Côte d’Ivoire : L’Ambassadeur des USA en Terence Mc Culley, très inquiet pour la présidentielle de 2015

Par IVOIREBUSINESS - L’Ambassadeur Terence Mc Culley très inquiet pour la présidentielle de 2015.

Hier jeudi 23 janvier 2014 à l’université Félix Houphouët-Boigny (FHB), l’ambassadeur des Etats-Unis en Côte d’Ivoire, Terence Mc Culley, a exprimé son inquietude concernant la tenue de la prochaine élection présidentielle de 2015. Il s’exprimait face aux étudiants, « les agents du changement », à l’occasion de la journée dédiée à Martin Luther King Jr. Une occasion pour lui de jeter un regard sur la marche de la nation ivoirienne.
Pour le diplomate américain, «… Si nous nous tournons vers l’avenir, nous ne sommes qu’à peine 20 mois de l’élection présidentielle de 2015. Et compte tenu de l’histoire récente des élections présidentielles ici, on ne peut s’empêcher de nourrir quelques inquiétudes quant à l’avenir. Mais le passé c’est l’histoire, et l’avenir est devant nous. Il est à présent urgent de changer les schémas du passé qui ont entravé et paralysé le développement de ce pays pendant de si nombreuses années. Il est urgent que maintenant vous puissiez créer un environnement où les gens ne prennent pas les armes après une élection, mais plutôt l’étendard de l’espoir et de la paix ».

Nous vous livrons ici, l’intégralité de son discours de l’ambassadeur des Etats-Unis en Côte d’Ivoire, Terence Mc Culley.

Patrice Lecomte
« C’est pour moi un plaisir d’être avec vous aujourd’hui au moment où nous célébrons la vie de l’un des plus grands activistes américains pour la paix et l’égalité, le Dr. Martin Luther King, Jr.
J’aimerais saisir cette occasion pour parler un peu de la vie du Dr. King et dire pourquoi son œuvre et son message continuent d’avoir un écho si fort aux États-Unis, cinquante ans après sa Marche historique sur Washington où il a prononcé son discours « Je fais un rêve ».
J’aimerais également parler de la façon dont le message du Dr. King peut avoir de l’importance ici en Côte d’Ivoire, où pendant une longue période de crise et de conflit, des frères se sont retournés contre des frères et des voisins contre des voisins, en se battant et s’entretuant au nom de la politique, de la nationalité, des questions foncières et du pouvoir. Aux États-Unis, nous avons passé presque 238 années à parfaire nos institutions démocratiques et à effacer les honteuses taches présentes à la création de notre nation. Notre Guerre civile a mis fin à l’esclavage en 1865, mais la pleine égalité selon la loi pour les Africains-Américains a nécessité plus d’un autre siècle de lutte. Nous pouvons également témoigner des efforts accomplis pour obtenir l’égalité des droits pour les femmes, et pour reconnaître les droits des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT). Tout ceci pour suggérer que la construction et la consolidation des institutions démocratiques est un processus difficile et interactif qui nécessite des leaders visionnaires comme le Dr. King et l’engagement, le courage et l’énergie des citoyens. Malgré les défis à relever, les États-Unis continuent ce voyage, et je pense que la Côte d’Ivoire peut emprunter la même voie. Je suis convaincu que votre pays peut sortir des moments sombres de son passé récent qui a créé des incompréhensions. Je crois sincèrement que la Côte d’Ivoire peut de nouveau devenir un symbole de paix, de prospérité et de promesse pour la sous-région et le continent africain.
Je suis un enfant des années soixante et j’ai grandi en observant les grandes luttes pour l’égalité menées par des leaders comme le Dr. King. Même si mon état d’origine de l’Oregon, sur la côte ouest des États-Unis, était loin des lignes de front de l’Alabama, du Mississipi, de la Géorgie, de Boston et de Detroit, j’ai été touché par le courage d’un mouvement qui exigeait la pleine égalité pour tous les Américains; un mouvement qui créa une Amérique où nous avons pu élire notre premier Président africain-américain en 2008. Je suis heureux d’être en Côte d’Ivoire à ce tournant critique de l’histoire de votre pays en tant que représentant de Barack Hussein Obama, et je vois ici d’énormes possibilités d’engagement des États-Unis. Je suis de nature très optimiste, et ayant vécu et travaillé en Afrique depuis 1985, je pense, comme l’a dit le Dr. King que « l’arc de l’univers moral est long, mais il plie vers la justice.»
