Débats et Opinions: FAUT-IL BRULER LE FRANC CFA ? Par Kock Obhusu

Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - FAUT-IL BRULER LE FRANC CFA ? Par Kock Obhusu.

Kock Obhusu.

Un acteur de la société civile africaine de la mouvance panafricaniste a brûlé au Sénégal un billet de cinq mille francs CFA sous le feu des projecteurs en cette période stratégique de vacances scolaires. Cet acte a suffit à remettre au premier plan la nécessité impérieuse de débattre autour de l’efficacité de cette monnaie au caractère et au fonctionnement aussi étranges que particuliers. Rappelons à toute fin utile qu’il y a des années que des économistes chevronnés s’emploient courageusement à inviter les politiques africains à examiner sérieusement la question. Aussi, nous avons pris le parti dans la présente contribution d’épargner le lecteur d’une exégèse maintes fois ressassée : date et cadre de création du franc CFA, réserves de changes, compte d’opérations auprès du Trésor français, crédibilité, équilibre de balance. Nous nous limitons volontairement à ne centrer notre participation qu’à un aspect. Mais un aspect des plus édifiants sur la question : l’équation (économétrique) quantitative.

L’INVITATION DES ECONOMISTES AFRICAINS: POLITIQUES AFRICAINS, PRENEZ PLACE, DEPOUILLEZ-VOUS DE TOUT CONFORT NOCIF, DETENDEZ-VOUS ET OUVRONS LE DEBAT.

Pourquoi cette invitation ? La réponse est simple.
Parce que tout bonnement, au-delà du franc CFA, il s’agit pour les africains d’interroger sérieusement et de façon sereine le développement africain dans son ensemble et dans sa mouture actuelle. Malheureusement certains séides passéistes s’emploient à repousser avec empressement et de façon gauche du revers de la main la question que soulèvent de façon triviale les populations africaines (premiers à être concernés) à savoir: quel avenir économique de l’Afrique par le franc CFA ?
Parmi ces deniers, on note la présence d’un certain Modibo KEÏTA qui dans une publication de « Financial Afrik » datant de ce lundi 4 septembre 2017 dit qu’ « …il faut dissocier et ne pas placer sur le même plan, les interrogations de populations ou d’experts de bonne foi sur le système franc CFA, des agissements de quelqu’un qui commet un coup d’éclat en violation des lois en vigueur au Sénégal et devra en répondre devant les Tribunaux ».
Pour sa part, dans « Dakar Info.com », un non moins certain Ibrahima DIOP affirme sans sourciller que « plusieurs déclarations recueillies ça et là amènent à constater que très peu parmi les détracteurs du franc CFA connaissent l’historique réelle de cette monnaie. Ils ne semblent pas savoir non plus comment fonctionne réellement la Banque Centrale. Ils ne semblent pas davantage comprendre les mécanismes mis en place au fil du temps pour mener les politiques monétaires des pays de la zone UEMOA au sein de laquelle circule le franc CFA. »
Voilà les peuples africains magistralement renvoyés à leur « glorieux passé » des années trente et quarante et au tribunal d’une histoire qui serait dénuée de servitude par une élite à l'intellectualisme que d’aucuns ont vite fait de qualifier de pitoyable.
Mais pour ne pas s’égarer , revenons à la question que posent avec pertinence les populations de Dakar, d’Abidjan, de Bamako, de Lomé et bien d’autres villes et villages.

