Le Pr Michel Galy, Politologue français, prévient: La Côte d’Ivoire vers le syndrome centrafricain

Par Correspondance particulière - Pr Michel Galy "La Côte d’Ivoire vers le syndrome centrafricain"

Les élections présidentielles en Côte d’ivoire sont prévues en 2015. Mais se tiendront-elles ? De graves décisions prises en ce moment par le gouvernement Ouattara et passées inaperçues des observateurs et de l’introuvable « communauté internationale » (trop souvent, dans les faits, réduite aux seuls décideurs français), risquent de mettre à nouveau le feu aux poudres et conduire à une situation de violence exacerbée et de massacres intercommunautaires, qui pourrait ressembler-en pire- à la situation en Centrafrique. De quoi s’agit-il ?

Photo : Michel Galy Politologue, Professeur de Relations Internationales à l’Ileri (Paris), Spécialiste de l’Afrique sub-saharienne.

Il s’agit, via un recensement de la population, du don « sur déclaration » de la nationalité ivoirienne, de l’inscription sur les listes électorales d’environ un million de ressortissants d’origine sahélienne, électorat naturel de m. Ouattara, et donnant vitam aeternam, via les pesanteurs socio-ethniques, une majorité automatique à son parti, le RDR. il en va de leur survie pour les Sudistes : 2011 - toute considération électorale et conquête guerrière écartée - peut être, en relations internationales, considéré soit comme « l’installation du président reconnu par la communauté internationale » par la force des armes occidentales (force Licorne et onuci ; soit considéré, comme je l’ai personnellement soutenu, comme un « coup d’Etat franco-onusien » contre le président Laurent Gbagbo, reconnu élu par le Conseil institutionnel ivoirien (en accord avec la Constitution, à la suite de fraudes massives au nord) mais jugé rebelle, fut-ce symbolique- ment, à l’ordre impérial. tout cela au prix d’un nombre de morts civils indéterminés, de 2002 à 2010 au nord, fief de m. Soro. Pendant la conquête du Sud et le carnage d’Abidjan, de décembre à avril 2011. Puis decrescendo dans les mois et années qui ont succédé, de 2011 à nos jours- et que j’estime personnellement de 2002 à 2014, à plus de 5000 victimes civiles causées par le camp de guillaume Soro et d’Alassane Ouattara “en Côte d’ivoire…, c’est l’électorat du FPI qui est davantage pluriethnique : dans Abidjan, métropole de 5 mil- lions d’habitants où les identités se dissolvent, il est aussi le parti des déshérités et de la jeunesse urbaine”.
Mais en fonction de l’avenir, de 2015 en particulier, la violence symbolique du trucage définitif des urnes par inscription massive des sympathisants nordistes, de culture mandingue, risque de raviver deuils et souffrances de 2011 et conduire à une explosion des passions dans les villages et les quartiers - ce que les demandeurs de vengeance - ou de justice - baptisent déjà le « match retour », sanglante métaphore entendue déjà à Bangui et ailleurs - comme dans une sorte d’épidémiologie panafricaine - des représentations et formes de la violence. Car l’équation électorale ivoirienne, en simplifiant, tourne autour de l’équilibre de trois grands « blocs ethnico régionaux », chacun maîtrisant environ 1/3 des voix. il s’agir des blocs est (akan, comme les Baoulé), ouest (Krou, comme les Bété) et nordiste (populairement appelé « Dioula » et comprenant Sénoufo et surtout malinké, ethnie d’origine de Ouattara qui truste actuellement la plupart des postes de l’appareil d’Etat).
Des alliances des blocs alternées assurent des majorités changeantes, via les grands partis qui représentent les blocs : ainsi, actuellement l’alliance du RDR de Ouattara avec le PDCi de Bédié compose la majorité, rejetant le FPI de Laurent Gbagbo (et en son absence, le FPI d’Affi N’guessan) dans l’opposition. Certes l’électorat du FPI est davantage pluriethnique : dans Abidjan, métropole de 5 millions d’habitants où les identités se dissolvent, il est aussi le parti des déshérités et de la jeunesse urbaine. Mais une naturalisation subreptice d’un million de sahéliens fausserait ce fragile équilibre et pourrait conduire au pire, par une réunion des Sudistes en voie de devenir définitivement minoritaires dans leur propre pays. D’autant qu’un dangereux vide, une absence de leadership trans-partis, un « gap » générationnel, se sont installés sans qu’on y prenne garde. on assiste, en effet, sinon à une disparition, du moins à un effacement des trois principaux acteurs politiques : Laurent Gbagbo transféré - et pour ses partisans, déporté - à la Haye ; Henri Konan Bédié touché par la li- mite d’âge présidentielle ; l’actuel chef de l’Etat, Alassane Ouattara, hospitalisé régulièrement et à la santé incertaine. Sans ces trois, un véritable vide politique pour- rait s’instaurer, sans relève bien légitime. Ces incertitudes, à la fois structurelles et personnelles, pourraient donc être surdéterminées par une crise électorale conjoncturelle, créée artificiellement par le gouvernement d’Alassane Ouattara, à partir de mesures réglementaires désastreuses dont nul n’a sérieusement envisagé les inquiétantes conséquences. ‘’Qu’on permette à un observateur engagé, après 20 ans de suivi politologique, de tirer une dernière fois la sonnette d’alarme, en faveur de la paix, et de préconiser les solutions consensuelles connues de tous : Libération de Laurent Gbagbo par une CPI mise au ban des gouvernants africains mais relais des puissances occidentales ; réconciliation véritable et Conférence nationale (quelle que soit son nom ou sa forme), etc.’’ Si, par malheur, le régime actuel s’entête à des élections massivement truquées, et notamment si le parrain français laisse faire, une rébellion cette fois du Sud, à coup sûr sanglante et semblable à la réaction violente en Centrafrique contre la Séléka et par extension les populations musulmanes, risque de se déclencher. m. Hollande enverra-t-il à nouveau les hélicoptères d’assaut et les blindés massacrer à Abidjan les civils insurgés, mais désarmés ? On peut espérer que le bon sens prévaudra avant que ce terrible questionne- ment se pose au pouvoir français… Qu’on ne dise pas, alors, qu’on n’a pas été averti ! Dans quelques mois, quelques semaines, il sera trop tard. Qu’on permette à un observateur engagé, après 20 ans de suivi politologique, de tirer une dernière fois la sonnette d’alarme, en faveur de la paix, et de préconiser les solutions consensuelles connues de tous : Libération de Laurent Gbagbo par une CPi mise au ban des gouvernants africains mais relais des puissances occidentales ; réconciliation véritable et Conférence nationale (quelle que soit son nom ou sa forme) ; refonte des listes électorales ; amnistie générale ; réforme équitable de la Cei (le projet de loi en polémique prévoit, pour cette Commission électorale « indépendante », seulement 3 membres de l’opposition sur 13…), etc. toute autre solution semble porteuse de terribles drames encore à venir.

Une contribution de Michel Galy Politologue, Professeur de Relations Internationales à l’Ileri (Paris), Spécialiste de l’Afrique sub-saharienne