Débats et Opinions : La clé de la libération de Mandela n’est ni celle de Gbagbo ni celle d’Houphouët

Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - La clé de la libération de Mandela n’est ni celle de Gbagbo ni celle d’Houphouët, par Isaac Pierre BANGORET (Écrivain).

Jour de libération de Mandela après 27 ans de prison. Image d'archives.

Nous ne pouvons découvrir la clé de la libération de Mandela qu’en
adoptant une attitude critique à l’égard des sources, des informations
que nous avons reçues sur la lutte politique de l’ANC et sur les
événements qui ont concouru à la libération de ce grand résistant
africain. Cet esprit critique est fondamental pour réécrire l’Histoire
falsifiée de l’Afrique puisque l ’Empire romain priva, par exemple, les
historiens de leur indépendance, en faisant de la discipline historique un
instrument au service d’une fin politique ou morale. L’Empire colonial,
mère de la Françafrique, n’est pas en reste. C’est, justement, ce à
quoi il nous est donné d’assister en Côte d’Ivoire où les
spécialistes français, au service d’Alassane Ouattara, s’évertuent à
écrire l’histoire « postcoloniale » de l’Afrique de l’Ouest à
partir de sa personne, en transformant, simplement, le PDCI-RDA en PDCI-RDR.
Ouattara, figure africaine de la Finance internationale, installée de force
par la France à la tête de la Côte d’Ivoire , un des greniers de
l’Afrique de l’Ouest, commence aussi à être imposé comme le nouveau «
sage » de l’Afrique, après Houphouët, que la métropole avait
recommencé à combattre au soir de sa vie, à cause de son refus de
dévaluer le francs CFA, de sa volonté de construire véritablement une
Afrique autonome, grâce à une rémunération correcte, équitable de nos
matières premières. Avec la transformation du PDCI-RDA en PDCI-RDR, la
figure de Ouattara deviendra progressivement celle qui marquera le début
d’une autre histoire falsifiée écrit e par des intellectuels de la
Métropole et des pseudo-africains (des pseudo-ivoiriens). Des personnes,
comme Ouattara et Compaoré, se sont servies de la falsification de
l’histoire coloniale pour opposer les peuples ivoiriens et burkinabé.
Comment peut-on, en effet, faire disparaître en 1932 les frontières de la
Haute-Volta et faire porter à la Côte d’Ivoire puis à leurs leaders les
conséquences désastreuses d’un tel projet politique, en arguant de la
convoitise des Ivoiriens à l’endroit de ce réservoir de main-d’œuvre?
En 1932, nous croupissions tous (Burkinabé et Ivoiriens) sous le joug des
travaux forcés et ne sommes pas, jusqu’à ce jour, maîtres de notre
propre destinée. Houphouët, le leader politique ivoirien, qui conduisit, en
1960, la Côte d’Ivoire « à l’indépendance », était en 1932 à la
tête d’un mouvement de planteurs africains hostiles aux grands
propriétaires blancs et à la politique économique du colonisateur, qui
les favorisait. Faire disparaître dans la même année les frontières de la
Haute Volta, en faisant croire qu’Houphouët et les Ivoiriens, devenus des
planteurs autonomes, en avaient besoin, permettait à la France d’atteindre
un triple objectif : Premièrement : mettre la main d’œuvre burkinabé à
la place de celle ivoirienne dans les plantations des propriétaires
français à cause du combat politique mené par Houphouët Boigny. On a
certainement assisté à des licenciements abusifs des Ivoiriens, comme le
fait d’ailleurs aujourd’hui Alassane Ouattara, dans les banques et
l’administration ivoirienne. Deuxièmement : Empêcher la formation d’un
Syndicat agricole africain par ce leader politique ivoirien. Troisièmement :
Faire porter à Houphouët et aux Ivoiriens la responsabilité de la
balkanisation de l’Afrique, et surtout de la disparition de la Haute-Volta,
alors que les grands planteurs et les sociétés françaises qui
influençaient déjà la politique coloniale africaine de la France avaient
besoin d’une main-d’œuvre docile. Pour que les fils du Yatenga fussent
dociles et moins rebelles à l’occupation de leur territoire, il fallait
les maintenir dans la pauvreté et leur ôter ce qui comptait d’avantage à
leurs yeux ; leurs terres (leurs propriétés) qui étaient un obstacle
naturel à la réunification de tous les royaumes Mossis. Houphouët (et
d’ailleurs tous les présidents africains à la tête des colonies
françaises) étaient des « prisonniers » de la France appelés à
exécuter de basses besognes. En Côte d’Ivoire on leur attribue, à
dessein, le qualificatif de « préfets ». Prisonnier de la France,
Houphouët
sera, cependant, un homme libre au sein de son peuple, à l’abri de
révolutions violentes, de coups d’État, contrairement aux
pseudo-houphouétistes, grâce à une opposition ivoirienne qui a choisi de
combattre aux mains nues. La clé de son charisme politique, de sa «
liberté » était le dialogue. Il se comparait justement à un caïman (ou
à un crocodile) qui dormait les yeux ouverts . Au soir de sa vie, affaibli
par la maladie, exténué par ses longues veilles, la France réussira à lui
« imposer », de manière subtile, Alassane Ouattara à la tête de son
gouvernement, pour préparer déjà ce dernier à prendre les rênes de notre
pays, avec l’aide de son discret frère burkinabé, Blaise Compaoré. Si
Houphouët était comparable à un prisonnier de la France qui vivait dans
des palais dorés, Gbagbo à l’instar de Mandela, est privé de cette
espèce de libert é conditionnelle dont jouissent tous les présidents
africains parce qu’opposé à toutes formes de compromissions, et
s’obstine à demander une révision des accords signés entre la France et
ses ex-colonies, en vue d’accords gagnantgagnant.

