Coup d'Etat au Burkina: Comment Ouattara y a fortement contribué

Par IvoireBusiness - Coup d'Etat au Burkina. Comment Ouattara y a fortement contribué.

Alassane Ouattara et Blaise Compaoré à Yamoussoukro, après la chute de ce dernier.

Un coup d’Etat militaire vient d’interrompre la transition en cours au Burkina Faso. Si les acteurs visibles de ce putsch sont incontestablement le Régiment de la Sécurité Présidentielle (RSP), certains observateurs n’écartent pas une part de responsabilité de certains chefs d’Etats africains qui ont crée toutes les conditions de la chute de Michel Kafando. Au nombre de ceux-ci figure en bonne place Mr Alassane Ouattara, le Président ivoirien. A ce propos, nous vous proposons cet article du site burkinabé Mutations. Il fut publié en Juillet 2015, après le dernier sommet de l’Union Africaine tenu en Afrique du Sud.

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Le Burkina Faso est toujours à la Une des sommets sous-régionaux et régionaux. En marge du 25e sommet de l’Union africaine (UA) à Johannesburg (12 au 15 juin), le Groupe international de contact sur le suivi de la Transition au Burkina Faso s’est retrouvé à la demande du président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, pour discuter du nouveau code électoral adopté en avril dernier par le Conseil national de la Transition. Le Groupe de contact a certes passé en revue le déroulement de la Transition, mais l’objet de cette réunion était la nouvelle loi électorale qui exclut tous ceux qui ont soutenu la tentative de modification de l’article 37, entrainant l’insurrection populaire.

Le président Alassane Ouattara n’a jamais caché son opposition au nouveau code électoral burkinabè. Les jours qui ont suivi l’adoption de la loi et les inquiétudes manifestées par les partenaires du Burkina Faso, des délégations envoyées par gouvernement burkinabè ont rencontré les présidents et des personnalités politiques des pays voisins pour leur présenter la loi et expliquer ses fondements et ses motivations. À l’ensemble du corps diplomatique et des représentants des organisations internationales et africaines au Burkina Faso, ainsi qu’aux présidents des pays amis, les autorités ont affirmé que cette loi est « l’expression de la volonté du peuple insurgé les 30 et 31 octobre 2014 ». Chez tous les voisins, les délégations auraient été bien reçues, félicitées et encouragées sauf dans un seul pays, la Côte d’Ivoire. Au Sénégal, le président Macky Sall a certes

exprimé des inquiétudes sur les possibles problèmes dans l’application de cette loi. Mais pour lui, l’important est la paix et la stabilité. Par contre, à Abidjan, la délégation burkinabè a été mal accueillie. Le président Alassane Ouattara a demandé le retrait pure et simple de ce nouveau code. Les explications des autorités burkinabè n’ont pas fait varier sa position. Alassane Ouattara est revenu sur le sujet au Sommet de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sans pouvoir rallier les autres présidents. De retour de la 47ème session ordinaire de la CEDEAO tenue à Accra au Ghana, le Chef de l’Etat ivoirien a déclaré que :

« en ce qui concerne le Burkina Faso, le sommet a demandé la tenue d’élections inclusives, sans discrimination dans les meilleurs délais, c’est-à-dire comme prévu par les Burkinabè eux-mêmes, le 11 octobre 2015. Et nous avons insisté sur le fait que l’exclusion ne sera pas acceptable. Nous considérons que tout ce qu’il doit être fait doit être conforme à la constitution du Burkina Faso ».

Une version contestée par Michel Kafando qui indique qu’Alassane Ouattara n’a pas réussi à ce sommet à rallier ses pairs africains. Le président Michel Kafando confirme plus tard que des pays sont intervenus effectivement pour marquer leur inquiétude en cas d’exclusion de certaines personnalités éligibles.

« Je n’ai pas vu un pays, en dehors de la Côte d’Ivoire, qui a argumenté sur cette question. Finalement, il y a en réalité quatre pays qui sont intervenus sur cette question de la loi électorale sur les quinze que nous étions. Le communiqué final dit bien ceci : «La CEDEAO demande à la Transition de donner une importance à la question de l’inclusion.» On ne peut donc pas parler de condamnation de la CEDEAO. »

En réponse aux inquiétudes des partenaires africains au sommet de la CEDEAO à Accra, le chef de l’Etat burkinabè a expliqué les conditions qui ont prévalu à l’adoption de cette loi. Il estime qu’on ne peut pas empêcher un peuple qui a eu raison d’un gouvernement qui s’obstinait à contrecarrer la volonté du peuple, d’écarter des prochaines élections tous ceux qui ont poussé jusqu’au bout la modification du fameux article 37. Il pense que le peuple burkinabè est même tolérant.

« Il ne faut pas faire de l’amalgame parce que des personnalités ont été écartées. Elles étaient directement en prise avec l’ancien régime. Elles ont été pratiquement les auteurs de la tentative de modification du fameux article 37 repoussée par le peuple. Mais n’empêche, le parti de l’ancien président demeure toujours en activité et libre de toute compétition aux prochaines élections au même titre que les autres partis politiques. Il n’y a aucune exclusion de ce côté-là. »

Mais, toutes ces explications des autorités burkinabè n’ont pas réussi à bouger les lignes du côté de la lagune Ebrié. Alassane Ouattara qui avait entrepris des démarches auprès de la présidence française sans succès met cette fois la pression sur l’Union africaine. Du côté des autorités burkinabè, on parle d’incompréhensions et aucun problème entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire qui soit de l’ordre de la dissension. Mais tout laisse penser que le président ivoirien s’affole pour les camarades et amis de son mentor Blaise Compaoré. Les autres pays et organisations internationales le savent très bien.