Tout au long de ma carrière, j’ai repris les paroles et les œuvres du Dr. King pour inspiration et conseils. En préparant mon arrivée en Côte d’Ivoire, j’ai été attiré par une ligne particulièrement poignante du discours « Je fais un rêve ». En prononçant son passionnant discours depuis les marches du Lincoln Memorial à Washington, D.C., il y a de cela cinquante ans le mois d’août dernier, le Dr. King a insisté sur le fait que le temps de passer à l’action était arrivé.
Il a dit ceci: « Nous sommes venus à cet endroit sacré pour rappeler à l’Amérique l’urgence absolue du moment. Il n’est plus temps de se laisser aller au luxe d’attendre ni de prendre les tranquillisants des demi-mesures. Le moment est maintenant venu de réaliser les promesses de la démocratie ».
Lorsque le Dr. King prononçait ses mots, il appelait à l’action pour la justice sociale et les droits civils pour tous aux États-Unis. Ce message garde encore sa pertinence aujourd’hui. Toutefois, je crois que son message sur « l’Urgence absolue du moment » a un écho non seulement dans l’Amérique du 21ème siècle, mais aussi ici en Côte d’Ivoire, au moment où vous travaillez ensemble pour faire avancer la paix et la réconciliation, pour rebâtir des institutions démocratiques et promouvoir la croissance économique.
Il est incontestable que la Côte d’Ivoire a fait face à de nombreux défis au cours des deux dernières décennies. Et pourtant, lorsque je suis arrivé ici il y a quelques mois et que j’ai commencé à rencontrer les chefs d’entreprises, les responsables gouvernementaux et des Ivoiriens de toutes les couches sociales, j’ai été frappé par leur farouche optimisme. Il suffit de regarder sur la lagune pour voir le nouveau pont qui sort des eaux pour se rendre compte des changements en cours et voir que les gens sont enthousiastes pour l’avenir. Cela se voit dans les nouvelles entreprises qui naissent, les nouveaux investissements et les nouvelles personnes qui viennent de l’ensemble du pays et de toute l’Afrique de l’Ouest, attirées encore une fois par la locomotive de la sous-région. Je l’ai vu ici aujourd’hui en passant devant les bâtiments et en traversant le magnifique paysage de ce campus. Il me semble que les Ivoiriens adoptent la renaissance en cours et les gens travaillent ensemble pour que cela devienne réalité. Ils reconnaissent que le moment est venu d’agir.
Cependant, mon expérience m’enseigne que l’optimisme sans actions concrètes est fragile. Si nous nous tournons vers l’avenir, nous ne sommes qu’à peine 20 mois de l’élection présidentielle de 2015. Et compte tenu de l’histoire récente des élections présidentielles ici, on ne peut s’empêcher de nourrir quelques inquiétudes quant à l’avenir. Mais le passé c’est l’histoire, et l’avenir est devant nous. Il est à présent urgent de changer les schémas du passé qui ont entravé et paralysé le développement de ce pays pendant de si nombreuses années. Il est urgent que maintenant vous puissiez créer un environnement où les gens ne prennent pas les armes après une élection, mais plutôt l’étendard de l’espoir et de la paix.
Il est maintenant temps pour cette action, et vous – les jeunes gens comme vous – êtes les agents du changement.
Néanmoins, il est important d’avoir à l’esprit que la construction et la consolidation des institutions démocratiques nécessitent plus que des élections paisibles, transparentes et crédibles en 2015. Bien que beaucoup ait été fait au cours des deux années et demie passées pour réparer les dommages causés par plus d’une décennie de troubles dans le pays, beaucoup reste encore à faire.
Parmi ces nombreuses priorités aussi importantes les unes que les autres, la réconciliation nationale, la cohésion sociale et une justice équitable restent les plus pressantes. J’hésite presqu’à utiliser le mot « réconciliation » car il a tant été utilisé et signifie tant de choses pour différentes personnes, qu’il semble avoir perdu de son importance.
