CPI: le document amendé de notification des charges (2e partie)

Par ICC/CPI - le document amendé de notification des charges.

DEUXIEME PARTIE

EXPOSÉ DES FAITS EN CAUSE AU REGARD DES ÉLÉMENTS DU
CHAPEAU DE L’ARTICLE 7
1. Attaque contre une population civile
55. Entre le 27 novembre 2010 et le 8 mai 2011, les forces pro-Gbagbo ont dirigé une
attaque contre des civils considérés comme des partisans de OUATTARA. Plus
d’une centaine d’incidents impliquant les FDS ainsi que des jeunes pro-Gbagbo,
des miliciens et mercenaires ont eu lieu au cours de ladite période. Selon une
évaluation à minima, ces incidents ont causé la mort d’au moins 1000 civils, à
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Abidjan et dans certaines localités de l’Ouest du pays. Les forces pro-Gbagbo ont
également arbitrairement arrêté au moins 520 personnes et ont infligé à plus de
140 civils de grandes souffrances et des atteintes graves à l’intégrité physique.
Par ailleurs, pour la seule ville d’Abidjan, au moins 40 femmes et jeunes filles ont
été violées par les forces pro-Gbagbo au cours des violences post-électorales.
56. Pour les fins du présent Document, l’Accusation s’appuie sur 39 incidents, y
compris les quatre incidents pour lesquels la responsabilité pénale de GBAGBO
est engagée. Les actes commis contre des civils lors de ces 39 incidents pris dans
leur ensemble forment « l’attaque », au sens de l’article 7 du Statut. Tous ces
incidents sur lesquels l’Accusation a fait le choix de se focaliser concernent la
ville d’Abidjan. Néanmoins, de nombreuses localités de l’Ouest du pays comme
Gagnoa, Duekoué, Bloléquin, San Pedro ou encore Bédi-Gouzon ont également
été la cible des forces pro-Gbagbo.
57. Au cours de ces incidents, des unités des forces spéciales des FDS, notamment
du Bataillon d’Artillerie Sol-Air (« BASA »), du Bataillon Blindé (« BB »), le
Centre de Commandement des Opérations de Sécurité (« CECOS ») ou encore le
Bataillon des Commandos Parachutistes (« BCP ») étaient déployées en soutien
ou en lieu et place des unités de la Gendarmerie et de la Police, y compris
lorsqu’il s’agissait de simples opérations de maintien de l’ordre destinées à
disperser des manifestants de l’opposition. Souvent, au cours desdites
interventions, ces unités n’ont pas hésité à ouvrir le feu sur des manifestants ou
dans des zones densément peuplées.
58. Divers types d’armements notamment des obus de mortiers étaient utilisés lors
de ces incidents. En utilisant ce type d’armement, les FDS ont délibérément pris
pour cible les populations civiles de certains quartiers densément peuplés
d’Abidjan considérées comme favorables à OUATTARA.
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59. Des jeunes pro-Gbagbo, des « miliciens » ainsi que des mercenaires en
provenance du Libéria étaient parfois associés à certaines attaques lancées par les
FDS à l’encontre des populations civiles considérées comme soutenant
OUATTARA. Lorsqu’ils ne s’associaient pas aux FDS, les jeunes pro-Gbagbo, les
miliciens et mercenaires se rendaient directement coupables d’exactions à
l’encontre des populations et communautés considérées comme favorables à
OUATTARA.
60. Ces incidents étaient de différents ordres: certains étaient directement dirigés
contre les militants de l’opposition tandis que d’autres visaient plus
généralement les populations civiles perçues comme soutenant l’opposition.
61. Tous les incidents dont il est question en l’espèce ont été commis à l’encontre de
civils non armés dans le cadre de la Politique déclenchée par GBAGBO. Ces
incidents visaient à éradiquer toute forme d’opposition en réprimant les activités
des partis d’opposition ainsi que les populations civiles considérées comme étant
acquise à sa cause.
a) Attaque dirigée contre les militants et sympathisants de l’opposition
62. Entre le 27 novembre 2010 et le 8 mai 2011, les unités des FDS parmi lesquelles le
CECOS, la Garde Républicaine (« GR »), la Police, dont la Brigade Anti-Émeute
(« BAE »), et la Gendarmerie, ont réprimé violemment les activités de
l’opposition, notamment des manifestations ainsi que des rassemblements. Ces
incidents ont ciblé tout particulièrement les membres du Rassemblement Des
Républicains de Côte d’Ivoire (« RDR ») ainsi que les militants des autres partis
politiques associés au Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et
la Paix (« RHDP »). Ainsi, sur la base des 39 incidents cités dans le présent
Document, au moins 98 membres et sympathisants de l’opposition ont été tués,
au moins 244 ont été blessés, dont une grande majorité par balles, et au moins 86
militants de l’opposition ont été arrêtés. Au moins 25 femmes militantes ou
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sympathisantes de OUATTARA ont, par ailleurs, été violées par les forces pro-
Gbagbo, parfois avec l’aval des FDS. A titre d’exemple :
•Le 25 février 2011, à Abobo, des FDS, notamment des éléments du CECOS et
de la police ainsi que des miliciens ont violé neuf femmes politiquement
engagées en faveur de OUATTARA. Deux des victimes ont été violées à leur
domicile tandis que sept autres ont été conduites dans un bâtiment en
construction où elles ont été violées par plusieurs hommes en réunion.
63. D’autre part, les FDS ont réprimé violemment une dizaine de manifestations
pacifiques, organisées à l’initiative du RHDP dans la ville d’Abidjan. A titre
d’exemple:
•Du 27 au 29 novembre 2010, dans la commune d’Abobo, à Abidjan, les FDS
ont ouvert le feu sur des manifestants du RHDP qui protestaient contre le
couvre-feu décrété par GBAGBO, le 26 novembre 2010, provoquant la mort de
12 personnes.
•Le 3 decembre 2010, suite à une manifestation du RHDP, des éléments de la
GR, accompagnés d’individus parlant anglais et armés de machettes, de
matraques et de couteaux, ont attaqué le quartier Biafra de Treichville, à
Abidjan, blessant au moins 133 personnes. Au moins 16 personnes ont
également été arrêtées et conduites au camp de la Gendarmerie d’Agban au
cours dudit incident.
•Le 4 décembre 2010, des éléments de la Brigade de Maintien de l’Ordre («
BMO »), ont tiré à balles réelles sur des manifestants du RHDP au niveau de la
grande mosquée de Koumassi, à Abidjan, blessant au moins huit personnes.
Parmi les victimes, un enfant de 11 ans, est décédé des suites de ses blessures.
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•Le 6 décembre 2010 à Adjamé-Boribana, à Abidjan, des éléments de la BMO
ont tiré sur des manifestants du RHDP provoquant la mort d’au moins une
personne et en blessant une autre.
•Du 16 au 19 décembre 2010, les unités d’élite de la police dont les Compagnies
Républicaines de Sécurité (« CRS ») et la BAE, appuyées par des éléments de la
GR, du CECOS, de la FESCI, des « jeunes patriotes » et des mercenaires ont
également tué au moins 45 personnes et en ont blessé au moins 54, pendant et
après la manifestation des partisans de OUATTARA qui se rendaient au siège
de la RTI, à Abidjan. 16 femmes ont également été violées au cours de cette
attaque.
•Entre le 18 et 19 janvier 2011, les FDS, notamment des éléments du CECOS, ont
tué cinq personnes, y compris un enfant de 13 ans, et en ont blessé 17 autres en
marge des manifestations appelant à la désobéissance civile organisées par le
RHDP dans les communes d’Adjamé et Attécoubé, à Abidjan.
•Du 19 au 21 février 2011, des éléments de la BAE, GR et CRS ont tué au moins
neuf personnes dans les quartiers d’Abobo, Koumassi et Treichville, à Abidjan,
lors des manifestations organisées par le RHDP.
•Le 19 février 2011, au rond-point près de la mairie d’Abobo, alors que des
membres du RDR préparaient un meeting, les forces pro-Gbagbo ont tué deux
personnes et brûlé leur matériel.
•Le 3 mars 2011, au rond-point Banco Anador, à Abobo, un convoi militaire, en
provenance du camp Commando, a ouvert le feu sur une manifestation de
femmes soutenant OUATTARA, tuant au moins sept femmes et blessant au
moins trois personnes.
