Débats et Opinions: Le fou du roi

Par Correspondance particulière - Le fou du roi.

Les 4 et 5 février 2014, le quotidien « Aujourd’hui » publia deux lettres de l’abbé Guy Lagbré, prêtre du diocèse de Gagnoa, originellement adressées à son évêque et au nonce apostolique. Le contenu de ces deux lettres poussa l’abbé Djéréké à demander le départ de Mgr Aké Joseph, archevêque de Gagnoa. Au lieu de s’émouvoir pour Lagbré qui se meurt à petit feu, au lieu de bien examiner les questions de fond soulevées par Djéréké (l’autoritarisme, l’absentéisme, l’inhumanité ou la méchanceté de certains évêques), certaines personnes choisirent de tirer à boulets rouges sur eux, préférèrent regarder le doigt qui indiquait le soleil plutôt que de regarder le soleil lui-même. Pour ces personnes, le contenu des lettres des abbés Lagbré et Djéréké était plus préoccupant que l’état de l’Eglise dans le diocèse de Gagnoa. C’est le cas de Simplice Ahoussi dont la réaction fut publiée sur le site web de l’archidiocèse sous le titre de Qui Veut Noyer Son Chien ! Une réaction qui est assez révélatrice du fidéisme et de l’ « épiscopolâtrie » de nombreux laïcs ivoiriens.

Rejeter le fidéisme

Bien que centenaire, l’Eglise catholique de Côte d’Ivoire semble se complaire dans l’infantilisation de ses fidèles. Il est aujourd’hui risqué de se poser publiquement des questions sur la gestion de l’Eglise sans être taxé de fossoyeur de l’unité de sa communauté ou sans se voir invité à « laisser » ces questions-là à Dieu. Résultat des courses : développement du fidéisme chez des fidèles (comme Ahoussi), déification ou adoration des bergers (comme Ahoussi), fanatisme des fidèles (comme Ahoussi), prêtres plus thaumaturges et chefs chantiers qu’ouvriers de la croissance spirituelle des chrétiens. Pris sous cet angle, cet état de lieux peut expliquer cet émoi créé par les lettres des abbés Lagbré et Djéréké, mais ne saurait, selon nous, le justifier. En effet, en ces temps où les moyens de communication rendent de plus en plus difficile le caractère secret des choses, où le nombre de lettrés ne cesse de croître, et où les scandales de l’Eglise ne cessent d’être exposés, nous ne devrions plus être à ce niveau de réactions primaires et épidermiques sans apport de la raison pour toutes les questions de nos vies, y compris celles liées à notre foi. Malheureusement, ce n’est pas ce qui nous a été donné de voir dans le texte de M. Ahoussi. Sinon, sur quoi Ahoussi se base-t-il pour qualifier d’ «acte diabolique » les lettres de dénonciation de l’abbé Lagbré ? Seule la passion ou l’émotion peut produit pareille assertion. Au nom de quelle logique monsieur Ahoussi peut-il affirmer que « Le moment venu, ceux qui l’y ont installé aviseront lorsqu’ils s’apercevront qu’il (Mgr Ake) est dans la déviation. A part cela, tout ce qui se fait et se dit n’est calomnie gratuite. » ? Veut-il nous dire que les membres de la curie romaine sont les seuls à être visités par la vérité ? Même s’il est dit que, dans la passion, la liberté est enchainée (Jean-Paul Sartre), cette façon de réagir est excessive et ne rend pas service à l’Eglise et particulièrement à celle de Gagnoa. Cette passion déraisonnée se manifeste encore plus quand Ahoussi affirme que « Mais est-il normal qu’un chef ne punisse pas ceux qui sont placés sous sa responsabilité, si ceux-ci viennent à manquer à leurs obligations professionnelles ? Comment réagit-on, dans l’administration générale, lorsqu’un fonctionnaire affecté dans une localité ne s’y présente pas ? Le laisse-t-on agir à sa guise ? L’Eglise doit-elle s’autodétruire en laissant prospérer les comportements laxistes et désinvoltes ? » Le pouvoir n’est donc pas service dans l’Eglise de Gagnoa. En allant jusqu’à comparer le pouvoir dans l’Eglise à celui de l’administration publique, M. Ahoussi a envoyé, peut être sans le savoir, une pitoyable image de la conception martiale du pouvoir ecclésial de Mgr Aké et de ses affidés de l’archidiocèse de Gagnoa. A lire Ahoussi, Mgr Aké serait sans péché et il ne resterait plus qu’a énoncer un dogme sur son infaillibilité.
Pour notre part, nous pensons que tous ces scandales de pédophilie et d’accusation de blanchiment d’argent (IOR) sont là pour nous rappeler que ces bergers sont pécheurs comme nous et nous rappeler le côté humain de cette œuvre de Dieu qu’est l’Eglise. Et ne pas le comprendre, c’est tomber à nouveau et involontairement dans une sorte de monophysisme. Car, sans ce recul et une utilisation raisonnable de notre raison, don de Dieu, nous exposerons toujours notre foi à de violents coups. Parlant de coups, nous ne pouvons nous empêcher de penser à ceux subis en octobre 2013 par les paroissiens de la paroisse Sainte-Anne d'Arly-Montjoie de Mègeve en Haute-Savoie, quand ils apprirent la suspension de leur curé, l’abbé Pascal Vésin par Mgr Yves Boivineau, évêque d'Annecy, pour appartenance à la loge franc-maçonne du Grand Orient depuis 2001. Que faisait depuis 2001 ce prêtre « choisi » par Dieu dans cette loge notoirement anticléricale ? Si elle veut être à l’abri de ce genre de déceptions, l’Eglise devrait commencer par faire siens les propos du pape Jean-Paul II dans l’introduction de son encyclique Fides et Ratio : « LA FOI ET LA RAISON sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité. C'est Dieu qui a mis au cœur de l'homme le désir de connaître la vérité et, au terme, de Le connaître lui-même afin que, Le connaissant et L'aimant, il puisse atteindre la pleine vérité sur lui-même (cf. Ex 33, 18; Ps 27 [26], 8-9; 63 [62], 2-3; Jn 14, 8; 1 Jn 3, 2). »

