Afrique: "Les Africains se sont libérés eux-mêmes du parti unique en 1990 sans l'aide de Mitterrand", Par Jean Claude Djereke

Par Ivoirebusiness - Les Africains se sont libérés eux-mêmes du parti unique en 1990 sans l'aide de Mitterrand, Par Jean Claude Djereke.

Les présidents Mobutu, Bongo et Mitterrand au sommet de La Baule en 1990. REUTERS/STR News.

Le 20 juin 2016, ce sera le 26e anniversaire du discours de la Baule (France) qui promettait “l’aide” financière de la France aux pays africains qui se démocratiseraient un peu plus. Par ignorance ou par naïveté, certains (Africains et Européens) pensent que c’est ce discours de François Mitterrand (France) qui déclencha les mouvements de contestation qui aboutirent à la fin du monopartisme en Afrique. Ils ont tort car les Africains n'ont pas attendu la Baule pour secouer le cocotier du parti unique qui n’apporta ni liberté, ni pain à tout le monde mais enrichit une poignée de médiocres: le président, le secrétaire général du parti unique et leurs vils courtisans comme l’a bien décrit Ahmadou Kourouma dans son roman “Les Soleils des indépendances”. Pour le dire autrement, c’est avant la seizième conférence des chefs d’État de France et d’Afrique que les Africains prirent leurs responsabilités. C’est le cas, par exemple, de la Côte d’Ivoire où, sous la pression des étudiants, enseignants (Synesci et Synares) et travailleurs, le multipartisme fut arraché, le 30 avril 1990, à Houphouët qui le considérait comme “une vue de l’esprit”. Il est donc erroné d’attribuer à Mitterrand le retour du pluralisme politique en Afrique. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que le successeur de Giscard est un opportuniste qui essaya vainement de récupérer le combat des peuples africains contre les dictatures protégées et entretenues par Paris et Bruxelles. Ce combat, faut-il le rappeler, avait été engagé juste après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS qui eut pour conséquence la fin du communisme en Europe orientale et centrale. Mitterrand invita certes les dirigeants africains présents au sommet de la Baule à aller vers plus de liberté mais, l’année suivante, au sommet de Chaillot, il déclara: “La démocratie bien sûr mais chacun à son rythme!” Cette idée d’adapter l’effort de démocratisation aux réalités locales ne traduit pas uniquement l’ambiguïté du personnage. Elle montre aussi que c’est du bout des lèvres qu’il soutint la démocratie en Afrique. Autrement dit, ce n’est pas Mitterrand qui sonna la révolte contre les régimes autocratiques en Afrique. Au contraire, avant et après 1990, il pratiqua la même politique en Afrique que de Gaulle et Giscard, c’est-à-dire maintenir indûment des bases militaires en Afrique, soutenir des présidents incompétents, corrompus et dictateurs aussi longtemps que ces derniers pouvaient financer les campagnes électorales de la droite et de la gauche françaises, piller les matières premières de l'Afrique, etc. Jamais il ne reconnut les crimes de la France en Afrique. La politique africaine ne connut aucun aggiornamento sous sa présidence, ce qui poussa Lionel Jospin à parler des “échecs de notre politique africaine” au congrès de Liévin (novembre 1994). Pire encore, il limogea le ministre de la Coopération, Jean-Pierre Cot, qui ne voulait pas que Paris couvre “n’importe quelle violation des droits de l’homme avec complaisance comme ce fut parfois le cas par le passé” (cité par Philippe Marchesin, “Mitterrand l’Africain”, dans Politique africaine, No 58, juin 1995, p. 20). Il faut lire L’Inavouable. La France au Rwanda (Les Arènes, 2004) de Patrick de Saint-Exupéry pour apprendre que son fils, Jean-Christophe, était prêt à tout pour donner un coup de pouce aux génocidaires hutus. Bref, cet homme fourbe et hypocrite n'incarna jamais la gauche. Il n’avait rien de commun avec Jean Jaurès ou Léon Blum. Et pourtant, nombre d’Africains avaient cru qu’il mènerait en Afrique une politique différente de celle de ses prédécesseurs.
Mais ceux qui dirigèrent la France après lui firent-ils mieux? Non, car, de Jacques Chirac à François Hollande, tous s’accommodèrent des mauvaises pratiques: immixtion dans les affaires internes des États africains, rédaction et présentation des résolutions sur l’Afrique à l’ONU, renversement ou assassinat des leaders africains refusant de se soumettre à l’ex-puissance coloniale. Au regard de toutes ces ignominies, on ne peut qu’affirmer avec Maître Jacques Vergès que “l’État français est conduit par des voyous et des assassins”.
