Affaire "cache d’armes à Bouaké": Soro lance un défi à Ouattara

Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - Affaire "cache d’armes à Bouaké". Soro lance un défi à Ouattara

Guillaume Soro quitte le palais présidentiel après une rencontre avec Alassane Ouattara. Image d'archives par © Emanuel Ekra/AP/SIPA

La politique est un art. Et nous voici dans un jeu de haute subtilité où, celui qui détient la palme du « meilleur feinteur » de son époque, Guillaume Kigbafori Soro, entre en scène. Sans donc le clamer, toujours par ruse, il vient de produire un discours des plus explosifs : « De retour du Maroc j'ai noté que la toile était inondée de polémiques inutiles. Une fois encore je demande à mes proches de refuser les débats futiles. J'avais 29 ans quand pour la première fois j'ai déclaré et assumé la rébellion en Côte d'Ivoire. J'ai même écrit un livre: "Pourquoi je suis devenu un rebelle." N'accusez personne (ni Bedié ni Ouattara…) Ne vous laissez pas consumer par la haine, les insultes et les clabauderies. Je suis seul responsable. Ne polluez pas l'environnement des enquêtes. J'attends de tous des débats d'apaisement, des messages de Pardon et de réconciliation. Gardez le cap sur le rassemblement des ivoiriens. Paix sur la Côte d'Ivoire. » D’entrée, le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Kigbafori Soro, fait croire qu’il n’était au courant de rien. Il ne saurait absolument rien des actes de ses collaborateurs sur les réseaux sociaux, tant qu’il était en voyage, hors de la Côte d’Ivoire, au Maroc. Donc, ce ne serait pas lui qui les a poussés secrètement à accuser Henri Konan Bédié d’avoir participé au financement de la rébellion. Il n’aurait pas fait cela pour, ensuite, venir jouer officiellement les pompiers en les calmant et en feignant de porter secours au même Bédié déjà livré à l’opinion. Une opinion qui, jusque-là, n’en avait pas une idée précise et gardait du président du Pdci, une certaine virginité face au recours aux armes. Non, Soro laisse penser qu’il n’est pas de ces nombreux chefs qui, pour les besoins de la cause, envoient leurs « petits », spécialistes, pour « gâter » afin qu’eux-mêmes, derniers recours, viennent réparer, pour paraitre les meilleurs du camp. Or, en 2017, le progrès de l’internet est tel qu’on n’a pas besoin d’être forcément en Côte d’Ivoire pour prendre part aux débats sur les réseaux sociaux. La preuve, les Internautes d’Afrique, d’Europe, d’Amérique et d’autres continents, se rencontrent sur les mêmes espaces, plateformes, pour échanger. Chose qui les rapprochent et leur donne le sentiment d’être dans le même village. Soro ne peut pas forcement rentrer en Côte d’Ivoire pour se rendre compte que ses hommes sont en action sur la toile. En clair, ce discours ne s’adresse pas à ses partisans. Mais à ses adversaires. Le message envoyé à Henri Konan Bédié est une mise en garde et pour Bédié et pour Alassane Ouattara lui-même. Parce que dans la narration de la rébellion qu’il a dirigée, ce n’est pas sa seule version en tant que Soro qui compte. Mais également celle des autres acteurs de cette rébellion tels les Siriki Konaté qui fut porte-parole des Forces nouvelles (Fn), Koné Zakaria et autres.
Soro ne veut pas de bouc-émissaire
De même, il dit : « J'avais 29 ans quand pour la première fois j'ai déclaré et assumé la rébellion en Côte d'Ivoire. J'ai même écrit un livre: "Pourquoi je suis devenu un rebelle." N'accusez personne (ni Bedié ni Ouattara…) (…) Je suis seul responsable. Ne polluez pas l'environnement des enquêtes ». Un tel discours tue littéralement, d’un coup de kalache sémantique, les enquêtes qu’il donne pourtant, faussement, l’impression de protéger contre des « de polémiques inutiles ». En disant « Je suis seul responsable», il donne avant leur fin, la conclusion des enquêtes, en se posant comme l’alpha et l’oméga de la question de l’heure. Car la question de l’heure, à l’origine des enquêtes du gouvernement et du parlement, n’était