Débat sur la Nationalité : Comprendre l’origine de la politique de «rattrapage » ethnique

Par Notre Voie - Comprendre l’origine de la politique de «rattrapage » ethnique

Le Ministre Cissé Bacongo a pris l’initiative du débat sur la Nationalité, la Nationalité de son propre pays qu’il traite de «monstre de la nationalité». Le Ministre a écrit: «Car Linas-Marcoussis a permis à tout le moins, de faire le diagnostic sévère du mal presque chromosomique qui mine la société ivoirienne et de donner son nom: La nationalité, sans prétendre être parvenue à le guérir». Le Ministre poursuit: «Le débat sur «l’ivoirité» a mis le feu aux poudres et conduit à l’explosion tragique de septembre 2002 qui a achevé de disloquer le tissu social et l’unité nationale… Pour cause, le concept juridique de nationalité n’a jamais été dissocié, sinon pas suffisamment du concept sociologique d’ethnie ou de race… Oui, quelles formalités ont-elles accomplies certaines des personnes nées ou qui résidaient en Côte d’Ivoire avant 1960 pour devenir des Ivoiriens d’origine à partir de l’Indépendance à savoir les Akossi, Banzio, Beugré, Brou, Dagrou, Danho, Diagou, Flindé, Gnoléba, Gnépa, Guédé, Guéï, Irié-Bi, Kapet, Konan, Kassi, Lobognon, Lorougnon, N’dri, Séry, Tra-Bi, Yapi… En revanche pourquoi les autres Cissé, Diakité, Diawara, Dicko, Dieng, Djibo, Koné, Kufor, N’Diaye, Sawadogo, Thiam, Traoré, Wakili, Zaher, nées en Côte d’Ivoire ou y ayant résidé, dans les mêmes conditions que les premières, ne pouvaient-elles pas devenir des Ivoiriens d’origine?». Enfin, le Ministre, citant le Sénégal, écrit: «…Ce témoignage ouvre une piste de solution que notre pays devrait pouvoir emprunter». Fin de citation. (Journal l’Inter n° 4518 du mardi 25 juin 2013, pp. 6-7).

D’abord, une question: Quelle est la nature, la spécificité de notre pays, la Côte d’Ivoire? La Côte d’Ivoire est une Terre d’IMMIGRATION, c’est-à-dire un Territoire, un Pays, une Nation qui accueille les Ressortissants de tous les pays du monde, à l’opposé des pays d’EMIGRATION dont les Ressortissants sortent nombreux de leur pays pour aller s’installer ailleurs. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a 46 % d’Etrangers ou d’Immigrants dont le chiffre est ramené, pour les besoins de la cause, à 26 % lors d’un séminaire à Yamoussoukro. Voilà la nature, non pas juridique, mais l’ADN dont l’Eternel Dieu des Armées a doté la Côte d’Ivoire, qui ne lui permet pas d’être comparée à aucun autre pays sur le Continent.

Avant la colonisation, la Côte d’Ivoire existait. Elle avait son Territoire avec ses quatre points cardinaux, avec son Peuple, son peuplement, avec leurs Ethnies, leurs langues, leurs patois et leurs sites d’habitation, d’occupation ou de résidence. Même si les frontières n’existaient pas, tracées et connues comme aujourd’hui, elles existaient et chacun savait s’il est chez soi ou pas. Les sentiers existaient qui permettaient les déplacements des personnes et des biens pour les échanges, le commerce ou le troc. Avant la colonisation, comment s’appelait-elle, cette Côte d’Ivoire? La réponse est du ressort des Historiens.

Pendant le temps qu’a duré la colonisation, avec la relative facilité de déplacement du fait des véhicules et des routes, les Ressortissants des autres pays (pays d’émigration) sont venus nombreux en Côte d’Ivoire à partir de 1910. Dans les années 40, avec l’ouverture des écoles et de l’enseignement du français (l’enseignement catholique depuis 1895), le développement a commencé à se faire sentir et les Ressortissants des autres pays vivant en Côte d’Ivoire ont commencé à s’organiser en Associations dans le but de rester en contact permanent avec leurs pays d’origine: Association des Dahoméens, Association des Soudanais (l’actuel Mali), Association des Voltaïques, Association des Togolais, Association des Nigériens, Association des Nigérians, Association des Sénégalais, Association des Guinéens… D’autres, pour prouver leur attachement à leur pays d’origine, ont même donné le nom de leur village voltaïque aux campements qu’ils habitent ici en Côte d’Ivoire (Koupéla, Garango…).