LE PROLONGEMENT THEORIQUE DE LA QUESTION DE FOND QUE POSENT TRIVIALEMENT LES AFRICAINS: UN COMBAT AVANGARDISTE

Au plan théorique, cette question que posent les populations africaines est prolongée par les économistes sérieux: peut-on bâtir des économies performantes en Afrique en continuant à faire résider la politique monétaire, à l’extérieur ?
Ce double questionnement (populations et économistes) vise à dépasser les considérations conjoncturelles qui n’ont cessé de caractériser les politiques économiques africaines depuis la fin des années 70 pour nourrir une vision plus large et donc une vision plus pertinente du développement africain car in fine c’est bien de développement qu’il est question.
En cela, tout débat autour de la politique monétaire africaine permettrait de favoriser l’éclosion d’actions de mobilisation de logiques d’un développement durable et à la dimension des ressources du continent : ses matières premières et leurs modes et modalités d’exploitation, ses ressources humaines et leur valorisation en termes d’intégration, sa culture et son mode d’expression, etc.
Dès lors, il convient de sortir la réflexion sur le franc CFA d’une approche conceptuelle étriquée qui limite le débat à de fallacieux indices statistiques que brandissent certains chefs d’état, statistiques plus destinées à rassurer des bailleurs aux recettes exténuées par les cuisants échecs à répétition.
Quelle peut être en effet la pertinence de tous ces indicateurs économiquement vils autour desquels tournent toutes les communications et cette logique de fonctionnement sans impacts positifs significatifs sur la nature structurelle des activités économiques nationales.
Le bon sens économique (entendons de rationalité) ou pour le moins dans sa version monétariste dont paradoxalement non sans bizzarerie se réclament au plan intellectuel ces chefs d’état, stipule clairement que l’efficacité de toute politique macroéconomique repose sur une logique de régulation qui a pour axe central, la monnaie, oui, la monnaie. Une monnaie qui ne circule pas est une monnaie qui ne travaille pas aurait dit au passage John Maynard Keynes s’il était encore de ce monde !
[A titre anecdotique, je me souviens encore de ce vieux Yoruba ivoirien vendeur d’ignames, de peignes et de casseroles drapé dans son agbada d’un blanc maculé et avachi dans un fauteuil des plus défraîchis au marché de Treichville en novembre dernier (novembre 2016) revendiquant un keynésianisme pour les économies ouest-africaines qui me disait: "…monsieur, vous savez l'argent, c'est comme une jeune "sao", çà doit passer entre plusieurs mains rapidement sinon çà ne va pas. Le franc CFA ne passe plus dans les mains, dans toutes les mains . Le franc CFA est encore « sao » mais est devenu vieille "sao" qui ne travaille plus que dans une maison close. Mais, on va faire comment. On se débrouille avec...en espérant ne pas attraper « gono » jusqu’à ce qu’on nous en débarrasse "]

L’INCONTOURNABLE EQUATION DU DEVELOPPEMENT : L’EQUATION QUANTITATIVE OU LA PRAXIS LIBERALE

Pour pouvoir donc assurer une régulation efficace des grands équilibres, toute politique économique doit être fondée sur un principe que traduit au plan économétrique l’équation dite équation quantitative : M.V. = P.T.
M. représentant la masse monétaire en circulation dans une sphère économique donnée, V., la vitesse de circulation de l’unité monétaire, P., le niveau général des prix et T., le niveau de transaction au sein de cette sphère.
Une adéquation permanente entre la masse monétaire en circulation (M) et le niveau acceptable des prix (P) et de leur évolution est inévitable pour assurer un équilibre sous la contrainte du temps c’est-à-dire autant statique que dynamique.
Au regard de cette praxis libérale, n’apparaît-il pas nécessaire à l’échelle de la zone franc CFA d’intégrer le fait qu’en se privant du plus élémentaire des pouvoirs de régulation économique, il ne saurait y avoir de politique économique digne de ce nom à savoir l’industrialisation ?
Nous entendons ici par industrialisation, une industrialisation en harmonie avec le fonctionnement des services essentiels dans la vie des populations africaines, une industrialisation débouchant sur la constitution d’un tissu économique générant des interrelations entre les divers secteurs, assurant des emplois à un grand nombre de personnes et de fait contribuant à un bien-être général. Il ne s’agit donc pas de cette perpétuelle logique visant à passer de monopoles publics (nécessaires et défendues becs et ongles sous d’autres cieux) à des monopoles privés, créant ainsi de confortables situations de rente au profit de certains grands groupes internationaux. Tout cela dans un cortège de licenciements, de réduction de masse salariale. Bref, de misères et de féticheries qui interrogent beaucoup.

