Aïcha Koné, diva de la musique ivoirienne exilée en Guinée : « Mon admiration pour Gbagbo reste intacte »

Par Notre Voie - Aïcha Koné « Mon admiration pour Gbagbo reste intacte ».

Aïcha Koné. image d'archives.

Partie en exil sur la pointe des pieds en Guinée-Conakry, cela faisait trois ans que la diva de la musique ivoirienne n’avait plus remis les pieds en Côte d’Ivoire. Aïcha Koné a signé son retour sur la scène abidjanaise, à l’invitation du 2ème diner-gala «Le cabaret du cœur» de la Fondation Children of Africa, le vendredi 14 mars 2014, au Palais des Congrès du Sofitel-Hôtel Ivoire de Cocody. Au lendemain de ce rendez-vous, c’est vêtue dans un superbe boubou bazin qu’elle s’est ouverte à Notre Voie. Interview Exclusive.
Notre Voie : Dans quel état d’esprit avez-vous retrouvé le pays ?
Aïcha Koné : J’ai retrouvé la Côte d’Ivoire avec beaucoup de joie. J’ai pu rentrer en contact direct avec ma famille, quelques amis et des gens de notre milieu de show-biz. Ils m’ont tous réservé un accueil chaleureux, si vous le voulez, patriotique. En tout cas, je ne pouvais pas demander mieux.
N.V. : Ainsi, trois ans après, vous avez décidé de rentrer de votre exil guinéen. Sans trop de risque ?
A.K. : Je suis l’invitée de Mme Ouattara Dominique, une vieille connaissance de mon grand-frère Abdoulaye Koné qui est décédé. J’ai connu, à mon tour, cette dame entre 1979 et 1980. C’est une amie de mon frère aîné Abdoulaye Koné et de son épouse (membre de la grande famille des Fadiga, précisément le patriarche défunt, Abdoulaye Fadiga, ancien gouverneur de la Bceao). Tout le monde sait que les deux familles sont si proches. C’est ainsi que dans cette ambiance familiale, au fil des ans, lorsqu’elle n’était pas encore passée l’épouse du président Ouattara, Dominique et moi avons eu la possibilité de nous côtoyer lors des anniversaires, baptêmes et autres cérémonies organisées par-ci par-là.
N.V. : C’est donc une vieille connaissance ?
A.K. : Oui, tout à fait. C’est une vieille connaissance. Après, en 2011, quand il y a eu les violences politiques d’une grave ampleur en Côte d’Ivoire, je me suis retirée du pays pour me rendre à Conakry, en Guinée. Un jour, quelques années après mon départ forcé, Dominique m’a demandé de revenir à Abidjan la soutenir dans son programme de Children Of Africa, à l’occasion d’un diner-gala «Le cabaret du coeur» qu’elle a organisé le 14 mars 2014 à Sofitel Hôtel Ivoire, en vue de mobiliser des fonds pour la construction d’un hôpital baptisé «Mère-enfant de l’Orphelinat de Bingerville». Je lui ai répondu que si mon calendrier me le permettait, il n’y aurait pas de problème. Le bon moment pour moi étant enfin arrivé. Voilà pourquoi j’ai effectué le déplacement.
N.V. : Mais Mme Dominique Ouattara n’en était pas à sa première invitation. Vous avez dû décliner par le passé plusieurs de ses offres…
A.K. : Aux occasions précédentes, toutes les conditions de sécurité n’étaient pas réunies à mon sens. Par conséquent, je ne pouvais pas prendre de risques en décidant de rentrer à Abidjan. Aujourd’hui, le temps a passé. Nous parlons de réconciliation, malgré tout. Et elle m’a tendu la perche. Je pense qu’il n’y avait pas meilleure occasion pour moi. Mais je dois signaler qu’avant de rentrer à Abidjan, j’étais en studio avec mes sœurs Antoinette Konan, Monique Séka, Nayanka Bell, Allah Thérèse, Thérèse Thaba (comédienne) et la Camerounaise Queen Etémé. Ensemble, nous avons enregistré un disque, nous avons posé nos voix là-dessus pour parler de la réconciliation en Côte d’Ivoire. Nous avons procédé d’abord par un clip-vidéo. Il faut voir, à travers cet élément, la contribution des femmes d’une manière générale au processus de paix et de réconciliation en Côte d’Ivoire. La vidéo est d’ailleurs diffusée depuis un certain temps à la télévision nationale (Rti, ndlr). J’espère qu’on va continuer de le faire.
N.V. Avec la diffusion de cette vidéo, peut-on conclure que la censure dont vous faisiez l’objet sur les antennes de la Rti depuis 2011 de la part du régime Ouattara à cause de votre proximité avec le président Laurent Gbagbo est désormais levée ?
A.K. : En tout cas, il y a un bon moment (deux à trois mois avant que je ne réapparaisse), j’ai constaté la diffusion de certains de mes clips sur la deuxième chaîne nationale, Tv2. Alors, je me dis qu’avec le temps, les lignes commencent à bouger, les tensions baissent progressivement. Dans ce sens, depuis que je suis là, tous les médias me sollicitent.
N.V. : Etes-vous rentrée à Abidjan uniquement pour répondre à l’invitation de Dominique Ouattara ou pour donner de l’écho à l’appel à la réconciliation lancé par le gouvernement ivoirien à l’endroit des exilés et des réfugiés ivoiriens ?
A.K. : J’attendais. Car à un moment donné, je n’avais plus de passeport pour voyager. Quand j’ai fait la demande de renouvellement de la pièce, cela a duré 6 mois. Au moment où la Première dame insistait pour que j’accède à sa demande, il a fallu que je lui signifie cela pour qu’elle décante la situation. Dès lors, j’étais prête à rentrer. Quant au ministre de la Culture Maurice Kouakou Bandaman et autres, lorsqu’ils négociaient mon retour avec moi, je n’avais pas encore de document pouvant me permettre de voyager.
N.V. : Quels rapports avez-vous avec les autres artistes exilés tels que Gadji Céli, Serges Kassy, Paul Madys, Gédéon, Les Djiz, Savan’Allah et autres ?
A.K. : J’ai les contacts de presque tout le monde.
N.V. : Les avez-vous informés de votre retour à Abidjan ?
A.K. : J’étais récemment à Paris où on a donné des spectacles, ensemble avec certains d’entre eux. Je les ai prévenus que je venais pour le dîner-gala.
N.V. : Quelle a été leur réaction ?