64. Par ailleurs, à Abidjan, les locaux de l’opposition ont fait l’objet de plusieurs
attaques au cours des mois de décembre 2010 et janvier 2011. Les FDS ainsi que
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les jeunes pro-Gbagbo, notamment les jeunes patriotes et les membres de la
FESCI, ont attaqué, au moins à quatre reprises, les locaux de l’opposition, dont
ceux du RDR et du PDCI, tuant au moins 10 militants de l’opposition. A titre
d’exemple :
•Dans la nuit du 1 au 2 décembre 2010, des éléments du CECOS ont fait
irruption au quartier général du RDR à Wassakara (Yopougon) et ouvert le feu
sur des partisans du RHDP réunis dans le bâtiment, faisant au moins six morts
et au moins 14 blessés. Sept autres personnes ont également été arrêtées et
détenues au cours de cet incident.
•Le 16 décembre 2010, à Cocody, Abidjan, un militant de l’opposition a été tué
et plusieurs autres personnes ont été blessées suite au saccage des locaux du
Parti Démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement Démocratique Africain
(« PDCI-RDA ») par les forces pro-Gbagbo.
•Le 25 décembre 2010, les membres de la FESCI aidés par des éléments des FDS
et « des miliciens » ont, de nouveau, attaqué le quartier général du PDCI, à
Cocody, blessant 11 personnes dont trois par balles.
•Le 4 janvier 2011, vers 05h00 du matin, des éléments de la CRS et de la BAE de
Williamsville, appuyés par des éléments de la GR, ont tiré à balles réelles et
lancé des grenades contre des personnes non armées se trouvant au siège du
PDCI, à Cocody. Un militant de l’opposition et plus d’une dizaine de
personnes ont été blessées tandis qu’au moins 63 militants ont été arrêtées
suite à cette attaque.
b) Attaque dirigée contre les populations civiles perçues comme soutenant
l’opposition
65. Les militants et sympathisants de l’opposition n’ont pas été les seules cibles des
forces pro-Gbagbo. Dès la fin du second tour de l’élection présidentielle, les FDS
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ainsi que des miliciens, des jeunes pro-Gbagbo et des mercenaires s’en sont,
aussi, pris aux Ivoiriens de confession musulmane (pour la plupart, originaires
du Nord de la Côte d’Ivoire) ainsi qu’aux ressortissants d’Afrique de l’Ouest.
Dans la ville d’Abidjan, les communes d’Abobo, Adjamé, Koumassi, Treichville
et, certains quartiers de Yopougon, où résident une grande partie de ces
communautés étaient considérés, par les forces pro-Gbagbo, comme des zones
ennemies de par le soutien supposé de ces communautés à OUATTARA.
66. Entre le 27 novembre 2010 et le 8 mai 2011, pour les seuls incidents mentionnés
dans le présent Document, plus de 229 civils ont ainsi été tués, au moins 22
femmes ont été violées et une centaine de civils ont été blessés par les forces pro-
Gbagbo suite à des opérations de grande envergure ou des exécutions sommaires
visant tout particulièrement, à Abidjan, les quartiers où résidaient des personnes
originaires du Nord de la Côte d’Ivoire ou des ressortissants d’Afrique de
l’Ouest. Les populations de ces quartiers ont fait l’objet d’un véritable
harcèlement de la part des forces pro-Gbagbo qui s’est manifesté, par des
attaques multiples sur la population civile. Ces quartiers ont été bombardés à
diverses reprises, des véhicules blindés effectuaient également des tirs répétés
sans considération aucune pour les populations civiles. Les FDS dont les
membres du CECOS, de la BAE, du BASA et de la GR, ont, notamment, entre la
fin février et mars 2011, procéder à de multiples attaques aux mortiers sur les
communes de Yopougon, Williamsville, Attécoubé, Adjamé et Abobo tuant au
moins 88 personnes parmi lesquelles des femmes, des enfants et des personnes
âgées. Dans certaines communes, comme Abobo, ces attaques à l’arme lourde
étaient presque quotidiennes, en dépit de la présence importante de populations
civiles. D’autre part, de nombreuses personnes ont également été l’objet
d’arrestations arbitraires, d’enlèvements et d’exécutions sommaires ; celles-ci
faisant souvent suite à des contrôles d’identités. A titre d’exemple :
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•Le 30 novembre 2010 des éléments des FDS ont attaqué le quartier Sotrepim, à
Abidjan. Ils ont tiré sur la population et tué deux jeunes de nationalité
burkinabé et malienne.
•Le 4 décembre 2010 à Port-Bouët, à Abidjan, des éléments des FDS ont tué
deux civils. L’une des victimes était originaire de Burkina Faso.
•Entre le 11 et 12 janvier 2011, des éléments de la BAE et du CECOS ont attaqué
le quartier de PK18, à Abobo, Abidjan, tuant au moins quatre personnes.
•Les 7 et 8 février 2011, les FDS ont tué par balles au moins 10 personnes et en
ont blessé des nombreuses autres à Abobo lors d’une opération des FDS en
prévention d’un acte de sabotage sur la RTI.
•Le 24 février 2011, un homme soupçonné d’être « dozo » a été interpellé par la
foule avant d’être brulé vif à Yopougon-Gesco.
•Le 25 février 2011, des miliciens soutenus par la police ont attaqué la mosquée
Lem de Yopougon, à Abidjan, où des jeunes avaient trouvé refuge suite à des
affrontements entre jeunes pro-Gbagbo du quartier Yaho Séhi et pro-
OUATTARA du quartier Doukouré. Dix jeunes du quartier, dont une femme,
qui tentaient d’empêcher les miliciens d’entrer dans la mosquée, ont été tués
par balles tandis que quatre autres personnes ont été blessées. Le Gardien de
la mosquée a quant à lui été brulé vif par ces mêmes miliciens.
•Le 26 février 2011 et les jours suivants, les FDS ont lancé des obus auprès de
PK 18, à Abidjan, provoquant la mort de plusieurs civils.
•Dans la nuit du 11 au 12 mars 2011, à Abobo, Abidjan, trois enfants âgés de 2,
6 et 12 ans respectivement, ont été tués suite à une opération à « l’arme
lourde » lancée par les FDS.
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•Le 15 mars 2011 des éléments de la BAE et de la Gendarmerie, appuyés par
des miliciens ont attaqué la Grande Mosquée de Port-Bouët 2 à Yopougon.
Lors de l’attaque 35 personnes ont été tuées, dont l’Imam de la Mosquée.
•Le 17 mars 2011, en pleine journée, au moins sept obus de mortier ont été
lancés dans une zone fortement peuplée d’Abobo où se trouvaient notamment
un marché, un hôpital et des résidences privées, tuant plus de 40 personnes,
en blessant plus de 60 et détruisant plusieurs habitations ainsi qu’une
mosquée. Selon divers témoins parmi lesquels des rescapés des incidents, ces
obus ont été lancés par des éléments du BASA, depuis le camp Commando à
des intervalles très brefs ne permettant pas à la population de fuir.
•Le 19 mars 2011, des éléments de la police appuyés par des miliciens ont fait
irruption dans le domicile d’un Imam de nationalité malienne, lors d’une
opération militaire menée dans le quartier de Williamville. Lors de cette
attaque, six personnes, y compris l’Imam et sa mère âgée de 90 ans, ont été
tuées.
•Le 22 mars 2011, à Derrière Rail, au quartier Céleste d’Abobo, des obus des
FDS sont tombés dans une cour commune, tuant au moins cinq personnes,
parmi lesquelles une femme et trois enfants. Au moins trois autres personnes
ont été blessées.
•Le 30 mars 2011, à Adjamé, Abidjan, des « miliciens », ont stoppé un pick-up à
un barrage. Ils ont tué le commis du conducteur après avoir demandé ses
papiers.
•Du 2 au 8 avril 2011, à Sikasso, un quartier pro-OUATTARA, situé à
Yopougon, un groupe de « miliciens armés » a tué par balles six personnes.
Les miliciens leur reprochaient d'avoir voté pour Alassane OUATTARA. Sur
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l’une des portes, dans une cour commune, lesdits miliciens ont laissé le
message suivant : « Plus de Sikasso, GBABO ou rien ».
•Le 11 avril 2011, la GR a lancé une roquette sur une boulangerie à Treichville,
tuant sept personnes parmi lesquelles des ressortissants maliens.
67. Les jeunes pro-Gbagbo et les miliciens ont joué un rôle important dans la
commission des crimes ayant ciblé les populations originaires du Nord de la
Côte d’Ivoire ainsi que les ressortissants d’Afrique de l’Ouest. En raison de leur
appartenance ethnique (telle que Dioula), religieuse (musulmans) ou nationale
(des citoyens d’États ouest-africains tels que le Mali, le Burkina Faso ou le
Nigéria ainsi que des Ivoiriens d’ascendance ouest-africaine), les membres de ces
groupes étaient stigmatisés par ces jeunes pro-Gbagbo et ces miliciens qui les
considéraient comme des partisans du candidat OUATTARA et donc des
ennemis politique de GBAGBO.
