Côte d’Ivoire : ET SI LE PDCI AVAIT TRAHI LE RDA

Le 19 février 2011 par Fraternité Matin - Les grandes trahisons sont toujours effacées par l’histoire», telle est la pensée d’Alexandre Sanguinetti. Il semble que cette affirmation se fonde sur l’altération des faits par le temps, mais

Henri Konan Bédié, président du Pdci-Rda.

Le 19 février 2011 par Fraternité Matin - Les grandes trahisons sont toujours effacées par l’histoire», telle est la pensée d’Alexandre Sanguinetti. Il semble que cette affirmation se fonde sur l’altération des faits par le temps, mais

notre intime conviction est que le temps ne fait que parsemer le doute dans notre conscience sans diluer totalement des faits. Si l’on s’accorde sur ce fait, alors il est possible d’affirmer que le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) a trahi le Rassemblement démocratique africain (Rda). N’est-ce pas là, une affirmation gratuite ? Bien sûr que non, si l’on donne une définition acceptable de ce qu’est la «trahison».
En effet, la trahison est l’action de trahir, c’est-à-dire de dénaturer, d’altérer quelque chose ou la pensée première.
Le Rda a été un vaste et puissant mouvement africain dont la portée historique échappe parfois à ceux qui en sont les promoteurs. Le Pdci-Rda en était une section. Mais le Pdci, c’est le cas de le dire, a agi avec perfidie vis-à-vis du Rda. En tout cas, tel est notre sentiment et nous entendons le justifier à travers cette contribution.
L’argumentation dans cette contribution s’articule autour de trois points logiques.
Le premier point reviendra sur la philosophie première du Rda et de sa section ivoirienne, le Pdci.
Le deuxième mettra en lumière la trahison historique du Pdci à l’égard des idéaux du Rda.
Le troisième proposera au Pdci-Rda de revenir à ses premières amours, en ayant une attitude digne.
Il est connu de tous que l’Occident nous dépouille sans contrepartie. Mais cela ne date pas d’aujourd’hui. Avant les indépendances des années 60, ce constat a été fait par les pères des indépendances, d’où la nécessité d’une lutte sans merci pour le rétablissement de notre dignité. C’est ce qui a motivé la création du Rda. Enfanté au milieu de l’indifférence générale, accueilli avec un grand scepticisme ou une souriante ironie, est né le Rda à Bamako, en 1946. Le congrès constitutif du Rda s’ouvre le 18 octobre 1946 à Bamako où plus de 800 délégués venus par tous les moyens de Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Dahomey (actuel Bénin), du Niger, du Soudan (actuel Mali), du Cameroun, du Tchad se trouvèrent réunis. Le congrès dura trois jours pour donner naissance à ce «gros bébé noir». Pour la première fois, des hommes politiques d’Afrique occidentale et d’Afrique équatoriale française se rassemblent pour reconquérir leurs droits. Le 21 octobre, le Rda voit le jour sous la direction de Houphouët-Boigny. Dans presque tous les territoires, il devient la principale force politique. Le Rda est un grand mouvement anticolonialiste d’Afrique noire, avec des sections inter-territoriales (Upc au Cameroun, Pdci en Côte d’Ivoire, Pdg en Guinée, l’Union soudanaise au Mali). Qu’il nous soit permis de rappeler quelques phrases du manifeste du Rda : «le fédéralisme du Mouvement républicain populaire (Mrp) ne peut tromper, aujourd’hui, aucun Africain. Il n’est, en effet, que le masque d’un régime d’autorité, comme l’assimilation, que nous rejetons formellement, n’est qu’une chape de plomb jetée sur l’originalité africaine».
Le Rda était donc un mouvement qui luttait contre l’impérialisme tout court. Pour s’en convaincre, il suffit d’être attentif aux propos de Félix Houphouët Boigny: «S’appuyant sur toutes les couches sociales d’Afrique, notre mouvement puise sa confiance dans l’avenir, dans celle que la masse africaine a placée en lui comme dans la lutte héroïque des forces démocratiques du monde entier, sûres de leur victoire contre les forces impérialistes». Mais l’apparentement du Rda au Parti communiste lui attire les foudres de Paris dès le début des années 1950, sans pour autant l’abattre complètement : ses sections restent à l’avant-garde de la marche vers l’émancipation.