QUELLES SONT LES QUESTIONS FONDAMENTALES A SE POSER ET QUE SE POSENT LES POPULATIONS AFRICAINES AUJOURD’HUI A TRAVERS LE PROBLEME DU FRANC CFA

A partir de là, qu’il nous soit permis de nous interroger en termes on ne peut plus simples :
Première question : sans une politique monétaire maîtrisée de l’intérieure comment peut-on raisonnablement définir des évolutions favorables à la décélération de l’inflation (P) ?
Deuxième question : sans une politique monétaire maîtrisée de l’intérieure comment peut-on efficacement améliorer les soldes extérieurs et procéder à des ajustements du crédit interne et structurer au mieux les différentes contreparties (M) ?
Troisième question : sans une politique monétaire maîtrisée de l’intérieure comment assurer de façon optimale des concours aux institutionnels et aux ménages (M) ?
Ne pas chercher à répondre aujourd’hui à ces questions revient – si ce n’est clair pour les responsables économiques des pays africains et en particulier ceux qui, à l’intérieur de la zone, ont fait le pari d’arriver dans les dix années à venir à asseoir une économie résolument tournée vers l’industrie – à hypothéquer par avance les perspectives locales.

DE L’IMPOSSIBILITE D’INDUSTRIALISER DANS UN CADRE DE RATIONALITE COMPLETEMENT DEPASSEE

Les pays africains de la zone franc ne peuvent dans les conditions actuelles d’extraversion de leur politique monétaire parvenir à bâtir des industries capables d’épouser à la fois l’évolution des dynamiques de consommation intérieure, régionales et mondiales dans le mesure où ils ne peuvent décider selon un rythme maîtrisé de l’intérieur, de la variation de leur masse monétaire (M) variation qui conditionne incontestablement toutes les autres logiques des économies modernes.
Aussi, il est important et urgent de sortir les économies africaines de toutes considérations affectives et passéistes en vue d’une meilleure affectation des ressources qui deviennent de plus en plus rares. Libres à ceux qui voudront considérer pour pessimiste ou "activiste" une telle approche.
C’est une approche qui s’inscrit dans une perspective d’activation économique et non dans un activisme sans fondement. On ne peut certes nier le confort intellectuel que cela procure aux technocraties locales honteusement respectabilisées par les institutions internationales à grands renforts de portraits dithyrambiques et fallacieux, d’attendre que des experts internationaux viennent mettre en place des politiques en matière de taux d’intérêts et que la régulation de la masse monétaire se fasse selon un calendrier élaboré par l’assistance extérieure plutôt que d’engager de solides réflexions en vue de solutions durables. Mais il serait tout de même économiquement voire socialement préjudiciable dans les années à venir, à l’Afrique de la zone franc si elle ne prenait aujourd’hui suffisamment en compte la différenciation de l’environnement économique international de ces dernières années et des priorités nouvelles qu’elle a généré à l’échelle de chaque pays économiquement avancé.
Le développement africain par le franc CFA relève tout simplement de l’hérésie. Nous voulons parler ici du franc CFA tel qu’il fonctionne actuellement bien entendu.
La rationalité du mécanisme actuel est complètement dépassée et ne peut donc plus être porteuse d’efficacité économique. Le flot de discours nourris de façon outrancière pour souligner l’intérêt économique de la zone CFA est un leurre. Il vise incontestablement à cacher la réalité des choses. L’Europe regarde incontestablement – n’en déplaise à ceux qui croient le contraire et qui se croient seuls capables d’avoir un regard “optimiste ” sur le continent – vers les pays de l’Est, vers l’Asie et se trouve préoccupée par ses taux de chômage en croissance. L’Afrique ne revêt d’intérêt que pour l’exploitation de ses ressources minières et ses niches de rentes que sont les ports, l’eau, l’électricité, la téléphonie, etc.

EN GUISE DE CONCLUSION

Continuer donc à faire reposer le développement économique des pays africains sur une rationalité économique anachronique est indiscutablement une logique de gestion inefficace. Aussi il est tout simplement malheureux de constater que toute tentative d’invitation à la constitution d’une politique monétaire autonome fasse l’objet de fallacieuses mystifications, réduisant ainsi le nécessaire et incontournable défi africain au crible du réalisme budgétaire.
L’idée nouvelle et ambitieuse devenant ainsi aventure folle, rêve pharaonique, vue utopique aux yeux de technocrates platement engoncés dans un confort intellectuel avachi sous le prétexte fallacieux et honteux de réalisme.
Le vrai réalisme n’est-il pas de bâtir en acceptant d’affronter les vrais défis de son temps ? Et au plan économique, l’un des plus grands défis du temps actuel n’est-il pas de refondre complètement le franc CFA quitte à oser le brûler pour laisser éclore de ses cendres des perspectives plus rationnelles et plus porteuses de promesses pour la jeunesse africaine ?

Une contribution de Kock Obhusu