CONTRIBUTION: LES VÉRITABLES ENNEMIS DES IVOIRIENS

Le 23 janvier 2013 par Correspondance particulière - A propos des Évêques.

Nous sommes profondément touchés par le pardon des Évêques de l'Église
catholique demandé aux Ivoiriens à cause de la discordance de leur voix et de leur
mutisme coupable. Nos guides spirituels nous exhortent cependant, d'une seule voix,
à ne pas nous enterrer dans le passé mais à nous investir dans le présent. Il est
malheureusement impossible aux Ivoiriens de mettre en pratique ces paroles sages
s'ils traînent à leurs pieds les boulets de la crise ivoirienne, si continuent de saigner en
eux les plaies de leur histoire, à savoir la récente arrestation du ministre Blé Goudé
qui a exprimé, à travers la formation d'un parti politique, sa volonté de s'engager sur
la voie de la réconciliation, de s'inviter aux débats politiques au sein des institutions
de son pays, où se tissent des alliances politiques, en vue de la paix sociale. En
politique, il n'y a pas, dit-on, de trahison, il y a des différences d'opinions; ce qui
signifie que la formation d'un parti politique par Blé Goudé, en dehors du FPI, ne fait
pas de lui un traître mais un leader qui a des objectifs politiques qui lui sont propres.
La Réconciliation, pour paraphraser Houphouët, n'est qu'un vain mot si nos oeuvres,
notre comportement n'expriment pas notre désir d'aller sincèrement à la paix
véritable. La réconciliation sera, entre autres choses, un moyen par lequel le peuple
ivoirien sera asservi, pris en otage, si elle est entravée par des procès, par des
arrestations intempestives qui pourraient être interprétés comme un refus du régime
d'Alassane Ouattara de trouver d'une part une solution politique à la crise ivoirienne,
et d'instaurer d'autre part les bases véritables d'une nation démocratique. Aller à la
réconciliation c'est panser les coeurs blessés, meurtris, comme le relèvent les Évêques
de notre pays, mais c'est aussi identifier le mal à l'origine de ses blessures profondes,
l'Ennemi qui nous a conduits sur le sentier de la violence verbale, morale,
psychologique, et physique. Nos ennemis ne sont, en réalité, ni Alassane, ni le RDR,
mais les dérives d'un système, du monde de la Finance qui se sert des institutions
politiques pour continuer de mener une politique humiliante, coloniale, dans nos pays
pauvres, tout en consolidant les démocraties européennes. Les faits politiques sont là:
des soldats sous le président Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara sont accusés de
crimes contre l'humanité, Laurent Gbagbo et les siens sont mis en prison, les autres
sont en liberté parce que soutenus par le FMI qui nous invite à accorder un autre
mandat à Alassane, si nous voulons rééditer le miracle économique ivoirien. Le
président Houphouët, sous lequel se réalisa le premier miracle économique de notre
pays, ne s'empêcha pas, contrairement à Alassane Ouattara, de dénoncer les dérives
du monde de la Finance, en refusant de payer nos dettes parce que l'on nous avait
déjà assez volés. Le président burkinabé Thomas Sankara abonda dans le même ordre
d'idée, dans son discours prononcé le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba, quand il
affirma : «La dette c'est encore les néocolonialistes ou les colonisateurs qui se sont
transformés en assistants techniques. En fait, nous devrions dire qui se sont
transformés en assassins techniques. Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources
de financement, des bailleurs de fonds, un terme que l'on emploie chaque jour comme
s'il y avait des hommes dont le bâillement suffisait à créer le développement chez
d'autres. Ces bailleurs de fonds nous ont été conseillés, recommandés. On nous a
présentés des montages financiers alléchants, des dossiers. Nous nous sommes
endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C'est à dire que l'on nous a
amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus. Mais la dette,
sous sa forme actuelle, contrôlée et dominée par l'impérialisme, est une reconquête
savamment organisée, pour que l'Afrique, sa croissance et son développement
obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangères, faisant en
sorte que chacun de nous devienne l'esclave financier, c'est à dire l'esclave tout court,
