Débats et Opinions : L’hommage du monde à Nelson Mandela ou la leçon de la réconciliation, par le Ministre Kadet Bertin

Par IVOIREBUSINESS – Le ministre Bertin Kadet juge l’adieu à Madiba.

Après la première partie publiée, samedi, nous vous proposons la seconde partie du texte-hommage à Nelson Mandela de l’ex-ministre ivoirien de la Défense, Bertin Kadet, exilé politique au Ghana.
Parvenu au pouvoir d’Etat à la suite d’élections démocratiques en 2000, Laurent Gbagbo s’est employé à l’enracinement de la démocratie dans son pays à travers le respect des institutions ivoiriennes. De 2002 à 2010, une guerre de rébellion lui a été imposée par des acteurs bien connus de la communauté internationale. Les élections présidentielles de fin de crise organisées en novembre 2010 dans le pays ont été remportées par lui, ainsi en a décidé le Conseil Constitutionnel, la seule juridiction ivoirienne habilitée à désigner le vainqueur d’une élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Malheureusement pour la Côte d’Ivoire, le Président français d’alors, Nicolas Sarkozy et ses amis de l’ONU dont You Jin Choi, Représentant Spécial du Secrétaire général de cette organisation supra nationale, ont décidé que c’est Alassane Ouattara qui a gagné les élections. Alors que le contentieux électoral est vif, Laurent Gbagbo propose le recomptage des voix, une solution simple et non violente mais, Nicolas Sarkozy et ses amis écartent du revers de la main cette solution pacifique et opte pour une solution militaire. M. Ban Ki-moon, le Secrétaire général de l’Onu trouvera même que le recomptage, que la communauté internationale a pourtant accepté en République d’Haïti dans la même période, serait une injustice pour Alassane Ouattara. Après plusieurs jours d’intenses bombardements et de destructions de la Résidence officielle du Chef de l’Etat ivoirien, le Président Laurent Gbagbo a été arrêté par les forces françaises qui l’ont remis aux hommes de son adversaire. Accusé de crimes contre l’humanité, Laurent Gbagbo a été traduit devant la Cour Pénale Internationale à La Haye par Alassane Ouattara, non sans l’avoir fait torturer pendant 8 mois auparavant dans une prison du Nord ivoirien. Le 3 juin 2013, suite à l’audience de confirmation des charges, la Chambre préliminaire 1 de la CPI a jugé insuffisantes les preuves présentées par le Procureur, en appui du document de charges. Malgré ce verdict, le Président Laurent Gbagbo est toujours détenu et ne peut recouvrer la liberté. Pour toutes ces raisons, le discours
et les actes du Président américain Barack Obama interpellent la conscience des dirigeants
du monde, réunis autour de la dépouille de Nelson Mandela, afin qu’ils se penchent sur la situation du Président Laurent Gbagbo, un homme d’Etat qui mérite d’être purement et simplement libéré car, victime de la conspiration internationale.
Que dit le Président Barack Obama dans l’hommage qu’il a rendu à Nelson Mandela?

a/-Le Président Américain a d’abord souligné les qualités exceptionnelles de Nelson Mandela:
- Nelson Mandela était un combattant pour la liberté et la justice: « à l’instar de Gandhi, il a crée un mouvement de résistance et donné une voix à ceux qui étaient opprimés»;- Nelson Mandela n’était pas le chef d’un clan mais, il était au service de tous les Sud-Africains, y compris ces ennemis : «Il n’était pas seulement le chef d’un mouvement, c’était un homme politique adroit. Fidèle à sa vision de lois qui protègent les minorités ainsi que les Sud-Africains… Il a su comprendre ce qui unissait les hommes… c’est la reconnaissance
de liens qui unissent les hommes, qui créent une intégrité humaine. C’est en partageant et en s’adonnant aux autres que l’on devient soimême.»- Nelson Mandela s’est réconcilié avec ses pires ennemis en
s’inspirant de sa tradition, il a prôné l’amour et la paix aussi bien pour son pays, son peuple et pour le monde : « il a su mettre en pratique en invitant à sa table ses geôliers. Il a su faire d’une tragédie de famille une arme contre le Sida, il était l’incarnation de cet Ubuntu. C’est Madiba et cette notion qui ont permis de libérer les opprimés et les oppresseurs.
La réconciliation n’est pas l’ignorance d’un passé mais l’inclusion, la compréhension du passé, de la vérité »… Il a changé les faits, il a également changé les coeurs. Pour le peuple de l’Afrique du Sud, pour ceux qu’il a inspirés…»

