Burkina: La danse des sorciers a déjà commencé (1/2), par Justin Koné Katinan

Par Legrigriinternational.com - La danse des sorciers a déjà commencé (1/2), par Justin Koné Katinan.

Le ministre Koné Katinan Justin.

Après 27 ans de règne sans partage, Blaise Compaoré, le dernier des intègres, pourtant à la tête des hommes intègres, vient d’être balayé par un « tsunami du peuple », en moins de 48 heures. La violence et la rapidité avec lesquelles le mouvement de révolte populaire a été conduit, est symétrique de l‘immensité des rancœurs, des rancunes et des ressentiments, accumulés par le peuple burkinabé, plus d’un quart de siècle. Le rideau vient de tomber sur la silhouette filiforme d’un homme physiquement élégant, mais dont la morale a été corrompue par l’enivrement du pouvoir. Mais à peine le brave peuple burkinabé savoure-t-il sa victoire historique, que les nuages s’amoncellent au-dessus de sa tête, annonçant la persistance de la mauvaise météo sur le pays. Ici et là, des voix se lèvent, émanant toujours des donneurs universels de leçons de démocratie, parfois discordantes, pour essayer d’étouffer et de contrôler la volonté d’un peuple qui devra panser encore pour longtemps les blessures profondes d’un régime autocratique. Il appartient à l’élite africaine : politique, intellectuelle ou spirituelle, de venir au secours du peuple frère du Burkina Faso.
Notre modeste intervention de ce jour vise à donner notre opinion à la fois politique et juridique sur le mouvement populaire de ces derniers jours au Burkina Faso. La démarche que nous empruntons se veut simple. Il s’agit pour nous de faire d’abord une analyse politique de ce mouvement (I), et d’en dégager par la suite, les conséquences juridiques du point de vue constitutionnel et institutionnel (II).

I. L’analyse politique du mouvement populaire burkinabé
Quel message le peuple burkinabé a transmis au monde entier par le mouvement populaire qui a conduit à la chute du régime Compaoré ? Quelle est la portée politique de ce mouvement ? C’est à la lumière des réponses à ces interrogations fondamentales qu’il faudra chercher envisager la suite politique à donner à ce mouvement populaire. Pour nous, à l’évidence, le mouvement de contestation qui a commencé le 27 Octobre dernier, s’est transformé en cours de chemin en une révolution (A). Malheureusement il apparaît de plus en plus clair, que la lecture erronée qui en est faite de part et d’autre, de bonne ou de mauvaise foi, pourrait étouffer dans l’œuf ce mouvement révolutionnaire, à la grande satisfaction des mêmes réseaux qui veulent contrôler tout en Afrique (B).

A/ Une révolution ?
Pour mieux orienter notre démarche, il y a lieu de définir dans un premier temps, la notion de révolution (1), puis dans un second temps, de l’appliquer au cas burkinabé (2).

1/ Approche définitionnelle.
Dans son sens étymologique, le mot révolution est tiré du latin « revolvere », qui signifie rouler en arrière. Dans son sens pratique, une révolution « est un changement, un bouleversement important et brusque dans la vie d’une nation » . Elle peut être économique, sociale ou politique. Les révolutions les plus courantes et les plus remarquables sont les révolutions politiques. Un mouvement politique révolutionnaire, est par nature un mouvement qui débouche sur la suppression de manière brutale, sanglante ou non, de l’ordre établi et du régime politique qui le sous-tend, et sur leur remplacement par une nouvelle situation politique, souvent idéologique, et toujours institutionnelle. Ce qui caractérise la révolution et la distingue en même temps des notions voisines telles que, révolte, insurrection, réforme ou coup d’Etat, est l’instauration d’un nouvel ordre qui se substitue au premier. Ce n’est donc pas un simple mouvement épisodique. Au contraire, la révolution est l’expression d'un changement objectif contrat social. Peu importe que ce changement soit violent ou non. Seule sa finalité et la nature brutale d’un mouvement de contestation, lui confèrent la qualité de révolution.
L’Histoire rend témoignage de nombreux exemples de révolutions. Les plus connues sont la révolution française de 1789, qui a aboli la royauté et instauré les prémices de la république. La révolution industrielle qui est plus économique mais sans pour autant perdre toute dimension politique. La révolution bolchéviste de 1917, qui a supprimé le tsarisme en Russie, est un mouvement à la fois politique et économique, en ce que la pensée économique qui émane du mouvement politique, remet en cause l’ordre économique existant. Il y a eu les nombreuses révolutions bolivariennes en Amérique Latine, dont la plus célèbre reste la révolution castriste de 1959 à Cuba. D’un point de vue étymologique, les mouvements indépendantistes africains des années 60, peuvent s’identifier pour certains, à des révolutions. Tous ces mouvements visaient à combattre le régime colonial. C’est une constante de chaque mouvement indépendantiste. Cependant, conformément à la définition ci-dessus rappelée, seuls ceux qui ont été menés de manière brutale, gardent la qualité de révolution. Le meilleur exemple est celui de l’Algérie. L’élément intentionnel des acteurs du mouvement est déterminant pour le qualifier de révolutionnaire. Si l’intention des acteurs d’un mouvement populaire est de changer seulement les hommes à la tête des institutions d’un pays, ils n’opèrent pas une révolution. Ils font certainement un coup d’Etat, mais pas une révolution. Il faut qu’ils soient animés d’une volonté irrévocable de changer l’ordre politique existant. Cette intention peut être manifeste à l’entame du mouvement, ou se révéler dans sa progression.
Appliquer au cas d’espèce, le mouvement burkinabé qui a débouché sur la chute de Blaise Compaoré peut-il être considéré comme une révolution ? A l’évidence, la réponse ne fait l’ombre d’aucun doute. Il s’agit bel et bien d’un mouvement révolutionnaire.