En 1842, les Français s’emparent de la zone lagunaire. En 1889, ils imposent leur Protectorat. En 1895-1896, la Colonie de Côte d’Ivoire, créée en 1893, est rattachée à l’Afrique occidentale française (A.O.F.) et devient Territoire d’Outre-mer en 1946. La Loi du 5 avril 1946, promulguée le 11 avril, met fin au Travail forcé. Le Référendum du 28 septembre 1958 institue la Communauté franco-africaine. Le 4 décembre 1958, la République de Côte d’Ivoire est proclamée. Le 26 mars 1959, la Constitution de la République de Côte d’Ivoire est votée. Le 11 juillet 1960, l’Acte de l’Indépendance est signé, et le 7 août 1960, l’Indépendance de la Côte d’Ivoire est proclamée par le Père de la Nation, le Président Félix Houphouët-Boigny.

L’Indépendance proclamée, il devenait urgent de penser à la situation ou au Statut des hommes et des femmes présents sur le Territoire avant la colonisation, sans oublier les Ressortissants des pays étrangers qui ont vécu jusque-là sur le Territoire de la Côte d’Ivoire pendant la colonisation. Ce Statut, ou cette situation à laquelle les nouvelles Autorités pensaient, s’appelle «La Nationalité» qui est, le fait, pour une personne, d’appartenir juridiquement à la population d’un Etat. Il fallait donc voter une Loi (prescription établie par l’autorité souveraine de l’Etat, applicable à tous, et définissant les droits et les devoirs de chacun) pour poser les principes de la Nationalité ivoirienne, c’est-à-dire écrire pour dire qui a droit à la Nationalité ivoirienne d’origine (avec ses avantages, ses intérêts et ses obligations) et dire qui peut devenir Ivoirien par la Naturalisation, mais à sa propre demande.

Le 14 décembre 1961, une Loi (n° 61-415 du 14 décembre 1961), portant Code de la Nationalité est votée. Le Titre premier de cette Loi parle des «Dispositions générales», Le Titre II de «l’Attribution de la Nationalité ivoirienne à titre de Nationalité d’origine», le Titre III de «l’Acquisition de la Nationalité ivoirienne». La Section 2 parle de «l’Acquisition de la Nationalité ivoirienne par Déclaration». La Section 3 de «l’Acquisition de la Nationalité ivoirienne par Décision de l’autorité publique». Le Paragraphe 1er parle de «la Naturalisation». Le Paragraphe 2 de «la Réintégration dans la Nationalité ivoirienne»…

L’Article Premier de cette Loi stipule: «La loi détermine quels individus ont à leur naissance la Nationalité ivoirienne à titre de Nationalité d’origine». Article 6: «Est Ivoirien tout individu né en Côte d’Ivoire sauf si ses deux parents sont étrangers». Article 24: «L’acquisition de la Nationalité ivoirienne par Décision de l’autorité publique résulte d’une Naturalisation ou d’une Réintégration dans la Nationalité accordée à la demande de l’étranger». Article 25: «La Naturalisation ivoirienne est accordée après enquête». Article 31: «Nul ne peut être naturalisé s’il n’est pas de bonnes vie et mœurs». Article 32: «Nul ne peut être naturalisé: 1* S’il n’est reconnu être saint d’esprit. 2* S’il n’est reconnu, d’après son état de santé physique, ne devoir être ni une charge ni un danger pour la collectivité». Article 33: «Les conditions dans lesquelles s’effectuera le contrôle de l’état de santé de l’étranger en instance de naturalisation seront fixées par Décret. Il sera perçu au profit du Trésor, à l’occasion de chaque naturalisation un droit de chancellerie dont les conditions de paiement et le taux seront fixés par Décret».