Homme politique de « premier plan », pour reprendre à notre compte les mots du général de Gaulle, Félix Houphouët-Boigny (FHB) est véritablement un militant engagé pour la dignité de l’africain.
En 1944, FHB crée le Syndicat agricole africain (Saa) pour la défense des intérêts paysans. Houphouët est alors, à la fois président et secrétaire général. La première décision prise est de lutter pour la revalorisation du salaire journalier des travailleurs des plantations : 6 F par jour aux travailleurs des plantations, contre 3,50 F offerts par les colons. Une plainte fut portée contre le président du Saa pour cette décision. Il fut même l’objet d’enquêtes depuis Paris (le ministère des Colonies envoya un inspecteur), pour comportement anti-français.
On l’a dit plus haut que le Rda a vu le jour sous la direction de Houphouët-Boigny et que ce mouvement luttait pour la dignité et l’émancipation de l’Africain. Le Pdci-Rda est une section de ce mouvement d’émancipation des peuples d’Afrique noire. Tous les observateurs de la scène politique en Côte d’ Ivoire sont unanimes pour dire que le Pdci est un parti de paix, de tolérance, de développement et d’unité. Pourtant, ils sont en nombre limité, ceux qui savent que le Pdci est un parti de combat. A ces derniers, il convient de rappeler que le fondement de ces idéaux se trouve dans la prise de conscience d’un homme, Félix Houphouet-Boigny, dans son cri d’indignation comme il le dit lui-même : «On parle de la naissance de notre mouvement, le Pdci-Rda. En fait, tout est parti du Syndicat agricole africain. En 1932, je vous l’ai dit, j’étais jeune médecin à Abengourou. Et devant la détresse des cultivateurs de l’Indénié, je me suis permis, avec l’accord du Gouverneur d’alors, Bourgine, d’inviter mes compatriotes à faire la grève de la vente du cacao. J’ai écrit un article de presse intitulé, «On nous a trop volé».
Ainsi que dans le préambule des statuts adoptés au 5e Congrès :
«Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire dit Pdci, né du Syndicat agricole africain de Côte d’Ivoire, fidèle reflet des aspirations profondes de nos masses, a pour mission, dans le cadre du Rassemblement démocratique africain d’affirmer au niveau de la Côte d’Ivoire la personnalité africaine. Il s’assigne en conséquence pour but de promouvoir une politique de bien-être, de paix, de neutralité absolue et de coopération internationale dans l’égalité, la tolérance, la solidarité et la dignité».
Le Pdci a été un grand parti de combat. Pour ceux qui ne le savent pas, le 6 février 1949, au cours d’un meeting, des incidents éclatent entre partisans et adversaires du Rda. Le bilan de cette journée est de 2 morts et plusieurs blessés. Mais en réalité, c’était une provocation montée de toutes pièces selon les militants. La plupart des dirigeants du Pdci furent arrêtés et emprisonnés à Grand-Bassam par l’autorité coloniale, en l’occurrence le gouverneur Péchoux. On pouvait noter l’arrestation de huit militants du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci-Rda) (Dadié, Ekra Mathieu, Séry Koré, Ladji Sidibé, Jacob William, Paraiso, Allo Jérôme, Philippe Vierra, Lama Kamara, Jean Baptiste Mockey).
Le 24 décembre 1949, en Côte d’Ivoire, environ 4000 femmes se rassemblent aux alentours de la prison de Grand-Bassam pour protester contre l’incarcération arbitraire de leurs maris, de leurs fils et de leurs frères membres du Rda. Marie Séry Koré, présidente du comité féminin du Pdci à Treichville, est à la tête de cette révolte. Il paraît que cette femme digne aurait administré une magistrale paire de gifles à un des colons zélé et excité, qui empêchait les femmes d’avancer vers le palais de justice et la prison civile. Trois mois plus tard, les prisonniers du Pdci passaient en jugement et furent condamnés à des peines atténuées.

