Côte d'Ivoire: Après sa sortie, Koua raconte son séjour en prison

Par Le Temps - Côte d'Ivoire. Après sa sortie, Koua raconte son séjour en prison.

Koua Justin peu après sa libération de prison le samedi 04 novembre 2017.

Pouvez-vous raconter votre séjour en prison ?

Vous conviendrez avec moi, cher ami, qu’on ne peut pas raconter presque trois années de vie passée en prison en une page

Comment-avez-vous pu tenir pendant ces trente six mois ?

Sénèque, Marc-Aurèle, Cicéron, Plutarque, Jean-Jaurès, mais surtout Rousseau n’ont cessé de me tenir compagnie pendant ces deux ans six mois. J’étais adossé à la pensée philosophique de ces grands hommes. Rousseau m’a enseigné que toutes les grandes passions se forment dans la solitude. Il ne cessait de me dire, jeune homme, on ne perd jamais dans une défaite, on apprend ou on abandonne. Grâce à lui, j’en ai appris durant tout le temps de mes séjours dans les différentes prisons. En prison, comme vous devrez le savoir, le vide et l’ennui tiennent lieu de vertu et d’équité. Et l’ennui, ce fléau de la solitude, m’à forcé de recourir aux livres, seule ressource de qui vit seul. Donc j’ai lu beaucoup de livres en prison que libre. Mon esprit s’est orné, ma raison s’est éclaircie, mon âme s’est fortifiée, mon cœur s’est enthousiasmé. Personnellement, ce sont les livres qui m’ont fait tenir pendant ces durs moments de prison. J’étais sous scellés, comme un criminel, mais je me donnais le temps de la lecture.

Quelles étaient les conditions carcérales ?

Je me contente ici de vous donner une légère idée, plus pour exciter que pour satisfaire votre curiosité. Car ces moments n’ont ni mots ni larmes. Mes bourreaux, en me jetant au camp pénal, ont fait le choix de me livrer à la mort muette, rapide, étouffante. Pour se faire, ils me jetèrent dans un cul de basse-fosse. Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, chaud ou frais, dans le cul de basse-fosse, je n’ai aucune notion du temps et de la température. Seul dans ce cul de basse-fosse, en linge sale, en culotte, couvert de lambeaux, sans sandales, j’étais presque livré à la mort. Mes bourreaux m’ont fait boire jusqu’à la lie la coupe amère de la souffrance. Ils m’accablèrent de douleur, de ces douleurs de vieillard qu’on n’aperçoit pas au-dehors, qui n’excitent ni gestes ni cris, mais qui tuent. J’ai été sérieusement torturé. Je peux le dire aujourd’hui parce que je suis en liberté. Je ne pouvais le dire tant que j’étais en détention de peur que mes bourreaux ne m’assassinent, surtout que le mort ne peut livrer aucun témoignage. Mais c’étaient des conditions très difficiles de détention.

Le camp pénal, parlons-en…

Comme la Bastille avant ce fameux 14 juillet 1789, comme les cachots du Mont-Saint-Michel, comme le Gouatanamo, le camp pénal est un tombeau où l’on enseveli les vivants. Que de morts ! Pitié, il faut humaniser le camp pénal à défaut de le fermer à jamais. J’en appelle aux organisations des Droits de l’Homme. C’est une prison-tombeau où mourir est plus souhaitable que vivre. Vous avez un personnel dominé par des anciens rebelles qui ne savent ni écrire ni lire. Aucune culture civique. Pour ces derniers, la barbarie, la violence exercée sur autrui est symbole de puissance et de domination. Bref ! C’est une prison de mort !

La prison de Dimbokro…

Le soleil! Comme si vous étiez dans une poêle ! Pas d’air, tout baigne dans la chaleur. Et vous étouffez. De prison en prison, j’ai connu l’extrémité du péril et de la souffrance. Mais je savais garder ma sérénité. Parce que je savais que le régime despotique de Ouattara avait fait le choix clair de me persécuter. Peut-être voulait-t-il me tuer pour dissimuler leur échec. Leur échec de n’avoir pas pu empêcher la tenue du congrès de Mama qui a porté le Président Gbagbo à la tête du parti qu’il a créé. Leur échec de n’avoir pas pu faire du Front Populaire Ivoirien, un instrument de suppôt pour fortifier leur despotisme en Côte d’Ivoire. Quoi qu’ils fassent, mes bourreaux devraient savoir que celui que la nature a créé capable de naviguer sur l’océan orageux n’est point effrayé lorsque la foudre atteint son vaisseau. Alors, malgré leur persécution, il régnait dans mon âme tout entière une merveilleuse sérénité. J’ai appris, à la Dst comme dans ces prisons difficiles, à supporter le joug de la nécessité sans murmure. Mon imagination est parvenue à se familiariser aux périls dont j’étais sans cesse environné. J’ai vu autour de moi tous les abîmes. Je suis un combattant et non un pleureur. Je sais encaisser.