Dans le Code de la Nationalité de 1961 il ne se trouve aucun mot sur le vocable «droit du sol». La notion de «droit du sol» est distillée par les rumeurs propagées par ceux qui veulent avoir droit par arrangement, par la triche en foulant au pied la légalité. Si nous enlevons la préposition «SAUF» de l’article 6 du Code de la Nationalité de 1961, son intitulé devient: «L’individu né en Côte d’Ivoire est étranger si ses deux parents sont étrangers». Comme nous le voyons, il ne suffisait pas d’être né en Côte d’Ivoire pour être Ivoirien.

Voyant que cette notion de «droit du sol» prenait le dessus sur l’esprit et l’énoncé mêmes de l’Article 6 de la Loi de 1961, le Législateur a jugé bon de reformuler l’Article 6 en modifiant la Loi. Nous arrivons ainsi à la Loi n° 72-852 du 21 décembre 1972, portant Code de la Nationalité ivoirienne, modifiant celle de 1961. L’Article 7 de la Loi de 1972 stipule: «Est Ivoirien, l’enfant né en Côte d’Ivoire ou à l’étranger dont la filiation est légalement établie à l’égard d’un parent Ivoirien». Avant 1972, si vous êtes né en Côte d’Ivoire et que vos deux (2) parents sont étrangers, vous êtes étranger. Il fallait que vos deux (2) parents soient Ivoiriens pour être Ivoirien. Après 1972, pour être Ivoirien, il suffit qu’un de vos deux (2) parents soit Ivoirien.

Ainsi, sur le principe même «du monstre» (à deux têtes) de la Nationalité ivoirienne, les Ivoiriens ne parlent pas le même langage parce qu’ils ne savent pas comment fonctionne ce «monstre». Il y a la Nationalité «juridique», ou vraie Nationalité (première tête du «monstre», appartenance d’une personne à une Nation par les liens du droit) et la Nationalité «sociologique», ou fausse Nationalité (seconde tête du «monstre», pour avoir passé plusieurs années dans un pays). C’est le cas d’une personne qui a le sentiment d’appartenir à une Nation en raison de sa naissance sur le territoire de cet Etat. C’est le cas d’une personne qui conserve sa Nationalité après avoir quitté son pays d’origine et qui s’intègre à la population d’un autre Etat. C’est aussi le cas d’un étranger qui s’intègre à la population d’un Etat sans obtenir la nationalité de celui-ci et qui juge normal d’obtenir frauduleusement les papiers de la nationalité de cet Etat (C.n.i., certificat de nationalité) sans être naturalisé.

Pour illustrer ce dernier cas pour la Côte d’Ivoire, citons trois exemples: M. Sidya Touré, Mme Aminata Traoré et M. Koupaki. Le premier exemple, M. Sidya Touré, originaire de la Guinée Conakry, instruit, cultivé, a vécu en Côte d’Ivoire où il a gravit tous les échelons de l’Administration ivoirienne: Membre du Comité directeur du P.D.C.I.-R.D.A., Administrateur des Services financiers à la Direction générale de la Comptabilité publique et du Trésor, Sous-directeur des Finances extérieures et du Crédit, Directeur de l’Administration générale et du Personnel du ministère du commerce, Directeur de la Caisse générale de Péréquation, Directeur du Cabinet du Ministre du Plan et de l’Industrie, Directeur du Cabinet du Ministre d’Etat IV, sans être naturalisé, mais avec les faux papiers de la Nationalité ivoirienne.

En 1990, la Guinée Conakry légalise le Multipartisme. M. Sidya Touré jette dans la Lagune Ebrié, au pied du pont Houphouët-Boigny, les faux papiers de sa fausse Nationalité ivoirienne. Il se rend en Guinée Conakry, son pays d’origine. Là-bas, il créé un Parti politique et réussit à se faire nommer Premier ministre. Il vit aujourd’hui en Guinée.