68. Cette perception a notamment été alimentée par la campagne d’incitation à la
haine véhiculée par les chaînes de télévision pro-Gbagbo comme la
Radiodiffusion-Télévision Ivoirienne (« RTI ») et les discours de certains
membres de la Galaxie patriotique comme BLÉ GOUDÉ. Dans ses discours, BLÉ
GOUDÉ n’hésitait pas à accuser certains pays d’Afrique de l’Ouest comme le
Sénégal, le Nigéria et surtout le Burkina Faso de déstabiliser la Côte d’Ivoire et
de vouloir tuer les Ivoiriens, allant jusqu’à demander aux jeunes patriotes de
contrôler les allées et venues dans les quartiers en érigeant notamment des
barrages. C’est dans ces barrages, que de nombreux Ivoiriens originaires du
Nord de la Côte d’Ivoire, notamment des dioulas, ainsi que des ressortissants
d’Afrique de l’Ouest, ont été exécutés ou brulés vifs suite à des contrôles
d’identité. Selon les autorités consulaires du Mali et du Burkina Faso, durant les
violences post-électorales, 142 Maliens et 198 Burkinabé ont été tués par des FDS,
des miliciens, des jeunes pro-Gbagbo et des mercenaires pro-Gbagbo, à Abidjan
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notamment dans les quartiers d’Adjame, Abobo, Treichville, Cocody, Marcory,
Port-Bouët, Yopougon, et Koumassi. A titre d’exemple :
•Vers le 5 janvier 2011, des éléments de la Gendarmerie ont arrêté sept
maliens à Adjamé, Abidjan. Accusés d’être rebelles, ils ont été conduits
vers une destination inconnue. Six d’entre eux ont pu s’échapper après 13
jours de détention.
•Le 28 février 2011, à Yopougon, Abidjan, des jeunes pro-Gbagbo ont brûlé
deux hommes, dont un Malien, accusés par ces jeunes de faire partie des
rebelles. La BAE, présente au moment des faits n’est pas intervenue.
•Le 1 mars 2011, à Yopougon, des miliciens et des jeunes pro-Gbagbo ont
brûlé vifs deux Nigériens en invoquant, ce faisant, un discours de BLÉ
GOUDÉ tenu quelques jours auparavant. Des membres du CECOS étaient
présents sur les lieux au moment des faits.
•Dans la nuit du 3 au 4 mars 2011, les jeunes pro-Gbagbo ont brulé vif un
Burkinabé handicapé physique, à Port-Bouët, Abidjan.
•Le 11 mars 2011, à Yopougon, les miliciens pro-Gbagbo ont tué un
Burkinabé. Ils le soupçonnaient d’informer les rebelles.
•Le 29 mars 2011, à Adjamé, neuf ressortissants d’Afrique de l’Ouest ont été
arrêtés, suite à un controle d’identité par des hommes armés en treillis. Ils
ont été ensuite emmenés en voiture de police au Commissariat de police
du 11ième. On leur a tiré dessus à l’arrière du commissariat. Six personnes
ont été tuées par balles tandis que trois autres ont été grièvement blessées.
•Le 2 avril 2011, à Port-Bouët, des étudiants armés de Kalachnikovs et de
machettes ont tiré à bout portant sur quatre ressortissants burkinabés suite
à un contrôle d’identité.
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•Le 10 avril 2011, à Yopougon, des miliciens ont tué cinq personnes
d’origine Dioula accusés d’être des partisans de OUATTARA.
69. En dehors des contrôles d’identité effectués aux barrages routiers installés
illégalement, les forces pro-Gbagbo et, en particulier les jeunes pro-Gbagbo,
identifiaient souvent les cibles de leurs attaques en attaquant les quartiers ou les
institutions religieuses généralement fréquentés par ces communautés et en
marquant leurs maisons. Ainsi, à Abidjan, tout particulièrement à Yopougon,
certaines maisons étaient marquées d’une croix ou de la lettre B (Baoulé).
D’autres maisons étaient identifiés suite à des visites nocturnes effectuées par des
« miliciens » accompagnés de « bétés du quartier » qui leur montraient les
maisons des dioulas.
70. Les exactions des miliciens à l’encontre des communautés originaires du Nord et
des ressortissants d’Afrique de l’Ouest se faisaient parfois avec la complicité des
FDS et notamment de la police. A titre d’exemple :
•Les 4 et 8 mars 2011, lorsqu’environ 150 jeunes pro-Gbagbo, armés de
machettes et de haches, ont fait irruption et se sont livrés au pillage dans
les étalages de nombreux marchands ouest-africains de Yopougon en
scandant « [traduction] tuer, brûler, tuer, brûler, vous devez tous partir ».
71. Lorsqu’ils intervenaient sans l’aide des jeunes pro-Gbagbo, les FDS n’hésitaient
pas à invoquer, eux-mêmes, les discours enflammés de BLÉ GOUDÉ pour
justifier certaines de leurs exactions à l’encontre des personnes originaires
d’Afrique de l’Ouest. Le 11 avril 2011, après l’arrestation de GBAGBO, les
attaques contre les personnes originaires du Nord de la Côte d’Ivoire et les
ressortissants d’Afrique de l’Ouest se sont intensifiées à Yopougon. A titre
d’exemple :
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•Le ou vers le 12 avril 2011, à Mami Faitai et Doukouré, deux quartiers de
cette commune où vivent de nombreux civils originaires du Nord de la
Côte d’Ivoire et de pays d’Afrique de l’Ouest, des forces pro-Gbagbo
notamment des miliciens, des jeunes pro-Gbagbo, et des mercenaires ont
exécuté sommairement au moins 75 personnes. Tandis que les hommes
étaient exécutés, les femmes étaient quant à elles violées. Au moins 22
femmes et jeunes filles, dont au moins une mineure, ont été ainsi violées le
12 avril 2011.
2. Caractère généralisé ou systématique de l’attaque
72. L’attaque était généralisée et systématique. Elle était généralisée car : a) elle a
entrainé la commission de crimes multiples et s’est étalée sur plus de cinq mois
(entre le 27 novembre 2010 et le 8 mai 2011) ; b) au cours de cette période, son
intensité et le nombre de crimes étaient considérables ; c) ces actes ont fait un
grand nombre de victimes (824 au moins pour les 39 incidents ci-dessus
mentionnés) ; et d) l’attaque s’est déroulée dans la région densément peuplée
d’Abidjan.
73. L’attaque était systématique car : a) le recours à la violence n’était pas fortuit ou
aléatoire ; les victimes étaient visées car elles étaient considérées comme des
partisans de OUATTARA ; b) la commission des actes épousaient un modus
operandi car dans nombre d’incidents, les personnes prises pour cible étaient
identifiées lors de contrôles d’identité à des barrages routiers illégaux, l’attaque a
été lancée contre des quartiers ou des institutions religieuses généralement
fréquentés par les partisans de OUATTARA, des armes lourdes étaient utilisées
dans des quartiers densément peuplés, y compris pour disperser les manifestants
acquis à la cause de OUATTARA; c) la Politique à l’origine de cette attaque a été
adoptée au sommet de l’État ; d) la mise en oeuvre de cette Politique a été
coordonnée conjointement par GBAGBO et son entourage immédiat ; e) les FDS,
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ont joué un rôle majeur dans la conduite de l’attaque et ont exécuté celle-ci de
manière coordonnée et ils ont agi de concert avec des assaillants n’exerçant
aucune fonction officielle (des mercenaires, miliciens et jeunes pro-Gbagbo) ; et
f) les forces de l’ordre n’ont pas protégé les victimes mais participaient au
contraire à la commission des crimes.
3. Politique d’une organisation
a) GBAGBO et son entourage immédiat constituaient une organisation
74. GBAGBO et son entourage immédiat constituaient une organisation au sens de
l’article 7-2-a du Statut. L’entourage immédiat de GBAGBO avait une idéologie
et des intérêts communs et chacun de ses membres a contribué à la réussite de
cette organisation, notamment par la mobilisation de ressources politiques,
financières, humaines et militaires, contributions qui ont permis l’élaboration et
l’exécution de la Politique.
75. L’entourage immédiat de GBAGBO était composé, entre autres, de personnes
associées au régime Gbagbo depuis toujours tel que Simone GBAGBO, Charles
BLÉ GOUDÉ, certains ministres, certains leaders de la Galaxie patriotique et
certains membres du Congrès National de la Résistance pour la Démocratie («
CNRD »), qui était une plateforme politique comprenant le FPI et d’autres partis
pro-Gbagbo et organisations de jeunes de la Galaxie patriotique.