Les récentes visites de Gilbert Ouédraogo de l’ADF/RDA, de Djibril Bassolé et des responsables du CDP à Abidjan auprès de Blaise Compaoré et d’Alassane Ouattara montrent bien que le président ivoirien a pris le parti de Blaise Compaoré et ses camarades. Mais ce qu’il refuse aux Burkinabè, il se l’offre. Le camp de Laurent Gbagbo continue de subir la « justice des vainqueurs ». Ce qui n’est même pas le cas au Burkina. Aucun ponte du régime n’est inquiété sérieusement pour le moment.

«J’entends ici et là des bêtises parlant de justice des vainqueurs. Est-ce qu’on a déjà vu une justice des vaincus ? Si c’étaient les autres, ils nous auraient tués tous. Et le fait que nous ne les tuons pas montre que nous sommes dans un pays de démocratie et de droit. Je veux m’adresser aux grands pays donneurs de leçons. Nous avons vu ce qu’ils ont fait. Et l’esclavage, qu’est-ce que c’était ? Nous allons continuer de juger les auteurs de ces crimes et ils doivent être jugés ici en Côte d’Ivoire. Personne n’ira à la CPI. Nous les jugerons tous ici. Nous voulons montrer que nous sommes un pays moderne, un pays de droit et de justice. S’ils veulent espérer l’amnistie, il faut qu’ils demandent pardon à la Côte d’Ivoire », a déclaré Ouattara à la suite des plaintes et autres récriminations du camp Gbagbo.

Quand il s’agit de la situation au Burkina Faso, il change de langage. Par ses agissements et propos, Alassane Ouattara montre qu’il est loin d’être un homme d’Etat. Tous ses prédécesseurs, y compris Gbagbo, avaient su se mettre au-dessus de certaines considérations subjectives, même au pire moment des relations entre Abidjan et Ouagadougou, pour ne voir que les intérêts des deux pays. Ouattara se montre incapable et c’est dommage pour son pays.

Les tentatives de Ouattara pour briser l’insurrection

Il n’y a rien de nouveau chez le président ivoirien. Alassane Ouattara panique à chaque fois que le camp de Blaise Compaoré est ébranlé. En janvier 2014, à la suite de la vague de démissions au sein de l’ex-parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le président ivoirien a dépêché des émissaires à Ouagadougou pour tenter de ramener Roch Marc Christian Kaboré et Simon Compaoré à la maison. Contre tout bon sens, Guillaume Soro (président de l’Assemblée nationale), Hamed Bakayoko (ministre de l’Intérieur) et Ibrahim Ouattara (frère cadet du président) ont accouru à Ouaga pour apporter un soutien dégoulinant de flagornerie à Blaise Compaoré dans ce qui relève pour le moins d’un conflit interne à un parti politique. Cette mission a échoué.

A la création du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), ses trois leaders ont été invités à Abidjan par le président ivoirien afin « d’échanger sur la situation politique au Burkina Faso ». Une médiation autosaisie et une première depuis la crise ouverte sur la modification de l’article 37. Dans sa tentative de briser la force de l’opposition politique, le président de l’union pour le progrès et le changement (UPC), Zéphirin Diabré, puis de l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA, Gilbert Ouédraogo, ont été invités à former une large coalition des Libéraux autour du Rassemblement des républicains (RDR), le parti présidentiel ivoirien. Des initiatives avaient été prises pour amener ces deux partis libéraux à se rapprocher davantage et à collaborer pour faire triompher les idéaux du libéralisme et sortir le Burkina Faso du giron de la Gauche dans lequel il se trouve depuis Août 1983, selon Ouattara et ses protégés libéraux. C’était le grand souhait ou la stratégie du président ivoirien. Il en a parlé aux principaux concernés lors de l’audience accordée à Zéphirin Diabré le 25 mars 2014 à Abidjan.

Toutes ses tentatives furent vaines et Ouattara fut contraint d’intercéder auprès de la France pour l’évacuation de Blaise Compaoré sur Abidjan le 31 octobre 2014. Bien qu’il existe une interdiction formelle aux refugiés politiques de s’adonner à des activités qui puissent déstabiliser leur pays, le président déchu burkinabè reçoit, consulte, conseille ses camarades et des actions sont planifiées à partir d’Abidjan. Les autorités burkinabè bien informées continuent de jouer à l’Autriche sans doute pour ne pas froisser le voisin ivoirien.

« Je ne pense pas la présence du président Blaise Compaoré à Abidjan puisse entrainer de l’animosité entre les deux pays. Nous avons toujours fait comprendre que le président Blaise Compaoré réside en Côte d’Ivoire à double titre. Il est d’abord Ivoirien par alliance puisque son épouse est ivoirienne, et il est un ami du président Ouattara. Le problème qui se pose, c’est qu’on nous garantisse qu’il n’entreprendra pas des actions nocives pour déstabiliser le Burkina Faso. Le président Ouattara m’a donné cette assurance. Moi, je le crois. S’il advenait que nous avons des preuves que le président Blaise Compaoré «travaille» à partir du territoire ivoirien pour déstabiliser le régime de Transition du Burkina, nous prendrons nos responsabilités. »

Mais l’attitude de Ouattara montre qu’il y a plus que de l’incompréhension entre les deux capitales.

Abdoul Razac Napon

Source : Mutations