thai (« Pour les Thaïlandais »), le parti de Yingluck Shinawatra.
La première ministre est également visée par une seconde procédure judiciaire, qui l'accuse de négligence dans le cadre d'un programme d'aide aux riziculteurs. Depuis le mois de novembre 2013, Yingluck Shinawatra est la cible d'importantes manifestations qui ont vu des dizaines de milliers de personnes descendre dans la rue afin de pousser la chef du gouvernement à la démission, ou au contraire la soutenir. Le climat de tension en Thaïlande est allé jusqu'à perturber la tenue des élections législatives au mois de février, qui ont finalement été invalidées par la Cour constitutionnelle.
• Quelle est la cause de la paralysie politique en Thaïlande ?
Les manifestations antigouvernementales qui secouent le pays depuis six mois s'attaquent non seulement à la première ministre, mais ont surtout pour but de démanteler ce qu'ils appellent le « système Thaksin », du nom du frère aîné de la chef du gouvernement, Thaksin Shinawatra. Egalement premier ministre à partir de 2001, Thaksin a été renversé par un coup d'Etat militaire l'accusant d'avoir mis sur pied un système de corruption généralisée, dont l'actuel gouvernement serait l'héritier. En exil à Dubaï depuis 2008, Thaksin Shinawatra est aujourd'hui soupçonné de manipuler sa sœur et de garder la main sur le gouvernement. La colère a grandi chez les opposants lorsqu'en novembre 2013, le parti de Yingluck, le Pheu Thai, a tenté de faire passer une loi d'amnistie au Parlement afin de décharger Thaksin des accusations pesant sur lui.
• Qui sont les manifestants ?
Les classes moyennes de Bangkok, ainsi que l'establishment traditionnel et monarchiste (« les chemises jaunes ») qui se sont soulevées contre le gouvernement à l'époque de Thaksin font partie de la même fronde conservatrice qui manifeste aujourd'hui contre sa sœur. Les manifestations antigouvernementales sont conduites par un ancien vice-premier ministre, Suthep Thaugsuban, jadis accusé de corruption quand il était ministre et député du Parti démocrate qui s'est autoproclamé « leader du peuple » depuis le début du mouvement. Il propose de « réformer » le système en remplaçant le gouvernement élu par un « Conseil du peuple », qui aurait pour fonction de pratiquer un grand nettoyage institutionnel avant la tenue de nouvelles élections.
• Qui soutient le gouvernement de Shinawatra ?
En face, les partisans du clan Shinawatra, les « chemises rouges », dénoncent une justice et des institutions très politisées, clairement défavorables à Yingluck Shinawatra. Majoritairement issus des classes paysannes du nord et du nord-est du pays, ses partisans soutenaient déjà Thaksin, qui avait largement contribué à l'élévation du niveau de vie du monde rural à l'époque où il était encore au pouvoir. Les pro-Shinawatra ont d'ailleurs déjà prévu de redescendre dans la rue à la suite de la destitution de la première ministre. Plus généralement, son éviction marque une nouvelle fracture nord-sud, entre les masses rurales et urbaines défavorisées des provinces et les élites de Bangkok.
• Qu'est-ce qui attend les Thaïlandais ?
La Thaïlande semble s'enliser dans une situation chaotique, avec un pays divisé et incapable de nommer un nouveau premier ministre, compte tenu de l'absence de Parlement. En décembre 2013, Yingluck Shinawatra avait déjà tenté d'instaurer un nouveau Parlement en annonçant la tenue d'élections législatives anticipées, en réponse aux manifestations qui demandaient sa destitution. Le vote du 2 février, perturbé par les manifestants et dont le vainqueur était vraisemblablement le parti Pheu Thai, a finalement été invalidé en mars par la Cour constitutionnelle.
Les nouvelles législatives, prévues le 20 juillet, ne devraient pourtant pas sortir le pays de la crise politique : rien n'assure que les nouvelles élections se dérouleront sans encombre, malgré la destitution de la chef du gouvernement. Avec un premier ministre par intérim, le ministre du commerce Niwattumrong Boonsongpaisan, le gouvernement même amputé reste aux manettes, la Cour constitutionnelle n'ayant pas procédé au vide politique radical qu'aurait dû induire l'éviction de la première ministre.
Les ministres restants ont d'ailleurs prévu d'agir en tant que gouvernement intérimaire afin de mener les prochaines élections, qui conduiront à un nouveau gouvernement. Une décision qui ne satisfait toujours pas le Parti démocrate, principale formation de l'opposition, qui refuse de soutenir les prochaines élections, ni les manifestants qui prévoient déjà de perturber le scrutin de juillet.

Bruno Philip (Bangkok, correspondant et Amandine Sanial)
Journaliste au Monde