Quels étaient vos rapports avec les autres prisonniers et vos geôliers…

Avec les autres détenus de droit commun, j’avais de très bons rapports. J’ai vu des jeunes gens corrompus de bonne heure, livrés à la débauche, inhumains et cruels. La fougue du tempérament les rend impatients, vindicatifs et furieux. Ils ne connaissent ni pitié ni miséricorde, ils sont même capables de sacrifier mère et père au moindre de leur plaisir. Au milieu de ces laisser-pour-comptes, ces jeunes gens sans aucune assistance sociale, abandonnés aussi bien par l’Etat que leurs propres parents, je m’organisais au tant que je pouvais pour leur apporter assistance. Il faut sauver ces innocents, il faut soulager ces malheureux qu’il est si facile d’écraser, mais qu’il est si difficile de secourir. Alors, j’étais bien moins occupé par mes maux particuliers que du secours que je devrais apporter autour de moi. Je leur distribuais des éponges, serviettes et du savon de douche, de pots d’huile, du riz,…enfin, tout ce qui pouvait les soulager un tant soit peu. Quant à mes geôliers, ceux qui ne savent ni lire ni écrire sont plus nombreux que ceux qui savent lire et écrire. Naturellement, certains d’entre eux étaient tentés d’exercer la barbarie et le mépris sur moi. Mais bon, c’est ce que savent faire les ignorants.

Comment meubliez-vous vos journées en prison ?

Il est des sortes d’adversités qui élèvent et renforcent l’âme, telle est celle à laquelle j’ai fait face. La prison fut le plus sûr moment pour moi de m’élever au-dessus des préjugés et d’ordonner mes jugements sur les vrais rapports des choses. D’ailleurs, il n’est jamais trop tard pour apprendre, même de ses ennemis, à être sage, vrai, modeste, et à moins présumer de soi. Et j’ai appris. Transporté là brusquement, nuitamment, seul et nu, j’y fis venir successivement mes livres et mon petit équipement. Et vivant dans la cellule où je comptais achever mes jours, je me suis suffisamment nourri de la grande pensée du XVIII ème siècle. C’est elle qui élève les plus modestes au niveau des plus grands. Cette pensée est assez diverse et vaste pour que ceux qui s’en inspirent ne soient pas dominés par l’esprit de secte, et puissent s’adapter aux évènements. La prison favorise un examen de soi et c’est fondamental dans la vie d’un lutteur. Je m’engageai donc dans une vie méditative, le temps de la vie intérieure pour engager une réforme morale et intellectuelle de mon être. La prison m’a disposé à être à l’écoute de ma vie intérieure. Elle a été le miroir de mon âme. Elle m’a fait naître de nouveau. La naissance d’un être humain à la conscience de soi, et de la compréhension de sa place dans cette lutte de souveraineté. Je puis l’affirmer avec enthousiasme, la prison m’a donné une image de sérénité au milieu de mes malheurs. J’étais donc tranquille au fond de l’abîme.

En quittant le camp pénal de Bouaké et la prison de Dimbokro, puis la Maca, avez-vous des regrets ?

Oui, cher ami. Je note que je ne reverrai plus ces êtres saints et innocents que sont ces hospitaliers prisonniers de droits communs, je ne reverrai plus ces gardes, ces barbelés, ce vaste camp dont l’aspect a toujours touché mon cœur. Je ne gouterai plus au «pôtô-pia» du doyen Ayebi, cette sauce sans saveur, sans goût…Le plus grave est que je pars laissant derrière moi mon initiateur, Assoa Adou, lui qui s’est chargé de me donner gratuitement la clé des mystères politiques. Je laisse derrière moi Maître Bahi Patrice, un homme remarquable, simple et généreux, qui m’a communiqué les mécanismes pour dominer les mauvais sentiments. Je laisse derrière moi le ministre Lida Kouassi Moïse, un administrateur très capable et un homme d’appareil à la fois dévoué et plein de ressources, prêt à porter la souffrance des autres. Je laisse derrière moi Samba David, un humaniste, injustement incarcéré, qui ne cherche qu’à plaider pour les droits des ivoiriens. Je laisse derrière moi mon éternel voisin de cellule Katé Gnatoua, un homme sans problème et qui ne cherche noise à personne, un grand serviteur de l’Etat. Je laisse derrière moi les colonels Aby et Maudy, les commandants Kipré, Séka Séka, Abéhi Jean Noël, le commissaire Logué, et ces centaines de prisonniers de la crise politique dans des situations pénibles, difficiles et alarmantes. Je laisse derrière moi, l’Amiral Vagba Faussignaux, homme de droiture et de détermination. Je laisse derrière moi, le Général Dogbo Blé, un grand patriote, amoureux de son pays, emprisonné pour avoir défendu l’honneur et la dignité de son pays. Par-dessus tout, je laisse derrière moi, la première dame Simone Gbagbo, une femme de tête, dont sa totale intégrité, la profondeur de son dévouement en font un exemple pour nous. Pour tous ceux-là, je suis triste, mais en même temps, je me sens dans l’obligation de me donner les moyens de briser leurs chaînes et de les sortir du « sous-sol de l’humanité ». Pour eux et pour la Côte d’Ivoire, ma conscience me fait demeurer au combat.

Yacouba Gbané