A.K. : Ils ne pouvaient pas y avoir de réaction méchante de leur part. Mais ils ont manifesté quelques inquiétudes quand même, en ce qui concerne ma sécurité. Je les ai rassurés, selon les garanties que j’ai eues auparavant auprès de Dominique. D’ailleurs, quand j’ai été reçue par le ministre de la Culture, je n’ai pas manqué de lui faire cas de la situation des autres artistes exilés. Je lui ai dit que, certes je suis revenue, mais je souhaiterais que le retour des autres se fasse également sans problème. Il m’a dit qu’il est en contact avec Gadji Céli, le chef de file. Pour finir, il faut que les uns et les autres comprennent que mon retour sur Abidjan ne doit pas être vu comme une trahison des pro-Gbagbo.
N.V. : Mais certains en doutent…
A.K. : Si on ne s’approche pas, comment peut-on régler nos problèmes, nos différends ? On ne peut pas être tous à l’écart. Moi, je vois le président du Fpi, Pascal Affi N’Guessan, qui se bat de meeting en meeting pour qu’on libère les prisonniers politiques, militaires et civils. Il mène un combat noble. Nous, autres, nous ne faisons pas la politique mais on peut parler aux gens par le canal de ce qu’on sait faire le mieux qui est l’art. Alors, consommez sans modération l’album sur la réconciliation que je vous ai apporté. Quand je quittais la Côte d’Ivoire, je ne pensais pas pouvoir rentrer par la grande porte. Mais c’est Dieu qui s’est manifesté. Ayons toujours confiance en Dieu.
N.V. : Comment vos fans interprètent-ils votre retour ?
A.K. : Ils ont bien apprécié mon retour. Ils l’expriment à travers les réseaux sociaux. Ils disent être heureux de me retrouver. Y compris mes sœurs et copines dioula Rdr avec qui j’ai vécu à Adjamé-Williamsville. Il y en a même qui passent me voir à Conakry. Nous avons gardé nos rapports au beau fixe. Franchement, on était tous contentes de se retrouver car chacune a eu la nostalgie de revoir l’autre.
N.V. : Que faites-vous concrètement à Conakry ?
A.K. : A partir de Conakry, j’honore des contrats de spectacle à travers le monde.
N.V. : Pourquoi avez-vous choisi la capitale guinéenne comme lieu de refuge ?
A.K. : Je n’avais pas pensé que j’allais débarquer un jour, en exil, à Conakry. Ce qui est sûr, quand la crise ivoirienne s’est aggravée, je ne me sentais plus bien, ma sécurité n’était plus garantie. C’est ainsi qu’un jour, lorsque j’en ai parlé par téléphone avec mon neveu qui vit à Conakry, ce dernier n’a pas hésité à me demandé de quitter Abidjan.
N.V. : Et Comment avez-vous été accueillie là-bas ?
A.K. : Les Guinéens aiment à dire souvent : «Si vous ne voulez plus d’Aïcha, donnez-la nous ; nous, on la veut volontiers !». N’oubliez pas que je suis une artiste qui chante aussi en dioula que les Guinéens appellent le malinké. Ils comprennent bien tous mes messages. Alors je ne me sens pas dépaysée. Mon premier grand spectacle, je l’ai donné le 30 mars 2012 à Conakry. Au cours de cet événement, j’ai été décorée par le gouvernement guinéen. J’ai été en plus sacrée Mama Africa, en souvenir de la célèbre chanteuse sud-africaine Myriam Makéba, mon idole, un des symboles de la lutte anti-apartheid.
N.V. : Votre idole à qui vous succédez dans la trajectoire d’asile politique puisque dans les années 60 et 70, elle fut accueillie par feue le président Sékou Touré…
A.K. : C’est ce que les gens disent. Mais quel pur hasard ! Vraiment, je tiens à dire merci au président de la République de Guinée, Alpha Condé, et à son fils, à la Guinée tout entière, ainsi qu’à toutes les femmes de Guinée. Tous me portent comme un bébé au dos et sur leurs genoux.
N.V. : Etes-vous définitivement rentrée dans votre pays ?
A.K. : C’est Dieu qui décidera. Là, j’ai pas mal de dates (contrats) à honorer. Donc, il faut que je retourne en Guinée.
N.V. : Pour combien de temps encore ?
A.K. : Je ne sais pas parce que quand je fuyais mon pays, je ne savais pas que j’allais être contrainte à prendre cette décision douloureuse. Mais Dieu a voulu que ma destination soit en Guinée. Donc tout dépend encore de Dieu.
N.V. : Vous avez trouvé refuge en Guinée à cause de votre soutien au président Laurent Gbagbo déporté à la CPI depuis le 30 novembre 2011, après 8 mois passés dans une geôle de Korhogo. Comment ressentez-vous ce vide autour de vous, le fait qu’il soit détenu encore en prison ?
A.K. : Il est vrai que Gbagbo est toujours en prison, j’en suis consciente. Et chaque jour, nous prions Dieu pour sa libération, celle de son épouse, de Blé Goudé et de tous les autres prisonniers politiques, militaires et civils pour que la Côte d’Ivoire puisse reprendre sa vie d’antan. Nous souhaitons que le processus de réconciliation engagé aboutisse à la libération de tous afin que les Ivoiriens puissent préparer leur avenir avec sérénité.
N.V. : Ne regrettez-vous pas d’être du camp du président Gbagbo ?
A.K. : Je ne regrette pas, je garde intacte mon admiration pour le président Gbagbo. Mon vœu est qu’il soit libéré de la prison où il est enfermé depuis 2011. Vous savez, j’ai été invitée par Dominique Ouattara. Et on dit souvent que derrière un grand homme se trouve une grande dame. Donc, j’espère qu’elle entendra ma voix, ma doléance, pour que cette réconciliation soit vraie. Nous comptons sur elle pour que nos frères et sœurs en prison soient libérés, nos frères et sœurs en exil rentrent. Je me dis que le plus difficile est passé mais cette méfiance réciproque demeure. Il faut s’atteler maintenant à la briser. Cela résiste encore à nos prières parce que beaucoup d’atrocités ont été commises de part et d’autre. Mais nous devons continuer à prier.
N.V. : A quand le prochain album d’Aïcha ?
A.K. : Pour l’heure, consommons cette chanson et son clip sur la réconciliation. Après on verra !
N.V. : Un peu de football ! Le 12 juin prochain, débute la coupe du monde de football au Brésil. Irez-vous supporter les Eléphants qualifiés pour la compétition, avec une de vos compositions dans une langue brésilienne ?

