Interview/ Dr Gervais Boga Sako: «on ne sait pas comment finira la dictature-Ouattara

Par Ivoirematin - Interview. Dr Gervais Boga Sako «on ne sait pas comment finira la dictature-Ouattara.

Dr Boga Sako.

«La pétition ne peut pas interrompre ni modifier» le procès de Gbagbo

Président de la Fondation Ivoirienne pour l'Observation et la surveillance de la Démocratie, des Droits de l'Homme et de la vie Politique (FIDHOP) Dr Boga Sako Gervais a accordé une interview à Ivoire matin via la toile. Du procès de Gbagbo à la nouvelle constitution en passant par les révélations sur la mort de Kadhafi, l’activiste des droits de l’Homme dit ses vérités.

Dr Boga, 6 ans après la crise, vous êtes encore en exil. Jusqu’à quand cela durer ?

Je salue tout d'abord les lecteurs d'Ivoirematin.com. Sachez d'emblée que je ne suis pas en exil de gaieté de cœur. Cependant, je préfère de loin cette situation - et j'en remercie le Seigneur, surtout pour m'avoir sauvé la vie. En comparaison avec ces milliers de compatriotes qui ont péri dans la guerre postélectorale menée par la communauté internationale, notamment la France de M. Nicolas Sarkozy, contre notre pays, pour le bonheur de M. Alassane Ouattara, le RHDP et les ex-rebelles des forces nouvelles. Je préfère encore l'exil en Europe, même s'il est aussi difficile, à la situation des centaines de prisonniers qui sont torturés dans les prisons du régime dictatorial d'Abidjan. J'ai enfin beaucoup de chance, contrairement à nos compatriotes qui souffrent dans les camps de réfugiés, du Liberia, du Bénin, du Togo, etc.

S'agissant donc de mon retour en Côte d'Ivoire, il dépend d'abord de Dieu. Car, c'est Lui qui m'a permis d'être en exil. Ensuite il est conditionné par le respect des Droits de l'Homme et de la Démocratie; ce qui manque encore dans notre pays.

Comment jugez-vous donc la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire ?

Malheureusement, la situation des Droits de l'Homme ne s'est pas beaucoup améliorée dans notre pays. Il est vrai que la Côte d'Ivoire n'est plus en guerre, comme en septembre 2002 ou en mars-avril 2011; mais l'insécurité continue d'être l'angoisse quotidienne de nos populations. Après la psychose nationale des enlèvements d'enfants ayant précédé la coupe d'Afrique des Nations, début 2015, les coupeurs de route et surtout le phénomène des "Microbes" continuent de traumatiser nos concitoyens. Sans oublier l'attentat des djihadistes à Grand-Bassam perpétré le 13 mars 2016.

Tous ces faits démontrent l’insécurité qui règne dans le pays, sans que les dirigeants actuels ne réagissent efficacement; malgré les équipements de la police en hélicoptères et présence des forces onusienne et française.

Et, le plus ridicule, c'est que paradoxalement, le pouvoir-Ouattara déploie toutes ses forces, police, gendarmerie, armée, ex-rebelles et dozos, et même la justice ivoirienne contre les partisans et sympathisants du Président Laurent Gbagbo: ils continuent d'être traqués et injustement incarcérés, sous le seul motif farfelu "d'atteinte à la sureté de l’État". La dernière personne à être victime de la barbarie de ce régime, c'est Mme Antoinette Meho, qui fut brutalement enlevée à son domicile de Yopougon, le mercredi 10 août dernier, séquestrée et torturée à la DST, avant d'être jetée à la MACA.

Telle est une vue globale, mais non exhaustive de la situation des Droits de l' homme en Côte d' Ivoire aujourd'hui; un pays où les libertés publiques sont confisquées par le pouvoir!

En comparaison avec l’ère Gbagbo, qu’est-ce qui a changé ? Que fait Ouattara que Gbagbo n’a pas fait ou vice-versa ?

Sous la présidence de M. Laurent Gbagbo, ce n'était le paradis des Droits de l'Homme, certes; mais au moins, en démocrate qu'il est, notre pays a connu des avancées démocratiques et en respect (des efforts ont été réalisés) des Droits de l'Homme.

A ce propos, c'est lui qui créa le Ministère dévolue exclusivement aux Droits de l'Homme, et qui créa, par décret présidentiel, la Commission nationale des Droits de l'Homme de Côte d'Ivoire (CNDHCI). Ça, c'est au plan institutionnel.

C'est encore lui qui consacra la liberté d'expression, particulièrement dans le domaine de la presse, avec la dépénalisation des délits de presse: c'est à dire que le journaliste, dans l'exercice de sa profession ne peut être emprisonné. Je peux pourrais aligner les exemples... Dans le domaine politique, je salue ses actions en faveur de la Démocratie et de la recherche de la paix en Côte d'Ivoire.

