Débat houleux sur la nationalité ivoirienne: Un juriste déshabille Cissé Bacongo (2e partie)

Par Correspondance particuière - Faux débat et opération de politique politicienne (2ème partie)

Le débat sur la nationalité ivoirienne ouverte par le ministre RDR, Cissé Bacongo, suit son cours. Nous vous proposons la deuxième et dernière partie de la la réaction du juriste Assafoua aux propos de Cissé Bacongo.
En réalité, Bacongo et le régime Ouattara veulent créer eux-mêmes des troubles avec ce sujet pour ensuite les exploiter politiquement : « mettre en cage » encore plus de dirigeants de l’opposition, remobiliser ses propres troupes, se repositionner sur la scène internationale, etc.

Persistance voire aggravation des tensions entre les populations : Malheureusement pour ne citer que le cas de l’ouest, les tensions entre populations se sont particulièrement aggravées sans que le Gouvernement n’ait pris des actions à la hauteur de la gravité de la situation. Aujourd’hui on note ni plus ni moins que la colonisation de vastes espaces par des populations venues du Burkina Faso lourdement armées qui attaquent les autochtones ivoiriens pour les déposséder de leurs terres. Tous les prétextes les plus farfelus sont avancés pour justifier ces crimes : « ils sont paresseux, ils ne vont pas au champ », etc. Doit-on aussi recenser et massacrer tous les enfants dont les parents ont du mal à s’occuper pour désengorger les quartiers précaires ? Doit-on interdire la scène internationale à tous les présidents qui n’ont pas ou qui n’arrivent pas à faire la paix chez eux ? Doit-on faire disparaître toute l’Afrique ou tous les hommes noirs parce qu’ils « ne sont pas rentrés dans l’histoire » ? De ce point de vue, il apparaît totalement irresponsable de la part du Gouvernement d’ouvrir le débat sur la nationalité alors même que les Ivoiriens qui sont censés intégrer les non Ivoiriens dans la maison commune sont agressés et oppressés par ces derniers. Et ce d’autant plus qu’après l’ouest krou, les tensions se propagent toujours à l’ouest malinké. Demain, quelle région sera touchée ?

L’adoption récente d’un décret qui prolonge la fenêtre ouverte de 1961 à 1972 au profit des populations non ivoiriennes installées en Côte d’Ivoire avant l’accession en 1960 à l’indépendance : En se fondant sur les Accords de Linas-Marcoussis (au demeurant aujourd’hui largement caduques) le chef de l’Etat vient de prendre un décret pour régler la question de l’héritage colonial en matière de nationalité. A-t-on fait le point de la mise en œuvre de ce décret ? Quels problèmes ce décret ne règle-t-il pas ? Etc.
D’ailleurs, relativement à ce décret, on peut s’inquiéter du fait qu’il introduise le principe de la nationalité par déclaration. En effet, grâce à ce principe, les impétrants semblent ainsi être dédouanés d’une enquête administrative et policière. On peut se demander à ce stade pourquoi un tel allègement alors même que l’enquête administrative et policière permet de s’assurer du vécu commun, de la qualité de ce vécu commun avec les populations d’accueil et des qualités morales des demandeurs. Ainsi si un étranger s’est comporté d’une manière qui ne favorise pas sa propre intégration, ou pire, s’il a participé à des massacres d’Ivoiriens, il peut ainsi aisément éviter que les témoignages de ces derniers ne ruinent son dessein. Ce principe va créer un formidable effet d’aubaine et contribuer à terme de diluer et dévaloriser la nationalité ivoirienne. Comme le précise Cissé Bacongo, il ne sera désormais plus possible à l’Etat ivoirien de « différencier ses citoyens » de ceux des autres Etats. Si l’on admet que nationalité et (Etat/) nation sont consubstantielles l’une de l’autre, la dilution de la nationalité pose automatiquement la question de l’existence de la Côte d’Ivoire elle-même. C’est la rareté qui donne du prix à la nationalité ivoirienne. Sa banalisation banalisera l’Etat lui-même.

La superposition de deux problèmes (foncier rural et nationalité) chacun suffisamment explosif en lui-même : La question foncière met en exergue des conflits multiformes entre les populations et à l’intérieur des populations d’origine, les autochtones, les allochtones et les populations non ivoiriennes. En prolongeant de dix (10) ans le délai donné aux populations d’enregistrer leurs terres, le Gouvernement admet lui-même que des problèmes persistent en la matière. Or le droit de propriété en matière de foncier rural est un privilège réservé aux seuls Ivoiriens. De ce fait, mal traiter la question de la nationalité, c’est-à-dire la traiter isolément de la question du foncier rural ne paraît pas être une démarche réaliste et responsable.