Madame Aminata Traoré, deuxième exemple, Malienne d’origine, était Professeur à l’Université d’Abidjan. Utilisant les faux papiers de la Nationalité ivoirienne sans être naturalisée, elle est nommée Ministre de la Culture de son pays d’origine, le Mali. Informée de sa nomination, elle jette, comme M. Sidya Touré, ses faux papiers dans la Bia (Aboisso) et se rend au Mali où elle vit aujourd’hui. M. Koupaki, troisième exemple, a été Conseiller spécial du Premier ministre Alassane Ouattara, avec, en sa possession les faux papiers de la Nationalité ivoirienne. M. Koupaki est aujourd’hui Ministre de l’Economie et des Finances de son pays d’origine, le Bénin.

A partir de ces trois exemples, les Ivoiriens sont divisés sur la Nationalité en deux camps: Ceux qui souhaitent ou qui veulent que les Etrangers se naturalisent devant nos Lois pour prouver leur sincérité dans leur attachement définitif à la Côte d’Ivoire, et l’autre camp, le R.D.R., qui lutte pour que la Côte d’Ivoire soit un Etat sans principe de Nationalité, où un étranger arrive à midi et devient citoyen Ivoirien à midi 15 ; où un étranger arrive à midi et devient propriétaire terrien à midi 15 ; où un étranger arrive à midi et devient Président de la République de Côte d’Ivoire à midi 15.

Voilà l’origine de l’incompréhension entre les deux camps sur le principe de la Nationalité ivoirienne, incompréhension et malentendu qui ont produit «septembre 2002». Pouvons-nous continuer le débat sans dire un mot sur «la Charte du Nord» (que le Ministre Bacongo a évité) lorsqu’ils ont pris la «nationalité» et «l’ivoirité» comme prétextes pour produire le «tragique septembre 2002»? C’est en 1987, du vivant d’Houphouët, que M. Koné Séidou (Alpha Blondy) a parlé pour la première fois de «la Charte du Nord».
En 1991, beaucoup de témoins ont vu M. Alpha Blondy distribuer des exemplaires de «la Charte du Nord» à la gare routière de Grand-Bassam d’Abidjan Treichville.

Dans le cadre du Cinquantenaire de l’Indépendance de la Côte d’Ivoire, le Journaliste Maurice Ferro Bally du Journal Fraternité matin a produit un papier sur «la Charte du Nord». Lisons: «Quand, en octobre 1999, Alassane Ouattara déclarait tranquillement, à Paris: «On m’empêche d’être candidat à la présidentielle parce que je suis du Nord et musulman», sa sortie n’était pas innocente. Dans un contexte politique délétère, elle était destinée à attiser les tensions ethno-régionales, exacerber les passions religieuses et diaboliser les «ivoiritaires» autorités ivoiriennes. Au grand dam du Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, Emile Constant-Bombet, qui s’était élevé contre cette campagne qui tirait sur la fibre ethnique, religieuse et régionale.

Mais, cette levée de boucliers arrive trop tard. Le «mal» est déjà fait. Passant l’éponge sur les bourdes du Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny qui a notamment fait violer des mosquées à Abobo par des policiers, instauré la carte de séjour, dispersé, à coups de gaz lacrymogènes et de matraques, le congrès constitutif du Conseil national islamique (C.n.i.) à Adjamé, les ressortissants du Nord se sont mis en ordre de bataille derrière leur symbole et leur messie: Alassane Ouattara, «l’Ivoirien du Nord», comme il s’est présenté à l’émission télévisée «Questions au Premier ministre» du 1er octobre 1992.

Houphouët-Boigny entre dans une colère noire. Ainsi, naît en 1991 la première «Charte du Nord» anonyme, intitulée «le grand Nord en marche». Qui aura un clone en 2002. Elle tire arguments d’abord, du sous-développement du Nord de la Côte d’Ivoire alors que, selon le document, ce sont les populations du Nord et leur leader, Péléforo Gon Coulibaly qui, aujourd’hui payés en monnaie de singe, ont été jadis à la pointe du combat anticolonial auprès de Félix Houphouët-Boigny. Ensuite, de la disparition de la chefferie traditionnelle et enfin, des frustrations des populations avec le charnier de Yopougon, les contrôles intempestifs et souvent humiliants des pièces d’identité. «Mes compatriotes du Nord pensent que certains Ivoiriens les considèrent comme des personnes n’ayant pas les mêmes droits. Une sorte de délit de patronyme», analyse Alassane Ouattara (cf. Jeune Afrique n° 2062 du 18 au 24 juillet 2000).