Si les deux personnalités Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié sont reconnaissantes, elles n'oublieront jamais que c'est le Président Gbagbo qui les a fait revenir d'exil et a organisé le Forum de réconciliation nationale de 2001, pour tenter de ressouder le tissu social déchiré par le coup d’État du 24 décembre 1999, dans lequel M. Ouattara a toujours été cité comme étant le principal destinataire.

Bref, je le dis toujours et je le répète encore: si feu le Président Félix Houphouet-Boigny est considéré comme le "père de la Nation" ivoirienne, le Président Laurent Gbagbo est quant à lui le "père de la Démocratie" en Côte d'Ivoire.

Regrettez-vous que le président Gbagbo n’ait pas traité ses adversaires ainsi ? Peut-être n’aurait-il pas connu ce qu’il vit en ce moment !

Je ne dirais pas cela. Je pense que le Président Laurent Gbagbo s'est comporté en Président digne et humain. Écoutez, la politique, ce n'est pas faire du mal à ses adversaires. Gouverner, ce n'est pas torturer, ou éliminer, ou se venger des partisans ou sympathisants de son adversaire politique, sous prétexte qu'ils n'auraient pas voté pour vous. Car, c'est le crime qu'on reproche au peuple Wè, dont des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants ont été massacrés.

En tant que Militant pour les Droits de l'Homme, mais surtout parce que Chrétien, je hais la violence et les injustices. Et Dieu sait, et mes compatriotes que vous êtes, vous le savez. Sous le mandat de dix ans du Président Gbagbo, j'ai toujours dénoncé les violations des Droits de l'Homme. Et jamais, je n'avais été inquiété; au contraire! C'est pourquoi j'ai beaucoup d'admiration pour ce Monsieur.

Ce qui n'est pas le cas sous M. Ouattara. On ne le critique jamais, on ne dénonce jamais sous son règne. Sinon, c'est la MACA; si vous n'êtes pas enlevé et tué. Et même dans le domaine syndical, si vous contestez une réforme de son gouvernement, on vous sanctionne immédiatement, en vous affectant dans le Nord du pays... (J'en ris; tellement c'est risible!)

Maintenant, si vous pensez que si M. Gbagbo avait gouverné autrement, avec fermeté, avec dictature, comme le fait si bien le Chef de l’État actuel, il aurait été encore à la tête du pays, je n'en suis pas si sûr. Et puis, vous ne savez pas encore comment finira la dictature-Ouattara, si elle ne s'humanise pas. Sinon, nous savons au moins comment celle de M. Blaise Compaoré a fini, le 30 octobre 2014.

Parlant de son procès, comment voyez-vous son issue ?

Je rappelle qu'en tant que activiste des Droits de l'Homme, j'aime la Justice; mais je méprise la justice non équitable, la justice des vainqueurs. Le fait que le Président Laurent Gbagbo et le ministre Charles Blé Goudé soient jugés à la Haye, et que Mme Simone Ehivet, ainsi que des centaines de pro-Gbagbo croupissent dans les prisons du pays, me révolte. Surtout que ceux qui sont au pouvoir sont très gravement impliqués dans les crimes perpétrés dans notre pays, depuis septembre 2002 à ce jour.

Le Président Laurent Gbagbo sera innocenté; j'en suis persuadé! J'en veux pour preuve, les errances des témoins à charge sélectionnés par la procureure Fatou Bensouda, de concert avec le régime Ouattara. Malheureusement pour la CPI, tous ces témoins sont plutôt entrain de disculper ces deux otages.

Toutefois, je pense personnellement que les actes posés par la France et l'ONU dans notre pays, en bombardant des civils, engendrant ainsi des milliers de morts, étant très graves, irréparables, la communauté internationale "sacrifiera" l'otage Laurent Gbagbo et son ministre, en les condamnant à une peine équivalant au temps, qu'ils auront passé en prison. Ce qui équivaudrait à leur libération. Parce que les grandes puissances ne s'avouent jamais perdantes.

Néanmoins, il y a une condition: jamais nous ne devons cesser de mettre la pression sur la communauté internationale et la CPI. D'où l'importance d'un instrument tel que la Pétition qui circule en ce moment et qui est signée partout dans le monde.

Il se raconte des tractations diplomatiques en cours en vue de sa libération. Pouvez-vous nous en dire davantage?

Malheureusement, je n'en dirai pas assez. Mais je reste convaincu que oui; des tractations existent. Il suffit d'observer la débâcle des témoins de la procureure; mais aussi, la crise postélectorale gabonaise, qui fait de M. Laurent Gbagbo un démocrate accompli. S'il s'agit de respecter et de défendre la loi fondamentale et les institutions de son pays, il est en avance sur beaucoup de dirigeants africains; et lorsqu'il faut même prendre le risque de recompter les voix du scrutin, pour sauver des vies humaines, le Président Gbagbo donne encore une leçon à la communauté internationale, à commencer par la France qui se targue d'être le "pays des Droits de l'Homme". Ce qu'elle a ignoré en Côte d'Ivoire en 2010-2011.