De la volonté réelle des non Ivoiriens à « faire allégeance à l’Etat de Côte d’Ivoire » : C’est une question tellement fondamentale que le Gouvernement devrait conduire une étude, voire une consultation nationale sur le sujet. Très clairement, on observe que les populations ivoiriennes et non ivoiriennes qui se déplacent vers d’autres régions, ne s’intègrent pas vraiment. Elles vivent de façon grégaire et tendent systématiquement à se soustraire de l’autorité des autorités coutumières qu’elles trouvent en place. S’agissant de la nationalité, c’est très exactement le même comportement qu’on observe. « Nul n’est censé ignorer la loi ». Mais combien de personnes ont fait l’effort de savoir ce que la loi ivoirienne leur offre comme droits en matière d’accès à la nationalité pour s’y conformer ? Quelle est la proportion de non ivoiriens qui sont intégrés culturellement ? Sont-ils vraiment attachés à la Côte d’Ivoire quand on voit que beaucoup qui ont acquis la nationalité n’hésitent pas à retourner dans/vers leur pays d’origine pour bénéficier de certaines opportunités ? Les massacres des autochtones ne sont-ils pas la marque de leur volonté de conquête de l’espace ivoirien ? Et pourtant en Côte d’Ivoire, il ne leur est pas fait de difficultés particulières pour se marier à des ivoiriennes. Ils sont même très bien intégrés économiquement. Pourquoi ne font-ils pas l’effort d’être intégrés formellement ? N’est-ce pas là l’expression la plus manifeste de leur refus de « faire allégeance à l’Etat de Côte d’Ivoire » ? Charles Pasqua disait en substance à ce sujet dans les années 1993, pour justifier la suppression des dispositions qui octroyaient automatiquement la nationalité française à tout enfant né sur le sol français, qu’on « ne peut pas devenir français ni par accident ni par hasard ».
Dans ce débat lancé par Cissé Bacongo, tout se passe comme si dans une famille, le pater familias et tous les autres membres qui font tout pour mettre à l’aise le petit ami d’une des filles, se précipite pour organiser le mariage alors même qu’il ne s’est pas assuré auparavant de la volonté de ce dernier d’épouser effectivement la fille concernée, et même pire, sans attendre que le « fiancé » lui fasse au moins l’honneur de demander solennellement et dans les règles de l’art la main de la fille.

Proximité des élections 2015 : Toute la classe politique est déjà tournée vers les échéances 2015, à commencer par Alassane Dramane Ouattara. Or les personnes naturalisées peuvent influencer le résultat du vote. Comment ne pas penser à des arrière-pensées électoralistes ? Et ce d’autant plus que lors des élections 2010, des témoignages concordants ont fait état de hordes de personnes débarquées du Mali et du Burkina Faso voisins pour prendre part au vote. Les dernières consultations ont mis en lumière des cas de fraude, d’exactions et de violences in-et-postélectorales impliquant des officiels de la CEI tous également membres influents du Rdr. Dans un contexte où le FPI confirme sa participation, où la solidité et la solidarité au sein du Rhdp sont mises à mal et où l’unité du Rdr doit être démontrée à nouveau, comment Alassane Dramane Ouattara peut-il échapper au soupçon de vouloir se ménager une réserve électorale ?
Le moment choisi par le Gouvernement pour relancer un tel débat est de ce point de vue très suspect et ne favorise pas la sérénité souhaitée par Cissé Bacongo.
Au total, ce débat arrive dans un contexte sociopolitique vicié qui ne favorise l’acceptation aisée et sincère par les populations d’une telle évolution. L’échec orchestré et consacré du processus de réconciliation, la proximité de l’échéance 2015 et la superposition de cette question sur celle du foncier rural font de la nationalité un sujet explosif. Il est suicidaire et irresponsable pour le Gouvernement de l’aborder dans un tel environnement sociopolitique. On a l’impression que le Gouvernement veut à tout prix s’offrir un clash comparable à celui du 19 septembre 2002 : il adopte sous le couvert de la fameuse loi d’habilitation, et donc en catimini le décret « Marcoussis » sur la nationalité visé plus haut, retouche la loi sur le foncier rural. Ayant créé un climat de terreur et de négation des droits des partis politiques d’opérer librement, il interprète à tort le sang froid affiché par les Ivoiriens sur ces deux questions comme un accord tacite, voire comme un manque de volonté politique de s’affirmer. Le pas supplémentaire qu’il veut franchir peut être perçu comme de trop.

