Plainte de « victimes de l’ex-rébellion » déposée contre Guillaume Soro à Paris : une affaire qui va faire du bruit, des hauts gradés et des dirigeants ivoiriens dans le collimateurs

Par Abidjan.net - Plainte de « victimes de l’ex-rébellion » déposée contre Guillaume Soro à Paris. Une affaire qui va faire du bruit, des hauts gradés et des dirigeants ivoiriens dans le collimateurs.

Guillaume Soro, ex-président de l'Assemblée nationale, président de GPS. Image d'archives.

Voilà une autre affaire qui va faire du bruit en Côte d’Ivoire, dans les semaines et mois à venir. Alors qu’il fait l’objet d’une lourde condamnation par la justice ivoirienne, depuis le 28 avril dernier, une plainte vient d’être déposée à Paris contre l’ancien Premier ministre, Guillaume Soro, candidat déclaré à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020. Des confrères français, notamment de Médiapart, qui ont eu connaissance du dossier, livrent quelques pans. On apprendra par eux que la plainte porte sur des faits présumés commis par la rébellion ivoirienne que l’ex-président déchu de l’Assemblée nationale a eu à diriger de 2003 à 2011, à la chute de l’ex-président Laurent Gbagbo comparaissant depuis lors devant la Cour pénale internationale (Cpi) à la Haye.

Ces faits relevés concernent, d’une part, les crimes commis durant l’époque des règlements de compte à l’intérieur des troupes rebelles entre pro-feu Ibrahim Coulibaly dit ‘’IB’’ et pro-Soro, et d’autre part la mort tragique du même ‘’IB’’, alors chef du ‘’commando invisible’’ d’Abobo, tué au terme de la crise post-électorale à Abidjan.

Des ex-ComZones dans le collimateur....

En explorant en profondeur le dossier éventré par Médiapart, les tueries perpétrées pour le contrôle de l’ex-rébellion, et durant lesquelles des partisans de feu IB ont été atrocement exécutés, reviennent en surface. L’on se souvient, en effet, de ces combats épiques et de la chasse à l’homme entre des chefs de guerre de l’ex-mouvement populaire de Côte d’Ivoire (Mpci). Des adversités qui avaient semé la terreur dans la moitié nord de la Côte d’Ivoire tenue alors par la rébellion dont le leadership échouera à Guillaume Soro sorti victorieux de cette guerre fratricide.

Ce dossier, faut-il le mentionner, implique plusieurs ex-Comzones devenus aujourd’hui de hauts gradés de l’armée régulière actuelle, les Forces Armées de Côte d’Ivoire (FACI). L’on peut citer nommément des officiers tels feu Issiaka Wattara dit ‘’Wattao’’, ex-colonel major, et sous-chef d’état-major, décédé début janvier, qui dirigeait les troupes ‘’Anaconda’’ de Bouaké, Chérif Ousmane, actuel sous-chef d’état-major de l’armée de terre, redoutable patron, à l’époque des faits, de la ‘’Compagnie Guépard’’, et surtout Martin Fofié Kouakou, lieutenant colonel actuellement, à qui on prêterait le crime de dizaine de partisans de feu IB étouffés dans un conteneur exposé dans la savane par ses guerriers de la compagnie ‘’Fansara’’ à Korhogo. Un épisode nommément cité dans le dossier révélé par les confrères français.

Ressusciter ces affaires mettra systématiquement dans le collimateur de la justice française tous ces acteurs devenus aujourd’hui des piliers de l’Armée ivoirienne sous le pouvoir Ouattara.

Des dirigeants ivoiriens aussi

Le retour en surface des dossiers sur ces crimes n’épargnera indéniablement pas le pouvoir ivoirien également. Surtout, en ce qui concerne le volet ‘’assassinat’’ du ‘’père’’ du commando invisible d’Abobo. Il n’y a pas que Guillaume Soro, en effet, qui pourrait être inquiété par ces affaires. Il y a à redouter qu’elles bousculent aussi sérieusement de hauts dirigeants du pouvoir actuel.

En effet, à l’époque des faits, Guillaume Soro, en plus d’être le chef de la rébellion, était le Premier ministre du tout nouveau président de la République, vainqueur de la crise post-électorale, Alassane Ouattara. Un poste qu’il cumulait avec celui de ministre de la Défense. Ce qui lui permettait, avec sa casquette et son autorité de chef de la troupe vainqueur sur les forces restées loyales à Laurent Gbagbo, de régler les questions militaires alors cruciales au retour à la normale en Côte d’Ivoire après les combats meurtriers.

C’est pendant ce retour à la normale qu’est survenue la mort de Ibrahim Coulibaly suite à une autre chasse à l’homme, comme le souligne le récit du dossier dévoilé par Médiapart, qui s’est terminée dans la tragédie pour le sergent-chef en disgrâce avec ses ex-éléments. Etait-ce le dernier épisode du feuilleton de la rivalité antérieure au sein de la rébellion ? Le Premier ministre, ministre de la Défense aurait-il agi de son propre chef, ou aurait-il reçu des directives venant d’en haut pour faire exécuter son redoutable rival de toute la durée de la rébellion ?

La ligne de défense de Soro

Ces questions resteront pendantes et pourraient orienter les regards des juges indubitablement vers le chef d’Etat d’alors et chef suprême de l’Armée dont répondait le Premier ministre et ministre de la Défense. S’il jouit encore de l’immunité au pouvoir, dans un peu plus de 5 mois, fin octobre 2020, l’actuel tenant de l’Exécutif ivoirien serait en fin de mandat et ne pourra plus bénéficier de ce parapluie. Ainsi, dans le cas où ce dossier inattendu trainerait en longueur, ceci pourrait l'entraîner devant la justice pour s’expliquer sur ces faits.

A propos, il n’est pas exclu que soient exhumées des vidéos témoins aux archives à cette époque où la guerre des nerfs à travers les images filmées précédait parfois celle des armes. Interrogé une fois sur le sujet, en octobre dernier, Guillaume Soro – comme s’il s’attendait à ce que le dossier soit remis sur la table un jour – semble avoir déjà préparé sa ligne de défense. A la question du confrère de Radio France Internationale (Rfi) sur l’assassinat de son ex-frère d’arme, voici ce qu’il répondait au journaliste: « Permettez-moi de dire la vérité sur les faits et l’exactitude matériel des faits. Je n’étais pas en Côte d’Ivoire quand IB a été tué. (…) Donc je ne pouvais pas avoir tenu le pistolet. Pour le reste, la justice de Côte d’Ivoire a du travail à faire. Donc, la vérité est dans la main de la justice ». Guillaume Soro voudrait-il insinuer que des éléments existent pour la justice ivoirienne pour remonter aux tueurs de Ibrahim Coulibaly et ses proches ? Sans devrait-il en avoir à dire lui-même qu’il n’hésiterait certainement pas à cracher devant des juges une fois qu’il serait contraint à se retrouver devant des barreaux. Voilà qui promet en termes de déballages à l’horizon sur les faits, les méfaits de l’ex-rébellion, ses commanditaires et ses exécutants. Une affaire qui ne fait pas mentir l’adage selon lequel une rébellion finit toujours par manger ses propres enfants. Le cas ivoiriens pourra-t-il faire exception ? La suite de ce procès annoncé en France, si la justice parisienne juge la plainte recevable, le dira…

F.D.BONY