Après avoir pris connaissance de ce texte largement diffusé sous forme de tracts, Houphouët-Boigny, bien qu’affaibli par la maladie qui a fini par l’emporter, entre dans une colère noire. Il flaire, au soir de sa vie, le danger de «la poudrière identitaire meurtrière» et des conflits d’intérêt qui minent aujourd’hui les bases de la Nation ivoirienne. Car au-delà de l’affirmation d’une sorte de particularisme, le texte milite pour l’émancipation du Nord des autres régions du pays et sa réhabilitation.

«Jouer éternellement les seconds rôles n’a absolument rien d’honorable pour ses fils. Se prêter à servir toujours de supports aux autres pour la réalisation de leurs desseins ne peut que déranger l’amour-propre et la conscience des uns et des autres, avec le sentiment coupable de notre inaptitude à pouvoir s’entendre, à faire l’union et l’unanimité autour d’un des nôtres: Alassane Ouattara», selon le slogan: «Un pour tous, tous pour un».

La notion de dauphin est désormais caduque. «Faire bloc autour d’Alassane Ouattara avait été notre intention première. Celle-ci date de 1990 alors qu’Alassane n’était encore que le Président du Comité interministériel. Lui prêter main-forte dans les bras de fer qui l’opposent à la gauche devient une nécessité absolue que nous envisageons de prendre à notre compte le moment venu», proclame la «Charte du Nord», qui se prononce pour «un grand Nord uni, fort et crédible». En affichant ainsi une volonté de pouvoir absolu et en revendiquant le pouvoir pour l’un des siens, la «Charte» entretient l’irrédentisme nordique et devient, selon les mots du chercheur Paul N’Da, «comme l’expression d’un besoin de pouvoir, d’un désir d’hégémonie politique». La «Charte» constitue ainsi le levain d’une mobilisation politique sur des bases essentiellement religieuses, régionalistes et ethniques, en violation de toutes les dispositions existantes. «Elle produit et renforce le ressentiment des nordistes envers le pouvoir, de façon à mobiliser ceux-ci comme une masse de manœuvre homogène», selon les explications de Christophe Sandlar, doctorant, Paris-Sorbonne, Paris IV.

En ordre de bataille et unis comme un seul homme derrière son leader, le Nord veut frayer le chemin du pouvoir à son porte-étendard. De ce fait, le dauphin constitutionnel a vécu aux yeux des auteurs de la «Charte». «A égale chance, tous les Ivoiriens doivent et peuvent briguer (la) succession (d’Houphouët-Boigny). La notion de successeur désigné, de dauphin, est désormais caduque depuis l’avènement du multipartisme. Que Alassane réussisse sa mission et sorte la Côte d’Ivoire du marasme économique que connaît notre pays, il doit être tout indiqué comme celui devant assurer la succession et prendre le relais. Car il serait inadmissible qu’Alassane tire les marrons du feu et qu’un autre s’en régale». Et vlan pour contester l’article 11 de la Constitution et faire mentir Houphouët-Boigny qui soutenait qu’un «chef baoulé ne révèle jamais le nom de son successeur. Il reste au pouvoir jusqu’à sa mort».
En phase avec ses revendications, Alassane Ouattara, soutenu par Philippe Grégoire Yacé, va tenter un passage en force au décès de Félix Houphouët-Boigny, le 7 décembre 1993, pour couper l’herbe sous les pieds d’Aimé Henri Konan Bédié, dauphin constitutionnel. Celui-ci, dans son ouvrage autobiographique, «les chemins de ma vie» paru en mai 1999 aux éditions Plon, s’est prononcé sur cette affaire en dénonçant les «intrigues».

Ce dénouement n’ouvrait que le front de la lutte, qui va s’accélérer, surtout qu’au plus fort de la guerre de succession, le Premier ministre effectue, en 1992, une tournée au Nord, courtisan l’électorat nordiste musulman. S’il n’a pas été associé, Alassane Ouattara partageait au moins l’esprit de «la Charte du Nord». «On me dit maintenant parce que les gens du Nord vous soutiennent, est-ce que ça pose problème. Pourquoi voulez-vous que ça pose problème?», s’étonnait-il à l’émission télévisée «Questions au Premier ministre» du 1er octobre 1992.

