Présidentielle 2020: Le régime prépare un mauvais coup contre l’opposition

Par Soir info - Présidentielle 2020. Le régime prépare un mauvais coup contre l’opposition.

Le Président Alassane Ouattara, chef de l'Etat, et ses généraux lors de la cérémonie de voeux de nouvel An au palais présidentiel. Image d'illustration.

L’information, classée encore top-secret, circule néanmoins dans certaines chancelleries à Abidjan.

Le jeu démocratique en Côte d’Ivoire pourrait connaître un chamboulement majeur à l’élection présidentielle de 2020. Si l’on en croit une source diplomatique occidentale à Abidjan, le régime en place en Côte d’Ivoire songe, sérieusement, à reformer le code électoral, en y introduisant le système de parrainage aux futurs candidats à l’élection présidentielle d’octobre 2020.

La Côte d’Ivoire veut ainsi emboîter le pas au Sénégal qui s’est inspiré du système électoral français. « La présentation des candidats à l'élection présidentielle (couramment appelée « parrainage » ou « signature ») est, dans la politique française, une procédure par laquelle les candidats à l'élection présidentielle sont présentés auprès du Conseil constitutionnel par des élus ; un candidat à cette élection ne peut concourir au scrutin que si un nombre suffisant d'élus l'ont ainsi présenté. Le nombre minimal étant de 500 depuis 1976, les parrainages sont couramment désignés par l'expression « 500 signatures ».

Au Sénégal, sur proposition du ministre chargé des Élections, un minimum de 53 000 parrainages sont nécessaires, suivant la loi n°2018-22 du 04 juillet 2018, portant révision du code électoral. Elle stipule notamment que « toute candidature à une élection, présentée par un parti politique légalement constitué, par une coalition de partis politiques légalement constitués ou une entité regroupant des personnes indépendantes, est astreinte au parrainage par une liste d'électeurs. Dans une élection, un électeur ne peut parrainer qu'un (01) candidat ou une liste de candidats et qu'une seule fois. Pour être recevable, toute candidature doit être accompagnée de la signature d'électeurs représentant, au minimum, 0,8% et, au maximum, 1 % du fichier électoral général. Ces électeurs doivent être domiciliés dans au moins sept régions, à raison de deux mille au moins par région. Un électeur ne peut parrainer qu'un (01) candidat ».

Le président Macky Sall s’était servi de cette « arme » de parrainage citoyen, pour mettre de l’ordre dans le système électoral de son pays. En Côte d’Ivoire, un projet de loi identique, selon notre source, devrait être introduit à l’Assemblée nationale, lors de la prochaine session parlementaire.

Peut-être que Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale, aura déjà quitté le perchoir au profit d’un élu issu d’une composante du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). Au vu de l’écrasante majorité des députés Rhdp, cette loi devrait passer comme une lettre à la poste. Dans cette loi en gestation, les parrainages en question ne devraient être accordés que par les élus municipaux, régionaux, les députés et les sénateurs.

Désormais, pour qu’une candidature soit acceptée par le Conseil constitutionnel, il faudrait que le compétiteur soit en mesure de réunir les signatures des députés, Conseillers municipaux, Conseillers régionaux, sénateurs répartis dans les 31 régions du pays. Le candidat à l’élection présidentielle devra réunir les 2/3 des signatures des Conseillers municipaux et régionaux auxquelles vont s’ajouter celles des sénateurs et des députés.

Le district autonome d’Abidjan compte 578 Conseillers et 70 adjoints au maire, contre 47 pour le district de Yamoussoukro. On en compte 306 dans le Denguelé, 369 dans le Bas-Sassandra, 337 dans le Comoé, 324 dans le Gôh et le Lôh Djiboua, 541 dans la région du Lac, 449 dans celle des Lagunes, 527 dans les Montagnes, 380 (Sassandra-Marahoué), 667 (Savanes), 546 ( Vallée du Bandama), 551 (Woroba), 313 ( Zanzan) sans omettre Assinie, Gbéléban, Attiégouakro et N’Douci qui comptent un total de 116 Conseillers.

Ça passe ou ça casse !
Ce qui donne un total de 6 152 Conseillers municipaux en Côte d’Ivoire. Plus de 6 millions d'Ivoiriens étaient appelés à voter, le samedi 13 octobre 2018, à des élections municipales et régionales dont le principal enjeu était de mesurer les forces en présence, avant la présidentielle de 2020.