Pour dire les choses plus simplement, la réconciliation par définition est un changement profond de l’inimitié à la courtoisie, de l’agressivité mutuelle à la recherche d’un but commun dans la reconstruction d’un pays. Ce n’est pas un objectif aussi difficile à atteindre comme certains pourraient vous le faire croire. Les acteurs politiques, les chefs traditionnels, la société civile et la population en général doivent se mettre ensemble, et s’ils ne parviennent pas à résoudre leurs différends, pour décider tout au moins, qu’il est temps de regarder vers l’avenir et non vers le passé. Il n’y a probablement pas de moyens de guérir toutes les blessures qui ont été infligées au cours de la période de crise écoulée, d’instabilité et de guerre civile. C’est seulement en se tournant vers l’avenir que la Côte d’Ivoire pourra aller de l’avant.
Dans le même temps, pour aller de l’avant, il sera essentiel de s’attaquer à la culture croissante de l’impunité. Le Président Ouattara a déclaré que les responsables de crimes graves doivent répondre de leurs actes et qu’il n’y aurait pas une justice des vainqueurs en Côte d’Ivoire. Le gouvernement à tous les niveaux devrait tenir cet engagement afin de démontrer sa détermination à rechercher la justice pour tous les abus commis. Il ne saurait y avoir un état de droit dans un pays lorsque sa population se rend compte que la loi n’est pas équitablement appliquée.
Pour notre part, le Gouvernement des États-Unis continue de soutenir ces efforts en mettant l’accent sur le renforcement des institutions qui permettent au gouvernement de fournir des services clés à sa population et de gagner sa confiance. Au cours de l’année écoulée, nous avons lancé deux grands programmes de renforcement des capacités dans les secteurs législatifs et judiciaires. Nous finançons un programme quinquennal de 13 millions de dollars qui offre une formation et une assistance technique pour aider l’Assemblée Nationale à mieux accomplir ses fonctions essentielles de législation, de représentant et de contrôle. Nous avons également investi 19 millions de dollars pour former et renforcer les capacités de la police judiciaire, des magistrats et du personnel de la justice pour accroître la transparence, réduire les risques de corruption et renforcer la culture de la responsabilité de rendre compte.
En ce qui concerne la réforme du secteur de la sécurité, nous entendons renforcer notre collaboration sur les questions de défense et de sécurité intérieure. Nous soutiendrons également le Gouvernement ivoirien pour assurer des élections justes et transparentes. Les États-Unis contribuent à la relance économique en incitant à la diversification, la transparence et à une approche participative. Depuis la réadmission de la Côte d’Ivoire à l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) en 2011, le pays a exporté des produits se chiffrant à des millions de dollars aux États-Unis exonérés de taxes. Votre gouvernement travaille également pour améliorer son score sur les indicateurs utilisés par le Millenium Challenge Corporation pour déterminer les pays éligibles aux financements de ce programme américain. Ces indicateurs comprennent la lutte contre la corruption, l’amélioration des finances publiques et la protection des libertés civiles. Le faisant, le gouvernement prend des mesures économiques, sociales et politiques qui amélioreront le climat des affaires en Côte d’Ivoire et attireront les investisseurs indépendamment du fait que le pays ait été choisi pour le Compact ou non.
Nous travaillons aussi pour soutenir le secteur de la santé grâce au Plan d’aide d’Urgence du Président américain pour la lutte contre le SIDA, ou PEPFAR. Le PEPFAR a célébré ses dix ans l’année dernière. En dépit d’une réduction du taux de prévalence du VIH qui est passé de 4.7% en 2005 à 3.7 % en 2012, la Côte d’Ivoire reste le pays le plus touché en Afrique de l’Ouest. En Côte d’Ivoire, le PEPFAR est de loin le plus grand partenaire de la lutte contre le VIH/SIDA avec une contribution de plus de 75% de tous les fonds alloués à la lutte contre le VIH/ SIDA dans le pays.
Cependant, nous devons prendre les mesures nécessaires pour nous assurer que le Gouvernement ivoirien peut fournir lui-même ces services à sa population, sans être si dépendant d’autres pays.
C’est maintenant que cela doit se faire.
Les États-Unis travaillent également pour aider à trouver des leaders et à développer leurs capacités en Côte d’Ivoire et dans tous les pays d’Afrique à travers l’Initiative du Président Obama pour les jeunes leaders africains. Les candidatures à ce programme sont toujours ouvertes pour les meilleurs et brillants leaders pour l’avenir de l’Afrique. Ceux-ci se rendront aux États-Unis pour apprendre plus sur comment ils peuvent bâtir une démocratie et une croissance économique durable chez eux.