La pertinence et la
portée de la proposition

Plusieurs arguments peuvent être avancés qui font douter de la capacité d’une telle proposition à régler la question identitaire en Côte d’Ivoire.

Le droit du sang n’est pas exclusif du droit du sol : Le docteur en droit Cissé Bacongo sait très bien que dans sa matière, on pose un principe et on accepte des exceptions à ce principe dans toute la mesure où ces exceptions ne vident pas le principe de son contenu. Ainsi, dans les codes de nationalité de la plupart des Etats, le jus sanguinis coexiste avec le jus soli. En Côte d’Ivoire, et Cissé Bacongo le rappelle, si le principe demeure d’avoir au moins un parent ivoirien pour être ivoirien, la nationalité peut être acquise par plusieurs moyens. Les conditions de stage exigent dans la plupart des cas la présence effective sur le territoire pendant une certaine durée. En conséquent, le jus soli est aussi une modalité consacrée d’acquisition de la nationalité. Il n’y a donc pas matière à les opposer.
La nationalité qu’elle soit d’origine ou acquise, impose aux citoyens la même allégeance à l’Etat de Côte d’Ivoire et traduit une identité partagée. C’est même en principe un engagement très fort de la part de ceux qui renoncent à leur pays d’origine en optant pour la nationalité ivoirienne. C’est pourquoi, il faut s’assurer qu’il s’agit d’un engagement sincère.

Le jus sanguinis est le plus répandu à travers le monde : Comme le montre cette carte du monde (en illustration du texte) le jus sanguinis (zones plus claires) est plus répandu que le jus soli (zones plus sombres). Selon, une étude menée par l’Office des Migrations International, sur 194 pays, seuls 30 (15,5%) peuvent être considérés comme ayant des dispositions juridiques favorables au jus soli. Et encore, ces textes ne sont effectivement appliqués que dans 19 pays (9,8%).
Toujours selon la carte, le jus soli semble plus en vigueur dans les pays considérés comme terre d’émigration/immigration. Il semble qu’en dehors du continent américain et du sous continent australien cette définition qui est en elle-même problématique (puisque ces terres étaient habitées au même titre que les autres) ne s’applique à aucun pays ailleurs dans le monde, et encore moins à la Côte d’Ivoire.
Par ailleurs, le jus soli recule partout, notamment en Australie (considérée pourtant comme une terre d’émigration) où il a été remis en cause. En France au terme de débats houleux, il a été décidé en 1993 de limiter fortement le bénéfice du jus soli au motif, entre autres, « que la France ne saurait accueillir toute la misère du monde ». Cet argument justifie également toutes les entraves placées pour limiter, voire pour éradiquer l’immigration dans tous les grands pays. La montée du terrorisme constitue une raison supplémentaire pour corser les conditions d’obtention de visas dans tous les pays.
Dans la mesure où le jus soli n’est pas la tendance dominante, qui imprime la marche en matière d’acquisition de la nationalité, quelle urgence y a-t-il à changer de législation en Côte d’Ivoire ? Quel est le bénéfice social, diplomatique qu’on en retirera ? Pourquoi, ouvrir autant la Côte d’Ivoire dans un contexte où tout le monde se barricade ? Ne risque-t-on pas de servir de d’exutoire aux autres ? De ce point de vue, il faut rappeler même si comparaison n’est pas raison qu’il est démontré en économie que quand la plupart des pays mènent des politiques macroéconomiques restrictives, ceux qui mènent des politiques expansives aident les premiers à régler leurs problèmes en s’enfonçant dans des déficits. En effet, la combinaison du jus soli avec le fameux principe de simple déclaration se traduira par une naturalisation automatique, massive et sans contrôle de tous ceux qui le voudront. En quoi cela contribuera-t-il à renforcer l’harmonie et la cohésion sociale ? Quel en sera le coût économique et sociologique ? L’attitude de la France à cet égard est édifiante : le PIB de la France (qui avoisine les 3 000 milliards $US) est de plus de 100 fois supérieur à celui de la Côte d’Ivoire (environ 25 milliards de $US). Si elle ne peut pas accueillir tout le monde et qu’elle se barricade, comment la Côte d’Ivoire saurait-elle le faire ?

