Afrique: Le Tchadien Hissène Habré devant la justice. Les enjeux d'un procès historique

Par France24.com - Afrique. Le Tchadien Hissène Habré devant la justice. Les enjeux d'un procès historique.

© Seyllou, AFP | L'ancien dirigeant tchadien Hissène Habré, le 3 juin 2015, à Dakar.

Le procès de l'ancien dictateur tchadien Hissène Habré, accusé de crimes contre l'humanité, s'est ouvert lundi devant un tribunal spécial, à Dakar, au Sénégal. Retour sur les enjeux d'une procédure judiciaire historique.

Le procès de l'ex-dirigeant tchadien Hissène Habré s'est ouvert lundi 20 juillet à Dakar, au Sénégal, où il devra répondre de plusieurs chefs d'accusations de crimes contre l'humanité. Mais l'ancien homme fort de N’Djamena, aujourd’hui âgé de 72 ans, souffre de problèmes cardiaques. Un état de santé qui pourrait affecter le déroulement des audiences. Retour sur les enjeux de ce procès "historique".

-En quoi est-ce un procès historique ?

Pour la première fois, un ancien chef d'État africain doit répondre de ses actes devant la justice d'un autre pays d'Afrique. En détention depuis deux ans au Sénégal où il a trouvé refuge après avoir été renversé par l'actuel président Idriss Deby Itno, Hissène Habré, 72 ans, est poursuivi pour "crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture" sous son régime (1982-1990) qui ont fait quelque 40 000 morts, selon les organisations de défense des droits de l'Homme.

L'accusation devra notamment démontrer la responsabilité personnelle de Habré dans les actes de sa redoutable police politique, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), dont sept ex-responsables ont été condamnés en mars, lors d'un procès distinct à N'Djamena, à la réclusion à perpétuité, pour "assassinats" et "tortures".

>> À lire sur France 24 : "Hissène Habré face à la justice, un moment historique pour l'Afrique"

Ce procès inédit doit également permettre au continent, où les griefs se multiplient contre la Cour pénale internationale (CPI) siégeant à La Haye de montrer l'exemple. "L'Union africaine considère que la Cour pénale internationale fait de la justice sélective et ne poursuit que des Africains, a rappelé le porte-parole des Chambres africaines extraordinaires (CAE), où sera jugé Hissène Habré. L'autre enjeu de ce procès est donc que l'Afrique doit donner la preuve qu'elle est capable de juger ses propres enfants pour que d'autres ne le fassent pas à sa place."

"C'est la première fois au monde - pas seulement en Afrique - que les tribunaux d'un pays, le Sénégal, jugent l'ancien président d'un autre pays, le Tchad, pour des violations présumées des droits de l'Homme", a déclaré à l'AFP Reed Brody, cheville ouvrière de cette procédure au sein de Human Rights Watch (HRW).

-Pourquoi a-t-il fallu attendre 25 ans avant l’ouverture d’un procès ?

Une information judiciaire n'a été ouverture à Dakar contre Hissène Habré qu'en 2000, soit dix ans après sa fuite au Sénégal. Cette procédure a fait suite au dépôt d'une plainte par des Tchadiens et des ONG qui se sont inspirés de l'affaire Pinochet et de l'arrestation à Londres en 1998 de l'ex-dictateur chilien au nom du principe de "compétence universelle".

Le 3 février de cette année, l'ex-homme fort de N'Djamena est alors inculpé pour "complicité d'actes de tortures". En novembre, une plainte avec constitution de partie civile est déposée par une vingtaine de victimes en Belgique, où a été adoptée une loi de "compétence universelle".

De la prise de pouvoir à N'Djamena à la détention au Dakar

Mandaté dès 2006 par l'Union africaine (UA) pour le juger, Dakar a longtemps essayé de se décharger du dossier. En 2012, le nouveau président sénégalais, Macky Sall, assure que l’ex-dirigeant tchadien sera jugé dans son pays et exclut son extradition. Sous la pression de la Cour internationale de justice (CIJ), le Sénégal et l'UA signent un accord portant création de quatre "Chambres africaines extraordinaires" (CAE) : deux pour l'instruction et l'accusation, une Cour d'assises et une Cour d'appel.

Un an plus tard, Hissène Habré est placé en garde à vue à Dakar et inculpé de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et tortures, avec cinq autres responsables de la répression sous son régime, par des juges des CAE, qui le placent en détention provisoire.

>> À voir sur France 24 : "Le Tchad atend l'ouverture du procès Habré"

En 2015, au terme de 19 mois d'instruction, l'ancien président tchadien est renvoyé devant la Cour d'assises des CAE, lesquelles annoncent que le procès s'ouvrira le 20 juillet.

-Hissène Habré assistera-t-il à son procès ?

Quelques heures de l'ouverture du procès, l'incertitude régne sur la présence de l'unique accusé, qui refuse de comparaître, selon la défense, mais pourrait y être contraint par les juges.

Victime d’une attaque cardiaque en juin, Hissène Habré "va mieux" mais, selon ses avocats, il "ne reconnaît pas cette juridiction, ni dans sa légalité, ni dans sa légitimité". Le président du tribunal, le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, peut toutefois obliger l’accusé à comparaître.

-Comment vont se dérouler les audiences ?

Depuis l'ouverture de l'instruction, en juillet 2013, "il y a eu quatre commissions rogatoires ayant permis d'entendre presque 2 500 victimes et une soixantaine de témoins", rappelle à l’AFP le procureur général des CAE, Mbacké Fall. Plus de 4 000 victimes "directes ou indirectes" se sont constituées parties civiles. Le tribunal spécial a prévu d'entendre 100 témoins.

Une responsabilité qui ne fait aucun doute pour Souleymane Guengueng, ancien agent comptable de la Commission du bassin du lac Tchad, détenu pendant plus de deux ans et président fondateur de l'Association des victimes de crimes du régime de Hissène Habré (AVCRHH). "Il n'y a personne qui pouvait arrêter quelqu'un à la DDS sans que Hissène Habré soit informé : toutes les arrestations, on fait une petite fiche et on la donne à Habré", a-t-il affirmé à l'AFP quelques jours avant le procès auquel il assistera.

Les audiences sont prévues du 20 juillet au 22 octobre. Si l'accusé est reconnu coupable, s'ouvrira une autre phase durant laquelle seront examinées d'éventuelles demandes de réparation au civil.

En cas de condamnation, Hissène Habré, qui encourt entre 30 ans de prison ferme et les travaux forcés à perpétuité, pourra purger sa peine au Sénégal ou dans un autre pays membre de l'UA.

Avec AFP

Lire aussi...http://www.rfi.fr/hebdo/20150717-hissene-habre-ascension-dictature-exil-...