Alassane Ouattara va être emporté par la tourmente. Cette tournée politique marque donc le départ de la stratégie national-régionaliste d’Alassane Ouattara, pour une alternance politique à caractère ethnico-religieux, préconisée par «la Charte du Nord». Une grande partie des chefs du Nord, poussés en cela par des Imams de la mouvance Ouattara font du Premier ministre d’Houphouët-Boigny leur leader incontesté. Alors, Alassane Ouattara va faire volte-face et se rebeller contre la loi. Si, en 1995 et se disant «attaché à la légalité» dans les colonnes de Jeune Afrique (n° 1812 du 28 septembre au 4 octobre 1995), il renonçait à faire acte de candidature à la présidentielle pour deux raisons de grande lucidité politique et républicaine: «Le nouveau Code électoral ne me permet pas d’être candidat», «je ne veux pas violer la loi» car «pour quelqu’un qui a assuré l’intérim du chef de l’Etat, pour quelqu’un qui a fait voter des lois par ce même Parlement, cela ne serait pas décent». Alassane Ouattara va être emporté par la tourmente de la «Charte», suivant ses troupes au lieu de les précéder, malgré des dispositions plus corsées concernant les conditions d’éligibilité.

«Dans les faits comme dans l’imagination, nordistes et musulmans, musulmans et nordistes tendent à se confondre, la mobilisation de la majorité des Ivoiriens du Nord et de la quasi-totalité des musulmans pour la cause d’Alassane Ouattara le dote d’un instrument politique puissant et redoutable», écrit, dans son ouvrage «Le destin d’Alassane Dramane Ouattara», Professeur Yacouba Konaté, qui avait été soupçonné d’être l’idéologue de la «Charte du Nord». Aussi, le «brave-tchê» inspire-t-il la création, par Djény Kobina Kouamé, son bras séculier, du Rassemblement des républicains (R.d.r.). D’abord courant Rénovateur du P.d.c.i.-R.d.a., ce Rassemblement devient parti politique après l’échec du «coup d’Etat» au Congrès extraordinaire du P.d.c.i. d’avril 1994. Et cela, conformément aux recommandations de la «Charte du Nord»: «Battre le rappel de tout le grand Nord en vue d’une action concertée résolument tournée vers une option dont le principe directeur sera: Ni à droite, ni à gauche, mais au milieu. Ce milieu représentera la force vive qui ne manquera pas d’incarner l’avènement du renouveau nordique, de donner naissance à une troisième force à mi-chemin entre le P.d.c.i-R.d.a. et le F.p.i. à même de s’imposer comme l’arbitre des prochaines consultations électorales (…). Sans renier notre passé de la période des luttes pathétiques et héroïques du R.d.a., sans remettre en cause notre attachement aux idéaux du grand parti le R.d.a., il importe désormais de situer le grand Nord à l’écart du P.d.c.i., très loin du F.p.i. et de l’opposition parce que cette région doit emprunter sa propre voie».

Le Président du R.d.r. a réussi à fédérer tout le Grand Nord. Dès sa naissance, le R.d.r. fait donc du Nord de la Côte d’Ivoire sa chasse gardée. Le P.d.c.i., qui y était en territoire conquis, est réduit, selon les mots du secrétaire général du parti, Djény, «à l’état de vestiges» et le F.p.i., qui y avait conquis une certaine influence au début de la réinstauration du multipartisme, est rapidement évincé de cette partie de la Côte d’Ivoire. Aux élections municipales et régionales de 2001 et 2002, certains ont même supposé une politique d’exclusion des non-Nordistes. «A ce jeu, le Nord se présente aujourd’hui comme une zone d’exclusion politique ou Zep. Non seulement les Ivoiriens originaires d’autres régions du pays ont été déclarés personae non gratae au lendemain de l’invalidation de la candidature d’Alassane Ouattara, mais les listes en compétition ne comportent que des noms à consonance nordique», constate «Soir info» dans son édition du 19 mars 2001.