Linas-Marcoussis et exemple sénégalais : Contre et demi vérités historiques et juridiques : Dans son exposé Cissé Bacongo dit qu’au fond les problèmes qui minent actuellement la nation ivoirienne au sujet de la nationalité et de l’identité ivoiriennes sont dus à une mauvaise gestion de l’héritage coloniale. Dans ses développements et en dénonçant ce qu’il considère être un amalgame entre ethnie et nationalité, il semble dire aux Ivoiriens « cette nationalité qui vous rend si hystériques, si ce n’était pas les Blancs, est-ce que vous l’auriez eue ? » Donc, si la nation nous est venue de l’extérieur, comment pouvons-nous avoir une approche aussi « restrictive ou réductrice » de la nationalité ?
Plusieurs éléments de réponses peuvent être avancés à cette argumentation:
Le territoire actuel de la Côte d’Ivoire a toujours été habité depuis l’époque préhistorique selon les historiens. La présence des peuples connus tels qu’ils existent actuellement sur ce territoire remonte au moins pour les plus anciennement implantés vers l’an 1000. Par ailleurs, ces peuples qui sont arrivés de manière successive se connaissaient, échangeaient, tissaient déjà des relations et concluaient des alliances avant l’arrivée des Européens. Ces peuples avaient tous une organisation qui subsiste encore jusqu’à maintenant, occupaient des territoires connus et reconnus des voisins, avaient une identité culturelle, une organisation politique, des croyances, etc. Bref ils fonctionnaient donc déjà comme des nations, voire comme des Etats au sens moderne du terme. Le découpage colonial a créé des espaces plus grands, mais différenciés selon la volonté du colon. Les colonies ainsi créées ont commencé à fonctionner comme des nations, puis plus tard avec l’introduction des conseils territoriaux comme des Etats au sein de la communauté française. Les bourses étaient ainsi attribuées par colonies, de même que certains postes. C’est ainsi qu’un poste à l’ambassade de France à Washington qui devait revenir à la colonie de Côte d’Ivoire, a échu au jeune sous-directeur de la Cnps, Henri Konan Bédié qui s’y est retrouvé en 1959. Etant déjà en poste là-bas, Houphouët, dès l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance, l’y a conservé et consacré comme ambassadeur de la Côte d’Ivoire aux Etats-Unis. De ces faits, il ressort que l’argumentation de Bacongo repose sur deux demi-vérités :
Les Etats/nations existaient déjà avant l’arrivée des européens ;
Il est vrai que la forme actuelle de nos Etats est un fait colonial dont le mérite a été de nous propulser sur la scène internationale. Mais nous en avons chèrement payé le prix : colonisation avec comme conséquences asservissement, exploitation des richesses et des hommes ainsi que sang versé (participation aux deux guerres mondiales, aux guerres d’Indochine et d’Algérie, etc.), etc.
Les colonies ont commencé à fonctionner comme des Etats et donc à se forger une identité. Cela a été une réussite plus parfaite pour des pays comme le Sénégal où cohabitent moins de 10 ethnies, où une langue (le wolof) est parlée par tous et où l’islam est la religion prédominante.
L’incidence des accords de Linas- Marcoussis a été néfaste au règlement des tensions en Côte d’Ivoire. Ces accords qui ont fait la part belle aux rebelles ont justifié la rébellion armée comme moyen de résolution des conflits alors même qu’elle crée en elle-même, en sus de ceux existant, des problèmes dont la résolution peut prendre des décennies. Sur un corpus social non pacifié et non réconcilié, Linas-Marcoussis a posé de la plus mauvaise manière des problèmes et donc n’y a apporté que des réponses inadaptées. Pour preuves, les aménagements apportés au code de la nationalité ne semblent plus suffisants, le nouveau décret Marcoussis-Ouattara ne paraît toujours pas être suffisant, la réconciliation n’est pas acquise, l’unité et la cohésion nationales restent à reconstruire, la « mise en cage de toutes les bêtes » censées en être les causes, ne suffit pas à dissiper les maux de la Côte d’Ivoire, etc. etc. les élections découlant du processus de Linas-Marcoussis n’ont rien réglé bien au contraire. Marcoussis a utilisé la force brutale et la puissance diplomatique de la France pour imposer des solutions iniques, en décalage avec la réalité et qui s’avèrent totalement inopérantes. Marcoussis se proposait de ramener la paix, au final la guerre a explosé. En conséquence, s’en inspirer pour imposer un nouveau code de la nationalité en faisant le calcul que le corpus social est trop faible pour résister et qu’il faut donc profiter de l’aubaine pour faire passer ce qui serait inacceptable en temps normal est très tentant mais extrêmement dangereux.
L’exemple sénégalais ne semble pas comme le croit Cissé Bacongo plaider exclusivement en sa faveur. En effet le contexte de 1961 n’est plus le même, ni au Sénégal, ni en Côte d’Ivoire. Le contexte même des deux pays en 1961 présentait déjà des différences et ces pays n’ont pas évolué de la même façon. Par conséquent si les corpus sociaux, culturels, historiques et politiques sont différents et si les repères historiques sont dépassés, il est dangereux de faire croire que les remèdes appliqués à l’un seront les bons pour l’autre. S’agissant justement du remède sénégalais, il a consisté à décider que pouvait acquérir la nationalité sénégalaise, tout individu « (…) qui a sa résidence habituelle sur le territoire de la République du Sénégal, qui a eu de tout temps la possession d’état de sénégalais, et que la possession d’Etat consiste dans le fait pour celui qui s’en prévaut :
De s’être continuellement et publiquement comporté comme sénégalais ;
D’avoir été continuellement et publiquement traité comme tel par la population et les autorités sénégalaises. »
Observations :
Que renfermaient en 1961 les expressions « être sénégalais », « populations et autorités sénégalaises », « continuellement et publiquement comporté/traité comme sénégalais » ;
La « possession d’état » évoquée dans le texte sénégalais de 1961 confirme le fait que la notion de nation/état sénégalais et même de nationalité sénégalaises existaient de facto ou de jure avant l’accession à l’indépendance déjà. La nation et la nationalité sénégalaises comme ailleurs dans les autres colonies étaient donc déjà des « possessions d’état » que le colonisateur a consacré par l’octroi de l’indépendance ;
Le texte de 1961 prévoyait des conditions de stage et donc s’écartait du principe de « simple déclaration » ;
Combien d’étrangers en Côte d’Ivoire peuvent remplir ces conditions ?
Au regard des développements précédents :
Le débat lancé par Cissé Bacongo est inopportun au regard du contexte sociopolitique ;
Dans un contexte sociopolitique non apaisé et non réconcilié, ce débat apparaît comme une diversion, voire comme une provocation ;
Le débat est rendu doublement explosif par la superposition des questions de nationalité de droit foncier ;
La proposition de passer de jus sanguinis au jus soli est en décalage avec les tendances observées ailleurs dans le monde, elle crée un conflit fictif entre deux modes d’acquisition de la nationalité qui coexistent dans le droit ivoiriens;
Les références à Linas-Marcoussis et l’exemple sénégalais, sont pour l’un hasardeux et même douteux, et pour l’autre totalement inapproprié au contexte actuel et au contexte ivoirien ;
L’exemple sénégalais ne serait-il pas in fine un plaidoyer pour le seul Alassane Dramane Ouattara dont « la nationalité reste douteuse » au regard du droit positif ivoirien et qui se servirait ainsi des non ivoiriens qui n’ont pas les mêmes problèmes que lui?