Apprendre à avoir souci de la souffrance de l’autre

La lecture du texte de monsieur Ahoussi nous a rappelé un fait divers de l’année 2009.
Le jeudi 5 mars 2009, Mgr José Cardoso Sobrinho, archevêque de Recife (nord-est du Brésil), a excommunié des médecins, une fillette de 9 ans et sa mère. La raison de cette décision est toute simple : ayant constaté que la grossesse de jumeaux de la fillette pourrait lui être fatale pendant l’accouchement, les médecins ont décidé de l’interruption de cette grossesse en conformité avec la loi brésilienne. Ce qui fut fait. Il est ici bon de rappeler que cette grossesse intervint après un viol, reconnu, du beau-père de cette fillette, qui était à l’époque âgé de 23 ans. L'archevêque de Recife justifia l'excommunication de la mère, de la fillette, ainsi que de l'équipe médicale en rappelant que « la loi de Dieu est supérieure à toute loi humaine ». Pour ce qui est du cas du beau-père violeur, qu’il n’a pas excommunié, Mgr Sobrinho a noté que « certes, ce qu'il a fait est horrible, mais il y a tant de péchés graves, et le plus grave est l'élimination d'une vie innocente». Cette décision de Mgr Sobrino, qu’il justifia sur la base du canon 1398, ne fut pas du goût de certains évêques tels que Mgr Yves Patenôtre, Mgr Rino Fisichella, Mgr Francis Deniau, Mgr Gérard Daucourt …