2/Le mouvement burkinabé est un mouvement révolutionnaire
Le mouvement entamé par les Burkinabés depuis le 27 octobre et qui s’est terminé le 31 octobre par la chute de Compaoré visait selon une opinion, seulement le retrait du projet de révision de l’article 37, véritable caméléon constitutionnel du Président Blaise Compaoré. Chemin faisant, le peuple a décidé de manière brusque de s’attaquer aux symboles essentiels du régime de Compaoré, jusqu’à la chute de ce dernier. Ce mouvement respecte donc l’une des conditions requises d’un mouvement révolution. Le caractère brutal de ce mouvement s’impose de lui-même à tous les observateurs et ne peut faire l’objet d’aucun doute raisonnable.
En revanche, l’analyse gagne en intérêt sur l’intention des Burkinabés. Ont-ils voulu tout simplement chasser Blaise Compaoré du pouvoir en gardant mutatis mutandis l’ordre politique qu’il a régenté plus d’un quart de siècle ?
La réponse à cette question passe par une analyse du système politique de Blaise Compaoré mis en rapport avec l’histoire politique du Burkina Faso, et des différents acteurs du mouvement de ces derniers jours. Blaise Compaoré était le numéro deux d’un gouvernement qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1983. Le gouvernement piloté alors par le capitaine Thomas Sankara, s’était fixé comme objectif de combattre tout ce qui rappelle l’impérialisme occidental, et donner la fierté à un peuple, qui vit dans un pays classé parmi les plus pauvres du monde, mais qui ne manque pas de dignité. La révolution burkinabée de 1983 est une vérité historique. Les réformes entreprises par le gouvernement de Sankara touchent aux fondements mêmes de l’ordre politique et économique existant, hérité de la colonisation et d’une indépendance factice. Le changement de nom du pays, n’est pas la moindre preuve de ce mouvement révolutionnaire. Si l’on s’en tient à la popularité dont jouit encore le capitaine Sankara auprès de ses compatriotes, plusieurs années après sa mort, il n’y a pas de doute que son mouvement avait acquis le cœur de ceux-ci. Malheureusement pour les Burkinabés, la révolution sankariste s’est arrêtée brusquement par un coup d’Etat, mené par son homme de confiance, le capitaine Blaise Compaoré. Le Coup d’Etat va se muer en une contre-révolution, puisque le nouveau Chef de l’Etat burkinabé va s’atteler à démonter tous les acquis de la révolution de 1983, et à replacer le pays sous l’ancien ordre d’avant 1983, marqué par la Françafrique. C’est en tout cas, de cette façon qu’a dépeint le régime de Blaise Compaoré, la chaine de télévision France 24, dans ces éditions consacrées à la crise burkinabée. Compaoré tombe alors dans les bonnes grâces de la France, qui s’accommode volontiers des régimes corrompus africains, pourvu qu’ils fassent sa volonté. Voilà ce qui explique de façon prépondérante, la longévité politique de Blaise Compaoré. La connivence franco-Compaoré est illustrée par la lettre du 17 octobre dernier dans laquelle, le Président François Hollande, lui demande de monnayer son départ du pouvoir, par une place dans une institution internationale, que la France lui trouverait. La France est la nouvelle agence d’embauche des anciens Chefs d’Etats qui lui ont rendu de nombreux et loyaux services.
Le mouvement populaire burkinabé s’est attaqué à l’ensemble du système Blaise Compaoré. L’Assemblée nationale, détruite et brûlée est un signal très fort donné par le peuple burkinabé quant à son intention de remettre en cause l’ordre politique établi par le Président déchu. Les hésitations que l’on observe au niveau de celui qui va conduire la transition sont également symptomatiques de la détermination de ce peuple de rompre de façon irrévocable avec le passé de Compaoré. L’opposition civile émanant pour l’essentiel du système Blaise Compaoré, tout comme l’armée qui est d’inspiration compaorienne, sont suspectes aux yeux de la population qui a conduit le mouvement révolutionnaire et qui tient à le capitaliser. L’une ou l’autre sont les succédanées du système Blaise Compaoré. La population, notamment la jeunesse, n’est pas seulement nostalgique de la révolution sankariste, qu’elle n’a pas connue, mais elle exprime surtout la volonté de rupture de tout le peuple du Continent, qui entend finir avec l’ordre colonial, qui n’en finit pas avec ses nombreuses mues.
Conscients de cette réalité qui pourrait leur faire perdre le contrôle de ce mouvement politique, les réseaux occultes s’attèlent à vider la révolution burkinabée de sa substance.