Ouattara, qui répète à l’envie son ascendance avec le roi de Kong, Sékou Ouattara, pour bien apparaître comme le leader authentique des populations du Nord, a réussi à créer une adhésion collective à sa personnalité et à fédérer tout le Grand Nord. De sorte que ses démêlés avec la justice et ses problèmes de nationalité sont ressentis par tous les ressortissants ou presque du Nord de la Côte d’Ivoire comme les leurs. «Refuser la nationalité ivoirienne à Alassane Ouattara, c’est la refuser à tous les ressortissants du Nord», défendait Amadou Soumahoro, Maire de Séguéla et baron du R.d.r. Conséquence de ce qui précède, le R.d.r., pour bien montrer qu’il se résume à son président, a boycotté les Législatives de décembre 2000 pour protester contre l’invalidation de sa candidature (comme celle de 31 autres personnes), alors qu’il présentait 214 candidats dont 94 étaient issus du Nordn.
Demain la suite

Gbaï Tagro Robert Président du Parti républicain de Côte d’Ivoire. gbataro@yahoo.fr

DISCOURS DIVISEUR: OUATTARA MET A MAL L'UNITE NATIONALE

L’article 34 de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire dispose que «le président de la République est le chef de l'État. Il incarne l'unité nationale. Il veille au respect de la Constitution. Il assure la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire, du respect des engagements internationaux».
De ce qui précède, les propos tenus par Alassane Ouattara récemment à Korhogo, indiquant que c’est la première fois qu’un musulman arrive à la tête de l’Etat de Côte d’Ivoire, jurent avec l’esprit et la lettre de cet article de la loi fondamentale ivoirienne pour une double raison.
La première raison, c’est que la Côte d’Ivoire est une et indivisible. Sa population est constituée d’une mosaïque d’individus issus aussi bien de diverses ethnies que de diverses religions. Et celui qui aspire à diriger les Ivoiriens se présente en tant qu’Ivoirien, non en tant qu’appartenant à telle ou telle aire sociologique ou religieuse. Peu importe qu’il soit Baoulé, Yacouba, Bété ou Malinké. Ce n’est pas ce qui importe. Peu importe qu’il soit chrétien, musulman ou animiste. Ce n’est pas ce qui importe. Ce qui importe, c’est qu’il soit Ivoirien.
La deuxième raison, c’est que la Côte d’Ivoire est une République laïque et non un Etat théocratique. Peu importe, la religion de celui qui est à sa tête. Parce que le fondement de l’Etat ivoirien, ce n’est pas Dieu. Même si, pour les croyants, il est préférable d’avoir pour dirigeant un individu qui est croyant, qui a la crainte de Dieu. Or, la Côte d’Ivoire n’est pas constituée que de croyants. Il faut tenir compte de toutes les sensibilités qui composent ce pays. Surtout pour ceux qui le gouvernent ou aspirent à le gouverner.
En somme, quand on est chef d’Etat, on ne l’est pas pour un clan, une tribu, une ethnie, une région ou une religion. On est chef d’Etat pour toute la communauté nationale, sans tenir compte de toutes ces distinctions. C’est donc une faute politique grave que commet Alassane Ouattara, quand il dit que c’est la première fois qu’un musulman devient président en Côte d’Ivoire.
Ce que les Ivoiriens lui demandent, ce n’est pas sa chapelle religieuse, c’est de travailler pour résoudre les nombreux problèmes qu’ils rencontrent quotidiennement. Et ces problèmes sont de plusieurs ordres. Ils sont économiques, sociaux et politiques. Ce n’est un secret pour personne que la vie coûte de plus en plus cher. Les prix sur les marchés grimpent chaque jour. Ce qui rend la vie infernale, surtout pour les familles nombreuses.
Aujourd’hui, en dépit du discours officiel, la méfiance subsiste toujours entre les populations. Les Ivoiriens continuent de se regarder en chiens de faïence. La réconciliation tant attendue ne vient pas. Pis, le pouvoir ne fait rien pour que les choses changent positivement. Il est plutôt lancé dans une sainte chasse à courre aux pro-Gbagbo. Malgré ce triste tableau, il met à mal l’unité nationale.

Jean Josselin