Vous parcourez l’Europe pour la signature de la pétition. Comment l’initiative est-elle accueillie et quel bilan faites-vous à ce jour ?

La pétition internationale pour la libération du Président Laurent Gbagbo est très bien accueillie partout. Elle témoigne de ce que les militants et sympathisants, les amis du Président Gbagbo sont des adeptes de la Démocratie et de la non-violence. Contrairement à d'autres qui n'hésitent pas à monter des rébellions, continuant ainsi de déstabiliser notre pays.

Cette pétition est semblable aux actions diverses entreprises dans le monde entier, pour obtenir à l'époque la libération de Nelson Mandela. Hommage donc au patriarche Bernard B. Dadié et à l'ex-premier ministre togolais Joseph Koffigoh, initiateurs de cette pétition. Sur le terrain, en Italie, où j'ai été désigné Coordonnateur de la pétition, nous avons réussi à mobiliser plusieurs centaines de pétitionnaires, surtout des Italiens, parmi lesquels des personnalités politiques ou des leaders religieux.

L’on s’interroge sur le poids juridique de cette pétition face au procès? En quoi peut-elle influencer le procès dans le sens de vos attentes?

Il est juste de noter que dans son essence, la pétition n'a pas juridiquement vocation à interrompre ni à modifier le cours d'un procès. Sauf que le procès du Président Gbagbo et du ministre Blé Goudé qui se tient à la CPI est très politique. Dès lors, en mettant la pression sur la communauté internationale, avec cette pétition et bien d'autres actions, ce procès peut ne pas aller à son terme, ou alors son issue peut être modifiée. C'est très possible!

L’on vous accuse, les responsables des organisations de mouvements pro-gbagbo, d’arnaquer des gens avec le nom du président Gbagbo.

Je suis très mal placé pour répondre à cette allégation. Je suis Militant des Droits de l'Homme, depuis 1994. De la LIDHO, où j'ai passé dix ans, en tant que président de la section Lidho de Bouaké, j'ai dirigé l'APDH au plan national, avant de rentrer à la CNDHCI en 2007. Depuis janvier 2009, j'ai créé la FIDHOP. Je ne dirige donc pas une organisation ou un mouvement pro-Gbagbo.

Toutefois, j'ai défendu et je défendrai toujours le Président Laurent Gbagbo, parce que c'est lui qui fut attaqué en septembre 2002 par des rebelles pro-Ouattara; c'est lui qui fut proclamé vainqueur du scrutin présidentiel de fin 2010, et qui, malgré cette victoire, a appelé à recompter les voix, afin d'éviter tous ces milliers de morts.

Pourtant, c'est lui qui fut bombardé, capturé et qui se retrouve incarcéré à la CPI. C'est inacceptable! Si cette position signifie être pro-Gbagbo, alors je le suis. Cependant, revisitez tous mes débats télévisés à "Raison d’État", au plus fort de

Vous n’êtes pas d’accord avec le changement de la constitution ivoirienne en cours. Quelle analyse vous inspire cette situation?

S'agissant de la Constitution-ADO, la FIDHOP a été très claire. Elle constitue le nouveau danger qui va achever de diviser les Ivoiriennes et les Ivoiriens. C'est comme si on assistait à un jeu de ping-pong, en jouant avec le destin de notre Nation. Ceux qui dirigent actuellement condamnent la Constitution du 1er août 2000; qui a été pourtant très massivement votée (86%). Alors ils décident de la remplacer par leur Constitution à eux. Qu'en sera-t-il, lorsqu'ils seront évincés du pouvoir? Il faut arrêter de jouer avec notre Nation!

11- Moins chanceux que Laurent Gbagbo, Kadhafi a été tué, selon une enquête de députés européens, par Sarkozy et Cameron. Cette révélation ne semble pas ébranler les Africains.

C'est très juste comme observation. Et c'est ce qui nous fonde, nous autres, à ne jamais baisser les bras dans ce combat de la résistance. Le Président Laurent Gbagbo ne devrait pas constituer un sacrifié de plus. Aussi, ne s'agit-il plus de lutter pour le Président Gbagbo seulement, mais au-delà. Nous devons parvenir à libérer nos États africains et notre continent. L'Occident ne doit plus venir faire la loi chez nous, en décidant de qui est dictateur, bon à abattre, ou qui est docile, bon à diriger en Afrique, tel un sous-préfet néo-occidental.

Interview réalisée par César DJEDJE MEL