B/Les tentatives de mise sous contrôle de la révolution burkinabée
La situation politique au Burkina Faso intéresse deux acteurs étrangers. Les puissances occidentales avec à leur tête l’ancienne puissance coloniale (1), et les puissances régionales avec à leur tête la Côte d’Ivoire (2). Ces deux types d’acteurs se battent pour contrôler la révolution burkinabée, pas toujours pour les mêmes mobiles.

1/ Le branle-bas des puissances occidentales.
Le pays des hommes intègres ne présente certes pas d’intérêts stratégiques majeurs pour les USA. N’empêche, ils se sont invités dans la révolution burkinabée. Ils s’étaient déclarés ouvertement opposés à la révision constitutionnelle projetée par Blaise Compaoré. Ils ont même pris une avance sur la France qui gardait encore sur la question, une position pas suffisamment dissuasive vis-à-vis de son poulain. Celle-ci s’était limitée à relever les risques « d’une révision constitutionnelle non consensuelle ». La sortie rapide des Etats Unis dans une affaire qu’ils sous-traitaient naguère, dans un passé pas trop lointain avec la France, situe l’opinion sur leur changement de regard sur l’Afrique qui gagne en intérêts à leurs yeux. Ils pourraient être gênés dans leur volonté de contrôler le Continent Noir par un mouvement révolutionnaire africain, qui se serait inspiré d’un « mauvais exemple ». Les Américains redoutent un réveil nationaliste en Afrique. C’est pourquoi, ils font feu de tout bois pour contenir le mouvement burkinabé dans un ordre constitutionnel, afin de lui enlever au nom de la démocratie, toute velléité révolutionnaire. Sinon, comment comprendre que la même Administration Obama, qui a participé de façon violente au viol collectif de la Constitution ivoirienne en 2011, puisse exiger « une transition constitutionnelle » à un mouvement populaire qui est sorti déjà du cadre constitutionnel.
La France quant à elle, bien que nourrissant les mêmes craintes sur le mouvement burkinabé que les USA, joue une autre carte. Blaise Compaoré avait ramené le Burkina Faso dans le giron de la Françafrique, après le passage de Thomas Sankara. L’ex-Président Burkinabé a été le bon nègre de service pour l’ancienne puissance coloniale. Elle a tenu à préserver son intégrité physique pendant ses moments de braise. Il se murmure que l’exfiltration de Compaoré de son pays vers la Côte d’Ivoire serait l’œuvre française. Mais au-delà de l’amitié Franco-Compaoréenne, c’est le risque de voir la zone francophone ouest africaine encore instable, s’embraser suite à l’exemple burkinabé. L’ancienne puissance coloniale est consciente de la volonté de rupture de plus en plus manifeste des peuples africains, notamment sa composante jeune. Etouffer la révolution burkinabée dans l’œuf est un impératif stratégique de premier ordre pour le gouvernement français. Avant de demander un « retour rapide à un ordre constitutionnel », elle avait déjà laissé exprimer ses craintes par ses canaux habituels. Dès la chute de Compaoré, la presse française notamment RFI et France 24, sous le prétexte de soutenir le peuple burkinabé s’est lancée dans une propagande anti-militaire. Elle laisse véhiculer que la victoire du peuple pourrait lui être volée par les militaires. La brèche faite, l’opinion burkinabée s’empresse d’y rentrer sans se rendre compte du piège qu’elle renferme. La situation pourrait continuer de s’enliser plusieurs jours après la chute de Compaoré, parce que la France n’a pas encore trouvé le bon cheval pour conduire le mouvement politique en cours à son profit. Comment un tel mouvement qui n’a pas été préparé d’avance, peut-il être conduit par une personne civile ? Sur quelle base recruter ce faiseur de miracles. Nous reviendrons sur toutes ces interrogations dans la seconde partie de notre analyse. En tout état de cause, la France mesure le danger que représente pour elle le mouvement burkinabé, dans un contexte où une opinion de plus en plus majoritaire critique ouvertement sa présence étouffante en Afrique. Les craintes françaises rejoignent celles des puissances régionales, avec à leur tête la Côte d’Ivoire.

