En RDC: une transition historique et contestée clôt un long processus électoral

Par Le Monde - En RDC, une transition historique et contestée clôt un long processus électoral.

Félix Tshisekedi reçoit l’écharpe présidentielle des mains de son prédécesseur, Joseph Kabila, lors de son investiture, le 19 janvier à Kinshasa. JEROME DELAY / AP.

Félix Tshisekedi a succédé de manière pacifique, jeudi, à Joseph Kabila, qui quitte le pouvoir après dix-huit ans à la tête du pays.

Le Monde avec AFP

« Moi, Félix Tshisekedi, de la République démocratique du Congo, je jure… » L’opposant Félix Tshisekedi est officiellement devenu, jeudi 24 janvier, le cinquième président de la République démocratique du Congo (RDC), à l’heure d’une première alternance pacifique, mais contestée par un autre opposant, Martin Fayulu.

Le nouveau président a prêté serment dans l’enceinte du palais présidentiel de Kinshasa. Avant de recevoir l’étendard national des mains du sortant, Joseph Kabila, un exemplaire de la Constitution et les armoiries, sous les ovations de milliers de ses partisans mêlés aux officiels dans l’enceinte du Palais de la nation et à proximité.

« Comprenez mon émotion »
Mais il a été obligé d’interrompre son discours d’investiture, visiblement en raison d’un malaise. « Ça ne va pas », a-t-il déclaré, avant de s’arrêter et de s’asseoir sur une chaise, rejoint à la tribune par sa famille. La Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC) a interrompu la retransmission en direct de la cérémonie d’investiture, avant de la reprendre une dizaine de minutes plus tard avec le retour du nouveau président à la tribune.

« Un célèbre président de notre pays avait dit en son temps : “Comprenez mon émotion” », a repris Félix Tshisekedi, allusion à la phrase du maréchal Mobutu annonçant la fin du parti unique et une relative ouverture démocratique, le 24 avril 1990. « La campagne que nous avons eu à mener [et] le travail de préparation (…) ont eu raison de ma personne humaine », a-t-il poursuivi, avant de s’excuser.
Lors de son discours d’investiture, le nouveau président a promis de libérer tous les « prisonniers politiques ». Il a également assuré qu’il œuvrerait à améliorer le respect des droits humains dans le pays. « Sous notre mandat, nous veillerons à garantir à chaque citoyen le respect de l’exercice de ses droits fondamentaux. Nous nous engageons à bannir toute forme de discrimination », a-t-il déclaré.

Félix Tshisekedi – « Fatshi » pour ses proches – va prendre le relais du chef de l’Etat sortant, Joseph Kabila Kabange, 47 ans, dont dix-huit à la tête du plus vaste pays d’Afrique subsaharienne. Les deux hommes sont entrés dans l’histoire congolaise comme les acteurs de la première transition sans violence ni effusion de sang d’un pays marqué par deux coups d’Etat (1965 et 1997), deux assassinats de dirigeants (Patrice Lumumba, en 1961, et Laurent-Désiré Kabila, en 2001), et deux guerres. Des conflits qui avaient ravagé tout l’Est, impliquant neuf pays et faisant entre quatre millions et six millions de morts entre 1996 et 2004.

Signes de changement
Des chefs d’Etat africains ont salué, dès dimanche, l’élection de M. Tshisekedi (Afrique du Sud, Kenya, Burundi, Tanzanie) et d’autres se sont fait attendre un peu plus longtemps, dont deux des neuf voisins de la RDC (l’Angola et le Congo).

L’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE), dans un communiqué conjoint, ont plus froidement « pris note » du résultat de cette élection contestée. Tout comme les Etats-Unis, elles se disent prêtes à travailler avec le nouveau président. Washington et Paris doivent être représentés par leur ambassadeur à Kinshasa.

Des signes de changement sont d’ores et déjà perceptibles. Mercredi, la chaîne d’Etat a ouvert son journal du soir avec un reportage sur la joie et l’impatience des militants de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de M. Tshisekedi. Un signe de pluralisme impensable il y a quelques jours dans la ligne rédactionnelle de la RTNC.

Façonnées par Kabila, l’armée et les forces de sécurité vont devoir aussi faire preuve de fidélité républicaine à l’égard du nouveau président. Largement favorable au président Kabila – avec 337 sièges sur 500 –, l’Assemblée nationale, elle, doit faire sa rentrée le 28 janvier, près d’un mois après les élections du 30 décembre 2018.
C’est parmi cette majorité que M. Tshisekedi devra choisir un premier ministre. Les noms du directeur de cabinet du président Kabila, Néhémie Mwilanya Wilondja, et du grand patron congolais Albert Yuma circulent dans la presse locale, entre autres spéculations.

Un « accord de coalition politique »
Dans son message d’au-revoir mercredi soir, M. Kabila a encouragé les « leaders politiques » à privilégier une « coalition » plutôt que la « cohabitation ». Les pro-Tshisekedi et les pro-Kabila ont signé un « accord de coalition politique » et de « partage du pouvoir », selon un document que l’Agence France-Presse (AFP) s’est procuré. Il prévoit que les ministères régaliens (diplomatie, défense, intérieur) doivent « comme cela est de doctrine certaine, revenir à la famille politique du président élu ».

L’opposant Martin Fayulu a pour sa part dénoncé un « putsch électoral » orchestré par M. Kabila avec la complicité de M. Tshisekedi. Il revendique la victoire avec 60 % des voix et se proclame seul président élu légitime. Son alliée, Eve Bazaiba, du Mouvement de libération du Congo (MLC), a d’ores et déjà refusé un gouvernement d’union nationale avec les nouveaux dirigeants, arguant que « l’Etat de droit ne signifie pas arrangement, combine et combinaison pour gérer le pouvoir. Ce qui est mal conçu, ce qui est mal préparé va continuer négativement ».

Le nouveau gouvernement va prendre la direction d’un pays riche en minerais, mais dont les deux tiers des 80 millions d’habitants survivent avec moins de 2 dollars (1,75 euro) par jour.
La nouvelle équipe va subir de plein fouet la baisse des cours du cobalt, qui ont chuté en quelques mois de 100 000 dollars à 35 000 dollars la tonne. Cet effondrement devrait être un coup dur pour l’Etat, qui misait beaucoup sur une réforme du code minier relevant la taxation des producteurs de cobalt. La RDC en est le premier exportateur mondial.

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