Crise migratoire : “Cette photo de l'enfant mort a tout pour devenir iconique”

Par France24.com - Crise migratoire. “Cette photo de l'enfant mort a tout pour devenir iconique”.

© STR, Dogan news agency, AFP | Un officier de police turc porte le corps sans vie d’une enfant syrien de trois ans, échoué sur une plage de Bodrum, dans le sud de la Turquie, le 2 septembre 2015.

Texte par Sébastian SEIBT

Isabelle Dumez-Féroc, spécialiste en sémiotique de l’image, explique pour quelle raison la photo d'Aylan Kurdi, dont le corps sans vie a échoué sur une plage turque, a eu un tel impact dans le monde alors que de tels clichés ont déjà circulé.
Elle a fait le tour du monde. La photo de l’enfant syrien mort, face contre terre, gisant sur une plage turque est en train de devenir l’image “choc” de cette crise migratoire. Ce cliché, que France 24 n'a pas diffusé conformément aux consignes du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), a provoqué, jeudi 3 septembre, une avalanche d’appels à réagir face au drame humanitaire qui se joue aux portes de l’Europe et suscité une vague d’indignation dans le monde entier.
Pourtant, ce n’est pas le premier cliché à capturer le calvaire des candidats à l'exil. Ce n’est même pas la première image du corps décédé d’un enfant. Isabelle Dumez-Féroc, maître de conférences en science de l’information et de la communication et spécialiste en sémiotique de l’image à l’université de Poitiers, explique à France 24 ce qui la distingue.
France 24 : Pourquoi cette image précise a-t-elle suscité une émotion plus vive que les autres photos d’enfants morts qui ont circulé ces derniers jours ?
Isabelle Dumez-Féroc : Les autres clichés de cadavres d’enfants sont davantage déconnectés du réel car ils montrent des corps dénudés en gros plan pris de nuit avec des éclairages au flash.
Cela n’a pas la même force que cette image au cadrage plus large qui permet de prendre plus de recul et oblige à un autre regard sur la situation. Elle symbolise très bien l’opposition de deux mondes : le petit enfant à l’horizontal qui a la tête tournée vers l’objectif est à l’image du monde des migrants en position de faiblesse alors que le grand homme débout de dos à droite renvoie aux Européens. Sa posture est d’autant plus marquante qu’il ne fait rien, ce qui peut évoquer l’impuissance qu’on prête aux responsables politiques durant cette crise.
Il y a aussi le fait que l’enfant à la tête à gauche de l’image ce qui, inconsciemment, évoque le passé, quelque chose de fini comme la mort (dans la culture occidentale on écrit de gauche à droite, donc la droite représente le futur).
Les photos sur lesquelles on voit seulement les corps peuvent être choquantes mais seront toujours moins marquantes car il manque le contexte. Ce qui rend ce cliché si fort, c’est cette relation entre l’homme de dos et l’enfant mort et la symbolique qu’il y a derrière.
Pensez-vous que ce cliché peut entrer dans l’histoire de la photographie ?
Cette photo a tout pour devenir iconique. Elle permet une double identification : on voit l’homme à droite, de dos, il peut être n’importe qui et on peut donc facilement s’identifier à cette personne qui semble ne rien faire devant cet enfant mort.
L’enfant, quant à lui, a la peau claire, de type européen, et il est habillé. Il pourrait, en somme, être l’enfant de n’importe qui. C’est d’autant plus frappant que cette image paraît en pleine période de rentrée des classes où on a davantage l’habitude de voir des petits enfants habillés sourire ou rigoler avec leurs camarades.
Surtout, c’est un cliché dont la symbolique est simple à lire. C’est ce qui fait, généralement, qu’une photo forte entre dans l’histoire. Celle de l’homme seul face aux chars sur la place Tienanmen, par exemple, a marqué parce qu’on comprend immédiatement le déséquilibre du rapport de force. Même chose pour “la fille à la fleur” de Marc Riboud qui évoque aussi le déséquilibre. Dans ce nouveau cliché, un autre déséquilibre crève les yeux : celui entre la situation des réfugiés et celle des Européens.

Comment expliquez-vous que certains médias ont préféré publier la photo du sauveteur qui tient le corps de l’enfant plutôt que ce cliché ?
C'est moins dérangeant. C’est le sauveteur qui est au centre de l’image, c’est lui le personnage principal. Son visage est tourné vers l’objectif, on sait donc de qui il s’agit et, de ce fait, on peut plus difficilement s’identifier à lui.
En outre, il porte l’enfant. Il est donc dans l’action, ce qui est très différent de sa posture immobile sur l’autre photo. Même si le fait de tenir cet enfant ne va pas le sauver, cela ne donne pas la même impression d’inaction.

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