Nous avons relevé ce fait divers pour montrer que l’homme est au-dessus des textes et normes humaines, et que l’homme court toujours vers sa déshumanisation chaque fois qu’il essaye de les sacraliser. Au lieu d’être préoccupé par le maintien de Mgr Aké à la tête de l’archidiocèse de Gagnoa, il serait plus intéressant pour Ahoussi et pour son statut de chrétien de participer au prompt rétablissement l’abbé Lagbré. Dans sa deuxième lettre à « saint » Aké, l’abbé Lagbré affirme que: « Comme l’assistance médicale m’a été refusée par vous et n’ayant eu aucun moyen et personne pour mes soins, le constat des médecins est amer : mon mal de l’accident ayant commencé à ronger mes os du bassin, je cours un danger très imminent: soit je reste très prochainement handicapé à vie, soit purement et simplement le mal m’emporte.» Si M. Ahoussi n’était pas obnubilé par la défense, tête baissée, de « Saint »Aké, il aurait fait attention à cette phrase de l’abbé Lagbré, qui lui aurait humainement retiré toute envie de réagir d’une manière aussi maladroite. Ces lettres de l’abbé Lagbré datent toutes de l’année 2013, précisément des mois d’octobre et de novembre, avec ampliation à la conférence épiscopale et à la nonciature. Y a-t-il plus grandes instances de l’Eglise catholique ivoirienne? Non. Pourquoi Ahoussi s’en prend-il à l’abbé Lagbré ? N’y a-t-il pas eu de réunions de la conférence épiscopale depuis cette date jusqu’à la publication de ces lettres en février 2014 dans les journaux ? Tout cela n’est pas sérieux. Il est plus facile pour Ahoussi de s’en prendre aux abbés Lagbré et Djéréké. Simplice Ahoussi devrait lire ou relire cette lettre du pape François aux nouveaux évêques qu’il recevait en novembre 2013 en audience : «Et dans cette marche, je voudrais rappeler l’affection pour vos prêtres. Vos prêtres sont votre premier prochain ; le prêtre est le premier prochain de l’évêque – aimez votre prochain, mais le premier prochain est celui-ci -, indispensable collaborateur auprès de qui chercher conseil et aide, de qui prendre soin comme un père, un frère et un ami. Parmi les premiers devoirs que vous ayez, il y a le souci spirituel du collège des prêtres, mais n’oubliez pas les besoins humains de chacun d’entre eux, surtout dans les moments plus délicats et importants de leur ministère et de leur vie. Le temps passé avec les prêtres n’est jamais perdu ! Recevez-les quand ils le demandent ; ne laissez pas un appel téléphonique sans réponse. Quand je prêchais des retraites à des prêtres, je les ai souvent entendu dire – je ne sais pas si c’est vrai, mais je l’ai si souvent entendu dans ma vie – « Bah ! J’ai appelé l’évêque et son secrétaire me dit qu’il n’a pas le temps de me recevoir ». Et ceci pendant des mois et des mois. Je ne sais pas si c’est vrai. Mais si un prêtre appelle son évêque, le jour même, ou au moins le lendemain, un coup de fil : « J’ai entendu, que veux-tu ? Maintenant je ne peux pas te recevoir, mais nous allons essayer de trouver une date ». S’il vous plaît, qu’il sente que son père lui répond. Sinon, le prêtre peut penser : « Mais, celui-ci, ça lui est égal ; ce n’est pas un père, c’est un chef de service ! ». Réfléchissez bien à cela. Ce serait une belle décision : lors d’un appel d’un prêtre, si je ne peux pas le jour même, répondre au moins le lendemain. Et puis voir quand c’est possible de le rencontrer. Être dans une proximité continuelle, en contact continu avec eux. » Si Ahoussi avait lu cette lettre, il aurait compris que Mgr Aké est loin de correspondre à ce que l’actuel pape attend de tout évêque. Deuxièmement, à ne pas prendre au sérieux les lettres des abbés Lagbré et Djéréké, Mgr Aké n’est pas l’abri des humiliantes démissions, en mai 2009, de Mgr François-Xavier Yombadje (Bossangoa) et de Mgr Paulin Pomodimo (Bangui), pour "problèmes insurmontables dans la gestion de leurs diocèses" et pour « double vie » sous le pontificat de Benoît XVI.

Pour finir, il faut reconnaître que la réaction d’Ahoussi n’est pas à l’honneur de l’archidiocèse de Gagnoa. Au lieu de répondre aux problèmes de fond que posent les lettres truffées d’exemples clairs et vivants de l’abbé Guy Lagbré, ce monsieur s’est borné à un exercice d’attaques ad hominem et de lèche-cul avec son masque de fidéiste comme sait en produire l’Eglise de Côte d’Ivoire.
Nous pensons ensuite que l’électrochoc provoqué par les lettres de Lagbré et Djéréké fera du bien à l’ensemble du clergé ivoirien en ce sens que les évêques auront maintenant le sentiment d’être observés tandis que les prêtres seront, nous l’espérons, un peu plus écoutés et respectés. Enfin, au lieu de jouer les Torquemada , M. Ahoussi gagnerait à se rappeler et à rappeler à Mgr Aké cette petite phrase du pape François relative à la gestion des hommes : «…les gens se lassent de l’autoritarisme» .

Une contribution de Paul Okonkwo
Un chrétien catholique