Si avoir de la dignité, c’est avoir un comportement qui mérite l’estime ou avoir le respect de soi-même, on peut dire qu’aujourd’hui, le Pdci-Rda a trahi le Rda. Comment comprendre l’atténuation du zèle brûlant du Pdci pour le respect de la dignité du peuple ivoirien? Le comportement des dirigeants actuels du vieux parti intrigue, c’est le cas de le dire. On se souvient de la déclaration d’un porte-parole du Pdci-Rda, appelant les Nations unies à mettre sous tutelle un pays que ce même parti à aider à conquérir une indépendance nominale en 1960. Alors qu’on recherchait les voies de sortie de crise, M. Claude Emolo préconise, à cet effet, de “mettre en place un nouveau cadre institutionnel sous l’égide de l’onu dont le mandat prendra fin dès la prestation de serment du nouveau président”. Il clarifie même ses propos en ces termes: “Cette institution onusienne aura, entre autres, les pouvoirs suivants: administration générale des affaires courantes de la nation, conduite du processus électoral dans tous ses aspects jusqu’à la prestation de serment du nouveau président élu”.
On peut également citer la création du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la Paix (Rhdp), le 18 mai 2005 à Paris, sur l`initiative du président Henri Konan Bédié soutenu par le Dr Alassane Dramane Ouattara.
Les appels incessants du RHDP à la désobéissance civile, à ne pas travailler, à ne pas payer les taxes et impôts, jettent un discrédit sérieux sur le PDCI-RDA, le noyau dur de ce mouvement. Le Rhdp «tue» l’économie ivoirienne, casse des maisons, manifeste violemment, agresse, avec la bénédiction du vieux parti. Le PDCI appelle aujourd’hui, comme d’ailleurs ses alliés du RHDP à la destruction de la Côte d’Ivoire par les soldats de l’Ecomog. Quelle honte pour un parti qui prétend lutter pour le bien-être des Ivoiriens! Pourquoi le vieux parti tourne-t-il le dos à la négociation alors même que le dialogue a toujours été une «religion» au Pdci? Il n’y a pas de commentaires additionnels à faire à propos de ce nouveau visage du Pdci-Rda: le parti a trahi le combat du Rda. Ces errements sont contraires aux idéaux du parti du « bélier de Yamoussoukro».
Le Pdci-Rda a tout simplement trahi le puissant mouvement d’émancipation des Africains qu’est le Rda.
Nous avons vu que le parti de feu Félix Houphouët- Boigny (FHB) a trahi les idées pionnières du Rda. Ce qui est consternant, c’est que Félix Houphouët-Boigny et Henri Konan Bédié ont une légitimité historique. Que signifie donc ce terme ?
Pour le professeur Pierre Kipré, avoir la légitimité historique, c’est réussir à travers le temps, à poser des actes significatifs dans sa communauté, mener un combat en faveur de l’évolution politique et démocratique de la communauté.
Dans ce cas, nul ne peut contester à FHB, la légitimité historique de premier plan dans notre pays, cependant l’accord est moins large sur les autres politiciens ivoiriens du vieux parti. Le Pdci d’aujourd’hui s’est affaissé au point qu’il est composé de politiciens aux ordres. La vacuité politique du Pdci désole de nombreux Ivoiriens, qui se demandent quelle piqûre injecter à ce parti pour lui redonner ses lettres de noblesse.
Bédié a été en France, alors qu’il était étudiant, un militant endurci de la Fédération des étudiants d’Afrique noire française (Feanf), à l’époque avant l’indépendance. Etre militant de la Feanf en France, ça supposait être fondamentalement anti-colonialiste. La Fédération fut créée à Bordeaux dans la nuit du 31 décembre 1949 au 1er janvier 1950 et luttait pour la libération et l’indépendance de l’Afrique. Elle prônait l’indépendance nationale, l’unité africaine et la démocratie garante du développement économique. On se souvient des manifestations à Paris, au quartier latin, des étudiants africains après l’assassinat du Congolais Patrice Lumumba en 1961.
Ainsi, la Feanf reposait sa force sur la lutte qu’elle menait contre un seul ennemi, la France, c’est-à-dire son gouvernement. Aujourd’hui, cette même France a pris de l’âge avec des tentacules un peu partout se métamorphosant en des réseaux maffieux qui se nomment françafrique, dont les effets sont désastreux pour le développement des pays africains.
Pourquoi donc le Pdci-Rda d’Henri Konan Bédié (aujourd’hui) peut se comporter comme un suppôt de la France?
Il existe encore une bretelle de sortie pour le vieux parti, qui, disons-le, a construit la Côte d’Ivoire.
Le Pdci-Rda doit se réconcilier avec les idées du Rda en abandonnant les voies qui assujettissent le peuple ivoirien.
Si le Pdci-Rda avait encore un peu de dignité, il serait bon qu’il se désolidarise de ceux qui complotent pour détruire le pays pour lequel Félix Houphouët-Boigny a lutté toute sa vie.
Par
Prao Yao Séraphin (*)