Au niveau des élections municipales, le Rhdp s’est taillé la part du lion, en raflant 92 mairies, contre 56 pour les indépendants, 50 pour le Pdci-Rda et 2 pour le Front populaire ivoirien (Fpi) de Pascal Affi N’Guessan.
Au Conseil régional, le Rhdp a tenu la dragée haute. 18 contre 6 pour le Pdci-Rda, 3 pour les indépendants, 2 pour le Rhdp-Pdci-Rda et 1 pour le Fpi. Le parti d’Alassane Ouattara a accru son capital d’élus avec une vague de ralliements.

C’est à juste raison que le chef de l’État a présenté, lors du congrès ordinaire du Rhdp, le 26 janvier 2019, sa formation politique comme étant la première du pays, en termes de poids. « Oui, ces élections ont démontré que le Rhdp est une force qui gagne ! Oui, le Rhdp, c’est 23 présidents de région sur 31 régions, 133 maires sur 201 communes, 164 députés sur 253 et 46 sénateurs sur 66 et ce, sur toute l’entendue du territoire national », s’est-il exclamé.

Le ministre d’État, ministre de la défense, Hamed Bakayoko, l’un des plus puissants du régime d’Abidjan, déclarait, au cours d’un meeting, à Yopougon, au sujet de l’élection présidentielle de 2020 : « Allez dire à ceux qui sont dans des ambitions personnelles ; allez dire à ceux qui veulent devenir président coûte que coûte, quel que soit ce que ça coûte au pays, quel que soit le sang versé, ils n’ont qu’à passer après. Peut-être en 2025 ou en 2030.

Mais, 2020, c’est déjà bouclé. 2020, c’est déjà géré ». Hamed Bakayoko a fait cette déclaration le 20 janvier 2019 en tant que chef de la délégation du Rhdp unifié à Yopougon, précisément à l’Institut Sotra d’Andokoi, dans le cadre du pré-congrès de sa formation politique.

Les ralliements au Rhdp de nombreux maires indépendants et autres débauchages d’élus du Pdci-Rda participeraient, en fait, d’un plan savamment bien pensé, qui s’inscrit dans la perspective de cette loi sur le parrainage à l’élection présidentielle de 2020. Conformément au décret n° 2012-1154 du 19 décembre 2012 fixant le nombre de Conseillers municipaux et des adjoints au maire par commune et relativement à l’application des dispositions de la loi n° 2012-1128 du 13 décembre 2012 portant organisation des collectivités territoriales, le nombre des Conseillers municipaux et des adjoints au maire par commune, la Côte d’Ivoire compte aujourd’hui, à la suite des élections locales, un total de 6 152 Conseillers municipaux et 669 adjoints aux maires.

Si cette loi sur le parrainage des élus locaux venait à être votée pour modifier le code électoral ivoirien, le Rhdp, fort de ses 23 présidents de région sur 31 régions, 133 maires sur 201 communes, 164 députés sur 253 et 46 Sénateurs sur 66, est d’ores et déjà assuré de satisfaire aux exigences du nouveau code électoral. Il imposerait un certain nombre de quota de parrainage, région par région. Le Pdci-Rda de Henri Konan Bédié, le Fpi de Pascal Affi N’Guessan, Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (Eds) de Georges Armand Ouegnin, ou encore Guillaume Soro pourraient voir leurs ambitions présidentielles butter contre cette loi, s’ils ne parviennent pas à réunir les signatures exigées.

Le Pdci, faut-il le rappeler, a claqué la porte du Rhdp, estimant que le parti de Ouattara tentait de l'absorber, pour pouvoir présenter son candidat à la présidentielle prochaine. Henri Konan Bédié, dont le parti a soutenu Alassane Ouattara lors des présidentielles de 2010 et 2015, attendait que le Rdr lui retourne l’ascenseur en 2020 en soutenant un candidat issu de ses rangs. D’où la rupture.

Les élections locales du samedi 13 octobre 2019 étaient une occasion pour le Pdci et le Rhdp de peser leur poids sur le territoire national. A l’arrivée, selon les résultats proclamés par la Commission électorale indépendante (Cei), confirmés par la Chambre administrative de la Cour suprême, le Rhdp est sorti grand vainqueur en l’absence des « Gbagbo ou rien » (Gor). Cette loi sur le parrainage pourrait ruiner les espoirs du Pdci et des pro-Gbagbo, de reconquérir le pouvoir d’État en 2020, mais aussi, tuer l’ambition présidentielle de Guillaume Soro.

Dans la crise profonde entre, d’une part le Pdci et le Rhdp, et d’autre part, entre le Rhdp et Guillaume Soro, les Ivoiriens scrutent l’horizon électoral de 2020 avec beaucoup d’anxiété. C’est dans cet environnement sous haute tension politique, avec l’accentuation de toutes sortes de dérives, que ce projet de loi sur le parrainage, s’il est effectif, pourrait être voté les prochaines semaines.

Armand B. DEPEYLA