A.K. : Je ne vais pas vous bourrer. Car je ne sais pas encore si je serai là-bas sans invitation. Sinon, je puis vous assurer que j’ai déjà participé à des festivals au Brésil.
N.V. : Au lendemain de la qualification des Eléphants, vous avez assuré sur votre page Facebook que vous y serez également. Etait-ce une façon à vous de manifester votre joie ?
A.K. : Oui, je serai au Brésil mais pour d’autres engagements. Vous savez que sur mon album «Farafina Miria» sorti en 2010, j’ai fait un clin d’œil au Brésil. J’ai repris, en effet, en langue brésilienne le titre «Hotel Pelorihno» (peau noire, un hommage aux esclaves Noirs) de Itthamar Tropicallia et de Rey Zulu, d’après un texte français de Boris Bergman. C’est est un standard pour le pays. Me voir, en tant qu’Africaine interpréter en trio cette chanson, fait énormément plaisir aux Brésiliens. Je l’ai fait avec Takana Zion et Sékouba Kandia, un jeune reggaeman, fils du grand Sory Kandia Kouyaté, qui monte très fort en Guinée. Les Brésiliens ont bien apprécié cette initiative. Car pour eux, c’est fort impressionnant que des Africains de souche que nous sommes s’intéressent à leur culture.

Interview réalisée par Schadé ADéDé