pas de savoir qui a créé la rébellion de 2002 ou qui en était le porte-parole politique. La question, c’est de savoir qui a caché les armes chez Koné Kamaraté Souleymane dit Soul To Soul, le directeur du protocole du président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, ex-Secrétaire général de la rébellion des Forces nouvelles ? Qui a mis là ces armes qui auraient servi à soutenir la mutinerie à Bouaké ce mi-mai 2017 ? C’est dans ce cadre que Henri Konan Bédié a encouragé une enquête. Et c’est à cette réaction de Bédié qu’a répondu le chargé de Communication de Soro, Touré Moussa, évoquant la participation de Bédié au financement de la rébellion de 2002 et des précisions à ce sujet attribuées à Konaté Siriki, ex-porte-parole des Forces nouvelles et qu’il a fini, lui, par démentir. La question qui tient donc la République en haleine, c’est celle qui est à l’origine du communiqué du 23 mai 2017 du Commissaire du gouvernement, Anges Kessy, selon lequel « Tout militaire appréhendé en possession de telles armes ne constituant pas sa dotation légale sera radié des effectifs sans préjudice des sanctions pénales encourues allant d’une peine d’emprisonnement de 10 à 20 ans et d’une amende de 5 000 000 à 10 000 000 de francs. Le Commissaire du Gouvernement invite en conséquence tous les militaires détenant des armes qui ne sont pas leur dotation à les déposer auprès des commandants de régions militaires d’Abidjan, Bouaké, Daloa, et Korhogo avant le mercredi 31 mai 2017, délai de rigueur ». A travers son discours de retour du Maroc, Soro coupe court, à toutes ces procédures, en orientant tous vers sa personne. La seule qui, depuis l’âge de 29 ans déjà, avait déclaré assumer la rébellion de 2002. Or, c’est cette rébellion qui a procuré les armes qui ont inondé le pays. C’est la même rébellion des Forces nouvelles, non désarmée même pour la présidentielle 2010, qui est entrée en guerre à l’occasion du conflit post-électoral. Ce sont ces armes, augmentées à l’occasion, mises à côté au moment où les ex-rebelles entraient dans l’armée régulière, qui devraient se trouver dans la « nature ». Sans oublier que l’Onu a attribué également au même Guillaume Soro, un stock d’armes cachées de 300 tonnes. Si donc un petit lot d’armes est découvert à Bouaké, et que, pour ne pas tourner en rond du fait que les enquêtes n’ont pas l’habitude d’aboutir dans ce pays, Soro dit qu’il est le « seul responsable », cela n’est rien d’autre qu’un défi qu’il lance au régime Ouattara. Il demande implicitement de « laisser tranquille » son directeur du protocole Soul To Soul et de s’adresser directement à lui-même, Guillaume Soro Kigbafori. Lui qui a « même écrit un livre: "Pourquoi je suis devenu un rebelle. » Tous les Soul To Soul et autres, ne sont que ses hommes. Sans responsabilités premières. De ne donc pas les considérer. C’est lui-même Soro, le seul responsable. Si le pouvoir, tenté par un courage quelconque, voudrait interroger quelqu’un, s’il a cette inspiration épique pour mettre quelqu’un aux arrêts relativement à cette question, qu’il ne cherche pas de bouc émissaire ou des seconds couteaux. C’est lui, Guillaume Soro. Il n’a jamais fait mystère de sa responsabilité dans cette affaire de rébellion et d’armes. Si à 29 ans, il a assumé la rébellion au moment où tout le monde se terrait, ce n’est pas maintenant, dans la quarantaine, avec les os plus vieux et les arguments-massue, qu’il va se dérober, se renier : « N'accusez personne (…) Je suis seul responsable ». La mutinerie a eu lieu. Elle a révélé la question de la cache d’armes. S’il y a une suite judiciaire et que le régime cherche qui a fait quoi, Soro dit : « Je suis seul responsable ». Certainement que la prochaine convocation de la gendarmerie s’adressera à lui, aveu valant flagrant délit d’un parlementaire, oblige. Pour sûr, dans ce dossier, le défi de Soro à Ouattara est sans ambages.

Par Germain Séhoué
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