Gbagbo et Mandela sont deux figures politiques africaines, victimes
innocentes de deux systèmes politiques oppressifs. Suivons ce résumé
sommaire de la lutte politique du grand Mandela pour mieux comprendre le
système politique oppressif français qui a enfermé, jusqu’à ce jour, le
premier président africain à la Haye, l’ivoirien Gbagbo Laurent. Mandela,
né en 1918 à Mvezo (province du Cap), fonda le premier cabinet d’avocats
noirs en Afrique du Sud avec Oliver Tambo, et en 1944, créa la ligue de la
jeunesse de l’ANC. Partisan, comme Gandhi de la non-violence, il décida
de lutter contre la domination politique de la minorité blanche et la
ségrégation raciale menée ouvertement, à la face du monde, par celle-ci.
Des personnes comme Peter Botha (président de l’Afrique du Sud en 1984)
étaient convaincues de la suprématie politique des Blancs, et du bien
fondé de l’apartheid ; de la discrimination raciale, du refus du droit de
vote aux Noirs. L’opinion publique internationale était muette face à
cette injustice dont étaient victimes les populations noires autochtones,
conquises et colonisées par la minorité blanche, parce qu’il existe , en
réalité, une interconnexion entre tous les événements politiques à
travers le monde. L’ ANC est, à juste titre, interdit en 1960, au moment
où les colonies françaises accèdent à l’indépendance.
L’administration française centralisée permettait, parallèlement au
gouvernement raciste sud-africain, à une minorité blanche en France, de
dominer une grande partie de l’Afrique noire. La France ne pouvait donc que
suivre avec beaucoup d’intérêt l’évolution politique sud-africaine. Le
21 mars 1960, le massacre de Shaperville influença non seulement la
stratégie non-violente de l’ANC mais aussi l’octroi de la
pseudo-indépendance aux colonies françaises, la même année. La France
sortie affaiblie des deux guerres mondiales se devaient d’anticiper les
conséquences négatives de Shapperville dans ses colonies, puisqu’elle
était incapable de contenir une éventuelle révolte de toutes leurs
colonies. Le 5 août 1962, c’est d’un commun accord, avec l’aide même
de la CIA que Mandela fut arrêté, au grand dam, de l’opinion publique
internationale. Il passa 27 ans de sa vie en prison ; une période, qui a
couvert pratiquement celle de la guerre froide qui opposait le bloc
soviétique au bloc occidental. Pourquoi l’intervention de la CIA dans
l’arrestation de Mandela ? Pour la simple raison qu’aux USA, nous avions,
durant la même période, des leaders afro-américains, comme Luther King,
qui luttaient contre la ségrégation raciale dont étaient aussi victimes
les Noirs afro-américains. Le 21 février 1965, fut, en effet, assassiné
le plus sulfureux des leaders afro-américains, Malcom X, et le 4 avril 1968,
le plus pacifique, Martin Luther King. Peu importe la forme de lutte,
qu’elle soit violente ou pacifique, aux Noirs sont simplement niés des
droits parce que jugés inférieurs aux Blancs. Dans leurs colonies, la
France fera assassiner de nombreux leaders africains célèbres dont; Patrice
Lumumba le 17 janvier 1961, Modibo Kéïta, empoisonné par ses geôliers le
16 mai 1977, le capitaine Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987. Les
Africains favorables à la lutte politique pour une Afrique souveraine
étaient tués et étiquetés, comme des partisans du
communisme. On les faisait passer pour des ennemis des occidentaux, des
