Blocage des cours, arrestations des syndicalistes, marches d’universitaires en toges, … : Ecole ivoirienne, des signes inquiétants

Par Linfodrome - Blocage des cours, arrestations des syndicalistes, marches d’universitaires en toges, … Ecole ivoirienne, des signes inquiétants.

Les professeurs des universités de Côte d'Ivoire marchent à Abidjan le 21 février 2019 pour exiger la libération de deux des leurs et la prise en compte de leurs revendications.

Si on n’y prend garde, la crise de l’école ivoirienne risque d’entrainer le pays vers d’autres situations plus incertaines en cette période charnière vers les échéances présidentielles à venir.

Des centaines d’enseignants des universités publiques de Côte d’Ivoire dans la rue, marchant en toge sous le chaud soleil d’hiver pour protester contre leurs dirigeants. C’est le spectacle inédit auquel les Ivoiriens ont assisté, hier jeudi 21 février 2019, à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan Cocody. Cette marche dite verte (couleurs des toges) est consécutive à l’arrestation de deux des leurs, des leaders syndicaux écroués depuis lundi à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca).

Depuis des semaines, en effet, l’école ivoirienne est bloquée. Du primaire aux Universités publiques, en passant par le secondaire, les cours sont arrêtés. Les enseignants sont en grève, les salles de classes fermées, et les apprenants livrés à eux-mêmes ne sachant quel sort les attend.

Des négociations pour débloquer la situation semblent engagées. Mais, le hic, c’est que rien n’avancent. Tant au niveau de l’Education nationale (en charge du primaire et du secondaire) que de l’Enseignement supérieur. La situation va de mal en pis. Au lieu d’un véritable dialogue des acteurs, c’est plutôt à une sorte de bras de fer à laquelle l’on assiste.

Le jeudi 7 février dernier, profitant de la cérémonie de lancement de la 8e édition du Festival National des Arts et Cultures en Milieu Scolaire (FNACMIS), la ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle lançait depuis Agboville. « J’invite les enseignants à offrir aux élèves les mêmes chances qu’ils ont eu pour devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. Une solution sera trouvée à ce problème qui ne peut entraver la bonne marche de l’Etat.

Je prends l’engagement de dire que dès la semaine prochaine, l’école va fonctionner sur toute l’étendue du territoire », disait Kandia Camara devant des parents d’élèves et des élèves réunis dans une salle.
Le ton employé par la tutelle ne plaira pas à ses administrés qui vont lui répondre par la sourde oreille. Et ce, malgré son nouveau message au ton plus conciliant qu’elle leur a adressé dans un communiqué de presse appelant à la reprise des cours pendant qu’elle laisse sa porte ouverte aux négociations. Ces négociations, elles n’ont encore rien données jusqu’à présent. Pis, les choses se radicalisent de plus en plus. Notamment avec les arrestations qui s’en suivent.

Du dialogue à la force

Comme si tout avait été mis en œuvre pour compromettre cette année académique. En témoigne ce qui se passe dans l’Enseignement supérieur. Ici, le dialogue a carrément viré sur le terrain de la force. Les mots ne suffisent plus. Le bâton est sorti. Mais, au lieu de mettre de l’ordre, il amplifie plutôt le désordre. Les conciliabules ne peuvent plus aboutir.

C’est le cas de le dire de la tension qui prévaut jusqu’à présent à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, entre le président de cette institution (la plus vieille et la plus grande de la Côte d’Ivoire) et le corps enseignants qui réclame sa démission. Dans cette Université, le Conseil réuni a pris de lourdes sanctions contre des syndicalistes de la Coordination des enseignants et chercheurs (Cnec). Quatre enseignants ont été radiés, 7 autres suspendus pour un an de cours, …

Autant d’éléments qui ont suscité l’émoi dans toutes les autres universités publiques et envenimé la situation. Surtout quand va s’ajouter l’arrestation de deux de ces leaders syndicaux encore détenus à la Maca. Stratégie pour décapiter le syndicat ?