b/- Le Président Barack Obama a ensuite fait un constat des comportements des hommes et des dirigeants, au regard de l’état du monde : «Trop d’entre nous se réfugient encore dans l’indifférence… Beaucoup ont assumé cet héritage de Madiba, beaucoup prétendent être solidaires de sa lutte mais ne tolèrent pourtant pas le changement. Et pourtant, « aujourd’hui dans le monde entier, il y a encore des gens qui sont persécutés, pour leur affection, pour leur apparence, pour leurs croyances. Cela se passe encore aujourd’hui.»
c/- Enfin, le Président Américain a appelé les hommes et les dirigeants à s’inspirer de l’exemple de Nelson Mandela : «Inspirons-nous de sa force, cherchons à avoir la même largesse d’esprit que lui… Aujourd’hui, nous devons nous poser la questi o n : c o m m e n t promouvoir la liberté, la justice, les droits humains, comment faire cesser les guerres, les conflits ? Nous aussi devons agir au nom de la justice, pour la paix.»
La question est de savoir si les dirigeants africains, présents en grand nombre à cette cérémonie, ont intégré la portée du discours du Président Américain Barack Obama.

IV-Les dirigeants africains ont-ils entendu le message de la réconciliation ?
Plusieurs Chefs d’Etats Africains étaient présents au stade de Soweto parmi lesquels, l’Ivoirien Alassane Ouattara et le Burkinabé Blaise Compaoré, deux chefs d’Etat qui se sont coalisés contre l’ex-président ivoirien
Laurent Gbagbo, en entretenant dix ans de rébellion en Côte d’Ivoire. Ont-ils capté le message du Président Barack Obama. Rien n’est moins sûr, à l’examen des faits qu’il nous est donné d’observer. Ce qui frappe dans le comportement des dirigeants africains francophones, c’est qu’aucun parmi eux n’a eu
la sagesse de se faire accompagner par son prédécesseur. La raison est simple, ils sont habitués à régner sans partage et à vouloir bénéficier seuls des honneurs.
Certes, certains dirigeants anglophones ont fait la différence, puisque les anciens
Présidents Ghanéen et Nigerian, Jerry John Rawling et Olusegun Obasanjo étaient aux côtés de leurs Chefs d’Etat respectifs.
Mais, il ne faut pas attendre une telle attitude de la part de Alassane Ouattara, lui qui s’enorgueillit d’avoir livré
son bienfaiteur Laurent Gbagbo à la Cour Pénale Internationale dans les médias français. Son soutien inconditionnel, Henri Konan Bédié, ancien Chef d’Etat
ivoirien est pourtant bien vivant en Côte d’Ivoire et serait certainement
honoré de se rendre aussi aux funérailles de Nelson Mandela. Mais, il ne l’a pas invité.
D’ailleurs, il y a quelques jours, le 6 décembre 2013 à
Paris, à l’occasion du Sommet de l’Elysée sur la paix et la sécurité
en Afrique, Alassane Ouattara a encore édifié l’opinion sur
son état d’esprit, réagissant à un rapport des Experts de l’ONU sur la situation au Liberia, qui
accuse son régime de vouloir faire assassiner des cadres ivoiriens
exilés au Ghana. S’adressant aux Ivoiriens devant la presse française qui l’interrogeait, le Chef de l’Etat ivoirien a
traité les experts onusiens de tous les qualificatifs dévalorisants, exigeant qu’ils soient
«foutus dehors», et promis «d’en parler à Ban Ki Moon ce soir». Pourtant c’est grâce à
l’action de ces mêmes personnes de l’ONU qu’il a été installé à la tête de la Côte d’Ivoire.
En définitive, face à l’immaturité politique doublée d’un
manque d’humilité et d’humanité qui caractérise le comportement de la plupart de nos
gouvernants africains, le rassemblement
de Soweto a-t-il vraiment un sens pour eux ?
Nous pensons que oui, il a un sens malgré tout car, Nelson
Mandela vient justement rappeler
à la conscience humaine qu’aucune position politique
n’est immuable et que tout est dans le temps.

Bertin Kadet
Ancien ministre de la Défense et ancien conseiller spécial du président Laurent Gbagbo.
(suite et fin)
In Notrevoie / N°4593 du lundi 16 décembre 2013