76. Certains membres de l’organisation étaient impliqués soit dans le détournement
des deniers publics, le trafic des ressources naturelles, le recrutement de
mercenaires et le trafic illégal d’armes. Ces activités illicites servaient au
financement de la Politique. Parmi ces membres figurent notamment des
ministres et d’anciens ministres, de hauts cadres d’institutions bancaires, Bertin
KADET, Conseiller du Président chargé de l’équipement militaire, Marcel
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GOSSIO, Directeur général du Port autonome d'Abidjan, le Pasteur Moïse KORE
et Anselme SEKA YAPO, aide-de-camp de Simone GBAGBO.
77. D’autre part, l’entourage immédiat était aussi composé de hauts gradés des FDS
et quelques officiers de rang inférieur fidèles au régime et proches de GBAGBO.
78. GBAGBO et son entourage immédiat en tant qu’organisation avaient les moyens
d’accomplir des actes qui portaient atteinte aux valeurs humaines fondamentales
et de mener des attaques généralisées ou systématiques contre la population
civile : a) ils exerçaient un contrôle et une autorité de jure et de facto sur les
membres des FDS et de facto pour ce qui concerne les mercenaires, les milices et
jeunes pro-Gbagbo; b) ils agissaient au travers de structures et d’institutions de
l’État ainsi que d’organisations affiliées de fait à celui-ci; c) ils veillaient au
recrutement, financement et renforcement de forces pro-Gbagbo et les
fournissaient en équipements militaires ; et d) ils donnaient des instructions aux
forces pro-Gbagbo et étaient tenus informés par elles des événements sur le
terrain. En outre, GBAGBO et son entourage immédiat ont planifié et mis en
oeuvre les attaques lancées contre des civils et ont contrôlé, au travers des forces
pro-Gbagbo, des parties du territoire ivoirien, dont la ville d’Abidjan, où ont été
commis les crimes reprochés dans le présent document.
b) Politique consistant à lancer de violentes attaques contre la population civile
afin de maintenir GBAGBO au pouvoir
79. La mise en oeuvre du Plan commun conçu par GBAGBO et les membres de son
entourage immédiat a évolué jusqu’à inclure, au plus tard le 27 novembre 2010,
une Politique d’État ou organisationnelle qui avait pour but une attaque
généralisée et systématique contre son opposant politique, OUATTARA, les
membres du cercle politique de ce dernier, les civils qui s’opposaient à son
régime et ceux qui étaient perçus comme étant pro-OUATTARA. L’existence et la
nature de la Politique reposent sur les éléments ci-après.
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80. Premièrement, GBAGBO a montré publiquement qu’il était disposé à recourir à
la violence contre ses opposants politiques afin de rester au pouvoir. Avant la
tenue de l’élection de 2010, il a déclaré qu’il n’accepterait pas une défaite
électorale. Il a annoncé : « [TRADUCTION] Je ne serai pas battu. J’y suis, j’y reste. »
Le slogan de sa campagne politique était « [o]n gagne ou on gagne » – ce qui
signifiait que ses partisans n’accepteraient pas qu’un autre candidat soit élu à sa
place. Pour certains, ce slogan électoral signifiait que GBAGBO et son entourage
immédiat avaient l’intention d’utiliser tous les moyens qui seraient nécessaires
pour maintenir GBAGBO au pouvoir. Son camp avait également un autre slogan
inventé par BLÉ GOUDÉ : « il n’y a rien en face. C’est maïs ». D’après un témoin,
cela signifiait qu’il n’y avait pas d’autre candidat que GBAGBO aux
présidentielles. Plusieurs mois avant l’élection, GBAGBO a informé les membres
de la Compagnie Républicaine de Sécurité (« CRS ») de la lutte à mener contre les
« bandits », terme également employé par son entourage immédiat pour désigner
OUATTARA et ses sympathisants. GBAGBO déclarait aussi de façon répétée, y
compris à son entourage immédiat: « Si je tombe, vous tombez aussi ». Toujours
avant l’élection, il est allé à la rencontre des jeunes patriotes à Yopougon et les a
incités à se battre pour protéger la nation et ne pas laisser le pays aux mains des
ennemis. Aussi, les jeunes patriotes recouraient-ils eux-mêmes à la violence
contre les militants pro-OUATTARA.
81. Après l’élection, GBAGBO a continué de montrer qu’il aurait recours à la
violence pour se maintenir au pouvoir. GBAGBO était « prêt à tout » et était
clairement dans une logique de violence. Dans son discours du 21 décembre 2010
par lequel il s’adressait à la République, il a indiqué que la reconnaissance de la
victoire de OUATTARA par la communauté internationale constituait une
déclaration de guerre contre la Côte d’Ivoire : « Et c’est en se fondant sur ces
résultats que la communauté internationale déclare la guerre à la Côte d’Ivoire.
Cela n’est pas acceptable et cela ne sera pas accepté ». Le 31 décembre 2010, dans
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une interview télévisée, il a fait savoir que même s’il ne croyait pas que la crise
déboucherait sur une guerre civile, les pressions constantes exercées par ses
opposants politiques, y compris l’ONU, « [TRADUCTION] rendraient un
affrontement plus probable ». Le même jour, il s’est adressé à la nation et a
déclaré que, comme en 2002, il n’abandonnerait pas et resterait au pouvoir :
« Nous n’allons pas céder ». Le 4 janvier 2011, il s’est addressé à la nation pour
dénoncer l’attitude de la communauté internationale envers la Côte d’Ivoire
comme étant « hostile et injuste ». Toujours dans la même période, lors d’une
interview à la RTI, GBAGBO a demandé à plusieurs reprises le départ de
l’ONUCI.
82. Le 24 février 2011, suite à une « première offensive » dans le quartier PK18
d’Abobo, GBAGBO a refusé de déclarer Abobo zone de guerre tel que
recommendé par l’état-major des FDS, ce qui aurait permis d’alerter la
population civile et lui permettre notamment de fuir la zone. Après cette
rencontre, les FDS ont lancé des obus sur le quartier de PK 18 et N’dotre. Le 3
mars 2011, soit le jour de l’incident de la marche des femmes à Abobo et au cours
du Conseil des ministres, GBAGBO charge le porte-parole de dire que « le
Président de la République s’engage à rester debout ». Le 9 avril 2011, GBAGBO
a ordonné aux forces qui lui étaient fidèles de poursuivre le combat contre
« OUATTARA et ses terroristes ».
83. Les membres de l’entourage immédiat de GBAGBO se sont fait l’écho de ses
déclarations et ont indiqué qu’ils auraient recours à tous les moyens nécessaires,
y compris à la violence meurtrière, pour le maintenir au pouvoir. Le 12 janvier
2011, suite au climat d’insecurité qui règnait principalement dans Abobo, le chef
d’état-major MANGOU a annoncé l’instauration d’un couvre-feu dans cette
commune et celle d’Anyama. Il a affirmé que les attaques armées contre les FDS
étaient « assimilées à des actes de guerre ». Les FDS se considéraient ainsi « en
position de légitime défense. Dès lors, elles se réservent le droit de riposter à
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partir de maintenant, tous moyens réunis, à toutes les attaques d’où qu’elles
viendront ». Le 22 janvier 2011, MANGOU a déclaré devant des milliers de
jeunes au quartier général des FDS à Abidjan : « S’il faut se battre jusqu’à ce
qu’on perde notre vie, nous allons le faire. […] [N]ous n’accepterons pas que
quiconque vienne ici pour toucher à un seul cheveu du Président [GBAGBO] ».
84. Le 22 février 2011, lors d’une réunion du Conseil des ministres, le Ministre des
affaires étrangères souligne qu’il faut maintenant utiliser le terme « rebelles »
pour se référer aux « manifestants» et le Premier ministre précise quant à lui qu’il
faut plutôt utiliser le terme « terroristes ». Le 24 février 2011, toujours lors d’une
rencontre du Conseil des ministres, GBAGBO a donné instruction de mettre
« hors d’état de nuire ces rebelles » à Abobo. Lors du Conseil des ministres du 29
mars 2011, «le ministre de la communication recommande des actions de terreur
en réplique».
85. Lors de la crise post-électorale, BLÉ GOUDÉ a aussi incité les jeunes à plusieurs
reprises à recourir à la violence contre les opposants politiques de GBAGBO,
l’ONUCI et la France. Le 26 mars 2011, un journaliste a interviewé BLÉ GOUDÉ
et lui a demandé s’il s’inquiétait du fait que ses rebelles armés pouvaient
échapper à son contrôle. Ce dernier a répondu : « dans une révolution, il y a
forcément des dommages collatéraux […] nous devons nous battre pour notre
liberté […] ». C’est le même BLÉ GOUDÉ qui a donné l’ordre aux jeunes pro-
Gbagbo de « faire les barrages dans les rues », de « contrôler les étrangers », de «
faire la chasse aux hommes qui portaient le gris-gris » car ils étaient considérés «
comme des rebelles […] ils venaient du Nord ».