Toutefois, ce ne sont pas que des programmes entrepris au niveau national, avec l’aide de partenaires comme les États-Unis, qui feront la différence dans ce pays. A travers toute la Côte d’Ivoire, des jeunes, des femmes, la société civile et les chefs traditionnels travaillent à trouver un terrain d’entente avec leurs voisins afin de reconstruire et de bâtir. Si les actions menées par le gouvernement dans les grandes villes sont essentielles pour susciter le changement, il est également clair que les évènements à la base revêtent une importance cruciale pour la reprise et la croissance économiques. Sans emplois, les hommes et les femmes ne peuvent pas subvenir aux besoins de leur famille. Sans investissements économiques, des emplois ne peuvent pas être créés et des infrastructures telles que les routes et les ponts et les systèmes de santé et d’éducation seront laissées à l’abandon. Les Ivoiriens doivent aussi engager un combat courageux contre le fléau de la corruption qui menace tant de pays émergents. Pour progresser vers l’avenir, le pays doit aborder les questions fondamentales visant à apporter la prospérité à long terme, notamment mettre fin aux pratiques de corruption qui détournent les ressources, sapent l’esprit d’entreprise du monde des affaires et découragent les nouveaux investisseurs potentiels.
Il est maintenant temps d’agir. Il est maintenant temps pour les jeunes d’adhérer à l’idée dont le Dr. King a parlé en 1967 quand il a dit, « Ne pas céder au slogan, « Burn, Baby, Burn » Ce doit être « Build, baby, build, » de sorte à ce que vous puissiez dire : « earn, baby, earn »
En célébrant le 50ème anniversaire du discours du Dr. King en août dernier, le Président Barack Hussein Obama a fait remarquer qu’aux États-Unis, nous aussi sommes confrontés à des défis liés à notre démocratie. Il disait : « La bonne nouvelle est, comme c’était tout aussi vrai en 1963, nous avons maintenant un choix à faire. Nous pouvons poursuivre notre descente sur la voie actuelle sur laquelle l’embrayage de la démocratie se bloque et nos enfants acceptent une vie de beaucoup moins d’attentes … où quelques-uns s’en sortent très bien, alors que des familles de toutes races en prise à des difficultés se disputent pour une tarte économique de plus en plus réduite. C’est l’une des voies. Ou bien nous pouvons avoir le courage de changer. La Marche sur Washington nous enseigne que nous ne sommes pas pris au piège des erreurs de l’histoire, que nous sommes maîtres de notre destin. Mais il nous apprend aussi que la promesse de cette nation ne sera tenue que si nous travaillons ensemble. »
Les États-Unis et la communauté internationale reconnaissent que la Côte d’Ivoire a fait d’énormes progrès pour résoudre de nombreux défis complexes. Toutefois, certaines des décisions les plus difficiles restent encore à prendre. Aurez-vous le courage de changer la trajectoire du passé et d’embrasser les principes et idéaux du Dr. King? En tant qu’Américain, et comme je l’ai dit au début, je peux admettre que la démocratie n’est pas une chose facile. C’est un voyage sans fin qui exige un engagement continu, une détermination constante et une vigilance permanente pour continuer à avancer.
Alors que nous nous tournons vers 2014, 2015 et au-delà, je vous rappelle les paroles de Martin Luther King, « Nous ne pouvons pas marcher seuls. Et pendant que nous marchons, nous devons faire la promesse d’aller toujours de l’avant. Nous ne pouvons revenir en arrière. » Les États-Unis marchent côte à côte avec nos amis de la Côte d’Ivoire et nous ne reviendrons pas en arrière alors que nous regardons de l’avant et avançons vers un avenir meilleur et plus prometteur.
C’est le moment. Et le défi, c’est le vôtre.
Merci de votre aimable attention, et à ce stade, je serais ravi de répondre à vos questions, mais aussi d’avoir vos propres commentaires et observations ».

Terence Mc Culley
Ambassadeur des Etats-Unis en Côte d’Ivoire

Propos retranscris par Patrice Lecomte