CONCLUSION
De notre point de vue, la question de la nationalité est déjà réglée. Pour solder de tout compte, Linas-Marcoussis a recommandé des aménagements aux dispositions existantes mais n’a jamais parlé de passage du jus sanguinis au jus soli. Le dernier décret pris par Alassane Dramane Ouattara parachève la mise en œuvre de ces changements. Les étrangers réellement désireux d’acquérir la nationalité ivoirienne doivent faire allégeance à l’Etat de Côte d’Ivoire en respectant ses textes, ses institutions, ses usages, ses coutumes et en cohabitant paisiblement avec les populations d’accueil. Le problème des non ivoiriens se pose moins en termes de nationalité qu’en termes d’intégration. Le Gouvernement doit travailler dans ce sens, mais le gros de l’effort viendra d’eux. De ce point de vue, ils doivent changer d’attitude car ils sont de plus en plus perçus comme des gens en quête de conquêtes et donc comme des menaces par les populations d’accueil.
Le Gouvernement commet une faute lourde en passant par pertes et profits le processus de réconciliation. Ce faisant il prend le risque de rendre le contexte sociopolitique explosif et donc totalement inadapté pour un traitement dépassionné de la question de la nationalité.
L’aggravation des conflits entre populations non ivoiriennes et les autochtones sur fond de revendications foncières et l’indolence, voire le mépris souverain affiché par les autorités face au drame vécu par les populations massacrées et dépossédés de leurs entretient les fantasmes les plus fous et ne viennent absolument pas contredire les critiques maintes fois ressassées : Alassane Dramane Ouattara travaille pour l’étranger, il veut massacrer la population ivoirienne pour la remplacer par une autre, etc.
La proximité des élections présidentielles de 2015 légitime tous les procès en sorcellerie politique.
Au total, il faut attendre que la réconciliation nationale soit conduite à bon port aboutisse, que les élections 2015 apaisées soient organisées sur la base de cette réconciliation aboutie avant de poser sereinement la question. Dans l’intervalle, le Gouvernement peut envoyer des délégations sur le terrain pour commencer les consultations nationales sur la question.

Une contribution par André Jules Assafoua Juriste et Analyste politique