86. Simone GBAGBO, aussi, a communiqué son intention de se battre jusqu’au bout
et de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires à cette fin. Elle a encouragé les
autres membres de l’entourage immédiat de GBAGBO à « résister » afin de
maintenir son mari au pouvoir. En outre, le 15 janvier 2011, lors d’un
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rassemblement d’environ 4 000 partisans de GBAGBO et alors que les violences
politiques avaient déjà éclaté et que de nombreux crimes visant les partisans de
OUATTARA avaient été commis par les forces pro-Gbagbo, Simone GBAGBO a
déclaré : « Le temps des débats sur les élections de GBAGBO Laurent, des chefs
bandits, ce temps-là est passé. [Nous devons] récupérer la totalité du territoire
ivoirien […]. C’est le travail bien sûr des [FDS], mais c’est aussi notre travail. Il
faut les appuyer ».
87. Les forces pro-Gbagbo, y compris les miliciens, les jeunes pro-Gbagbo et les
mercenaires, adhéraient également à la Politique. Ils ont mis en oeuvre la
Politique de façon coordonnée et ont exprimé leur détermination à la mettre en
oeuvre par le recours à la violence. Force est de conclure que les forces pro-
Gbagbo ont souscrit à la Politique du fait que les dirigeants politiques et
militaires, dont GBAGBO et les membres de son entourage immédiat, avaient
adopté cette dernière et travaillaient à sa mise en oeuvre.
88. Deuxièmement, entre le 27 novembre 2010 et le 8 mai 2011, les forces pro-Gbagbo
ont lancé des attaques généralisées et systématiques contre des civils qui
protestaient contre son régime ou ceux qui étaient considérés comme partisans
de OUATTARA. Lesdites attaques visaient ces personnes et suivaient un modus
operandi identique, le même qui avait déjà été utilisé par le régime GBAGBO dans
les années 2002-2004. Ces attaques ont été rendues possibles par GBAGBO et les
membres de son entourage immédiat qui se sont servis de leur position pour
organiser, recruter, former, financer et armer les forces pro-Gbagbo placées sous
leur autorité et leur contrôle.
89. Troisièmement, le blocus de l’hôtel du Golf – base de OUATTARA et de son
cabinet – tenu par les forces pro-Gbagbo avait pour objectif d’empêcher
OUATTARA de prendre ses fonctions de Président de la Côte d’Ivoire et d’être
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en contact avec ses sympathisants. Dans la suite des événements, les FDS seront
couramment utilisées pour empêcher les regroupements.
90. Quatrièmement, GBAGBO et son entourage immédiat se rencontraient
fréquemment pour discuter de la mise en oeuvre de la Politique. Au cours de ces
réunions, les commandants de GBAGBO l’informaient de l’évolution de la
situation sur le terrain et ce dernier leur donnait des ordres dans le cadre des
opérations afin de coordonner la mise en oeuvre de la Politique. Le
3 décembre 2010, une réunion a été organisée à la résidence présidentielle afin de
mobiliser tous les services concernés des autorités ivoiriennes, y compris les FDS.
Tout au long de la crise post-électorale, des réunions étaient tenues presque
quotidiennement à l’état-major général entre les membres de l’entourage
immédiat de GBAGBO, notamment les principaux généraux des FDS, afin de
coordonner la mise en oeuvre de la Politique. GBAGBO était tenu informé du
contenu de ces réunions et il s’entretenait avec les commandants des FDS pour
faire le point sur la mise en oeuvre de la Politique.
91. De plus, après l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection, Simone
GBAGBO a convoqué de nombreuses « réunions de crise » à la résidence
présidentielle. Des ministres du Gouvernement, comme les ministres de la
défense, de l’intérieur et des finances, les hauts dirigeants du FPI et souvent
GBAGBO lui-même assistaient à ces réunions. Elles visaient à s’assurer que celuici
se maintienne au pouvoir et à coordonner les activités de son entourage
immédiat et de ses forces pendant la crise.
92. Simone GBAGBO a également convoqué des réunions du CNRD, dont elle était
la secrétaire générale. L’un des buts déclarés du CNRD était de s’assurer de la
réélection de GBAGBO. Lors d’une de ces réunions, fin 2010, Simone Gbagbo
note : « incitation à 1 réplique par les FDS à armes réelles ». Le 10 mars 2011,
Simone GBAGBO a noté, entre autres : « nous avons choisi le Pr[ésident]
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G[BAGBO] L[aurent]. […] [N]ous avons choisi de résister à ceux qui veulent
nous enlever notre pays. […] [N]ous continuons la croisade ». Le fait qu’elle ait
mentionné la mobilisation, la formation et l’armement des jeunes permet de
déduire qu’il en résulterait une croisade violente. Simone GBAGBO a également
précisé qu’« il faut se battre et triompher », et a en outre indiqué afin d’y
parvenir qu’ils allaient « consulter le P[résident de la] R[épublique] ».
93. Cinquièmement, lors des fréquentes réunions susmentionnées, les participants
ont délibérément évité de débattre de la nécessité de mettre un terme au
massacre généralisé des civils et ce, malgré les avertissements de la Haut-
Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme adressés à des hautgradés
des FDS et en dépit des critiques largement diffusées dans les médias
visant les forces pro-Gbagbo. Les FDS ont nié à plusieurs reprises toute
responsabilité pour les crimes commis lors de la crise poste-électorale et aucune
véritable enquête interne sur les personnes portant la responsabilité de ces crimes
n’a été menée. Au contraire, les forces pro-Gbagbo ont à maintes reprises
entravées les activités de l'ONUCI, y compris les tentatives d’enquêtes sur les
allégations de violations aux droits de l'homme menées par sa Division des
droits de l'homme.
94. Le 7 janvier 2011, soit une semaine après la notification des avis de la Haut-
Commissaire des Nations Unies, GBAGBO a créé une Commission Internationale
d’Enquête dont le mandat était « de faire la lumière sur les infractions portant
atteinte aux Droits de l’Homme » survenues depuis le 3 novembre 2010. La
commission avait un mois pour exécuter son mandat. Le 16 février 2011, le
Président de la Commission, Adolphe Kadjo DJIDJI, a soumis le rapport
provisoire à l’attention, notamment, du Ministre de l’Intérieur afin d’obtenir ses
observations et commentaires sur ledit rapport. Le rapport fait à peine plus
d’une page. Un seul incident identifiait les FDS comme auteurs présumés. A
titre d’exemple, la seule mention de violations alléguées pour l’attaque du 16
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décembre 2010 (la marche sur la RTI) est une référence à la mort d’un civil et aux
personnes blessées lors du saccage du siège de la PDCI-RDA à Cocody et à
l’extorsion de fonds de militants du RHDP arrêtés et détenus à des postes de
police. Aucune mention n’est faite au sujet des nombreuses victimes civiles
mortes et bléssées dans les différentes communes et quartiers d’Abidjan ou
encore, le rapport ne précise pas l’identité des auteurs présumés des crimes
commis lors de la marche sur la RTI.
95. Le 23 février 2011, le Commandant Supérieur de la Gendarmerie fait parvenir ses
observations et commentaires sur le rapport de la Commission à l’attention du
Ministre de la Défense. Il est précisé que ces accusations graves rapportées par la
Commission contre les FDS sont dénuées de tout fondement, et qu’il serait plutôt
souhaitable que les victimes portent plainte « devant les services juridiques
compétents » en apportant les preuves de leurs accusations contre les FDS. Les
conclusions provisoires de la Commission ont ainsi été rejetées et elles n’ont pas
fait l’objet de véritables enquêtes internes.
96. Avant la crise post-électorale, GBAGBO a dit à ses forces d’agir sans réfléchir, de
ne pas remettre en question la légalité des ordres émanant de leurs supérieurs et
leur a laissé entendre qu’elles ne seraient pas sanctionnées quelles que soient les
mesures qu’elles prendraient : « […] votre rôle n’est pas un rôle d’analyse, de
réflexion, votre rôle est un rôle pour mater tous ceux qui sont contre la
République, tous ceux qui sèment le désordre. […] Si un soldat, un policier, veut
se mettre à réfléchir comme son chef, il n’y a plus d’armée. […] S’il y a des
erreurs qui sont commises, nous on règlera ça ». De plus, les autorités judiciaires
militaires elles-mêmes ont rassuré les FDS dans des Réquisitions aux fins
d’enquête que « toute riposte à une attaque dirigée contre eux constituerait une
légitime défense ».