2/ Une source d’inquiétudes pour les puissances régionales
Blaise Compaoré n’était pas le seul à vouloir tripatouiller la Constitution de son pays pour demeurer au pouvoir. Les Président Béninois et Togolais eux aussi sont animés des mêmes intentions. La situation du Burkina pourrait bien perturber leur plan. La réaction du peuple burkinabé peut être une source d’inspiration pour les Béninois et les Togolais.
Mais la situation burkinabée est plus perturbante pour le gouvernement ivoirien, notamment pour le Chef de l’Etat. La Proximité entre messieurs Compaoré et Ouattara n’est plus à démontrer. Sans le premier, le second n’aurait certainement jamais connu les délices du pouvoir suprême en Côte d’Ivoire. Non seulement, Compaoré a parrainé la rébellion qui porté de bout des bras l’actuel Chef de l’Etat ivoirien jusqu’au pouvoir, mais en plus, il a offert le Burkina en soupape de sécurité pour le régime ivoirien. De ce point de vue, la chute de Compaoré ne peut que troubler la quiétude du pouvoir d’Abidjan. La précipitation avec laquelle, le gouvernement ivoirien offre l’exil au Président déchu n’est qu’un juste retour d’ascenseur pour l’énormité du service rendu.
Par contre, la crainte du régime d’Abidjan ne s’arrête pas seulement au niveau de la perte du pouvoir par un frère ou un très proche ami. La question pourrait être plus inquiétante si d’aventure, le mouvement populaire burkinabé se solde par une prise de pouvoir militaire. C’est une hantise permanente pour le Prince d’Abidjan. Non pas parce qu’il est un adepte convaincu de la démocratie. Loin s’en faut. Mais beaucoup plus, parce que conscient de l’illégitimité de son pouvoir, il n’entend pas laisser prospérer à ses portes, un exemple qui pourrait inspirer ses propres militaires. Il a conscience de la faiblesse de son armée qui ne s’est jamais réellement reconstituée en un corps unique. L’on se rappelle comment, profitant de son mandat de Président de la CEDEAO, il avait manœuvré au Mali, pour arracher aux militaires, le pouvoir qu’ils avaient pris de force à Toumani Touré. Aujourd’hui, l’auteur du coup du Mali, le Général Sanogo fait face à la justice de son pays, pour répondre de cette opération et des infractions qu’elle a occasionnées. Cette fois encore, l’affaire est trop proche d’Abidjan pour qu’il ne se sente pas concerné. Il ne serait pas surprenant que les dernières tentatives de sauvetage de dernière minute, faites par Monsieur Compaoré, aient été dictées par Abidjan, pour éviter que le pouvoir ne tombe dans les mains de militaires Burkinabés. Les dernières déclarations de l’ex-Président Burkinabé, qui a dissout d’abord le gouvernement dans le but d’entamer un dialogue avec l’opposition, puis sa démission suivie d’une déclaration de vacance par ses propres soins, n’ont été diligentées qu’à cette unique fin.
Mais la donne burkinabée est fondamentalement différente de celle du Mali. D’abord, le Chef de l’Etat ivoirien n’est plus le Président de la CEDEAO, mais en plus, la nature du mouvement qui a coûté le pouvoir à Compaoré est totalement différente de celle de l’opération qui a précipité le départ de Toumani du pouvoir. Le remède appliqué au Mali pourrait bien s’avérer inefficace au Burkina. Il y a des situations où le droit est inopérant. L’analyse juridique de la situation qui prévaut au Burkina en restitue la complexité.

II/ L’analyse juridique de la situation qui prévaut au Burkina Faso
Depuis la chute de Blaise Compaoré, le peuple burkinabé ainsi que son armée, sont soumis à de nombreuses pressions venues des donneurs de leçons universels en matière démocratique. Tous sans retenue, exigent une transition civile dans un le cadre constitutionnel. Cette exigence est assortie de menaces de sanctions. Mais personne ne dit comment cela pourrait se faire dans la pratique. Or, il apparaît de façon évidente que cette exigence est moralement et politiquement difficile à réaliser (A), de sorte qu’il ne laisse plus que le consensus national autour de l’armée pour éviter le pire au pays (B).
À suivre

Par Le Ministre Koné Katinan Justin

Tribune parue initialement à Abidjan in Le Nouveau Courrier n°1147 (6/11/14)