Antillais en Côte d’Ivoire : « Je me sens plus rassurée ici »

Par Franceantilles.fr - Antillais en Côte d’Ivoire « Je me sens plus rassurée ici ».

Petits et grands commerces ouverts, monde à pied : même si la fréquentation est moindre, la vie continue de se dérouler dans la rue, avec ou sans masque (pourtant obligatoire). - Photos C.E.

Cécile Everard, à Abidjan

En Côte d’Ivoire, comme de nombreux pays d’Afrique, la crise est-elle seulement dans les starting-blocks ? Des Antillais d’Abidjan expriment leurs craintes, leurs espoirs et donnent le pouls de la situation.
« Ma mère était une sage-femme connue ici et rendait service tout le temps. Chez nous, quand tu poussais la porte, tu trouvais de l’aide ».

Diana Ronsin s’interrompt pour répondre au téléphone de sa boutique. « Oui ! Vous êtes au bon endroit. Vous demandez la boutique de Diana, au premier étage, on vous montrera. » En cette période de ramadan, l’association Marie-Thérèse et Jean-Claude Ronsin (son père était martiniquais et Diana va régulièrement en Martinique) qu’elle a créée il y a 6 ans distribue des masques aux plus démunis. Activité intense aussi pour l’Association des jeunes créateurs africains dont elle est la présidente.

« Un don du ministre de la Défense Hamed Bakayoko nous a permis de donner de l’huile et du riz aux créateurs. Actuellement, les gens n’ont pas de quoi manger, comment peuvent-ils penser à se vêtir ? Beaucoup de nos créateurs vivent mal. Je paye le local 550 000 francs CFA par mois (843 euros, NDLR), je ne pourrais pas continuer encore 5 ou 6 mois. »
En Côte d’Ivoire, le nombre de cas de Covid-19 paraît actuellement bien menu (cf. encadré) : toutefois, l’état d’urgence sanitaire a été décrété le 23 mars.

Le confinement n’est pas obligatoire, mais ceux qui le peuvent essaient de rester chez eux. Les établissements scolaires ont leurs portes closes, tout comme les maquis (bars-restaurants) qui rouvrent parfois de manière marron. La plupart des commerces sont ouverts, bravant parfois les arrêtés communaux (Abidjan comporte 13 communes). Un couvre-feu a été instauré de 21 heures à 5 heures et les forces de l’ordre peuvent tomber à bras raccourcis sur les contrevenants.

« Notre autoconfinement est doux »

Ghislaine Décimus, danseuse (notamment gwo ka) et professeure de yoga, tente de se tenir loin de ce tumulte. Pourtant, son mari et elle-même, tous deux à leurs comptes, sont frappés directement au porte-monnaie. « Certains ont pris l’avion pour partir en France, mais je me sens plus rassurée ici. Notre autoconfinement est doux, car j’ai la chance d’être dans une maison, on a chacun notre espace. J’assure des cours en ligne.

Abidjan ne peut pas fonctionner comme la France. Les gens ont l’habitude d’être dehors, ensemble, de manger à l’extérieur. » Comme beaucoup, Ghislaine se déplace généralement en taxi, bien moins onéreux qu’une voiture personnelle. Même si les chauffeurs sont appelés à prendre des précautions, les transports en commun restent des lieux de transmission potentiels du virus. « On nous avait prêté une voiture quelque temps, mais ce n’est plus le cas, alors désormais je ne fais que de petits déplacements à pied près de chez moi. »

Le grand Abidjan a été coupé du reste du pays et les aéroports sont à l’arrêt. « C’était vraiment la mesure à prendre immédiatement : fermer les frontières », ajoute Ghislaine.

Dans les communes plus aisées, certains pans de rue semblent abandonnés de la foule. -

Bloqué à Bagnolet

Une frontière, c’est justement ce qui s’est dressé devant Georges Ravoteur quand il a voulu revenir de France où il était parti quelques jours. Pour l’instant, c’est à Bagnolet (93) qu’il est confiné.
Résident depuis 14 ans en Côte d’Ivoire, l’homme est connu pour avoir importé de son carnaval natal dans les quartiers d’Abidjan. La neuvième édition du carnaval ivoiro-antillais a eu lieu les 14 et 15 février derniers. Quatre-vingt-dix Martiniquais avaient débarqué pour croiser leurs coutumes avec certaines célébrations ivoiriennes.

