Débats et opinions: François ou une nouvelle manière d’être pape

Par Correspondance particulière - François ou une nouvelle manière d’être pape.

Le 13 mars 2014, François a soufflé sa première bougie en tant que vicaire du Christ, lequel Christ est et demeure l’unique chef ou tête de l’Église (Eph 5, 22 ou Colossiens 1, 18) n’en déplaise à ceux qui n’hésitent pas à voir le pape comme “le chef de l’Église catholique”. Un an que Jorge Mario Bergoglio a enfilé la tunique du “servus servorum” et déjà le monde entier parle de lui en bien, fait son éloge, est sous son charme. D’ou vient cet engouement pour le premier pape argentin? Pourquoi a-t-iI tant d’admirateurs en interne comme à l’extérieur ? Pourquoi “Time”, magazine américain, le considère-t-il comme la personnalité la plus marquante de l’année 2013, 51 ans après Jean XXIII et 19 ans après Jean-Paul II ? “C’est pour avoir changé le ton, la perception et l’approche, pour avoir tiré la papauté hors de son palais afin de l’emmener dans la rue, pour avoir poussé la plus grande Église au monde à faire face à ses besoins les plus profonds, et pour avoir fait le juste équilibre entre jugement et compassion”, répond Nancy Gibbs. Pour la rédactrice en chef de “Time”, “il est rare qu’un nouvel acteur de la scène mondiale suscite autant d’attention si rapidement, que ce soit parmi les jeunes ou les plus âgés, parmi les croyants ou les sceptiques”. Sur la chaîne américaine NBC, elle ajoute : “En neuf mois, il a su se placer au centre des discussions essentielles de notre époque : la richesse et la pauvreté, l’équité et la justice, la transparence, la modernité, la mondialisation, le rôle de la femme, la nature du mariage, les tentations du pouvoir ”. Pour moi, des gestes autant que des paroles fortes peuvent expliquer la grande popularité dont jouit le successeur de Benoît XVI.
D’abord les gestes. Je n’en citerai ici que 6 : 1) le fait qu’il ait continué à habiter quelques mois encore à la résidence Sainte-Marthe où il était arrivé pour le conclave (il n’était pas pressé de rejoindre le vaste appartement pontifical parce qu’il était content d’être “au milieu d’autres membres du clergé”; 2) son déplacement improvisé sur l’île sicilienne de Lampedusa le 8 juillet 2013 pour réconforter les migrants et fustiger l’indifférence du monde à leur sort dans la quête d’une vie meilleure; 3) sa descente de voiture lors de son voyage au Brésil en juillet 2013; 4) la cession pendant quelques minutes de son fauteuil à un enfant au cours de la rencontre avec les familles, le 26 octobre au Vatican; 5) le lavement les pieds de détenus dans une prison pour mineurs le 28 mars 2013; 6) la célébration de son 77e anniversaire avec des sans-domicile en décembre 2013. Ces différents gestes révèlent indiscutablement un pape humain et simple et le fait qu’ils aient touché ou bouleversé tant de personnes signifie qu’il était temps que l’Église se fasse davantage proche et solidaire des pauvres, faibles et opprimés.
Quant aux paroles fortes, je commencerai par celle- ci : “Comme je voudrais une Église pauvre, pour les pauvres!” C’était le 11 juin 2013. Aux membres de la puissante Congrégation pour la doctrine de la foi, François faisait remarquer que la prédication doit demeurer gatuite car “Saint-Pierre n’avait pas de compte en banque ”. Le 6 juillet 2013, à la messe du matin célébrée dans la chapelle Sainte-Marthe, le pape affirme : “N’ayons pas peur de renouveler les structures dans l’Église.” Et Dieu sait que nombreuses sont ces structures qui ne répondent plus aux attentes de l’homme de ce temps et que celui-ci a besoin, urgemment besoin, de déguster le vin nouveau dans des outres neuves. Recevant, le 19 septembre 2013, un groupe d’évêques venus participer au cours annuel de formation et d’information organisé à leur intention par la Congrégation pour les évêques et la Congrégation pour les Églises orientales, il s’attaque aux évêques rarement présents dans leur diocèse, plus préoccupés de faire carrière que de veiller sur le troupeau (laïcs et prêtres) qui leur a été confié, en quête, entre deux avions, d’un diocèse plus grand ou plus juteux. Voici un extrait de ce discours sans concession : “Le temps passé avec les prêtres n’est jamais du temps perdu ! Recevez-les quand ils le demandent. Ne laissez pas un coup de téléphone sans réponse (…) Quand un prêtre a appelé, si vous ne pouvez le rappeler le jour même, faites-le au moins le jour suivant et voyez quand vous pourrez vous rencontrer. Soyez proche d’eux en permanence, en contact continuel avec eux… Le peuple a besoin de votre présence pour vivre et pour respirer. Ne vous refermez pas sur vous ! Descendez au milieu de vos fidèles, y compris dans les périphéries de votre diocèse et dans toutes ces périphéries existentielles où se trouvent la souffrance, la solitude, la misère humaine. « Présence pastorale » signifie marcher avec le peuple de Dieu : marcher devant, pour montrer le chemin, la voie ; marcher au milieu, pour renforcer son unité ; marcher derrière, pour que personne ne reste à la traîne, mais surtout, pour suivre l’intuition qu’a le peuple de Dieu pour trouver de nouvelles routes… Je vous demande, s’il vous plaît, de rester auprès de votre peuple. Restez, restez et éviter le scandale de devenir des évêques d’aéroport !” En s’exprimant ainsi, François veut souligner que les pasteurs ne sont pas des princes et que c’est leur simplicité qui les rendra à la fois crédibles dans la prédication de l’Évangile et libres à l’égard des riches et puissants dont tout le monde sait qu’ils ne tardent pas à corrompre ceux qui leur parlent de partage et de justice.