Les Africains ne peuvent compter sur ces assassins et voyous pour conquérir leur souveraineté. D’ailleurs, ils ne doivent s’appuyer sur personne pour obtenir le changement en Afrique. Ce sont eux, et uniquement eux, qui doivent se mettre au devant de la lutte pour faire bouger les lignes. Pour cela, ils doivent oser croiser le fer avec ce pays qui se targue d’être la patrie des droits de l’homme tout en déroulant le tapis rouge à des bandits de grand chemin et à des tueurs, affronter ce pays qui en cinq décennies ne nous aura apporté que la pauvreté, la désolation et la mort. Paysans, chômeurs, travailleurs, femmes, étudiants, syndicalistes, serviteurs de Dieu, où que nous soyons, nous devons nous armer de courage pour nous lever et faire comme les Algériens avant 1962. Si nos aînés n'avaient pas fait l'économie de cet affrontement, s'ils s'étaient réellement battus, s'ils avaient accepté de se sacrifier, la France n'aurait pas continué d’être ce qu’elle est en Afrique francophone depuis 1960: arrogante, prédatrice et criminelle.
Mettre fin à la domination et à l’exploitation de l’Afrique par la France ne signifie pas que les Africains haïssent la France car plusieurs d’entre nous avons aimé Molière, Voltaire, Victor Hugo, Émile Zola, André Malraux et autres Jean-Paul Sartre. Nous avons vibré en lisant leurs œuvres parce que ces auteurs se battaient pour la justice et la vérité, parce qu’ils défendaient, non pas uniquement le Blanc, mais tout homme victime de mépris, d’exploitation et d’injustice. De nos jours, rares sont les journalistes, écrivains, artistes et penseurs français capables de s’indigner quand des enfants sont violés ou quand des jeunes désarmés sont tués par des soldats français en Afrique, quand des patriotes africains sont diabolisés, moqués et persécutés par la France. Même ceux qu’on appelle missionnaires et qui, à mon avis, seraient plus utiles dans leur propre pays qu’en Afrique, il est rare de les entendre s’insurger contre les massacres de leur pays en Afrique; il est quasiment impossible de les voir protester contre l’ingérence de leurs gouvernants dans nos affaires. Nous croyions qu’ils étaient habités par l’amour universel prêché et vécu par le Christ; nous pensions qu’ils étaient des humanistes accomplis et nous espérions qu’ils prendraient fait et cause pour le faible et le petit mais force est de constater que ce qui les intéresse et les met en branle avant tout, c’est le rayonnement de leur pays, ses intérêts économiques et stratégiques en Afrique. Fini le temps où Mgr Chapoulie, évêque d’Angers (France), reconnaissait la justesse des revendications et de la cause des peuples colonisés et se prononçait clairement en faveur de leur émancipation politique! Est loin l’époque où Antoine de Saint-Exupéry écrivait qu’être homme, “c’est connaître la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi, c'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde” (cf. Terre des hommes, ch. II)! Les missionnaires ont construit églises, dispensaires et écoles et c’est bien mais cela ne suffit pas car Jésus parle aussi de pierres vivantes. Il déclare que le vrai Temple est l’homme debout et libre. Or tout montre, avec la politique de la France en Afrique, que les Africains sont dans les chaînes: Ils n’ont pas leur propre monnaie, ne peuvent choisir leurs dirigeants ni commercer avec qui ils veulent, etc.
Nous libérer du joug français qui nous écrase depuis belle lurette ne sera pas chose facile et notre tâche sera d’autant plus difficile que certains d’entre nous, ne voyant pas plus loin que leur petit ventre, sont prêts à pactiser avec la France qu’ils regardent comme trop puissante et à s’adonner à des bassesses comme jeter leurs camarades en prison, participer à un comité illégitime et illégal de rédaction d’une nouvelle Constitution pour légitimer des imposteurs et usurpateurs au moment où les populations crient famine et manquent du strict minimum. Mais ne dit-on pas que “vouloir, c’est pouvoir”? Alors, si les Africains veulent vraiment le changement, ils trouveront la force et les moyens d’abattre la Françcafrique après avoir rompu les chaînes du parti unique en 1990 sans l’aide de Mitterrand.
Jean-Claude Djereke