Côte d’Ivoire: Monsieur le Président, attention à la dette extérieure, par Dr Nash Kpokou

Par IVOIREBUSINESS/ Partis politiques - Côte d’Ivoire. Monsieur le Président, Attention à la dette extérieure, par Dr Nash Kpokou.

Dr Nash Kpokou.

Lors des présentations de ses vœux, Madame Kaba Niale, Ministre en charge de l’économie et des finances, a annoncé que “le premier défi de notre ministère en 2015 sera de mobiliser d’importantes ressources sur le marché monétaire afin de financer les grands chantiers en vue de l’émergence de notre pays”.
Et plus tard Madame la Ministre déclarait que “tous les objectifs de mobilisation des appuis budgétaires auprès de nos partenaires au développement on été atteints. Au total, ce sont 1782 milliards F.CFA qui on été mobilises contre 1350 milliards prévus, soit un taux de réalisation de 132%.

Le ministre Mahaman Gaya, ancien haut fonctionnaire à la BAD, ancien ministre de l’Urbanisme nigérien, a pris part récemment à un colloque international en France, au cours duquel il a présenté une communication axée sur la dette. Pour lui, le service de la dette du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Kenya, du Niger…représente de 33 à 40% de leur budget, alors que les services sociaux n’en représentent à peine que 10%.

En effet, selon le ministre, aujourd’hui, tous les experts s’accordent à reconnaître que l’endettement des pays africains constitue pour eux un goulot d’étranglement sur le chemin du développement.

Alors si la perspective d’une croissance prometteuse incite le Président Ouattara et avec lui les bailleurs de fonds à l’optimisme d’ émettre des emprunts obligataires (libellés en dollars sur le marche international), cela soulève aussi des inquiétudes au sujet de la soutenabilité de l’ endettement de la Cote d’ivoire.

Certains observateurs considèrent que la Côte d’ivoire dispose encore d’une marge confortable pour pouvoir s’endetter davantage. D’autant plus la dette extérieure ivoirienne représente 43% du revenu national brut en 2013, ce qui correspond à la moyenne des pays en développement. Néanmoins, si cette marge existe, elle ne constitue pas pour autant une carte blanche pour s’endetter, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, parce que les niveaux de dette doivent être appréciés en fonction des capacités de remboursement – souvent limitées – des économies africaines. Même une dette représentant 40 ou 50% du PIB peut être difficile à rembourser pour un pays comme la Côte d’ivoire, présentant des fragilités politiques, économiques, et structurelles, ou encore de faibles recettes budgétaires comprises entre 20 et 40% du PIB comme c’est souvent le cas

D’ailleurs, durant les années 1980, les États qui étaient sujets à des défauts de paiement à répétition l’ont été malgré des taux d’endettement extérieurs considérés comme faibles pour des pays développés (moins de 40 % du PIB).

Deuxièmement, parce qu’en dépit d’une croissance prometteuse, l’économie ivoirienne insuffisamment diversifiée demeure vulnérable à tout choc conjoncturel : retournement des cours ou brusque chute des recettes d’exportation en raison de l’atonie de la demande mondiale. La dépendance de la croissance ivoirienne aux cours des matières premières, qui plus sont volatiles, est un facteur de vulnérabilité qui pourrait conduire à un ré-endettement rapide.

La Côte d’Ivoire n’est pas donc à l’abri d’une rechute et peut rencontrer des difficultés de paiement. Cela peut conduire à une nouvelle crise d’endettement souverain dans les dix années qui suivent. Cela devrait inciter le chef de l’etat Ouattara à réfléchir d’autant que seuls onze pays africains ayant atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE sont en risque de surendettement faible. Par ailleurs, au regard de la situation budgétaire des pays créanciers, les pays africains ne pourraient pas compter sur un nouvel épisode d’annulation massive de créances.

Troisièmement, si d’aucuns mettent en avant l’évolution positive de la structure de l’endettement ivoirien dans le sens où la dette interne est de plus en plus importante, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas exempt de risque. En effet, cette dette interne, souscrite à des conditions bien moins favorables, fait peser une charge non négligeable sur les finances publiques…
La Côte d’ivoire, en dépit du franchissement du point d'achèvement de l’initiative PPTE en 2012, est confrontée à des tensions sur son financement du fait de l'ampleur de sa dette bancaire intérieure qui doit être refinancée régulièrement.

Quatrièmement, rappelons que c’est le déficit public qui alimente l’endettement. Et malheureusement, depuis 2000 la Côte d’Ivoire a adopté des politiques budgétaires expansionnistes (investissements publics, subventions à la consommation) pour amortir
les effets de la crise.

Mais, ce qui est paradoxal, c’est que la croissance élevée en Côte d’Ivoire a eu pour conséquence le développement de déficits budgétaires très importants. La raison tient au laxisme suite à la découverte de ressources naturelles, ou encore la redistribution généreuse (augmentation des salaires, des subventions) à des fins électoralistes.

Enfin, si la Côte d’Ivoire a bénéficié au cours des trois dernières années de l'appétit des investisseurs pour le rendement grâce à des politiques monétaires ultra-accommodantes aux États-Unis, au Japon et en Europe, la donne est en train de changer. En effet, les investisseurs commencent à exiger des taux d'intérêt plus élevés pour détenir de la dette de certains pays africains, signe que le marché est devenu de plus en plus exigeant et prudent par rapport à la hausse des déficits budgétaires.

À titre d’exemple, Le Ghana qui il y a quelques années était montré en exemple pour sa classe moyenne et ses importantes réserves de pétrole, a vu le coût de ses emprunts augmenter. L'émission de 1 milliard de dollars réalisée l'an dernier avec un taux de 7,88 % se négocie aujourd'hui au-dessus de 9 %. Cela risque de mettre les budgets africains sous pression et les piéger dans une spirale de surendettement.

Si l’on est encore loin de la situation catastrophique des années 80, la non prise en considération des risques associés à une mauvaise gestion de la dette, notamment en poursuivant des politiques budgétaires expansionnistes, politisant les investissements publics, effectuant de la redistribution électoraliste, manquant de transparence dans la gestion des fonds publics et en maintenant le poids excessif de l’État, est susceptible de saper les dynamiques porteuses d’espoir et de faire dérailler l’économie ivoirienne
de la voie de l’émergence pour de longues années encore.

Pour le RPCI-AC
Dr NASH KPOKOU, PHD
Représentant Permanent du RPCI-AC aux USA