Je me souviens d’une autre parole forte : “Je suis un pécheur .” Le pape répondait à Antonio Spadaro de “La Civiltà cattolica”, revue jésuite italienne. Spadaro voulait savoir qui est Bergoglio. Parce qu’il se sait pécheur, François plaide pour que prêtres et évêques fassent preuve de miséricorde vis-à-vis des pécheurs : “Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui, c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… Il faut commencer par le bas. L’Église s’est parfois laissé enfermer dans des petites choses, de petits préceptes. Le plus important est la première annonce : “Jésus Christ t’a sauvé . ” Un peu plus loin, il enfonce le clou en disant : “Je rêve d’une Église mère et pasteur. Les ministres de l’Église doivent être miséricordieux, prendre soin des personnes, les accompagner comme le bon Samaritain qui lave et relève son prochain. Cet évangile est pur. Dieu est plus grand que le péché. Les réformes structurelles ou organisationnelles sont secondaires, c’est-à-dire qu’elles viennent dans un deuxième temps. La première réforme doit être celle de la manière d’être. Les ministres de l’Évangile doivent être des personnes capables de réchauffer le cœur des personnes, de dialoguer et cheminer avec elles, de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. Le peuple de Dieu veut des pasteurs et pas des fonctionnaires ou des clercs d’État. Les évêques, particulièrement, doivent être des hommes capables de soutenir avec patience les pas de Dieu parmi son peuple, de manière à ce que personne ne reste en arrière, mais aussi d’accompagner le troupeau qui a le flair pour trouver de nouvelles voies .”
Le premier pape latino-américain serait-il laxiste ? Voudrait-il qu’on laisse les gens faire ce que bon leur semble ? Il faut lire la suite de l’entretien pour s’apercevoir qu’il n’en est rien : “Nous ne pouvons pas insister uniquement sur les questions liées à l’avortement, au mariage gay et à l’usage des méthodes contraceptives… L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. Nous devons donc trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Église risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Évangile. L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde, irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent ensuite les conséquences morales . ”
Qu’en est-il de sa vision de la curie romaine accusée d’être trop centralisatrice? François voit les dicastères romains comme des organismes qui “doivent aider soit les Églises particulières soit les conférences épiscopales”. Il ne souhaite pas qu’ils deviennent “des organismes de censure”. Pour lui, les cas de dénonciation pour manque d’orthodoxie “doivent être étudiés par les conférences épiscopales locales, auxquelles Rome peut fournir une aide pertinente ”.
Le pape François inaugure ainsi une nouvelle manière d’être pape. En 12 mois, il a fait bouger quelques lignes dans l’Église, donné des raisons d’espérer à ceux qui commençaient à désespérer du catholicisme à cause de son conservatisme sur certaines questions (remariage des divorcés, célibat sacerdotal, baptême des enfants dont les parents sont mariés uniquement à la Mairie, place et rôle de la femme dans l’Église). Sa simplicité et son humilité ont réconcilié certaines personnes avec l’Église tout en donnant à d’autres l’envie de devenir catholiques. Personnellement, je dois avouer que l’humanité et le franc-parler de ce pape ont guéri des blessures qui étaient en moi. Comme d’autres, je ne puis m’empêcher alors de remercier Dieu de nous l’avoir donné maintenant. Mais ̶ et c’est par là que je voudrais clore cet article ̶ laissera-t-on François aller jusqu’au bout de sa mission ? Les cardinaux et évêques rétifs au changement n’entraveront-ils pas sa volonté d’être vicaire du Christ autrement et de renouveler les structures dans l’Église ? Bref, celui qui nous rappelle opportunément que “la tradition et la mémoire du passé doivent nous aider à avoir le courage d’ouvrir de nouveaux espaces à Dieu ” aura-t-il suffisamment de temps pour poursuivre les réformes engagées ?

Une contribution de Jean-Claude DJEREKE
Auteur de Rome et les Églises d’Afrique. Propositions pour aujourd’hui et demain, Paris, L’Harmattan, 2005.