« Je vois que pour l’instant, la Côte d’Ivoire tient le coup. J’ai noté une similitude entre la Martinique et la Côte d’Ivoire : les deux pays ont laissé s’échapper des gens qui auraient dû être mis en quarantaine ! », ironise-t-il.

Période calme dans les hôpitaux

Dominique Tako-Louisor, secrétaire générale de l’Association des Antillais et Guyanais de Côte-d’Ivoire*, vit depuis 32 ans à Abidjan. Elle est pharmacienne dans un hôpital public d’Abidjan. « Au début, j’ai perçu la crise comme un énième coup dur, on avait déjà connu le confinement, le couvre-feu, à l’époque des guerres et coups d’État.

Cela m’a même fait songer à la période précédent le passage du cyclone Dean, j’étais alors en Martinique, c’était l’effervescence pour se préparer. » Pour l’instant, l’hôpital dans lequel elle travaille ne voit que peu de cas, comme les autres établissements de santé d’Abidjan. « Nous essayons de nous préparer au mieux : gel hydroalcoolique, javel, masque, savons. Nous avons placé du scotch par terre pour délimiter les périmètres et les distances, placardé des affiches. Un comité Covid est en place. »

Dominique et son mari sont hyperactifs au niveau associatif. « Cela fait bizarre de ne plus avoir personne à la maison », sourit-elle. Avec leurs deux enfants majeurs, ils se répartissent les tâches à la maison, la jeune femme qui les aide habituellement ayant préféré repartir dans son village pendant la crise.

L’association, forte d’environ 200 membres, reste soudée : « Nous sommes quelques-uns à avoir plus de 60 ans dans l’association ! Nous essayons de rester confinés et de prendre des nouvelles de chacun », explique Jocelyne Kpokpa, la présidente. « Nous avons déjà connu des périodes difficiles ici. On reste ! »

(*) L’Association des Antillais et Guyanais de Côte d’Ivoire existe depuis 1953. C’est la plus ancienne des associations antillaises à l’étranger. Facebook : AAG CI / Association des Antillais et Guyanais de Cote d'Ivoire

La peur des émeutes de la faim

L’Afrique semble relativement épargnée pour l’instant par le Covid-19. Les chiffres progressent doucement. Diverses hypothèses sont avancées pour expliquer cela : le climat, la jeunesse de la population, les mesures prises précocement, les habitudes à gérer de graves crises sanitaires, etc. Toutefois, dans le même temps, des scénarios catastrophes sont élaborés par divers organismes pour les prochains mois et invitent à la prudence.

Actuellement, selon le Centre pour la prévention et de contrôle des maladies de l’Union africaine, environ 50 000 cas sont répertoriés pour presque 2 000 décès sur tout le continent. En Afrique de l’Ouest : 13 400 cas et 320 décès.

La Côte d’Ivoire quant à elle compte actuellement presque 1 500 cas confirmés (pour 11 000 prélèvements) dont 18 décès.
Dans les communes populaires (Yopougon, Adjamé, Abobo) d’Abidjan, il est quasi impossible pour de nombreuses personnes de rester chez elles : trop de monde dans les cours communes et du travail à aller chercher pour manger.

Les communes plus aisées (Marcory, Cocody) ont semblé bien confinées quelques semaines, mais la vie dans la rue reprend le pouvoir petit à petit.

Pour l’instant, la crise économique et sociale due au virus et l’instabilité globale pouvant en découler paraissent plus redoutées que le virus lui-même, en l’absence de toute couverture sociale pour la grande majorité de la population. Les élections présidentielles sont prévues en octobre. Le gouvernement a annoncé, en l’état actuel de l’épidémie, qu’elles seraient maintenues.

Lire la suite sur...https://www.martinique.franceantilles.fr/actualite/societe/antillais-en-...