Exclusif/Laurent Gbagbo dans « Libre »: « Sarkozy m'a intimé l'ordre de partir dans un discours à Bruxelles»

Par IvoireBusiness - Exclusif/Laurent Gbagbo dans son livre "Libre pour la démocratie et la justice" « Sarkozy m'a intimé l'ordre de partir dans un discours fait à Bruxelles ».

Les Présidents Nicolas Sarkozy et Laurent Gbagbo lors d'une rencontre à l'ONU. Image d'archives.

« …J'ai prêté serment le samedi 4 décembre 2010 au palais, après que le conseil constitutionnel eut statué sur les recours que nous avions déposés à la suite des fraudes massives constatées dans le Nord du pays et après qu'il eut pris acte de l'incapacité dans laquelle se trouvait la commission électorale indépendante de se prononcer dans le délai qui lui était imparti.

La veille, le vendredi 3, j'ai compris que tout pouvait se terminer très mal. Le Conseil constitutionnel venait de proclamer les résultats, et me désigner comme vainqueur de l'élection. J'ai reçu le jour même un coup de fil de Sarko.

Il était furieux: " Il ne fallait pas que le Conseil constitutionnel fasse ça, non, non, il ne fallait pas !"

C'est la démarche d'un fou, pas celle d'un chef d'Etat. Comment peut-on se permettre aujourd'hui, au XXIe siècle, d'appeler un autre chef d'Etat pour lui dire une chose pareille ? C'est à ce moment précis, quand j'ai raccroché, que j'ai eu le sentiment que tout pouvait déraper.

Je sais que les institutions des pays africains, ils s'en fichent ! Il ne ne s'agit après tout ce que de mettre leur homme sur le trône... mais s'asseoir sur le Conseil constitutionnel d'un pays souverain dont la Constitution est calquée sur celle de la France, avec autant de culot, comme ça, par téléphone, c'est une mauvaise blague. Ce n'est pas un chef d'Etat que j'ai eu au téléphone...

Quand j'ai demandé à Jean-Christophe Notin, proche des milieux officiels français de l'époque, à défaut d'être un grand connaisseur de l'Afrique, pourquoi on n'avait pas respecté la décision du Conseil constitutionnel, il m'a répondu :" Pour Paris, c'était un Conseil constitutionnel fantoche.

" Précisant qu'il fonctionnait exactement comme le conseil constitutionnel français, je glisse : " Par fantoche, vous voulez dire nègre ? " Silence gêné.(...).

Le samedi, juste avant mon départ pour le palais, où doit se dérouler la prestation de serment devant le Conseil constitutionnel, mon chef du protocole vient me dire qu'un message nous est parvenu indiquant que Nicolas Sarkozy a demandé que l'on s'oppose physiquement à cette investiture.

J'ai décidé d'y aller quand même. Il agit comme voyou, me suis-je dit, je n'ai pas en tenir compte. C'était du bluff, ou un avertissement...

Le lundi 6 décembre, nous avons formé le gouvernement, un gouvernement de technocrates, et nous avons commencé à travailler. La France nous avait coupé les robinets de la BCEAO, en espérant que nous ne pourrions pas payer les salaires des fonctionnaires et honorer les factures de l'Etat, ce qui aurait eu pour effet de dresser la population contre nous.

Sarkozy m'a intimé l'ordre de partir dans un discours fait à Bruxelles, sur un ton proche de casse-toi de là, pauvre c., plus tôt que dans le langage maîtrisé d'un chef d'Etat.

Mais à la fin du mois, à partir du 22 décembre, nous avons payé tous les salaires, idem en janvier. Ils ont compris qu'ils ne nous auraient pas comme ça...

Laurent Gbagbo »

Extrait du livre Laurent Gbagbo et François Mattei « Libre pour la vérité et la Justice »
Page 232-234