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97. Cette volonté récurrente de ne pas intervenir malgré les meurtres de civils,
largement dénoncés par les médias, démontre également que GBAGBO et son
entourage immédiat cautionnaient ces attaques. Du reste, ces attaques n’étaient
pas sans précédent : pendant le conflit de 2002 à 2004, les forces pro-Gbagbo
auraient commis le meurtre de civils. En mars 2004, les forces de GBAGBO ont
réprimé, avec l’usage des armes, des manifestants qui protestaient contre lui.
Personne n’a été puni suite à ces crimes. GBAGBO et son entourage immediat
ont ainsi créé et perpétué une culture d'impunité parmi les FDS, ce qui a
contribué à la commision des crimes lors de la crise post-électorale.
98. Sixièmement, même après son arrestation en avril 2011, GBAGBO et son
entourage immédiat n’ont jamais renoncé au pouvoir et ont continué d’ordonner
des mesures destinées à la mise en oeuvre de la Politique. Malgré l’arrestation de
nombreux de ses membres, dont GBAGBO, l’organisation a poursuivi la
Politique en prenant, au moins jusqu’au 8 mai 2011, des mesures en vue de
reconquérir coûte que coûte le pouvoir.
7. FAITS EN CAUSE AU REGARD DES CRIMES REPROCHÉS
1. Premier événement : attaques liées aux manifestations devant le siège de la
RTI (du 16 au 19 décembre 2010)
99. Le 16 décembre 2010 au matin, les partisans de OUATTARA, des civils non
armés, se sont rassemblés en grand nombre dans différents quartiers d’Abidjan
pour se diriger vers les locaux de la RTI à Cocody pour installer le nouveau
directeur général de cette institution nommé par OUATTARA. Le contrôle de la
RTI en tant que principal moyen de diffusion d’information était crucial sur le
plan stratégique. La RTI soutenait le LMP depuis des années et diffusait des
programmes au soutien de GBAGBO. Les alliés de GBAGBO s’en servaient aussi
pour diffuser des messages de haine entre autres contre des groupes ethniques,
politiques, religieux et nationaux perçus comme favorables à OUATTARA, ce qui
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a alimenté et exacerbé les tensions. GBAGBO et son entourage immédiat s’étaient
également engagés dans une «bataille médiatique » visant à nier, auprès de
l’opinion publique, tout soutien populaire en faveur de OUATTARA. Les
éléments des FDS, dont les forces armées, la police, la gendarmerie, le CECOS et
la GR, appuyés par les jeunes pro-Gbagbo, des miliciens et des mercenaires, ont
réprimé cette manifestation dans la violence ; violence que les forces pro-Gbagbo
ont continué à infliger contre les personnes perçues comme pro-OUATTARA
dans divers quartiers d’Abidjan entre le 16 et le 19 décembre 2010. Pendant ces
quatre jours, les forces pro-Gbagbo ont tué 45 personnes au moins, en ont blessé
grièvement 54 autres au moins et ont violé 16 femmes et jeunes filles au moins. Il
s’agissait de victimes civiles.
100.Les éléments de preuve recueillis montrent que la répression de cette marche
avait été planifiée et organisée par GBAGBO et son entourage immédiat. Le jour
avant la marche, le chef d’état-major avait convoqué une réunion avec le haut
commandement des FDS afin de discuter des instructions qu’il avait reçues de
GBAGBO, notamment d’empêcher les manifestants d’atteindre la RTI et des
mesures qui devaient être prises en vue de la manifestation annoncée. Les forces
armées, la gendarmerie, le CECOS et la police devaient être positionnés dans le
périmètre de la tour de la RTI et dans d’autres quartiers d’Abidjan pour
empêcher la « libération » de celle-ci par les partisans de OUATTARA et
disperser les cortèges de gens qui se rassemblaient, pour faire route jusqu’à la
RTI. Les troupes ont reçu l’ordre d’« empêcher tout accès à la RTI ». Le chef
d’état-major général des forces armées a confié la coordination des opérations
relatives à la manifestation au Directeur Général de la Police Nationale, le
général M’bia BREDOU. Le chef d’état-major a tenu GBAGBO informé de
l’évolution de la situation sur le terrain.
101.Toujours la veille de la marche, le Colonel-Major GOHOUROU BABRI, porteparole
des FDS a averti à la télévision les partisans de OUATTARA que la force
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pourrait être employée pour empêcher cet événement et pour réprimer les
manifestants. Avant et après la manifestation du 16 décembre 2010, GBAGBO et
son entourage immédiat l’ont qualifiée de « marche insurrectionnelle » visant à
déstabiliser le régime ou d’opération visant à accuser les FDS de meurtres. La
manifestation du 16 décembre 2010 était pourtant organisée pour se dérouler
pacifiquement et les manifestants n’étaient pas armés.
102.Le jour de la marche, entre Abobo et Adjamé et aussi à Cocody, certains policiers
et gendarmes ont tenté de dissuader les partisans de OUATTARA de continuer
car des éléments pro-Gbagbo prêts à les tuer se trouvaient plus loin ;
avertissement qui s’est réalisé. Dès 9 heures 34, un commandant des unités
d’intervention a donné l’ordre, sur les ondes des unités spéciales de la police, de
nettoyer la route du Zoo qui mène en direction de la RTI. Il a ordonné aussi
d’attaquer la foule sans aucune restriction.Après avoir dispersé les foules de
civils, les FDS ont pris en chasse les sympathisants de OUATTARA afin de
dénicher « d’éventuelles poches de résistance », causant ainsi davantage de
morts et de blessés parmi les civils.
103.Dès avant sept heures du matin, de nombreuses forces pro-Gbagbo lourdement
armées, composées de FDS, y compris des policiers, des éléments de la BMO
(Brigade de Maintien de l’Ordre) du CECOS, de la GR, des jeunes pro-Gbagbo,
des miliciens et des mercenaires, avaient pris position et circulaient à Cocody
dans le quartier de la RTI et dans toutes les autres communes d’Abidjan, y
compris à Abobo, à Adjamé, à Koumassi et Yopougon.
104.À Abobo, les FDS comprenant des policiers dont des éléments des CRS, se sont
attaqués aux manifestants dès les premiers attroupements de manifestants. Ils
ont tué au moins six manifestants en tirant à balles réelles et en lançant des
grenades à fragmentation dans leur direction, blessant de nombreuses autres
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personnes. Deux personnes ont également été tuées par balles et d’autres ont été
blessés à Attecoubé.
105.À Adjamé, les FDS ont tiré sur la foule à balles réelles, lancé des grenades à
fragmentation, battu des manifestants faisant de nombreuses victimes :
a. d’une part sur l’axe de l’autoroute d’Abobo. Par exemple à Macaci
notamment, P-0172 a vu quatre personnes être blessées dont au moins
deux atteintes par des projectiles, et au moins deux personnes ont été
tuées.
b. d’autre part sur la route du Zoo, notamment au croisement Kablan
Duncan. À titre d’exemple, où P-0106 a été témoin et victime d’une
violente offensive de jeunes pro-Gbagbo, de miliciens et d’éléments du
CECOS à cet endroit ;
c. au Carrefour Djeni Kobina dans le quartier de Williamsville, où au
moins 4 civils sont morts d’après la police, et où plusieurs témoins ont
vu de nombreuses autres personnes blessées qui fuyaient ;
d. dans le quartier de la Mairie d’Adjamé ou Adjamé Liberté près du
grand marché d’Adjamé, P-0109 à notamment dû fuir, avec des
personnes blessées, à cause des tirs des FDS.
106.Dans la commune de Treichville, des éléments de la GR ont tiré à balles réelles
sur des manifestants, faisant des blessés et des morts.
107.Dans la commune de Marcory, un jeune homme a été tué par balle après que des
membres des FDS se mettent à tirer dans toutes les directions ; des policiers l’ont
abattu après s’être aperçus qu’il était encore en vie.
108.A Cocody, dans le périmètre autour de la RTI, le dispositif sécuritaire a été
renforcé et des éléments de la GR, de la gendarmerie, de l’armée et du CECOS se
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sont déployés et ont circulé dans cette zone dès le matin. Certains ont tiré sur une
foule de manifestants rassemblés près du siège du RDR, et au siège du PDCI à
Cocody: ils ont blessé et causé la mort de civils. Toujours dans la commune de
Cocody, les FDS et notamment des éléments du CECOS font de même, sur le
boulevard Latrille dans la zone autour de l’ENA – BMW ; P-0189 y a vu plusieurs
manifestants être tués ou blessés.