Mauvaise inspiration certainement car cette option n’aura pas été payante. Elle a plutôt eu pour effet de radicaliser davantage le ton de l’ambiance déjà délétère. Et quand les syndicats viennent à coaliser pour mener encore une action commune, comme c’est le cas avec l’entrée en scène de la Plateforme nationale (Pfn), la crise ne pouvait que s’aggraver, et la trêve sociale déchirée par les plaignants qui n’en veulent plus. Tout ceci, sous un silence quasi-coupable des ministres en charge de ces secteurs.

Les élèves ont déserté les cours depuis des semaines en raison de la grève des maîtres

Jusque-là, comme si la situation n’est pas encore suffisamment aggravée, après des semaines de cours perdues, ce sont des collaborateurs des membres du gouvernement concernés qui mènent le bal. Ce dialogue est du reste boqué en raison de la décision des syndicalistes de ne plus prendre part à la table des négociations jusqu’à la satisfaction de leurs doléances.

Qu’attend Kandia Camara pour prendre, elle-même, le taureau par les cornes ? Où est passé Mabri Toikeusse, le tout nouveau ministre de l’Enseignement supérieur visiblement transparent dans le règlement de cette crise ? La situation inquiète de plus en plus. Au regard des revendications des enseignants. Après deux semaines sans Conseil des ministres, en raison de l’absence du président de la République du pays, peut-être que les choses vont changer avec son retour.

Le Gouvernement pourrait bouger, et chaque acteur jouer pleinement son rôle. A savoir examiner minutieusement les revendications des grévistes pour satisfaire celles qui peuvent l’être et trouver des points d’accord afin d’avancer.

Le gouvernement pris à défaut

Mais, pourquoi le gouvernement observe-t-il une posture de sourd face aux revendications des enseignants ? Loin de justifier cette posture, l’équipe d’Amadou Gon Coulibaly semble pris à défaut. A regarder de près les différents points évoqués par les grévistes et le niveau des montants réclamés par ceux-ci.

C’est le cas des stocks d’arriérés accumulés depuis le déblocage des salaires sous le régime passé. Mais, aussi des primes diverses et autres revalorisations d’indemnités qui nécessitent de gros moyens susceptibles d’affaisser les caisses de l’Etat et de compromettre les engagements sociaux pris par le chef de l’Etat en début d’années.

Vus les grands chantiers annoncés pour boucler en beauté les dernières mois de son mandat, le président de la République, Alassane Ouattara et ses hommes sont pris dans les cordes de ces revendications, certes, exagérées sur certains points, mais fondées pour l’essentiel.

Mieux, avec la possibilité d’un changement au sommet de l’Etat, les grévistes veulent obtenir hic et nunc le maximum en cette année charnière vers les prochaines échéances présidentielles. Ce qui précipite toutes les négociations et crispent les positions au point de compromettre la trêve sociale sur 5 ans obtenus en 2017 par le gouvernement.

Ce qu’il faut craindre

Le décor tel que planté fait courir le risque d’une année blanche sur l’école ivoirienne de façon générale. A part quelques enseignements dans des établissements privés en effet, aucun cours n’est dispensé dans le primaire depuis plusieurs semaines. Alors que les congés de Noël avaient déjà été anticipés par le début de la grève qui hypothèque l’avenir des mômes. Si rien n’est fait pour arrêter ces journées et semaines d’arrêt de cours, le quantum horaire requis sera dangereusement entamé, et les conséquences pourraient s’avérer dramatiques pour les apprenants.

La même situation prévaut dans le secondaire, y compris dans le supérieur où, pour réclamer la libération de leur camarades détenus, et la réintégration des radiés et des suspendus, les enseignants ont décidé d’arrêter les cours sur une durée d’au moins un an.

Si cela pourrait s’arrêter là ! Au-delà de la menace sur l’année académique, il y a lieu aussi à craindre des ramifications politiques que pourraient avoir ces grèves. A 20 mois des futures échéances présidentielles, cette ambiance dans l’école ivoirienne n’est pas de nature à rassurer. L’on se souvient de ces moments de crise dans les établissements et des conséquences qui ont résulté avec le désordre qui s’est installé et a ébranlé des régimes passés. On peut le dire tout net, en Côte d’Ivoire, la déstabilisation commence parfois aussi par l’école. Attention aux mêmes causes….

Félix D.