de ceux qui ont eu l'opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous
avec l'obligation de rembourser». Ce témoignage du jeune président Burkinabé doit
nous amener à réfléchir face à toutes les promesses du FMI, et ses propos ne sont pas
des affirmations gratuites puisqu'un éminent économiste Alain Cohen nous dit au
sujet de toute politique d'endettement qu'un particulier, lorsqu'il s'endette est obligé
de rembourser sa dette avant sa mort, voilà pourquoi il lui est demandé de prendre
une assurance décès quand il contracte un prêt immobilier. Les administrations
publiques (les pays) ne meurent pas, ce qui signifie que si nous avons à leur tête des
représentants légitimes, elles peuvent, en théorie, s'endetter de manière perpétuelle
dans le but de favoriser la croissance afin que les générations futures puissent avoir
elles-aussi le droit de s'endetter grâce à cette croissance. S'il n'y a pas de croissance
ce sera la catastrophe pour elles (tiré de l'article du Figaro du 15/10/2007). En Côte
d'Ivoire où malgré l'endettement de notre pays nous n'observons aucun signe
palpable de la croissance, nous allons sûrement vers la catastrophe à moins
qu'Alassane Ouattara nous démontre le contraire, car générer la croissance sans faire
circuler l'argent est une prouesse économique qui est difficilement concevable. Notre
véritable ennemi, ce sont donc ces dettes qui conduisent à la catastrophe des pays
déjà pauvres. Tout est savamment organisé comme l'affirme le défunt président
Sankara pour faire de nous des esclaves financiers, des esclaves tout court. Blé Goudé
extradé, arrêté au moment où la société civile organise des grèves, à cause de la
cherté de la vie ou pour des motifs particuliers, et les mouvements se transforment en
partis politiques dans le but de défendre le président Laurent Gbagbo et leurs
idéologies communes est, sur le plan politique, un écran de fumée pour faire
diversion et nous éloigner des véritables enjeux politiques de notre pays. De Laurent
et Simone Gbagbo à Blé Goudé, en passant par Laurent Akoun, Douaty, toutes ces
arrestations démontrent qu'Alassane Ouattara et le monde de la Finance ne veulent
pas de la réconciliation en Côte d'Ivoire. Des maîtres (les hommes de la finance)
peuvent-ils concéder sincèrement la liberté aux esclaves qui refusent de continuer de
travailler dans leurs plantations? Non ! surtout lorsque ces maîtres sont en faveur de
l'esclavage et prêts à faire l'expérience d'une éventuelle guerre de sécession pour
assouvir leurs ambitions. Au sujet des dettes qui compromettent l'avenir des
Africains, Thomas Sankara s'adressa en ces termes à cette assemblée d'Addis Abeba:
« Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer sa dette, je ne serais pas là à la
prochaine conférence. Par contre, avec le soutien de tous, dont j'ai besoin avec le
soutien de tous, nous pouvons éviter de payer. Et en évitant de payer nous pourrons
consacrer nos maigres ressources à notre développement (notre croissance) ».
Sankara fit cette proposition à ses paires dans un contexte qui était le sien, le combat
du président Laurent Gbagbo consiste, au contraire, à payer ses dettes en faisant siens
les conseils du FMI et de la Banque mondiale en matière économique (l'exemple du
budget sécurisé), en discutant d'égal à égal avec les nations européennes afin que
l'exploitation de nos ressources minières génère la croissance pour nos enfants.
Thomas Sankara fut assassiné quelques mois après avoir tenu ce discours, et Laurent
Gbagbo est emprisonné à la Haye pour avoir choisi, comme Africain, de réduire la
dette de notre pays, d'entrer dans l'Histoire, en défendant les ressources de son peuple
qui ne sont pas infinies afin de produire de nouvelles richesses pour les générations
futures, si elles venaient un jour à manquer. Alassane Ouattara n'est pas notre ennemi
car nous luttons pour le futur de nos enfants en combattant une dette, un système
oppressif capable de décider dans un avenir proche de qui doit vivre ou mourir, être
repu ou affamé, être au chômage ou au travail, de qui doit veiller ou dormir, être en
prison ou en liberté, être dans l'Église ou en dehors puisqu'il se substituera à Dieu
Lui-même. Que Ouattara infirme les propos de Thomas Sankara ou d'Alain Cohen.

Une contribution par Isaac Pierre BANGORET (Écrivain)