109.Au Carrefour Saint-Jean, au Carrefour de la Vie et dans les rues qui entourent la
RTI, les éléments pro-Gbagbo opérant dans cette zone ont tiré et lancé des
grenades à fragmentation sur les manifestants qui refusaient de s’éloigner, en
abattant et blessant un grand nombre, faisant de cette zone l’épicentre de
l’attaque sur les manifestants. Ils les ont également pourchassés et ils ont blessé
et causé la mort de nombreux civils. Près de la Résidence Universitaire située à
proximité et dans d’autres secteurs de Cocody, des jeunes pro-Gbagbo rejoints
par des éléments du CECOS opérant avec des mercenaires anglophones ont
attaqué des manifestants en fuite et tué et blessé plusieurs civils, faisant au moins
quatre morts.
110.Le 16 décembre et les jours suivants, des éléments des FDS parfois aidés de
jeunes pro-Gbagbo ont aussi arrêté au moins 257 personnes, des hommes, des
femmes et des enfants qu’ils suspectaient avoir pris part à la manifestation et
qu’ils considéraient alors comme des rebelles. Ils ont été amenés dans de
nombreux lieux de détention dont l’école de police, l’école de la Gendarmerie et
le CECOS à Cocody et la Préfecture de la Police au Plateau. Suite à leur
arrestation, des manifestants ont été battus et blessés par des policiers et des
éléments du CECOS et de la Gendarmerie.Ces derniers ont également menacé de
tuer les hommes et de violer les femmes qui avaient participé à la manifestation.
P-0117 a entendu deux policiers déclarer que Laurent et Simone GBAGBO
avaient spécifiquement donné des instructions à cet effet. Au CECOS, les
personnes arrêtées ont été frappées avec des gourdins, des ceintures et des
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crosses de fusils par une dizaine d’officiers qui leur ont également donné des
coups de pied.
111.Les forces pro-Gbagbo dont des éléments de la BAE et du CECOS se rendaient
également dans les hôpitaux à la recherche des blessés, notamment pour forcer le
personnel médical à les priver de soins. Les civils blessés avaient aussi peur de se
rendre dans les hôpitaux pour se faire soigner de craintes de se faire enlever et
tuer.
112.Le soir du 16 décembre jusqu’au 17 décembre 2010, des éléments des FDS ont,
avec des éléments armés en tenue de civils, lancé des raids principalement dans
la commune d’Abobo, entrant par effraction chez des civils et commettant de
nombreux crimes. Au cours de cet événement, ils ont tué plusieurs civils. Le
18 décembre 2010 à Abobo, une dizaine de policiers ont traqué et enlevé, dans
leur résidence, deux militants du RHDP qui avaient surveillé le déroulement de
l’élection dans un bureau de vote à Abobo. Une semaine plus tard, leurs corps
ont été retrouvés à la morgue de Yopougon et présentaient des blessures par
balle dans la cage thoracique.
113.Les 17 et 18 décembre, des éléments des FDS, dont des CRS, ont pris d’assaut
quatre mosquées à Grand Bassam, Abobo et Williamsville. Ils ont tué une
personne et en ont blessé 29 autres, dont 14 femmes. Le 18 décembre, également,
des jeunes pro-Gbagbo ont assassiné deux étudiants à un barrage routier. Ils les
ont frappés avec des gourdins et des briques après avoir contrôlé leur identité et
les ont tailladés à la machette.
114.Au cours de cet événement, les éléments pro-Gbagbo, aussi bien des FDS, des
jeunes pro-Gbagbo, des miliciens et des mercenaires ont de surcroît commis des
viols et d’autres formes de violence sexuelle contre des sympathisants présumés
de OUATTARA. Le 16 décembre, des mercenaires ont attrapé P-0344 qui
participait à la marche sur la RTI et l’ont violée dans une rue près de l’usine
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FILTISAC, à Adjamé. Ils lui ont reproché d’avoir pris part à la manifestation.
Toujours le 16 décembre, des jeunes pro-Gbagbo ont arrêté deux autres femmes
qui portaient un T-Shirt à l’effigie de OUATTARA à Abobo Avocatier, au niveau
d’un barrage routier qu’ils contrôlaient, les ont battues et ont violé en réunion
l’une d’entre elles ; après le viol, ces hommes ont déclaré que la victime devrait
appeler OUATTARA si elle voulait porter plainte. Des jeunes pro-Gbagbo ont
emmené une autre femme dans un hangar vide, ont jeté son enfant et l’ont violée
en réunion. Ils ont dit à la femme qu’ils tueraient tous les Dioulas.
115.Le 17 décembre 2010, des soldats des FDS et « un milicien » ont violé en réunion
une femme dans sa maison et ont tué son mari, militant du RDR – une coalition
de partis politiques soutenant OUATTARA – en la forçant à assister au meurtre.
Après coup, les violeurs ont déclaré à cette femme, qui portait un T-shirt avec la
photo de OUATTARA, qu’elle devrait aller voir ce dernier pour lui dire qui
l’avait violée. Le 18 décembre, un groupe de soldats et de « miliciens » ont
commis un viol en réunion contre une jeune fille après l’avoir enlevée de force
chez ses parents à Abidjan et après avoir fouillé la maison à la recherche d’armes,
sans succès. Le 19 décembre 2010, six hommes qui ont déclaré être des policiers
ont violé en réunion trois jeunes soeurs qui vivaient à Abobo. Après leur forfait,
ils ont déclaré à leurs victimes qu’elles devraient aller se plaindre à OUATTARA.
Ils ont également enlevé une des victimes.
116.Le 16 décembre 2010 et les jours suivants, plusieurs femmes en détention depuis
le jour de la marche ont été violées par des policiers à l’école de police et par des
hommes en tenue de gendarmes à la préfecture de police. Alors que P-0112 était
amenée à l’école de police, elle a entendu un policier déclarer vouloir faire du
mal à sa victime parce qu’elle avait participé à la manifestation et qu’elle était
d’origine dioula. P-0117 a également entendu un policier mentionner
l’instruction donnée par Simone GBAGBO de violer les femmes qui prenaient
part à cette manifestation. Ces hommes avaient des préservatifs sur eux. Pendant
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leur détention à la préfecture de police entre le 16 et le 20 décembre, six femmes
ont été simultanément victimes de viols multiples, perpétrés collectivement par
un groupe d’hommes en tenue de gendarmes. Dès le premier jour de leur
détention, P-0350 et deux autres femmes ont été violées successivement par trois
hommes en tenue de gendarme, dans la même pièce, l’un d’eux portant des
coups à P-0350 et la blessant également au doigt avec un couteau. P-0350 a
encore été violée, à plusieurs reprises, le 18 décembre.
117.Certes, des FDS ont été tués le 16 décembre pendant des opérations mais ces
incidents se sont déroulés en périphérie des attaques contre les manifestants. La
mort de FDS à Abobo près du quartier PK18 et de l’usine FILTISAC à Adjamé a
été reportée par les autorités. Ces évènements se sont déroulés après l’attaque
contre les manifestants, à plus de 15 km de la RTI et à l’écart des endroits où les
crimes reprochés ont été commis dans ces deux communes. Deux éléments
FANCI ont également été tués au Carrefour Houphouët-Boigny à Cocody, lors
d’une confrontation entre les Forces Armées des Forces Nouvelles (« FAFN ») et
FANCI. Quelques jours avant la marche, le chef d’état-major avait ordonné le
déployement des forces spéciales des FANCI, dispositif qui a constitué le blocus
du Golf. Après 12.00 heures (midi), le 16 décembre 2010, des échanges de tirs se
sont produits entre les éléments du FAFN et les éléments des FDS et ont fait des
victimes parmi les FDS et les FAFN.
118.Bien que les crimes commis à l’encontre de civils le 16 décembre 2010 aient été
largement dénoncés, et bien que GBAGBO et ses représentants aient admis qu’il
y avait eu morts de civils, ces derniers se sont entièrement focalisés sur les dix
victimes des forces de l’ordre, ignorant ainsi la grande majorité des victimes
civiles tuées par les forces pro-Gbagbo pendant et après la marche.
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2. Deuxième événement : attaque lancée lors d’une manifestation de femmes à
Abobo (3 mars 2011)
119.A partir du 16 décembre 2010, la situation sécuritaire s’est agravée à Abobo et le
22 février 2011, l’armée a pris le contrôle des opérations dans Abidjan. Le 24
février 2011, GBAGBO a refusé de déclarer Abobo zone de guerre et a ordonné à
ses forces de tenir et de ne pas perdre Abobo. Le camp Commando est devenu le
poste de commandement des FDS pour tout Abobo et les FDS disposaient
d’armes et de véhicules blindés. En février et mars 2011, des convois militaires
effectuaient des missions quotidiennes de ravitaillement entre le camp
Commando et les autres camps des FDS, dont le Camp Agban. Ces convois
avaient l’habitude de tirer des projectiles de manière aléatoire lors de leurs
déplacements, ce qui entrainait fréquemment la mort de civils.