espions du bloc soviétique au sein des colonies africaines, pays satellites
du bloc occidental. Le 11 janvier 1990 fut relâché Nelson Mandela, un an
pratiquement après la fin de la guerre froide qui dura de 1947 (3 ans après
l’entrée de Mandela à l’ANC) jusqu’en 1989, année de la chute des
régimes communistes en Europe. Le monde n’étant plus divisé en deux
blocs, les Noirs d’Afrique du Sud pouvaient bénéficier d’une aide
militaire discrète des communistes (de l’URSS, de la Chine) pour se
libérer de cette condition de servitude déshumanisante. La fin de la guerre
froide fut donc la clé principale de la libération de Mandela, qui
n’avait pas été assassiné pour contenir la rage des Noirs sud
-africains, des militants de l’ANC, et être un instrument de la «
réconciliation nationale ». En 1993 il reçut le prix Nobel d’une
communauté internationale hypocrite qui a toujours cherché à contrôler
les événements. En 1994, il devint le premier président noir d’Afrique
du Sud. Gbagbo est lui aussi emprisonné à la Haye par une minorité
blanche, sise à l’Élysée, qui refuse de signer des accords
gagnant-gagnant avec les Africains noirs ; ce qui est possible en Algérie
(l’ouverture d’une usine RENAULT) ne l’est pas en Afrique noire. On
nous refuse la transformation, sur place, de nos matières premières.
Victime d’un système politique oppressif et corrompu hérité de la
colonisation, il est maintenu expressément en prison afin qu’Alassane
Ouattara « le masque de la France », instrument de la Finance
internationale, instaure en Afrique une nouvelle forme d’exploitation de
nos territoires. Sur le plan politique, Ouattara favorise une bourgeoisie
d’État favorable à cette nouvelle forme d’exploitation hostile au jeu
démocratique. Il n’est donc pas étonnant de voir des cadres du FPI prêts
à sauver leurs intérêts personnels, au détriment du peuple, s’allier
aux fossoyeurs de notre économie, ennemis de la démocratie qui voient
d’un mauvais œil la révolution burkinabé. Les peuples africains ont
besoin de leaders intègres à leur tête pour défendre leurs intérêts et
non ceux de leur clan. Ouattara a instauré, aux yeux de tous, avec la
bénédiction de la France, le rattrapage ethnique, un système politique
tribal, afin que toute éventuelle révolution contre le régime d’Abidjan
soit interprétée, entre autres choses, par la France et leurs alliés,
comme une guerre civile, dans le but de faire intervenir automatiquement
leurs armées comme en Centrafrique. Malheureusement pour la Métropole la
révolution arrive du Nord, du Burkina Faso, et des fils du Nord, amoureux du
droit, de la justice, de leurs pays respectifs. La clé de la libération de
Gbagbo est détenue par le peuple qui réclame à sa tête des personnes
intègres et non des ogres, qui se nourrissent de leur propre progéniture,
des fossoyeurs de notre économie. Les enfants de policier (comme Gbagbo), de
soldats, de paysans, d’ouvriers, doivent jouir des mêmes opportunités que
les enfants de Ouattara, de Compaoré, de présidents, de ministres,
d’officiers dans des pays démocratiques africains qui se doivent de
contracter avec la France ou les pays européens d’égal à égal. Gbagbo a
exprimé ce vœu et mérite d’être soutenu afin qu’il achève ce noble
combat, qu’il a commencé, car on ne met pas le chapeau sur le genou mais
sur la tête.

Une contribution par Isaac Pierre BANGORET (Écrivain)