120.Le 3 mars 2011, les partisans de OUATTARA se sont rassemblés dans le cadre
d’une marche pacifique dont le point de départ était le carrefour Banco Anador à
Abobo, pour demander la démission de GBAGBO et protester contre les atteintes
aux droits de l’homme qui s’étaient produites dans le quartier. La marche était
organisée par les femmes de tous les partis politiques du RHDP, de la société
civile et d’ONG. Plus de 3 000 femmes se sont réunies audit carrefour pour le
départ de la marche. Elles n’étaient pas armées, brandissaient des branches
d’arbres et des pancartes et scandaient des slogans anti-GBAGBO. Vers
10 heures, des FDS sont arrivées à bord d’au moins cinq véhicules, dont un
« char » aux couleurs de l’armée, un pick-up vert sur lequel était installée une
mitrailleuse, un véhicule de transport de troupes ou « cargo », un véhicule blindé
bleu foncé, et un autre véhicule blanc. Ce convoi est arrivé du camp Commando.
Soudainement, ces FDS ont ouvert le feu sur la foule. Cette brève mais intense
fusillade visait les manifestantes non armées. Ils ont tué sept femmes et ont
blessé plusieurs autres. Par la suite, aux environs de 14 heures, des hommes
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armés en treillis sont allés à l’hôpital d’Abobo sud ; ils cherchaient à savoir si des
corps de femmes s’y trouvaient.
121.Alors que le gouvernement de Gbagbo disposait de preuves impliquant la
responsabilité des FDS dans l’incident, le 4 mars les portes-paroles du
gouvernement et des FDS, sur la RTI, niaient toute responsabilité des FDS dans
cette attaque. Personne n’a été puni. Dès le 4 mars, les médias pro-Gbagbo ont
clamé que cet incident était un montage. Le 8 mars, le Conseil des ministres niait
toute responsabilité à nouveau mais cette fois affirmait même que les accusations
contre les FDS résultaient d’un pur montage.
3. Troisième événement : bombardement du marché d’Abobo et ses environs
(17 mars 2011)
122.Comme indiqué auparavant, le 24 février 2011, GBAGBO a refusé de déclarer
Abobo zone de guerre, ce qui aurait permis d’évacuer la population civile, et a
ordonné à ses forces de ne pas perdre Abobo. En mars 2011, le camp Commando
était la dernière base des forces pro-GBAGBO dans Abobo. Toujours en mars, les
éléments postés au camp ont reçu l’ordre de leurs supérieurs hiérarchiques de
tirer des mortiers sur Abobo. Le 17 mars 2011, en plein jour, des éléments du
Bataillon d’Artillerie Sol-Air (« BASA »), basés au camp Commando, ont tiré au
mortier sur une zone densément peuplée d’Abobo, où se trouvaient entre autres
un marché local, une mosquée, un hôpital et des résidences privées.
123.Des mortiers du BASA étaient installés au camp Commando. Le 17 mars,
plusieurs obus de mortier ont été lancés depuis le camp et ont atteint sept
endroits au moins, causant la mort de civils et faisant des blessés au marché
Siaka Koné, dans le quartier village SOS et dans le secteur de Derrière Rails. Plus
de 25 civils ont été tués sur-le-champs, et bien d’autres ont succombé des suites
de leurs blessures, portant le total des morts à plus de 40. Plus de 60 autres
personnes ont été blessées.
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124.Du reste, durant la crise post-électorale, notamment à la fin février et en mars
2011, plusieurs tirs d’obus ont été lancés par les FDS sur Abobo, qui ont blessé et
causé la mort de plusieurs civils.
125.Les FDS, en tirant au mortier dans une zone densément peuplée, alors qu’elles
savaient que, par nature, ce type d’arme ne permettait pas d’effectuer des tirs de
précision, ont délibérément pris la population civile pour cible. Bien que le
gouvernement de Gbagbo disposât d’éléments de preuve impliquant la
responsabilité des forces pro-Gbagbo dans ces incidents, aucune véritable
enquête n’a été menée et personne n’a été puni.
4. Quatrième événement : l’attaque sur Yopougon (le ou vers le 12 avril 2011)
126.Yopougon est une commune considérée comme un bastion pro-Gbagbo.
Cependant certains quartiers de la commune, comme Doukouré et Mami Faitai,
sont composés à majorité de civils originaires du Nord de la Côte d’Ivoire et de
pays voisins d’Afrique de l’Ouest. Au lendemain de l’arrestation de GBAGBO,
Yopougon était encore sous contrôle des forces pro-Gbagbo.
127.Le ou vers le 12 avril 2011, des forces pro-Gbagbo, notamment des miliciens, des
jeunes pro-GBAGBO et des mercenaires ont attaqué les quartiers de Yopougon
perçus comme pro-Ouattara, faisant au moins 75 morts et des blessés. Les
auteurs de l’attaque étaient armés de kalachnikovs et de machettes. Ils ont
attaqué des gens dans la rue, en ont arrêté parfois à des barrages routiers illégaux
et ont pénétré par effraction dans des maisons dont ils appréhendaient les
habitants. Les victimes étaient exécutées après avoir été identifiées et perçues
comme pro-Ouattara ou simplement après avoir été perçues comme telles. Les
assaillants tuaient les hommes et violaient les femmes. Au moins 22 femmes ont
été violées. Parmi elles, P-0404, sa mère et ses deux soeurs, dont une mineure, ont
été violées simultanément. P-0185 et P-0398 ont, elles, subi des viols collectifs.
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128.Pendant l’attaque, certains auteurs ont fait explicitement référence à leur
intention de tuer des Nordistes. De plus, après que les assaillants ont tué les amis
de P-0109 et que ce dernier était blessé au sol feignant d’être mort, il a entendu
des cris en anglais disant: « No Gbagbo, no Côte d’Ivoire ». Toujours à titre
d’exemple, des miliciens qui ont commis un viol collectif sur une femme lui ont
dit qu’elle subissait ce viol parce que ses frères avaient contribué à l’arrestation
de GBAGBO. L’étendue de ces attaques, le nombre élevé de victimes, les
personnes visées et le meurtre systématique des hommes et le viol systématique
des femmes démontrent que ces crimes ont été commis de manière coordonnée,
en application du Plan commun de GBAGBO.
8. FAITS PERMETTANT D’ÉTABLIR LA RESPONSABILITÉ PÉNALE
INDIVIDUELLE DE GBAGBO
129.La responsabilité pénale individuelle de GBAGBO est engagée pour les crimes
qui lui sont imputés en l’espèce, en tant que coauteur indirect au regard de
l’article 25-3-a du Statut ; l’article 25-3-b (ordonner, solliciter et encourager) ;
l’article 25-3-d, s’agissant de la contribution à la commission de ces crimes. Ces
modes de responsabilité, alternatifs, retenus aux termes de l’article 25, sont non
seulement pour les actes commis par GBAGBO mais aussi pour ses omissions
qui ont mené à la commission des crimes reprochés. Alternativement, GBAGBO
est également responsable des crimes qui lui sont reprochés conformément aux
alinéas a) et b) de l’article 28 du Statut.
130.Bien que l’Accusation ait structuré la présentation des faits selon les éléments
constitutifs de l’article 25-3-a, ces faits s’appliquent, pour autant que pertinent,
aux autres motifs de responsabilité pénale retenus, tel que détaillé dans l’Exposé
des Charges.
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1. Existence d’un Plan commun entre GBAGBO et les membres de son
entourage immédiat
131.Sachant l’éléction présidentielle inévitable, GBAGBO a conçu et mis en oeuvre un
Plan commun, conjointement avec son entourage immédiat, en vue de se
maintenir à la Présidence par tous les moyens nécessaires, y compris par le
recours à la force létale. Le Plan commun a évolué jusqu’à inclure, au plus tard le
27 novembre 2010, une politique d’État ou organisationnelle qui, tel qu’indiqué
précédemment, avait pour but une attaque généralisée et systématique contre les
civils considérés comme des partisans de son opposant politique Alassane
OUATTARA. Dès lors, bien que la Politique et le Plan commun soient des
concepts juridiques distincts, ils se recoupent en grande partie dans le cadre
spécifique de la présente affaire.__

Source: ICC-CPI

http://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc1710471.pdf